Elle n'avait pas envie d'être là. Clairement pas. Les hôpitaux n'avaient jamais été des lieux qu'elle avait beaucoup fréquenté, préférant se faire raccommoder par les guérisseurs de son clan ou s'occuper de ses blessures elles mêmes. Les hôpitaux n'avaient aucune chaleur humaine, aucun réconfort, ils ressemblaient à des mouroirs immaculés et ses deux semaines de coma n'avaient rien fait pour arranger la désastreuse image qu'elle avait des établissements de soins. Elle se serait par conséquent bien passée de cet "examen de suivi", mais ceux ci avaient été déclarés obligatoires pour tous les combattants de la "bataille des rebuts". Quelqu'un en haut lieu était visiblement agacés que ses petits soldats se soient fait abîmer durant leurs heures de travail et avait donné de très strictes instructions aux chefs des départements: mieux valait pour tous les combattants, mangemorts ou non, qu'ils redeviennent productifs et vite. La menace était à peine voilée, la sanction évidente. Alors contrainte et forcée, Hécate était revenue à Sainte Mangouste.
Pour tout avouer, l'angoisse qu'elle ressentait dans le creux du ventre était plus forte que la simple peur que provoquait un hôpital. Hécate ne voulait pas voir de médecin, elle ne voulait pas qu'un professionnel s'attarde sur son cas et constate l'état dans lequel elle se trouvait depuis près de deux semaines, depuis qu'ils l'avaient laissé repartir de l'hôpital après son réveil en salle d'observation: elle ne mangeait que très peu, ne dormait plus qu'une poignée d'heures par nuit. Ses journées se déroulaient à une lenteur catastrophique et ses nerfs s'étiolaient, tout autant que sa concentration, sa patience, son enthousiasme, sa volonté. Personne n'était au courant de ce qui s'était produit durant son coma, à l'exception d'Aramis Lestrange. Personne ne savait qui était venu la visiter, personne ne savait quel chantage on lui avait fait ni ce qu'elle avait perdu en refusant d'y céder. Elle avait sacrifié l'âme de sa petite soeur. Pire encore que la mort corporelle, la damnation était une chose irréversible, et pour sauver ses alliés, Hécate l'avait infligée à sa soeur.
"Hécate Shacklebolt pliera, ou Hécate Shacklebolt souffrira."
Elle souffrait. Sa rencontre avec Aramis n'avait d'ailleurs rien arrangé. Sa vision de la mort de Léda, les mots qu'il avait prononcé sous l'emprise de sa voyance avaient achevé de détruire Hécate. Ce deuil ne se ferait jamais, plus maintenant et elle brûlait de souffrance et de haine. Les insurgés avaient tué Léda. Les insurgés, au travers de la personne d'Herpo, l'avaient menacée puis l'avaient forcés à tuer sa propre soeur une seconde fois. Partout où s'étendait l'ombre du malheur, elle retrouvait les mêmes visages. Et elle voulait qu'ils meurent tous comme elle se sentait mourir, qu'ils paient jusqu'à la dernière larme qu'elle avait versé elle qui aurait dans une vie pu être des leurs.
Si un médicomage se rendait compte de cet état d'esprit, il la déclarerait inapte au travail. Et cela, Hécate le refusait. On éteignait pas le feu de la vengeance et de la haine avec un arrosoir, on le laissait tout consumer jusqu'à ce que la vue des cendres encore chaudes des ennemis déchus réconforte le coeur.
Elle était plongée dans ces noires pensées depuis le début de la journée et ce ne fut que lorsqu'une voix chaude à l'accent prononcé perça l'air qu'elle daigna s'en extraire une brève seconde.
Oh, elle connaissait ce visage et elle connaissait le nom: Félix Hvedrung, le casanova du niveau 2, le don Juan de la brigade sorcière, le Valmont des couloirs ministériels. Sa réputation le précédait, tout comme le bruit qu'il faisait quand il évoluait au niveau 2, et la sorcière se renfrogna. Aucune envie de lui parler. Aucune envie de perdre du temps avec ce neuneu aux allures de mannequin en perdition. Elle n'était pas sensible à son prétendu charme et les amabilités, si elles n'étaient déjà pas dans ses habitudes auparavant, étaient depuis quelques temps devenues très optionnelles.
« C’est mortel, n’est-ce pas ? Les salles d’attentes sont de véritable torture. C’est avec ça qu’on devrait torturer les rebelles. Les ficher dans une salle et les faire attendre. Longtemps. »
Misère, le voilà qui se mettait à parler. Seigneur, qu'on lui donne la force de supporter son babillage sans crise de nerfs. Elle se contenta de lui décocher un coup d'oeil alors qu'il s'approchait de la machine à café et pria secrètement pour que celle ci lui explose au nez....ce qui arriva. Soudainement étonnée, Hécate en oublia d'être maussade et écarquilla les yeux alors que le mangemort scandinave s'ébouillantait avec moult cris avant de transformer la machine en cochon en peluche. Pourquoi ce sort lui était-il venu à l'esprit en premier? mystère. Mais Hécate apprécia. Ce qu'elle apprécia encore plus fut les quelques secondes durant lesquelles il perdit toute sa superbe et agita sa main comme un éventail chinois. La perte de dignité chez les gens assurés entraînait toujours chez elle un vif sentiment de satisfaction et malgré son état une faible pointe d'amusement éclaircit son esprit.
« Ce sera toujours plus utile qu’une machine incapable de faire la différence entre une main et un gobelet ! » fait remarquer le jeune homme en donnant un coup de pied dans la peluche porcine.
Question de point de vue. Et il s'assoit en face d'elle avant de lui tendre la main.
« Bon, maintenant que je me suis bien ridiculisé…Felix Meir Hvedrung, salut ? »
Le sourire en face d'elle est franc. L'attitude ouverte. La voix, toujours chaleureuse. Mais le débit de parole et la présence du mangemort dans la salle d'attente et son immanquable bougeotte prouvent que lui non plus n'est pas fondamentalement à l'aise dans ce décor. D'où ses efforts hérculéens pour se distraire. Hécate le sonde des yeux. Elle connait sa réputation. Mais après tout...dieu seul sait combien de temps ils sont encore destinés à attendre. Et ils sont après tout les rescapés de la même galère. Du même massacre. Le sang ça rapproche. Alors elle tend la main à son tour, serre celle du jeune homme fermement
-Hécate Shacklebolt,"salut". Je ne vous demande pas comment ça va...si nous sommes ici c'est que nous avons été aussi malchanceux l'un que l'autre...vu votre nom c'est sacrément ironique.
Elle sourit à demi et demande:
-Alors? sectusempra? explosion? acide? Vengeance d'une amante en furie?
Elle préfère dédramatiser la chose. La rendre plus légère. Cela la rend moins insupportable.
Hécate l'écoutait parler, et puis il parlait de son accent à couper une buche en deux, plus elle sentait poindre l'envie de sourire. Ces derniers jours, elle ne souriait pas. Pas du tout. Mais il y avait quelque chose dans l'assurance de ce Félix, dans son côté presque désespérément rieur et optimiste qui irradiait. Il ne paraissait rien juger grave, même après une douche à l'acide et son ton semblait dire "Y'a pire".
Trouver la force de sourire dans les moments les plus durs était un talent rare, un talent qu'Hécate n'avait jamais possédé et ne posséderait surement jamais. Elle était trop littérale, trop à fleur de peau, trop brûlante pour réussir à prendre la distance que Félix semblait quant à lui affectionner particulièrement. On dit que les clowns rient pour ne pas pleurer: était-ce son cas?
Quand Félix l'incita à le tutoyer, le sourire finit par se frayer un chemin jusqu'à ses lèvres et les plaisanteries qui suivirent achevèrent de le consolider.
-Si on compare nos blessures de guerre, Hvedrung, tu risques de déchanter rapidement. Je te bats à plate couture à ce jeu là. Même si là je dois avouer que celle pour laquelle je viens me faire soigner n'est pas la plus glorieuse....
Elle soutint son regard curieux et finit par rouler des yeux avant de lâcher rapidement:
-J'aiprisunepoutredanslatête.
Voyant qu'il tendait l'oreille, elle se crispa et lâcha, roulant une nouvelle fois des pupilles:
-J'ai pris une poutre dans la tête! voilà!
Voyant que le fou rire n'allait pas tarder, elle leva le doigt.
-MAIS et je le précise, l'accident est survenu suite à mon implication dans la bataille. Tu te souviens de l'immense serpent de sang, sur la place? c'était moi. J'ai perdu les trois quarts de mon sang, reçu la moitié de l'estrade sur la tête et passé deux semaines dans le coma. Mais il faut croire que ça en valait la peine. Même si je suis désormais arrêtée et au bord de l'implosion.
Elle soupira et réalisa soudain qu'elle n'aurait jamais du lui parler autant. Ils se connaissaient à peine par Merlin! Félix Hvedrung avait le même potentiel de dévastation qu'un bébé labrador: il vous faisait de grands yeux et vous fondiez. Certes Hécate n'en était pas encore au stade de la liquéfaction interne, loin de là, mais il était vrai qu'il avait un certain charme dans son genre, ce qui expliquait facilement sa réputation de casanova. Lui aurait-il plu, si elle avait été dans le bon état d'esprit (quoi que cela veuille dire, Hécate n'avait pas le moindre début de notion en séduction et en savait juste ce que ses cousines Quinni et Mako voulaient bien lui en dire) ? Peut-être. Peut-être pas. Quelque chose dans son estomac la titillait rien que d'y penser. Une sorte de gêne, de malaise dont elle ne comprenait pas l'origine. Quelque chose la bloquait. viscéralement. Une sorte de barrière. Elle qui avait déjà du mal à entretenir des rapports plus que professionnels avec les hommes, elle ressentait depuis quelques semaines une nouvelle forme de gêne. Un mélange de culpabilité...de refus d'être approchée et de...impossible de le définir. Tout ce qu'elle savait était qu'à chaque approche masculine qu'elle quelle soit, elle battait en retraite et que son habituel credo de "Pas question" avait été remplacé par un nouveau motto: "Pas lui". Pas lui. Mais qui alors?
Clignant des yeux pour revenir à la réalité elle s'excusa:
-Désolée...je me suis déconnectée. Et pour répondre à ta question précédente, je ne suis pas d'ici, non. Je viens de Louisiane, la Nouvelle Orléans. Quant à toi...Hvedrung...Hvedrung...bulgare? Suédois? Tchécoslovako-ukrainien?
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