I'D BET MY LIFE ON YOU.



Pile, elle dit. Face, elle garde ça pour elle. Tempest Fitch est assise à la table de la cuisine, un Gallion entre les doigts, cette résolution passée. Et elle hésite à lancer la pièce en l'air, craignant de sceller son sort d'une façon ou d'une autre. Dans le cendrier, une cigarette roulée de Blue Griffin, qui fume encore. Elle est en plein milieu et elle s'est levée un moment, parce qu'elle pensait avoir entendu la porte de leur appartement s'ouvrir. Mais ce n'est qu'une illusion. Alors elle attend, à la table.

Pile, elle dit. Face, elle le tait.

Elle inspire, prend du courage et lance la pièce. Mais elle s'en détourne soudainement, ne la rattrape pas, décidée par le simple geste d'avoir lancé la pièce. Cette fois-ci, elle ne s'en remet à au hasard. C'est trop important pour être laissé à la chance, ça. Elle va se servir un verre d'eau, reprend sa cigarette et va s'affaler dans le sofa du salon. Clope au bec, Tempest récupère le livre qu'elle avait délaissé plus tôt et commence à feuilleter les pages pour retrouver où elle en était. Un ouvrage sur les conséquences des bûchers sur les organismes magiques, une perle d'histoire sorcière dont elle a un vague souvenir et sur lequel elle voulait revenir.
Elle lit et elle attend. Il doit être encore en train de faire des conneries de Rafleurs. Tempest ne sait pas trop quoi penser du travail de Joseph, si on lui demande. Ça l'occupe, pour sûr, le Joe. Mais elle, elle a des horaires de bureau, et quand elle regarde ceux de son époux, elle se demande si la justice ne pourrait pas dormir un peu plus. Elle patiente donc, avec un bouquin tout à fait correct et laisse son esprit vagabonder.

Comment va-t-elle bien pouvoir aborder cette nouvelle ? Elle-même l'ignore, mais elle est certaine d'avoir recours à une solution de facilité. Il le faut bien, de toute façon. Si elle essaie de lui faire deviner, ça va tourner au ridicule très vite. Et si elle tourne autour du pot trop longtemps, il va finir par s'impatienter -et elle aussi. Cigarette posée dans le cendrier -qui a été attiré par un sort d'attraction silencieux- Tempest enroule une de ses mèches noir ébène autour de son index fin. Sa moue trahit clairement qu'elle lit sans lire et que ses pensées l'obnubilent.

Et puis un bruit de poignée qui couine se fait entendre, et le mari prodige rentre au bercail. Elle reste assise, tournant la tête dans sa direction simplement, un doux sourire qu'on lui connait peu sur les lèvres. Un de ceux qu'elle n'adresse peut-être qu'à l'homme qu'elle a épousé après un énième pari -qu'elle ne regrette nullement.
Sa voix chaude d'alto s'élève : « Bonsoir, Monsieur Fitch. C'est à cette heure-ci que vous rentrez ? Vous êtes encore allé tringler une gourgandine dans un coin de l'Allée des Embrumes, avouez. » Moqueuse, ne croyant pas un mot de ce qu'elle dit, elle se lève enfin, laissant le livre sur le canapé, et rejoint son homme dans la cuisine.

Le temps que les amabilités habituelles soient dites, accusations de tromperie absolument pas suspectées et commentaires désobligeants sur les tenues (« Tiens, tu as pensé à rentrer ta chemise dans ton pantalon, avant d'entrer, c'est bien. »), elle passe ses bras autour du cou du doux dingue et lui murmure doucement : « Je parie que t'es pas capable de t'asseoir sagement et d'écouter ce que j'ai à dire sans gueuler comme un Sang-de-Bourbe qu'on torture. »

Sur la table, la pièce indique que ç'aurait été "face". Qu'importe, la tempête s'est décidée.