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sujet; Le chant du carrousel et le sifflement des couteaux

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C'était une magnifique journée ensoleillée, à tel point que Keziah avait remonté les manches de sa chemise jusqu'aux coudes et jeté la veste de son costume trois pièces sur son épaule. Le grand sourire qui lui barrait le visage n'avait pourtant rien à voir avec le beau temps. C'était autre chose. Quelque chose d'infiniment plus intime et profond. En cet instant, tous ses sens étaient assaillis par des sensations qu'il n'avait plus éprouvé depuis bien des années ; le brouhaha joyeux de la foule, la voix du forain hélant le chaland, le tintement des jetons dans les machines à cadeaux se superposant à la musique très légèrement dissonante d'un carrousel, l'odeur sucrée du caramel sur les pommes d'amour et des gaufres en train de chauffer. C'était étrange, un peu comme s'il venait de sauter des deux pieds dans un souvenir d'enfance. Il n'avait jamais vraiment pris conscience jusqu'à présent d'à quel point toute cette effervescence avait pu lui manquer... Mais maintenant qu'il se tenait là, debout devant l'entrée du Thousand Splendid Suns Carnival, ses roulottes en bois peint, ses vieux camions rouillés et ses toiles de tentes colorées sous les yeux, c'était un sentiment difficile à ignorer.

Keziah ferma les yeux. Il prit quelques secondes pour inspirer un grand coup et laisser ses souvenirs refaire surface, mais il s'employa à les chasser de ses pensées à l'instant où il rouvrit les yeux. Il n'était pas venu ici pour se sentir nostalgique. Cette vie, il lui avait tourné le dos de son plein gré, il y a des années de ça. Ce n'était pas sur le plan sentimental qu'il était difficile de revenir. C'était difficile car il n'avait aucune idée de l'accueil que ses anciens amis lui réserveraient. En quittant leur monde, il avait accepté de perdre leur confiance et, ici, ce pouvait être la différence entre repartir en un seul morceau ou pas. Il n'était pas plus inquiet que ça pourtant. Il ne croyait pas qu'ils lui feraient vraiment du mal ; lui voler dans les plumes, l'intimider, oui, peut-être, et peut-être aussi qu'il le méritait un peu, mais le blesser ? Le risque était faible. Du moins, il l'espérait...

La veste toujours sur l'épaule, Keziah passa sous l'arche métallique marquant l'entrée du site d'exposition et se mit à déambuler tranquillement entre les stands, se mêlant au flux des curieux. Il n'était pas particulièrement pressé de faire remarquer sa présence. Près de vingt ans s'étaient écoulés depuis la dernière fois qu'il avait vu la majorité des gens d'ici. C'était peut-être beaucoup demander de sa part, il ne le méritait sûrement pas, mais il avait besoin de leur voler cet instant, de les observer avant qu'ils ne le voient, de renouer avec cette vie qui avait été la sienne pendant si longtemps. Quelqu'un finirait bien par le reconnaître de toute façon. Il n'avait pas réfléchi à ce qu'il dirait lorsque ce serait le cas. Un simple 'Salut, ça faisait un baille dis donc !' ne lui semblait guère convainquant, mais qu'y avait-il de plus à dire ? C'est ce qu'il était en train de se demander lorsque quelqu'un vint brusquement le bousculer de plein fouet. Keziah se sentit perdre pied. Si l'étranger n'était pas venu à son secours en le rattrapant par l'épaule, nul doute qu'il aurait fini le cul par terre. Au lieu de quoi, il se retrouva nez-à-nez avec un rouquin d'à peine plus de vingt ans.

_ Je suis vraiment désolé, j'avais le nez en l'air, je ne vous ais pas vu ! Ça va aller, rien de cassé ?

Il y avait un je-ne-sais-quoi de naturellement engageant dans son visage juvénile constellé de taches de rousseur, même s'il affichait pour l'instant une mine embêtée. Alors qu'il s'excusait, ses mains ne cessaient de tapoter maladroitement son torse et ses épaules, comme pour défaire les plis que sa maladresse avait pu causer à l'accoutrement de l'ancien aiglon. Keziah se sentit sourire face à la combine. Il l'aurait reconnu entre mille, l'ayant lui-même élevée au rang de l'art en son temps. Faire les poches de quelqu'un sans qu'il ne se rende compte de rien demandait de l'habileté. Ce gosse n'était pas mauvais. Il n'avait rien senti quand il lui avait chipé son portefeuille dans la poche arrière de son pantalon. Malheureusement pour lui, il n'était pas tombé sur le bon pigeon à plumer ce coup-ci, et Keziah comptait bien le lui prouver.

_ Pas de problème, c'est bon, je vais bien ! le rassura-t-il avant d'attirer soudainement le rouquin entre ses bras et de le gratifier d'une claque amicale dans le dos. Tout est pardonné, gamin ! »

Le gamin eut l'air un peu surpris, mais il répondit tout de même à son sourire et après deux ou trois politesses supplémentaires, il tourna les talons pour continuer son chemin. Il avait à peine fait quelques pas cependant qu'il fit brusquement volte-face, ses mains tâtonnant les poches de son gilet comme s'il avait perdu quelque-chose. Il se figea net quand il vit Keziah agiter son portefeuille en l'air, visiblement très fier de son coup.

_ C'est ça que tu cherches ?
_ Espèce de...
_ Thomas !

La voix claqua dans l'air comme un coup de fouet. Sèche. Brutale. Alors qu'il rebroussait chemin, le rouquin se figea net dans son élan et ne put s'empêcher de rentrer légèrement la tête dans les épaules, comme un gosse qu'on aurait pris sur le vif la main dans le pot de confiture. Même Keziah sentit sa nuque se raidir, mais un large sourire ne tarda pas à éclairer son visage. Car cette voix, il l'aurait reconnu entre mille, et qu'il était difficile de décrire la joie qui s'empara de son cœur quand il se retourna et qu'il posa les yeux sur la femme marchant vers eux. Vu sa démarche et le regard noir qui lui donnait l'air d'un petit dragon en colère, il aurait dû se méfier pourtant, mais elle passa devant lui sans lui accorder le moindre intérêt, comme s'il n'existait pas, et se planta droit devant le rouquin, les mains sur les hanches. Elle devait bien faire deux têtes de moins que lui, pourtant le gamin n'en menait pas large et Keziah comprenait pourquoi. Lizbeth Laing pouvait être proprement terrifiante quand elle s'y mettait.

_ Thomas Dario Ruskin, sale morveux dégingandé, je peux savoir ce que tu fabriques ?! Tu cherches quoi au juste ? Les emmerdes ? Je te conseille de déguerpir de là fissa si tu veux pas qu'elles te trouvent !
_ Ruskin ? Thomas Ruskin ?! releva Keziah en posant un regard mi amusé mi stupéfait sur le garçon. La dernière fois que je t'ai vu tu n'étais pas plus haut que...
_ Et TOI !

Il sursauta quand la voix le prit brusquement pour cible, s'attendant déjà à ce qu'une avalanche de reproches ne s'abatte sur son dos, mais rien ne vint. Pour la première fois depuis des années, leur regard se croisèrent à nouveau et ce fut soudain comme si le temps venait de retenir sa respiration, comme si le monde venait de s'arrêter autour d'eux. Keziah vit alors l'orage qui couvait dans ses grands yeux noirs vaciller, et sentit un sourire doux-amer naître à la commissure de ses propres lèvres. Elle n'avait pas changé. Elle était resté la même que dans son souvenir, sublime et fière Esméralda à la tête couverte d'un foulard. La dernière fois qu'il l'avait vu, il se souvenait avoir tenu sa fille entre ses bras. Louise n'était alors qu'un bébé, un petit être de quelques jours à peine gazouillant dans sa couverture alors que sa mère dormait profondément dans son lit de Ste-Mangouste. Lizbeth était la seule à être venue la voir, une louve impressionnée par l'animation régnant sur l’hôpital marchant discrètement sur ses talons. Keziah ne lui avait jamais dit à quel point l'attention l'avait ému. À quel point il lui avait été reconnaissant d'avoir emmené sa mère avec elle. Il n'en avait pas eu besoin. Elle l'avait compris d'un simple regard, comme aujourd'hui encore il ne lui suffit que de ça pour lire en lui comme dans un livre ouvert.

_ Suis-moi, dit-elle simplement pour rompre le silence.

Elle l'attrapa alors par le bras, et sans un regard pour Thomas ou les passants que l'altercation avaient intrigués, elle l'entraîna dans son sillage.
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Le chant du carrousel et le sifflement des couteaux

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