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| ❝ From above ❞ 12 Décembre 2001 Le froid s’est emparé de la Grande-Bretagne, impitoyable et brutal, curieuse réminiscence slave pour la Hongroise qui, chaque année, s’étonne toujours de la rudesse de l’hiver des landes britanniques. Malgré l’habitude, les visites durant l’enfance, Vayk n’a jamais su s’habituer. Après plus de dix ans elle se laisse encore surprendre par le vent insidieux. Le climat est certes moins rude que celui enduré à Durmstrang, dans le fin fond de la Bulgarie mais la Hongrie disposait de températures nettement plus clémentes. Ou peut-être était-ce juste sa façon de rejeter le pays qu’elle n’avait jamais vraiment choisi. Tout juste posée devant le Chemin de Traverse, ses doigts resserrent les bords de sa cape contre sa poitrine alors qu’elle exhale un soupir léger condensé par le froid. Un frisson lui traverse l’échine, généré autant pas le choc thermique que par la crainte lui courant sous la peau. Essuyer un autre refus ne serait pas acceptable. Elle ne peut vivre sans baguette et les dernières semaines ont été beaucoup trop éprouvantes pour qu’elle continue sur la même lignée. Elle ne saurait, pourtant, se résoudre à prendre contact avec les artisans baguettistes Slaves, de peur que ses compatriotes opposent résistance et questions. Les démarches s’avèreraient bien trop compliquées, beaucoup trop longues, surtout. Et plus encore, elle ne veut simplement pas avoir à se justifier. Si les communautés se mettaient à jaser ? Si le clan venait à apprendre qu’elle avait perdu son bien le plus précieux ? Sans aucun doute, son père ne perdrait pas une seconde pour envoyer tout un bataillon d’honnêtes Hongrois jugés plus respectables que son aimable première-née. Peut-être même enverrait-il Abel. Ou Simon. Entre la peste et le choléra… Aussi attachée puisse-t-elle être à la dynastie, leur présence sur le sol anglais signifierait la fin de toutes les libertés. Evitant consciencieusement toute situation susceptible de compliquer ses relations au sein du bien-aimé clan, elle avait préféré se tourner vers Ollivander Père, malheureusement peu engagé par les explications fumeuses, les demandes sans fondement de la Hongroise. Comment expliquer qu’elle soit démunie de l’élément qu’elle considère comme essentiel, lien ténu entre sa magie et l’ersatz de sorcière qu’elle est devenue. De colère et d’amertume, Vayk émet un grondement frustré, les phalanges blanchies sur le manche de son balai. Il lui faut une nouvelle baguette. Son absence se fait cruellement sentir, lui jetant chaque jour ses échecs à la face de la plus violente des façons. Un. Deux. Trois. Potion. Vie. Existence. Ratée. Ratée. Ratée. Son regard déjà ombrageux fixe la devanture d’Ollivander et la médicomage déglutit lentement au souvenir cuisant du refus du paternel encore imprimé, cicatrisé à blanc dans l’orgueil déjà bien entamé. Naïvement, elle espère l’héritier plus raisonnable (malléable peut-être) que son paternel, plus apte, surtout, à saisir le problème sans qu’elle n’ait à l’expliquer. Plier aux exigences sans logique aucune. « Bonjour. » Souffle-t-elle doucement en entrant d’un pas hésitant dans l’antre du célèbre baguettiste, l’incertitude voilant sa voix alors qu’elle dépose son balai à l’entrée. Réticence qui ne lui ressemble pas, du moins qu’elle n’ose certainement pas afficher en public. Mais l’appréhension de croiser le patriarche Ollivander est bien trop grande. La louve a peur d’un simple « non ». Ridicule consommé de la situation pour celle qui ne se prive guère pour refuser toute demande. « Je viens pour une… » Elle s’arrête au beau milieu de sa phrase, incapable de formuler la suite dans un anglais correct. Les mots qui s’emmêlent, elle perd le mot comme elle a perdu l’entité. La langue qui fourche sur le magyar, toujours tapis au fond, confuse par l’esprit apeuré, la crainte de voir les tempes grisonnantes d’Ollivander apparaître derrière le comptoir. «…pálcát . Une baguette. » Yeah, no shit. Peut-être venait-elle commander une bière dans la plus célèbre boutique du Chemin de Traverse ? Atterrée par sa propre médiocrité, la Hongroise se passe une main lasse sur la nuque avant de la reposer sur le comptoir et de s’éclaircir la voix. « Monsieur Ollivander ? » Elle laisse résonner plus clairement dans la boutique, avec l’impression que la marque de respect lui arrache les lèvres. Le paternel ne lui inspire plus qu’un agacement certain mâtiné et dégoût (rancune facile serait le mot) et qualifier un héritier tout juste diplômé de « monsieur » lui paraissait hautement présomptueux. Mais on ne plaisantait certes pas avec la noble famille membre des Vingt-Sept. Surtout lorsque l’on avait une demande alambiquée à leur faire. Gamin Ollivander ou mioche n’était en conséquence peut-être pas les termes appropriés. Sauf si elle souhaitait sortir aussi vite qu’elle était entrée, la tête la première dans la neige (dans un certain sens, cela lui remettrait peut-être les idées en place).
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| Il n’y parviendrait jamais. Plus le temps passait, plus Ardal se disait qu’il courait après une chimère, en poursuivant cette quête impossible pour créer LA baguette par excellence. Il créait de bonnes baguettes, enfin des baguettes acceptables pour quelqu’un de son âge, mais ne se sentait pas l’étoffe du génie qu’il aurait du être. Et depuis la disparition de son grand-père, il n’avait plus sur lui ce regard si pénétrant, qui le faisait se sentir spécial. Oui, être l’aîné et l’héritier Ollivander pouvait être pesant parfois et il avait ses moments de découragement. Et il se trouvait que celui-ci en était un. Il avait donc décidé de reprendre à zéro, de repartir des bases et ressorti tous ses carnets de Poudlard pour se plonger dedans. Les connaissances acquises lui faisaient du bien, le rassurait et il pouvait y passer des heures, le temps de retrouver son calme et repartir sur des bases solides. Il tenait seul la boutique, ce jour-là. Son père avait jugé qu’il était temps de leur laisser les rênes, de temps à autres. Comme il le disait lui-même humblement, son rôle était minime dans ce genre de situations : il lui suffisait simplement de cerner les besoins du client ou de la cliente et de l’orienter vers des baguettes pouvant lui correspondre. Et c’étaient elles qui faisaient tout par la suite, il n’y avait plus qu’à laisser la magie faire son œuvre.
Posé dans l’arrière boutique, jambes croisées, il était donc profondément plongé dans une série d’études sur les arbres du parc de Poudlard quand la porte de la boutique s’ouvrit. Même la vieille cloche ne lui fit pas relever la tête, plongé qu’il l’était dans les méandres noueux des chênes. Il était parti loin, bien trop loin, dans des souvenirs qui le faisaient doucement sourire, le réchauffant encore plus sûrement que le charme qu’il avait lancé. Ce ne fut que lorsqu’un mot étrange se fraya un chemin jusqu’à ses oreilles qu’il tressaillit. «…pálcát Pardon ? Fronçant les sourcils, il finit par émerger et ferma le volume avec précaution. Avait-il réellement entendu une voix ? Une baguette. » Il aurait pu s’agir d’une hallucination auditive, mais il était persuadé de n’avoir jamais entendu ce type d’accent auparavant. Cela ne pouvait vouloir dire qu’une chose. Monsieur Ollivander ? Il y avait quelqu’un dans la boutique. Il prit quelques secondes pour sortir tout à fait de la torpeur dans laquelle il était plongé. Son père lui faisait confiance, il devait se montrer à la hauteur. Rajustant le col de la chemise qui dépassait de son pull de bonne facture, il prit une profonde inspiration avant de finalement se diriger vers le comptoir et vers la lumière : Bonjour madame, navré pour l’attente. Il n’avait du s’écouler qu’une poignée de secondes, mais il était simplement pétri de bonnes manières.
Il ne se souvenait pas avoir déjà vu son interlocutrice. Il s’agissait d’une femme, et non d’une demoiselle (il ne regretta donc pas le terme employé), brune, charismatique et visiblement un poil agacée. Cela ne l’effraya pas outre mesure. Son accent situait ses origines dans un pays sans doute autrement plus froid que sa bonne vieille Angleterre, mais il ne se risqua à aucune supposition, ne voulait se mettre à dos une de ses rares clientes qu’il gérait en solo. Il resterait donc simplement courtois. Elle venait donc pour une baguette, ce qui avait résonné dans les airs et il n’allait certainement pas lui demander de se répéter. Je devrais pouvoir vous être utile. Si vous le permettez … Il sortit sa propre baguette, et, d’un moulinet du poignet, fit venir le mètre dont s’étaient servi à peu près tous ses ancêtres. …nous allons avoir besoin de quelques mesures. Je pourrai ensuite vous aiguiller vers une baguette à laquelle vous pourrez convenir. Et non l’inverse. La plupart des clients étaient au courant de cet état de fait, mais il le répétait, comme une formule magique débutant cette cérémonie, ce rituel du choix de la baguette. |
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| ❝ From above ❞ 12 Décembre 2001 Ses yeux fixent le jeune homme qui lui fait face comme s’il n’était qu’une tâche sur le miroir matinal, un simple obstacle à surmonter mon obtenir ce qu’elle demande. Il est jeune, si jeune que Vayk conçoit difficilement qu’il puisse être, en somme, son seul espoir. Hors de question d’aller voir la Gregorovitch et ses cheveux semi-bleus. Hors de question de prendre le risque que l’information circule. La Hongroise se donne peut-être – sûrement – beaucoup plus d’importance qu’elle n’en mérite mais la crainte qu’une simple parole en l’air ne remonte jusqu’aux oreilles du clan l’étreint bien trop fort. Elle a bien trop conscience de sa situation précaire, des actes que Miklos ne manqueraient pas de noter pour ajouter à la balance déjà négative pour se permettre de négliger un seul détail. « Bonjour. » Répète-t-elle sans grand enthousiasme, son regard passant au crible le cadet Ollivander et son air juvénile. Pour ce qu’elle en savait, elle pouvait situer l’héritier dans les mêmes âges que son propre frère. Cette simple idée fait naître un mélange de rancœur et d’animosité bien involontaire traduit par un frisson à la base de sa nuque. « Je devrais pouvoir vous être utile. Si vous le permettez … » — Il vaudrait mieux pour vous s’apprête-t-elle à formuler. Elle retient du bout des lèvres la remarque acerbe et pleine de mépris et charge simplement son regard d’en véhiculer la morgue. Oubliant l’humiliation qui brûle sa peau à confier une partie aussi importante de sa vie entre les mains d’un gosse, les yeux de la Hongroise suivent le manège bien huilé, admirative malgré elle du professionnalisme déjà visible chez le jeune Ollivander. « …nous allons avoir besoin de quelques mesures. Je pourrai ensuite vous aiguiller vers une baguette à laquelle vous pourrez convenir.» Elle tique, se tend, s’agace. Ses sourcils se froncent sur les deux ambres irradiant d’amertume et elle tend le bras vers le jeune héritier pour l’arrêter avec qu’il ne se lance dans toute une procédure qu’elle juge beaucoup trop longue. Beaucoup trop pompeuse, surtout. Les fioritures ne sont pas pour elle. Vayk a besoin d’une baguette. Immédiatement. Et elle entend le faire à sa façon. Pas qu’elle soit particulièrement opposée à l’idée que la baguette choisisse son sorcier (certes le concept lui est toujours apparu comme obscur mais les Gregorovitch ont la même coutume, pour peu qu’elle s’en souvienne) mais il lui faut impérativement maintenir l’illusion que rien n’a changé. L’Héritier est jeune et, elle espère, plus conciliant que son paternel. La louve saisit au vol l’opportunité de faire pression, appuyer une influence invisible sur les faiblesses liées au manque d’expérience avec l’espoir qu’il cède à ses demandes. Ou qu’ils trouvent un terrain d’entente. « Je ne vous permets pas, non. » La Hongroise saisit la formule au pied de la lettre tout en tirant de force sur le mètre-ruban pour l’empêcher de faire son œuvre en se déroulant dans son intégralité. « Désolée, monsieur Ollivander mais je ne suis pas une écolière de onze ans, inutile de me faire toute la cérémonie grandiloquente.» La médicomage butée tapote le comptoir, autoritaire par habitude, impérieuse par éducation. « Quelques questions suffiront, peut-être, non ? Que voulez-vous savoir ? » Elle darde un regard polaire sur le jeune Ollivander, le défiant de s’offusquer, de s’insurger d’une attitude à l’encontre de tous les principes. Il ne pourrait pas comprendre.
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| Je ne vous permets pas, non. Garder son calme et surtout le contrôle de son visage fut une véritable épreuve pour le jeune homme de bonne famille. Ce manquement grossier à la politesse la plus élémentaire lui fit l’effet d’une gifle. Il lui fallut mobiliser tous les enseignements de bienséance qu’on lui avait inculqués pour ne rien laisser paraître, et surtout pour ne pas laisser échapper un Je vous demande pardon ? qui aurait été plus que justifié dans ce cas précis. Il s’agissait évidemment d’une formule rhétorique qui n’appelait pas la moindre réponse, et encore moins cette rebuffade absolument intolérable. Il la regarda se défaire de son mètre ruban, profitant de ces informations pour tenter de garder une contenance des plus impeccables. Désolée, monsieur Ollivander mais je ne suis pas une écolière de onze ans, inutile de me faire toute la cérémonie grandiloquente. Ce n’était pas mon intention, répondit-il simplement, loin de s’excuser. Offensé, il l’était. Ce n’était pas parce qu’il n’était pas son père ou encore son grand-père qu’on pouvait tout se permettre avec lui. Il était l’Héritier. Pas n’importe quel blanc-bec qu’elle pourrait balayer du revers de la main, qu’on se le dise. Quelques questions suffiront, peut-être, non ? Que voulez-vous savoir ?
Eh bien il me faut prendre quelques mesures qui, croyez-le ou non, rentrent en ligne de compte directe pour vous orienter convenablement vers la baguette à laquelle vous êtes la plus susceptible de convenir. D’un coup de baguette, il fit revenir le mètre dans sa main, ne forçant pas les choses. Mais il lui faudrait ces données. J’ai bien compris, madame, que votre temps était précieux. Or sans ces données, nous arriverons moins rapidement au résultat escompté, c’est à dire vous trouver une baguette. Il restait parfaitement calme, mais il n’était pas question de céder un pouce de terrain. Il n’avait que rarement été insulté, mais là, cela dépassait l’entendement commun. La réputation de sa famille seule suffisait dans la très grande majorité des cas à faire taire les plus récalcitrants extrêmement rapidement. Peut-être était-ce parce qu’elle n’était pas originaire de leurs contrées britanniques, comme le suggérait son accent chantant ? Peut-être était-elle une fervente admiratrice des – Merlin forbids - Gregorovitch. Une infamie. C’était sans doute là la raison de son attitude, il ne voyait pas d’autre explication. Merveilleux. Il était donc impératif de premièrement, ne rien céder et deuxièmement, lui prouver que leur école était évidemment la meilleure. Vous pouvez également me parler de votre ancienne baguette. Cela me donnera des informations capitales pour la suite. Peut-être pour ceci s’exécuterait-elle volontiers, vantant les mérites d’un autre baguettiste … Rester calme, poli et poser. Absolument. Ainsi que m'éclairer sur l'usage le plus fréquent que vous en faites. Cela allait lui permettre de se concentrer sur des faits, des paramètres qu'il connaissait et avec lesquels il pouvait jongler, et de mettre au second plan cette demoiselle décidément plutôt déplaisante. |
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| ❝ From above ❞ 12 Décembre 2001 Elle sait lire les visages, Vayk. Elle lit les traits comme personne, s’applique à s’adapter aux réactions qui froissent la peau et le coin des yeux. C’est du moins ce en quoi elle a toujours cru. Ce en quoi elle pensait exceller. Certains masques sont trompeurs, à commencer par le sien. Et celui d’Ardal est parfait. Si elle sent l’atmosphère s’électriser brièvement sous sa brutalité, l’héritier conserve un contrôle parfait, à toute épreuve. « Ce n’était pas mon intention. » Presque à tout épreuve, corrige-t-elle mentalement. La Hongroise lui sourit doucement, laissant la condescendance s’écouler de la fente qui lui sert de sourire. Elle sait bien qu’il ne fait que son travail. Mais c’est bien ce qui l’ennuie. Pour une fois, elle voudrait que quelqu’un adopte une logique marchande plus que traditionnaliste. Pour une fois, Vayk se tamponne des effets magiques grandiloquents. Il. Lui. Faut. Une. Baguette. Et pas n’importe laquelle, de préférence. « Eh bien il me faut prendre quelques mesures qui, croyez-le ou non, rentrent en ligne de compte directe pour vous orienter convenablement vers la baguette à laquelle vous êtes la plus susceptible de convenir. » Elle fronce les sourcils et ses lèvres se pincent brièvement à l’emploi de la dernière expression, toujours aussi dérangeante. L’idée de ne pas plier totalement la magie à son bon vouloir est toujours une source d’agacement profond. Elle ne se sent bien que lorsqu’elle a pleinement le contrôle de chaque élément. Et là, de toute évidence, ça n’est pas le cas. Les sorciers conviennent aux baguettes et, incidemment, la baguette convient au sorcier. L’emboîtement parfait par les forces mystiques. Quelque chose qu’elle ne s’explique pas et qui, comme tous les mystères, agite sa curiosité d’une envie malsaine. Son regard s’adoucit un peu, pourtant, alors qu’Ardal récupère placidement son mètre. Au moins n’essaie-t-il pas de faire son noble métier envers et contre tout. Elle ne supporterait pas de devoir de toute façon ployer l’échine comme elle le fait si bien. « J’ai bien compris, madame, que votre temps était précieux. Or sans ces données, nous arriverons moins rapidement au résultat escompté, c’est à dire vous trouver une baguette. » Compréhensive du laïus qu’il lui tient comme si elle était une enfant impatiente de cinq ans (ce qu’elle est présentement plus ou moins), Vayk hoche lentement la tête. Elle le sent déterminé et, assez étrangement, cela ne fait que renforcer son envie d’imposer ses propres choix. Faire plier l’héritier Ollivander, idée excitante pour la Louve, perversion de l’esprit, sans doute, pour son hôte. « Je ne voudrais pas vous empêcher de faire votre métier. » Mais si, un peu, quand même. « Je suis sûre que nous pouvons trouver un terrain d’entente. » De préférence le sien. Vayk a confiance en la force de compromis qui émane d’Ollivander, il semble autant tenir à sa réputation qu’elle tient à la sienne… Elle est désolée, vraiment (non, mensonge, mais elle suppose qu’il est d’usage de l’être), de cette envie qui lui dévore l’esprit, ce besoin de prendre l’ascendant pour obtenir ce qu’elle veut. C’est une question de survie, un instinct purement primaire comme une envie de chasse, de sang et de massacre. Elle regrette profondément de ne pas pouvoir, ne pas savoir se plier aux traditions séculaires. Même les Gregorovitch n’ont jamais su lui inculquer cette soumission précise. Elle la refuse comme toutes celles qui se rapportent à la magie, ultime acte rebelle de celle qui est lasse d’être écrasée par un poids qui la dépasse. La charmante ironie. « Vous pouvez également me parler de votre ancienne baguette. Cela me donnera des informations capitales pour la suite. Ainsi que m'éclairer sur l'usage le plus fréquent que vous en faites. » Ils entrent dans le vif du sujet et elle soupire de soulagement. Enfin. Elle ne s’y attendait presque plus tant Ardal semblait vouloir justifier des usages qu’elle se serait de toute façon obstinée à refuser. « Bois d’olivier, 29,4 cm. Larme de sombral. » Récite-t-elle docilement en faisant quelques pas dans la boutiques, laissant ses doigts courir le long des baguettes entreposées. « Elle était souple et sobre. Parfaite pour les informulés. C’est ce dont je me sers le plus, dans l’urgence à Ste Mangouste. » Sa main s’arrête sur une boite qu’elle attire à elle, plus curieuse de voir les œuvres d’Ollivander que réellement décidée à choisir elle-même. Plus son discours avance, plus elle admet qu’il est plus qu’essentiel de composer avec le jeune Héritier, aussi agaçant soit-il. « Je suis Hongroise, monsieur Ollivander, ma baguette venait donc de Gregorovitch. » Elle ne le regarde plus et ses yeux comme ses doigts sont étroitement fixés sur l’étui qu’elle rechigne à ouvrir. Silence. La louve retourne enfin vers le comptoir pour y poser la boîte et planter de nouveau ses prunelles dans celles d’Ardal. « Loin de moi l’idée de vous comparer ou de vous offenser. Vous avez simplement une façon plus… anglaise de travailler. Ca ne me déplaît pas mais je n’en suis pas enchantée. » Constat, simple et plat. Elle ne s’attarde pas sur les raison qui la mènent à rechercher une nouvelle baguette, l’humiliation lui brûle encore trop l’honneur pour qu’elle soit capable d’y repenser sans enrager. « J’ai un besoin presque impératif que cette nouvelle baguette soit presque similaire à la précédente. Si ce n’est identique. » Elle s’accroche peut-être trop aux détails, Vayk. Elle ne songe pas que le clan n’en a plus rien à faire de ses faits et gestes, qu’elle pourrait crever dans un fossé qu’ils ne feraient que danser sur sa tombe. Qu’ils ne soucient pas de ce que sa baguette peut bien devenir… Trop accrochée aux chimères et aux espoirs futiles. « Pensez-vous pouvoir m’aider ? » Autorité et supplique s’entremêlent dans ses yeux comme dans sa voix. La demande est ferme malgré l’appréhension d’un refus catégorique. Comme son père avant lui.
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| Cette personne ne lui plait pas, d’instinct. Mais Ardal est conscient qu’elle ne lui plait pas uniquement parce que c’est à lui qu’elle s’oppose. Il en voit, des gens, de la haute société, qui jouent tous au même jeu et cela l’amuse, parce qu’il se sait intouchable. Mais derrière son comptoir, c’est une autre histoire. Il n’est pas question qu’on lui manque de respect dans la boutique de ses ancêtres, alors qu’il ne fait que son travail. D’un autre côté, il est également conscient du fait qu’il ne peut pas se permettre de dire à cette personne à quel point elle est désagréable et mal élevée et lui faire ravaler son sourire suffisant. Le client avant tout, c’est une certitude et la réputation de la famille ne saurait souffrir d’une tache qu’il aurait fait simplement par orgueil. Il l’encaissa donc, sans broncher, en gardant son calme. Elle semblait réceptive à son approche détournée. Il doutait vraiment parvenir à obtenir ses mesures d’une coup d’un seul (elle aurait tout de même pu gracieusement revenir sur sa décision pourtant digne d’une adolescente de onze ans capricieuse, en geste de bonne volonté, comme lui avait revu sa position, cela aurait été grandement courtois). Cependant, peut-être se montrerait-elle plus coopérative après quelques essais infructueux. Pour la composition, il pouvait tenter de s’en passer. Pour les mesures et la flexibilité, en revanche, ce serait une autre paire de manches. Même pour la constitution, cela constituait une information capitale. Mais elle s’en rendrait compte suffisamment vite. Je ne voudrais pas vous empêcher de faire votre métier. Je suis sûre que nous pouvons trouver un terrain d’entente. Mais très certainement, madame, répondit-il avec un sourire entendu qui était celui d’un parfait gentleman, mais d’une ironie extrême en même temps.
Il ne pensait pas risquer grand-chose en jouant le même jeu que cette dame. Avec les vieilles rombières qui ne le prenaient pas au sérieux – ce qui était également insultant, mais d’une autre manière – il ne le faisait pas, sachant que cela remonterait à son père immédiatement. Mais cette cliente était clairement d’une autre trempe. Ce qui lui convenait. Un défi. Un défi autre que celui qu’il s’était stupidement lancé. Cela allait pouvoir le détendre un peu, malgré les apparences de bataille rangée de cette conversation. Bois d’olivier, 29,4 cm. Larme de sombral. Il la regarda s’éloigner, plissant les yeux. Il aurait adoré avoir cette baguette sous les yeux et s’en sentit frustré (mais sans doute pas autant que sa cliente). C’était une composition évidemment atypique. Vous ne trouverez rien de semblable chez nous, mais vous devez déjà vous en douter, commenta-t-il simplement. Cette baguette sentait Gregorovitch à plein nez, ou en tous cas un baguettiste plus à l’orient qu’eux. « Elle était souple et sobre. Parfaite pour les informulés. C’est ce dont je me sers le plus, dans l’urgence à Ste Mangouste. » Il la laissa se saisir d’un écrin, commençant à prendre des notes. Aulne ou pin pour le bois, sans doute pin, plus qu’aulne pour la malléabilité de la personne. Le pin s’arrêtant surtout sur des créatifs, cela pouvait cependant poser problème. Je suis Hongroise, monsieur Ollivander, ma baguette venait donc de Gregorovitch. » Sans broncher, il la laissa finir sa manœuvre pour se rapprocher de lui, soutenant son regard. Les cartes s’abattaient rapidement et ce n’était pas pour lui déplaire. Il allait pouvoir y voir plus clair.
Loin de moi l’idée de vous comparer ou de vous offenser. Vous avez simplement une façon plus… anglaise de travailler. Ca ne me déplaît pas mais je n’en suis pas enchantée. Nouvel appel aux bonnes manières pour ne pas lui rétorquer que le fait qu’elle soit Hongroise, visiblement mal habituée par les Gregorovitch et visiblement ignorante de la base de la politesse et des convenances ne l’enchantait pas particulièrement non plus. J’ai un besoin presque impératif que cette nouvelle baguette soit presque similaire à la précédente. Si ce n’est identique. Pensez-vous pouvoir m’aider ? Cela me semble impossible. La réponse tomba rapidement, calme, posée, comme un couperet. Ardal avait retrouvé ses esprits et son professionnalisme. La main était passée et était à lui à présent. Prenant les lunettes qu’il avait posées sur le comptoir un peu plus tôt, il prit son temps pour les remettre, précisant sa pensée : Je ne parle pas du fait de vous aider, ce qui est totalement dans mes cordes. Nous trouverons une baguette à laquelle vous conviendrez et qui, je n’en ai pas le moindre doute, vous conviendra également. Tournant les talons, il commença à examiner les étagères au-dessus du comptoir avec attention : Mais il sera impossible de vous fournir la même. Je ne vous insulterai pas en vous rappelant que c’est majoritairement parce que chaque baguette est unique. Je me contenterai juste de souligner que nous n’utilisons pas les mêmes matériaux que le clan Gregorovitch.
Il avait réussi à prononcer leur nom sans le moindre dégoût, ce qui n’était pas un mince exploit. Se saisissant de sa propre baguette, il fit un moulinet du poignet. Une boîte descendit, qu’il réceptionna. Se tournant vers la Hongroise, il l’ouvrit et en sortit l’objet qu’il lui tendit, annonçant : Bois d’épicéa, ventricule de cœur de dragon, 25,6 centimètres. Il ne se faisait pas beaucoup d’illusions sur celle-ci, même si le bois pouvait s’accorder avec le fort caractère de la personne en face de lui. Il avait cependant besoin de quelques interactions avant de parvenir à viser juste dans les centaines d’unités qui se trouvaient dans la boutique. |
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| ❝ From above ❞ 12 Décembre 2001 Mains délicatement nouées entre elles, parcourant ensuite les écrins des œuvres d’Ollivander, Vayk sent la frustration infuser la peau d’Ardal. Malgré elle, sa partie malsaine s’en amuse un peu, vengeance distante qu’elle tire à provoquer l’Héritier comme elle ne peut le faire avec son propre frère. A la réflexion, la situation des Ollivander n’est pas sans rappeler celle des Esterházy. A moins que ce ne soit l’inverse… « Mais très certainement, madame. » Qu’il minaude, suave et entendu en réponse à son propre ton mielleux. Si les mots s’étaient matérialisés devant eux, nul doute qu’ils seraient dégoulinants et poisseux jusqu’à en recouvrir le sol de la boutique. Ils pataugeraient certainement dans la mélasse condescendante. Puis les choses se mettent en mouvement, enfin, parce qu’elle bouscule la fourmilière, peut-être. Vayk pense apercevoir une issue alors qu’Ardal la laisse s’exprimer et même se mouvoir librement sans s’offusquer comme le petit lord mal habitué qu’il est. Elle pense même pouvoir être rentrée pour l’heure du thé lorsque soudain, il lâche la réponse inacceptable. « Cela me semble impossible.. » La Hongroise s’empourpre et se tend, ses pupilles se parant d’éclairs sauvages qu’elle jetterait volontiers à l’artisan baguettiste… si elle avait une baguette. « Je vous demande pardon ? » C’est à elle de se retrouver démunie et de serrer les poings pour ne pas lui jeter sa violence au visage. Ne comprend-t-il donc rien ? Est-il à ce point orgueilleux qu’une demande sortant un tant soit peu des traditions l’offusque ? (comment ça « l’hopital, la charité » ?). « Je ne parle pas du fait de vous aider, ce qui est totalement dans mes cordes. Nous trouverons une baguette à laquelle vous conviendrez et qui, je n’en ai pas le moindre doute, vous conviendra également. » Ah. Il a pris son temps et à dessein, Vayk le sait parfaitement. Désormais elle voit dans ses gestes mesurés une provocation lancée à la louve, un défi pour son calme empirique. Ardal Ollivander est agaçant et insupportable, il n’est qu’un ersatz de sorcier en culotte-courte qui n’a pas encore la prestance que sa famille annonce… mais Esterházy est bien forcée d’admettre qu’il a tout d’un futur grand. Quand il aura suffisamment pris d’envergure. Un peu comme beaucoup des gosses sortis de Poudlard, le mérite n’a pas encore atteint son objectif et il a été jeté trop tôt dans le bain. Faute à la guerre et aux circonstances, peut-être. Il essaie, c’est déjà ça. « Mais il sera impossible de vous fournir la même. » La Hongroise soupire dans le dos de l’héritier, s’autorisant même une grimace dédaigneuse. Elle avait dit « similaire », fallait-il qu’il soit ignare et illettré en plus d’être particulièrement irritant ? « Je ne vous insulterai pas en vous rappelant que c’est majoritairement parce que chaque baguette est unique. — « Trop tard. » Siffle-t-elle à l’insulte à peine voilée quant à sa supposée ignorance. — « Je me contenterai juste de souligner que nous n’utilisons pas les mêmes matériaux que le clan Gregorovitch. » Elle sourit, malgré elle. Si la formulation de la phrase précédente provoque une profonde envie de lui arracher les yeux, la médicomage ne peut pas nier qu’il sait frapper aux bons endroits et avec le ton juste. Le tout sans en paraître affecté, stoïcisme indifférent qu’elle admire sans le cacher. Même prononcer le nom d’un rival séculaire ne semble pas lui poser problème. Avec une précipitation mal mesurée, elle se saisit de la baguette qu’il lui tend, sans vraiment porter attention à la composition décrite (oui, pas les mêmes ingrédients, blablabla), redevenue adolescente capricieuse le temps d’un achat de la première importance. Ses doigts s’enroulent autour du bois d’épicéa (elle avait un peu écouté, quand même…) et la louve retrouve avec un plaisir non dissimulé le contact rassurant de la magie entre ses phalanges. Il lui importe peu qu’elle lui convienne ou l’inverse, l’heure est aux retrouvailles avec une sensation qu’elle avait eu peur d’oublier, un instrument qui fait pleinement d’elle une sorcière. La Hongroise inspire profondément et effectue un geste calibré mais basique, curieuse de voir les réactions engendrées par la baguette. Un arc de cercle irisé se met à crépiter à son extrémité, traversant la pièce à une vitesse fulguranate avant d’enflammer des parchemins posés à l’autre bout du comptoir. La louve glapit sous l’horreur produite, la panique et la chaleur soudaine des flammes. « Faites quelque chose ! » Qu’elle gémit, pitoyable sorcière de salon qu’elle s’évertue à être. D’instinct, pourtant, un nouveau sort fuse, nouvelle catastrophe qui succède, aguamenti informulé qui se transforme en raz-de-marée intense. Baguette trop courte pour canaliser la frustration, sans doute. «Oups.» Oui. Oups. Trempée et mortifiée, la louve s’ébroue brièvement comme un chien, oubliant un instant que le public est présent. Elle remet consciencieusement quelques mèches en place puis repose prudemment l’instrument de mort sur le comptoir. «Bien… Prenez les mesures qu’il vous plaira. » Vayk soupçonne le jeune Ollivander d’avoir de nouveau appuyé sur les bons interrupteurs. Manœuvre intéressante puisque couronnée de succès, la Hongroise rend les armes, elle n’est plus vraiment à ça près.
Dernière édition par Vayk Esterházy le Dim 13 Déc 2015 - 19:44, édité 1 fois |
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| Il y avait quelque chose qui sonnait étrangement, dans cet affrontement, dans cette façade glacée et un poil méprisant. Quelque chose qui allait au-delà de ce simple affrontement (pour lequel il n’était pas entièrement préparé, il s’en rendait bien compte même s’il ne l’avouerait jamais), au-delà du fait de savoir qui aurait le dernier mot et l’ascendant sur l’autre. Quelque chose sur lequel Ardal ne parvint pas à mettre le doigt avant qu’elle réagisse à sa provocation. Je vous demande pardon ? Ne pas avoir sa baguette la paniquait. Il avait rencontré toutes sortes de sorciers adultes qui avaient perdu/cassé/égaré leur baguette. Certains étaient honteux et avaient peur qu’ils les jugent (ce qui était en partie vrai étant donné le caractère sacré que revêtait cet objet aux yeux des Ollivander, mais pas totalement car cela était plutôt bon pour leurs affaires). D’autres étaient énervés et s’en prenaient à la qualité de la marchandise (ceux-là, Ascleus savait les recevoir comme il se devait, et c’était toujours particulièrement instructifs). D’autres encore étaient tristes. Impatients de retrouver ce qui faisaient d’eux un sorcier. Mais jamais il n’avait encore ressenti une tension telle que celle qui agitait la Hongroise et qu’elle venait de trahir par cette simple phrase. Elle avait besoin de cette baguette pour se sentir rassurée. Ou entière. Ou peu importait. Machinalement, Ardal caressa du bout du doigt la sienne qui était sous le comptoir. Il comprenait. Quelque part.
Et cela lui fut confirmé quand elle prit possession de la première baguette. Son plaisir était visible. Silencieux, il lui laissa le temps de se préparer avant que … Quand les parchemins s’enflammèrent, il resta totalement impassible. Ce n’était pas la première fois qu’il assistait à ce genre de phénomène. Ce n’étaient heureusement que des vieilles commandes, enfin, du moins l’espérait-il. Faites quelque chose ! Il était vrai qu’il pourrait intervenir. Ses doigts se refermèrent sur le manche de sa baguette … avant de prendre un raz-de-marée dans la figure. Toussant, il put noter le réflexe de sa cliente, accompagnant son Oups. D’un geste de la main, il sécha le comptoir et les alentours ainsi que lui-même, avant de se tourner vers la Hongroise qui … Bien… Prenez les mesures qu’il vous plaira. Il réprima un sourire satisfait. Autant de montrer mature et avoir la victoire modeste. Il inclina la tête vers elle, laissant juste échapper un : Bien de bon aloi. Simple et efficace. Les démonstrations valaient toujours mieux qu’un long discours, la preuve venait encore d’en être faite. Considérant la mise de la femme, il proposa : Permettez que je vous aide avec cela, avant de la sécher intégralement elle aussi. Ce sera plus confortable, dit-il simplement. Puis il agita la baguette et le mètre mesureur put reprendre sa tâche, pendant qu’Ardal récupérait l’objet du délit et le rangeait précieusement. Cette baguette trouverait son sorcier un autre jour.
Un coup d’œil au mètre et il commença à prendre des notes sur le carnet qu’il sortit de sous le comptoir, consciencieusement. Autant montrer à cette cliente qu’il prenait tout ceci extrêmement au sérieux, et que ce qu’elle considérait comme une fioriture était bel et bien capital. En réalité, d’ordinaire, il s’employait à retenir les différentes mesures et à faire les rapports de tête afin de s’exercer. La rangée de chiffres était belle et bien dessinée et lui parla instantanément en matière de mesures. Fronçant les sourcils d’un air concentré, il en oublia momentanément la femme qui lui faisait face. Il était dans un monde qui n’appartenait qu’à lui. Il ne parviendrait sans doute pas à lui trouver la baguette avec laquelle elle s’accorderait du premier coup, malheureusement il n’était pas encore assez bon (Garrick lui-même n’était pas assez bon) mais il allait pouvoir enfin travailler. C’était un peu comme diriger une agence de rencontres, quelque part : il y avait des paramètres à prendre en compte des deux côtés et on pouvait parier sur un degré de compatibilité, sans garantir un résultat. Mais cela commençait à faire son chemin … Je vais vous demander quelques minutes. Absorbé, il partit dans les rayonnages sans lui jeter un regard, toujours concentré, avec une réelle envie de bien faire. Et ce n’était plus tant pour avoir le dernier mot. La passion qui l’animait avait pris le relais.
Et il revint effectivement peu de temps après, avec quatre écrins qu’il posa les uns à côté des autres sur le comptoir. Ses yeux se posèrent enfin sur la Hongroise et il lui désigna les baguettes d’un geste ample des mains : Je vous en prie. L’une de celles-ci devrait vous convenir. La méthode employée avait été choisie sciemment : il venait de prendre les commandes en solo, il lui laissait les rênes pour la suite des événements. Où d’autres clients auraient préféré qu’il choisisse la première et la leur tende en énumérant ses propriétés, il avait le sentiment qu’elle préférerait laisser parler son instinct. Ou en tous cas, être maître du choix concernant la baguette qui se retrouverait prochainement entre ses mains. |
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| ❝ From above ❞ 12 Décembre 2001 Savoir reconnaître la défaite est un fait rare chez Vayk Esterhazy. Habituellement, elle préfèrera jouer des pieds, des mains et de toute sa mauvaise foi pour noyer ses torts sous la plus épaisse couche de déni qui puisse exister. Mais les urgences étant ce qu’elles sont, la nécessité d’être de nouveau entière s’impose plus que celle de préserver l’image de celle qui a toujours raison. Plus tard, la réputation serait à redorer, elle prendrait le temps d’apprendre au jeune Ollivander ce qu’il en coûtait de ne pas se plier aux exigences d’une souveraine Hongroise… Plus tard. Peut-être. Jamais. Son intérêt pour Ardal est étrangement grandissant, bien qu’elle ne sache expliquer pourquoi ni dans quelles mesures. Il dérange, un peu, à sa façon, pour être aussi clairvoyant. Il lui semble que tout acte est fait pour atteindre un but particulier, qu’il est celui qui tire les ficelles de l’entrevue. La paranoïa latente s’échappe de chaque pore de sa peau alors qu’elle s’efforce de conserver une mine impassible sous la vague de chaleur qu’il génère. Heureusement pour elle, l’héritier prend les choses en main avec une aisance naturelle et polie. Aucun commentaire sur sa tenue ou sa mise comme sur les manières dévorées par la louve, quelques micro-secondes. Gentleman et agaçant à la fois, à n’en pas douter. Elle le remercie d’un signe de tête un peu raide, de cette froide sobriété qui la caractérise, comme s’il était bien naturel qu’il agisse ainsi – ça l’était, après tout, il devait bien avoir ce genre d’incident à chaque vente de baguette… Avec cette même raideur réticente, elle le laisse pourtant prendre les mesures nécessaires, observant d’un regard curieux la plume courir sur le carnet qu’il a sorti. Malgré leurs métiers diamétralement opposés, Vayk ne peut qu’apprécier l’application consciencieuse d’Ardal Ollivander, constatant avec un plaisir non dissimulé qu’ils n’étaient pas si différents dans leur démarche professionnelle. Plume attentive et notes sérieuses, le retour aux informations empiriques la rassure rapidement et Vayk regretterait presque de n’avoir pas laissé Ollivander faire comme comme lui semble un peu plus tôt. « presque », seulement. Parce qu’elle ne peut empêcher la peur irrationnelle qui la hante, l’idée qu’elle puisse être soumise à l’empathie mystique, aux instincts d’un artisan baguettiste. « Je vais vous demander quelques minutes. » Qu’il lui annonce et elle n’a même pas le courage de le retenir, sortir la réplique acerbe qui lui brûle les lèvres comme si elle était ue pré-pubère de 14 ans. Elle ne lui donne pas quelques minutes. Elle n’a pas le temps, Vayk, mais elle va bien devoir le prendre puisqu’Ardal ne semble se soucier que de son art, sa science. Elle passe les quelques instants qu’il lui laisse à s’interroger sur l’aspect de la baguette qu’il lui présentera, sur le nombre de baguettes qui occupent les rayonnages… Sur le nombre d’œuvres jumelles, similaires. L’art du baguettiste lui paraît plus compliqué maintenant qu’elle est en âge de se pencher sur la question, qu’elle en a besoin plus que jamais. Gregorovitch et consorts ne procèdent assurément pas de la même manière, pas étonnant que les deux pontes de la création de baguette soient si diamétralement opposés, si poussés dans la rivalité. Si auparavant Vayk avait été certaine de la maison qu’elle préférait en matière d’œuvre, elle serait bien incapable de se prononcer après avoir vu le jeune Ollivander à l’œuvre. Elle n’aime toujours pas le raffinement poussé à l’extrême mais trouve un intérêt indéniable à ses méthodes d’analyses. Peut-être trouve-t-elle un écho ténu et agréable à ses propres méthodes. « Je vous en prie. L’une de celles-ci devrait vous convenir.» Elle observe attentivement les écrins qu’il a disposé sous son regard sans pour autant esquisser le moindre geste à l’encouragement qu’il formule. Pas un choix, mais quatre. Après un cillement vaguement déconcerté, Vayk relève un regard interrogateur sur le jeune héritier. Elle lui est intimement reconnaissante de ne pas imposer après le fiasco précédent mais la curiosité mord les entrailles de la Hongroise et elle ne peut s’empêcher de trouver la méthode pour le moins… curieuse. Intéressante, mais curieuse. Et elle ne sait quoi en faire, habitude perdue de prendre les décisions personnelles de son propre-chef. Le comble pour l’obsédée du contrôle. L’espace d’une seconde, elle s’attendrait presque à sentir l’épaisse main du patriarche s’abattre sur épaule pour pointer impérieusement une baguette qui, sans surprise, lui correspondrait parfaitement. Le clan fait toujours au mieux pour ses membres… Le souvenir nostalgique fait naître le manque et Vayk pose un index songeur sur le coin du premier écrin. Tout était plus simple lorsqu’elle n’était pas seule, belle époque qui lui semble si lointaine. « Pourquoi ces quatre précisément ? » La curiosité supplante la mélancolie alors qu’elle s’empare de la troisième baguette, hasard guidé par l’instinct. Elle veut tout savoir, avoir toutes les informations, un autre fiasco lui écorcherait trop l’honneur. « Pas que je n’aie pas confiance en vous. » Un peu, mais elle ne l’avoue pas. Il remonte peu à peu dans son estime, inutile de se couper dans son élan. « Mais comprenez que je sois curieuse... et un peu réticente à l’idée d’enflammer de nouveau vos locaux. » La baguette de bois sombre roule entre les doigts et elle envie un peu l’expertise Ollivander, sa curiosité sans borne la pousse à tout vouloir apprendre, tout décortiquer. « Et celle-là ? » Toujours besoin d’un signe d’approbation, le chien.
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| Sorti de ses chiffres, mesures et de la magie des baguettes, Ardal se rendait peu à peu compte que cet entretien touche à sa fin. Curieusement, il en ressentait à la fois du soulagement et une pointe de regrets. Cette cliente n’était pas ordinaire et l’avait poussé dans ses retranchements, ce qui était appréciable. Il aurait aimé pouvoir faire un bilan par la suite avec elle de ce qui avait été ou non, mais n’en dirait évidemment rien. Il était un Ollivander, même en apprentissage, il se devait d’être irréprochable lui, l’Héritier. Et si l’une de ces quatre baguettes lui convenait effectivement, il pourrait considérer que sa journée était réussie. Ce n’était jamais facile de parvenir à jauger les gens rapidement. Au-delà des mesures physiques, au-delà des quelques renseignements qu’on lui donnait, le caractère comptait également ainsi que d’autres habitudes et il lui fallait les deviner. Ce qui n’avait pas été chose simple avec son interlocutrice. Tout un exercice de style. Pourquoi ces quatre précisément ? Le doute l’étreignit soudain alors qu’il relevait les yeux vers elle, concentré qu’il était avant cela par les baguettes. Etait-ce un test de son père ? Avait-il demandé à cette femme de venir, d’imposer ses conditions pour voir comment il s’en tirerait. Elle n’avait guère l’air d’être femme à se laisser embarquer dans une combine quelconque et ses réactions avaient l’air plutôt authentiques. Et si cela n’était qu’une façade ? Pas que je n’aie pas confiance en vous. Mais comprenez que je sois curieuse... et un peu réticente à l’idée d’enflammer de nouveau vos locaux. Je comprends tout à fait. Il ne s’autorise pas un rire charmant qu’il aurait sans doute eu dans d’autres circonstances, déjà parce qu’il avait l’impression que cela risquait de la vexer et ensuite, si elle devait réellement faire un rapport au patriarche Ollivander, il sne serait pas ravi, prenant sans doute cela comme une pirouette.
Il fallait donner tout son professionnalisme et sa science. Il y était prêt. D’après les mesures prises, j’en ai déduit plusieurs paramètres qu’il me fallait prendre en compte. La baguette précédente était bien trop courte pour convenir à vos besoins. Ces quatre sont donc de longueur supérieure, c’est un premier paramètre qu’il me semblait bon de rectifier. Il était concentré, factuel. Il aimait parler de son art, de leur art. Et les gens qui l’écoutaient étaient rares, la plupart des jeunes de son âge notamment le considéraient parfois comme un intellectuel pur qui pouvait se montrer ennuyeux (les runes, après tout, étaient un art peu usité). Pour une fois qu’il avait un auditoire qui s’intéressait à ce qu’il disait, même si ce n’était que pour son père, il allait en profiter : Je reste persuadé que l’épicéa est un bois auquel vous conviendriez, il attend énormément de direction et de fermeté de la part de son propriétaire. Cette première baguette est faite de celui-ci. Et celle-là ? Ses yeux passent à la baguette désignée, sans s’offusquer le moins du monde de cette interruption : Sapin, comme la seconde, pour la détermination. La quatrième est en bois d’if, un choix peut-être plus audacieux mais qui pourrait être tout aussi payant. La quatrième était un peu son joker, mais il avait apprécié : Votre démonstration par le feu m’a fait écarter le ventricule de dragon. Cette troisième baguette est associée à du crin de licorne, comme la première. La numéro deux et la quatre sont quant à elle réalisées avec des plumes de phénix. Quant aux souplesses, les deux premières le sont extrêmement, tandis que les deux dernières sont extrêmement rigides : pas d’entre-deux pour vous, m’a-t-il semblé. Il s’arrêta, se rendant compte qu’il avait perdu son ton neutre. L’exercice lui avait énormément plu et il s’était animé en parlant. Il aurait voulu la voir essayer la quatrième baguette : ce bois d’if était risqué, mais cela pouvait être payant. Les runes du manche lui avaient parlé. Oserait-il … ? Je crois moins en la seconde, mais les baguettes peuvent toujours nous surprendre. Et c’était ce qui faisait toute la beauté du métier de baguettiste. |
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