Hécate suivit le regard d'Anna jusqu'à Madame Pavott, qui comme à son habitude lui lançait des coups d'oeil réprobateurs. affichant un demi-sourire presque narquois, elle lui fit un léger clin d'oeil qui fit rougir la vieille femme d'indignation. Alors qu'Anna se levait et dépliait sa longue et élégante silhouette, Hécate la considéra d'un regard bienveillant et lui offrit un sourire cette fois franc et sincère. Elle n'était pas contrariée de ce report, pas du tout même. Un délai plus important lui laisserait le temps d'organiser une soirée digne de ce nom et de dérouiller ses talents de sociabilisation.

-Ne vous inquiétez pas, dit-elle à Anna, je comprend parfaitement. Nous avons tous nos obligations, moi la première. Disons donc dimanche prochain! envoyez une missive au niveau 2 du ministère à mon nom pour me confirmer votre venue, je vous répondrai aussi vite que faire se peut! Quant à l'opale...

Elle réfléchit un instant et sourit.

-Je pense possible de vous en trouver une, si du moins vous acceptez de me faire confiance. Ces artefacts ne sont pas donnés, mais j'ai remarqué votre regard quand vous l'avez vue pour la première fois. Je pense qu'un tel objet serait pour vous plus que bénéfique, nous avons tous besoin d'ouvrir les vannes de notre conscience de temps à autre, via les arts...ou d'autres moyens.

Elle vit qu'Anna allait se mettre à protester, comme le faisaient tous les gens bien élevés et plus encore, les membres de l'élit sorcière. Mais Hécate n'avait aucune sympathie pour les tournures de politesse alambiquées et les jeux de cache-cache mondains. Lorsqu'elle exprimait sa colère, c'était sans s'en cacher et lorsqu'elle montrait son attachement, sa franchise était tout aussi nette. Il n'y avait que quand elle se moquait qu'elle se pliait un tant soit peu à ce jeu de faux semblants et de ruse qui semblait régner à Londres. Elle employait alors l'ironie et le sarcasme pour blesser comme avec une dague. Toutefois, à part ces occasions (malheureusement assez peu exceptionelles), Hécate était une personne directe. Un cadeau n'était pour elle ni une contrainte, ni une obligation. Juste un don, un don gratuit, destiné à sceller une relation et à marquer sa reconnaissance. Aussi insista-t-elle doucement:

-Je vous ferais payer un prix symbolique, si vous y tenez.

Le sourire d'Hécate s'élargit alors que du rose montait aux joues de sa nouvelle connaissance. Oui, était reconnaissante à Anna Grimaldi d'avoir consacré cette heure de sa vie à discuter avec elle, à s'intéresser à une culture qu'elle aurait pu mépriser, à l'instar de ses pairs. La jeune femme lui avait accordé du temps et montré une douceur que l'on s'attend à ne rencontrer que chez des amis déjà proches, passant un peu de baume sur le coeur d'Hécate qui, s'il cicatrisait, comportait encore bien trop de plaies à vifs.

La bonté. Une notion si dure à comprendre désormais, si difficile à appréhender. Anna semblait en avoir à revendre, autant qu'Hécate avait de feu et de détermination. En un sens, les voir assises l'une à côté de l'autre était comme juxtaposer un être de neige et un autre de feu: le tout donnait un spectacle étrange mais beau dans la complémentarité que montraient les deux entités et dans leur force commune.

C'est ce à quoi pensa fugitivement Hécate lorsqu'après lui avoir promis de lui écrire à son retour de voyage, Anna lui présenta un dernier remerciement et un salut poli avant de disparaître dans les escaliers menant au premier étage. Avec un bâillement léger, la jeune sorcière finit par se lever et prit son sac avant de se diriger vers la sortie. Il avait cessé de pleuvoir mais le temps restait lourd et malgré la saison, la luminosité descendait rapidement.

-Au revoir Mme Pavott, à la prochaine fois!
-Co...Jeune fille! je crois vous avoir clairement dit qu'il n'y aurait pas de prochaine...
-Et bonne soirée à vous! la coupa Hécate en refermant les portes du Chaudron Baveur

Une fois dehors, elle se pressa dans la rue alors que les premières lampadaires s'allumaient et que la chaleur moite du début d'été rendait faisait gronder le ciel.

Étrange soirée. Étrange rencontre.

La guerre offrait décidément de drôles d'opportunités...