|
sujet; Siberian wolves (ft. Nikita Oupyr) |
| De toutes ses anciennes connaissances, Kirill n'aurait jamais pensé qu'Oupyr serait celui qui le rejoindrait en Angleterre et que la vie remettrait sur son chemin. Nikita a toujours été vissé à la Russie comme une pétoncle à son rocher, et l'idée de ce vieux brigand à la voix rauque et à la tête plus solide que celle d'une mule évoluant en Angleterre arrache à Kirill une ombre discrète de sourire.
Il se tient à ce moment précis dans une allée sombre et la nuit est depuis longtemps tombée. Les lampadaires magiques projettent leur lueur mordorée sur les pavés trempés de la ville tandis que la pluie de Septembre tombe doucement sur la capitale. Appuyé contre le mur d'un immeuble, Kirill attend, ses cheveux blancs tranchant contre la brique sombre des bâtiments et ses mains gantées portent à ses lèvres une cigarette fine sur laquelle il tire lentement. Il attend depuis un moment déjà mais Kirill n'est jamais pressé. Les gens pressés sont des individus ne maîtrisant pas le monde qui les entoure et le jeune sorcier maîtrise tout, jusqu'au moindre détail de son existence. Imperturbable, il fixe ses yeux reptiliens et glacés sur le restaurant slave de l'autre côté de la rue passante à proximité de laquelle il est dissimulé, la venelle lui offrant l'intimité dont il a besoin tout en constituant un excellent point d'observation. Si certains badauds l'aperçoivent, aucun ne cherche à le dévisager. Kirill ne s'en formalise aucunement: il n'inspire au "vulgus" que la fascination ou la peur mais aucune émotion intermédiaire. Il est habitué au silence.
Alors il continue de fumer et guette la sortie d'Oupyr. On dit qu'il est arrivé il y a quelques jours seulement et qu'il est venu dîner ce soir là chez Kolia Gregorovitch, le meilleur restaurateur russe du Londres sorcier. Kirill n'apprécie guère Kolia, dont la rudesse pourtant toute slave manque de style et frôle même parfois la vulgarité. Mais il faut avouer qu'il cuisine bien.
Alors que deux clients sortent de l'établissement en parlant, Kirill tend l'oreille. Les pleurs des violons lui parviennent depuis l'intérieur du restaurant et il ferme brièvement les yeux. La Russie lui manque parfois. Certes, la venue de son frère Sergueï en Angleterre a rendu ce manque bien moins important, mais il regrette un peu la mélancolie de la musique, la noblesse froide de l'art, les dômes colorés et la neige si pure des hivers. La Russie l'a peut-être renié, il ne la renie jamais entièrement, comme un enfant répudié continuant à aimer sa mère. Nikita aussi aime la Russie, c'est un des nombreux points sur lesquels ils se retrouvent.
Les autres sujets dont ils ont l'habitude de discuter, ou dont ils discutaient en tout cas avant le départ de Kirill, sont moins conventionnels.
Alors que la porte s'ouvre de nouveau, le jeune homme lève les yeux et s'anime, comme une murène tirée de son sommeil. Il reconnaît la silhouette, l'air détendu et surtout, il voit les yeux plissés qui cherchent la moindre source de lumière à laquelle se raccrocher. Emergeant de la ruelle, Kirill fait quelques pas en avant, se moquant de la pluie qui dégouline sur son caban noir et son costume tout aussi sombre. Seuls ses yeux, ses cheveux et sa peau brisent son air de corbeau de mauvaise augure, sans toutefois réussir à lui donner un air un tant soit peu sympathique. Il parvient toutefois à produire un sourire aimable avant d'appeler en russe:
-Oupyr. Je vois que tu prends vite tes marques. Comme à ton habitude, tu es dans les bars comme un vautour dans son nid.
Si le ton est froid, le jeu poli perce sous la voix presque traînante. Tout chez Kirill n'est que nuances et subtils changements d'attitude. Il a pour Nikita le respect que l'on a pour un aîné digne d'estime, et une sorte d'affection mâtinée d'affection, qu'il réserve à ceux qui partagent sa vie ses centres d'intérêts depuis plusieurs années. |
| | | |
| Nikita était arrivé en Angleterre avec des apriori déjà plus que forgés. Voyager ne le dérangeait pas, tant que cela restait des les terres slaves. L'idée de ne serait-ce que quitter son pays lui donnaient des frissons de dégoût. Pourquoi quitter un endroit qui lui était familier et où peu de gens oseraient s'attaquer à lui pour une terre inhospitalière, avec des sorciers rustres et probablement idiots. Il y avait parfois un avantage à ne pas être connu mais lorsqu'on ne souhaitait pas s'éterniser en jouant de réputation et de coudes, viser un pays lointain et avec ses propres problèmes, des problèmes assez graves pour qu'une population entière soit obnubilée par son nombril, était à la fois avantageux pour son trafic mais moins pour la rapidité d'exécution.
Le fait de devoir se déplacer en personne pour régler les problèmes l'avait rendu irritable et peu étaient venus se frotter à lui, de toute façon il n'avait aucunement l'intention de faire des efforts pour être patient avec qui viendrait lui tourner autour sans des choses à lui présenter. Et des beaux parleurs il y en avait une tripotée à Londres. Des slaves mais également des anglais, une bande de bons à rien qui dormaient sur leurs lauriers comme des chats repus d'une nourriture toute faite, d'une nourriture qu'ils n'avaient plus besoin de chercher puisqu'on leur versait tout droit dans la bouche, des chats tellement bouffis qu'ils ne chassaient plus les souris qui venaient jouer près de leurs gamelles.
Et cela irritait au plus au point Nikita, car le contenu de la gamelle c'était lui qui le fournissait et il n'avait pas l'intention de se laisser délester de ses produits et de ses richesses par quelques rongeurs. Après plusieurs jours à goûter à l'immonde cuisine anglaise, Nikita s'était fait une raison et avait opté pour aller se nourrir essentiellement chez Gregorovitch, la cuisine était plutôt bonne et cela lui rappelait la maison, lui redonnant le peu de patience qu'il perdait généralement entre deux repas et même le propriétaire des lieux ne parvenait pas à le faire fuir. A dire vrai, Nikita était quelqu'un de tolérant quant à l'attitude des gens si elles ne lui portaient pas préjudice, à lui, à sa famille, à la Russie et surtout à ses affaires.
Le repas fut simple et rapide, on trouvait dans le restaurant une clientèle intéressante à celui qui savait par où commencer pour parler. A vrai dire, Nikita avait également choisi ce restaurant parce qu'il parvenait sans grandes peines à retrouver quelques 'collègues' et gens de milieux assez louches pour avoir des oreilles et des yeux là où il en avait besoin. Le repas étant fini, les personnes avec qui il était venu discuter ayant pris congés pour vaquer à leurs occupations sous la lueur propice de la lune et la fatigue commençant à s'installer après avoir crapahuté pendant toute la journée, il sortit dans la rue en replaçant le col de sa chemise, l'air bien plus détendu qu'il ne l'était en arrivant. Les yeux légèrement plissés pour se situer, il sortit un paquet de cigarettes de sa poche, effleurant du bout des doigts Domovoï qu'il repoussa dans un coin de la poche pour attraper le paquet de cigarettes à moitié grignoté.
Il entendit les pas plus qu'il ne vit arriver la personne, et la clope au bout des lèvres, il ne laissa apparaître aucun signe de tension, sa main effleurant sa baguette dans un geste apaisant. Il tourna légèrement la tête vers les bruits de pas, les yeux mi-clos, inutile de chercher à voir l'arrivant, la lumière blafarde des lampadaires ne lui permettaient que d'entrevoir qu'un halo blafard autour des lampes sans même apercevoir les pavés. Et là voix retentit. Le russe pencha légèrement la tête, comme faisant appel à sa mémoire avant d'esquisser un sourire dévoilant ses dents, il ferma complétement les yeux, tel un chat confiant.
"Motchaline. Je m'attendais à voir le petit avant de voir le grand." Il laissa échapper un rire rauque, redressant la cigarette entre ses lèvres vers le haut avant de la faire glisser vers la commissure de ses lèvres. "Il faut prendre ses marques avant que d'autres n'essaient de les prendre pour moi. Que fais-tu ici ?"
Il fit quelques pas pour s'éloigner du restaurant, toujours en souriant, tout dans son attitude démontrait qu'il était à l'aise. Ses cheveux étaient impeccablement gominés et il fronça le nez quand la pluie commença à lui dégouliner sur le visage. Il recula légèrement pour se mettre à l'abri du toit et enfila ses mains dans les poches de sa veste, les yeux toujours fermés, la lumière cachait la marque rouge qu'il avait sur le nez, formant un hématome datant probablement de quelques jours. |
| | | |
| Kirill sourit en entendant Nikita prendre la parole, et c'est un fait assez rare pour être mentionné car Kirill sourit peu. Les sourires sont souvent le fruit de conventions sociales et plus rarement le fruit d'un véritable amusement, d'une véritable affection. On sourit pour dire bonjour, même quand le jour n'est pas si bon. On sourit pour séduire, même quand la personne n'est pas tant que cela a notre goût. On sourit pour amadouer. On sourit pour gagner. Et à la fin, le sourire n'est plus qu'un étirement machinal des lèvres, un geste automatique et sans saveur qui n'est rien d'autre qu'une grimace simiesque et dénuée de la moindre valeur. Kirill hait les faux semblants et par conséquent, économise son énergie et ses émotions comme d'autres économisent leurs gallions.
Pourtant Nikita a droit à un véritable sourire et l'expression est si peu commune sur le visage du jeune homme que c'en est intriguant: les lèvres fines qui s'étirent, les yeux qui se plissent, les dents blanches qui apparaissent alors qu'il lâche un très léger éclat de rire, toujours en sourdine, mais bien présent néanmoins.
-Le "petit" comme tu dis, sait qu'il ne faut pas passer ses soirées dans les ruelles mal famées avec les trafiquants de drogue. De nous deux, je suis le mauvais garçon...
Sur ces mots il rejoint Nikita sous le porce du restaurant et, signe ultime de familiarité, qu'il n'accorde qu'à ses connaissances proches, pose brièvement sa main sur son épaule en guise de salut. Puis il reprend, en russe, langue qu'il aime tant et qu'il utilise malheureusement si peu.
-C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai du poser mes valises ici. L'hopital impérial de Moscou n'a pas jugé mes expériences très...orthodoxes. J'ai du sortir par la petite porte je te l'avoues mais j'ai ici tout ce que je désire pour poursuivre mes travaux. Leur lord est peut être un barbare en règle mais il sait choyer ceux qui le servent bien...
Un sourire énigmatique, une bouffée de fumée et Kirill sonde Nikita des yeux.
-Nous savions tous les deux que je ne resterais pas en Russie éternellement mais toi...c'est une toute autre histoire. Quel cataclysme t'a donc éloigné de notre bien aîmée Rodina? Les affaires ne roulent pas?
Kirill sait que Nikita, contrairement à lui, possède une famille, des enfants et une femme que beaucoup disent aimante et intelligente. Quitter la mère Russie n'a pu être un choix volontaire ce qui expliquerait l'air sombre dans les yeux de son compatriote et ce malgré son sourire, son attitude tendue et peut être même l'hématome rougeâtre sur son arcade nasale. Oupyr est ainsi: méticulleux dans son travail mais sanguin et volatile dès que son humeur se trouve contrariée. Et quoi de plus contrariant que d'avoir immigré de force. Le business doit véritablement mal se porter pour qu'il ait daigné amené ses cheveux gominés et son caractère farouchement obstiné sur les terres de l'Angleterre.
Kirill pourrait se sentir mal pour Nikita, mais il se contente de comprendre la situation, sans affect. Il est en réalité presque satisfait de ce coup du sort, en ce qu'il lui permet de retrouver cette vieille connaissance et sa voix de fumeur invétéré, ses idées novatrices en matière de science et son cynisme amusé sur le monde. Rien de mieux pour un cynique qu'un autre cynique. Rien de mieux pour un amoral qu'un autre amoral. Duo de mauvais samaritains, Nikita et Kirill sont aussi différents physiquement qu'ils s'assemblent mentalement. C'est ce qui a à une époque fait leur force. Et qui la refera peut-être un jour, qui sait? Pour le moment, l'heure est au retrouvailles et aux explications. |
| | | |
| Nikita ne rouvrit les yeux que lorsque la main se posa sur son épaule. Qu'à demi, mais il se permit de tourner la tête vers Kirill. Rien dans son attitude ne semblait tendue et le geste n'était pas celui d'une personne vexée ou surprise, mais juste celui de reconnaissance d'un acte. Nikita n'était pas quelqu'un de tactile, mais il ne ressentait pour l'instant aucune espèce de peur en la présence de l'aîné Motchaline. A vrai dire, s'il devait craindre quelque chose de celui-ci, c'était plus de finir sur sa table de dissection que d'une attaque en face. C'était ainsi qu'il le voyait. Être prudent était une bonne chose, mais il y a certaines actions qui sont au delà de nos capacités de réaction.
Il ne fit aucun commentaire aux deux remarques de son compatriote. Pour lui être considéré comme un 'mauvais garçon' n'était pas ce qui l'empêchait de dormir ou de se regarder dans la glace le matin. Il ne considérait même pas cela comme une insulte, pour lui c'était une toute autre manière de vivre et d'appréhender la vie. Nikita n'avait aucun remords sur ses actes, aussi durs et cruels soient-ils. Il se contenta d'afficher un sourire plein de dents, où des canines plus grandes que la moyenne dépassaient légèrement.
J'en ai entendu parler, oui. Une grande perte que te voir partir. Que fais ton frère ? Nikita appréciait de pouvoir parler russe, il ne se serait d'ailleurs même pas donné la peine d'essayer de parler anglais. L'exercice lui était rébarbatif et il ne trouvait pas la langue 'belle' et chantante. Il referma doucement les yeux et laissa ses doigts effleurer une dernière fois sa baguette avant de prendre son briquet moldu de la poche de sa veste.
Il appréciait ce briquet, comme il appréciait Domovoï, cet amour pour les objets que l'on considère sien après avoir lutté pour les avoir. Une sorte de dû. Il fit crisser à plusieurs reprises la pierre et le mécanisme avant qu'une flamme n'apparaisse. Il prit son temps pour aspirer une première bouffée et la recracher dans un soupir à l'opposé de Kirill. Il soupira et se gratta la nuque, la clope entre son index et son majeur.
Les affaires sont ce qu'elles sont, avec des hauts et des bas. La demande ici est forte, mais des petites souris s'amusent beaucoup trop. Et je n'aime pas les petites souris qui jouent avec mes affaires. Avec nos affaires.
Ses yeux s'étaient rouverts, l'espace d'un instant il fronça les sourcils. L'emphase avait été fait sur le 'nos'. Nikita ne se serait pas déplacé pour quelques petites souris qui rêvaient de devenir chat, non. Il aurait envoyé quelques subalternes trop ambitieux, ceux qui cherchaient à plaire, s'occuper de mettre quelques souricières et rappeler qui était le maître du commerce. Cependant, il n'était pas le seul touché et cela durait depuis trop longtemps. Les petits rongeurs chétifs et timides étaient devenus de plus en plus entreprenants et commençaient à donner des idées aux petits caïds qui n'attendaient que le bon moment pour prendre une place plus importante dans le trafic. Et ce n'était pas l'inefficacité inhérente des mules locales qui allaient faire quoi que ce soit. Cela remuait en Russie, cela remuait trop.
Les yeux deviennent trop gros, des produits inachevés ou ... Avec une pointe de dégoût et de mépris dignes d'amateurs à la sauvette viennent remplir les marchés. Cela cause des problèmes. Trop. Cela n'aime pas ça là haut. Dangereux aussi pour moi.
Nikita était connu pour ses expériences, il était un Oupyr et on fermait les yeux par habitude. Mais ses expériences, ses créations, n'étaient pas produites pour la demande tant qu'ils n'étaient pas sûrs.. sûrs du moins temporairement. Le travail bâclé qu'on lui avait ramené, les pseudo-drogues et les expériences n'étaient qu'une goutte de plus dans les problèmes d'une longue liste. Et ils étaient très importants. Oupyr ne demandait pas le monopole, mais qu'on entache sa réputation, et celle de ses camarades, n'était pas une option viable pour les petits malins.
Maintenant ça inquiète pas ici. Moi je dis que ça devoir être priorité. Par réflexe, ou par habitude, il passé à l'anglais, son accent roulant et les mots hachés. Il avait l'impression de passer son temps à répéter, d'être un vendeur de balais au porte à porte. Il coinça la cigarette entre ses lèvres en lâchant un juron en russe, ses yeux aveugles à présents grands ouverts qu'il tourna vers Kirill, distinguant à peine une forme à ses côtés. La science, les expériences n'étaient pas un jeu, pas pour Nikita. Une passion, oui. Dont il aimait discuter avec des gens comme Kirill, des gens réfléchis et qui savaient de quoi ils parlaient.
Dangereux et idiot. Que des idiots. |
| | | |
| Kirill écoute en fumant. Lui non plus n'aime pas beaucoup que l'on mette le nez dans ses affaires, quelles qu'elles soient ou qu'on lui mette des bâtons dans les roues. Il aime les plans sans accrocs et pourtant, il semble que d'aussi loin que remonte la mémoire humaines, les êtres humains aient toujours eu une tendance plus que déplaisante à vouloir empiéter sur les plates bandes de leurs voisins voire à leur voler les dites plates bandes.
Le problème des souris voleuses, notamment dans le milieu des trafiquants et autres mafias, est qu'elles se doivent très discrètes, très agiles, sous peine de se faire dévorer en un coup de crocs. Il n'y a pas pire prédateur des rues que les chats de gouttière. Nikita en est un, le genre de chat alerte et attaché à son territoire, capable d'éborgner les concurrent et tout à fait capable de chasser son propre repas. il n'a rien à voir avec les chats enflés et paresseux qui peuplent la majorité de l'Angleterre, ces persans aux nez écrasés et aux manières de pachas, vautrés dans leur inaction, leur résignation et leurs dogmes. Nikita sait ce qu'il veut, il connaît la logique des mondes parallèles, il sait comment obtenir ce qui ne se trouve nulle part, comment le rendre attractif et comment rayer de la carte les souris ou autres félins un peu trop entreprenants. Qu'il ait décidé de venir en Angleterre lui même afin de couper le sifflets aux rongeurs de basse classe ayant eu l'impudence de mordiller ses biscuits augure très mal pour leur avenir. Kirill ne s'en inquiète pas, ne s'en préoccupe pas. Nikita a toujours su gérer les colères de ses supérieurs, comme les mutineries de ses subordonnés ou vélléités de grandeur de ses concurrents. Comme le dit le livre: "A l'Est, rien de nouveau". Tel un superbe siamois, Kirill jauge les évenements et réfléchit, sans pourtant prendre part aux disputes des chats de gouttière et autres rats d'égouts.
Qu'on ne s'avise pourtant pas de venir le taquiner, même un petit peu. Un siamois a des griffes toute aussi longues et tranchantes que n'importe quel autre félin. Et il sait arracher les yeux d'un ennemi sans même se tâcher le pelage.
Pourtant, malgré sa sacro sainte neutralité, Kirill se sent d'humeur non à compatir, mais à au moins essayer de discuter de ce problème visiblement épineux pour Nikita. Bien entendu, le trafiquant sait se débrouiller seul mais quelle utilité ont les amis, sinon celle de vous aider à résoudre même les ennuis que vous pourriez régler seul? ce n'est pas une question de besoin, leur relation n'a jamais été basée sur un quelconque besoin d'affection, d'assistance, mais sur la reconnaissance tacite de la valeur de l'autre et donc, une volonté de coopération afin que leurs talents respectifs profitent à chacun.
-Les idiots sont partout Oupyr, tu le sais aussi bien que moi. Mais les idiots dangereux...il faut s'assurer qu'ils ne puissent pas compromettre les plans de ceux qui n'ont pas leurs limitations intellectuelles. Les isoler pour leur limiter leur champ d'action, frapper sans pitié puis réparer les dégâts qu'ils ont causé pour reprendre la main. quarantaine, éradication, vaccination. Les trois règles d'or de la guerre contre la maladie.
D'un pas tranquille, Kirill invite son compatriote à le suivre et ils se mettent à marcher de concert en direction de la partie de la Tamise qui traverse le Londres sorcier.
-Je n'ai aucun doute sur ta capacité à les mettre en application Oupyr, mais il va falloir faire un effort pour comprendre ce marché si tu veux en prendre le contrôle ne serait-ce qu'un peu. Toi et moi méprisons cette bande d'incapables mais souviens toi que nous sommes chez eux. Et que leurs règles s'appliquent.
Il tire sur sa cigarette et crée dans les airs un cercle parfait.
-Ils n'ont pas la parole franche et tu ne les battras qu'à leur propre jeu. Abandonne nos conceptions de la revanche, il va falloir frapper dans le dos, comme les fouines qu'ils sont. Puis leur proposer un produit d'une qualité telle que tu écraseras tous tes concurrents en un arrivage. Les anglais s'applatissent toujours pour mieux frapper par la suite, ne leur laisse pas cette ouverture. Il n'y a qu'une issue dans ce problème: les éliminer les uns après les autres et apporter ton grain de sel pour créer de nouvelles addictions...plus puissantes. L'Orviétan est lassant pour les habitués, c'est pour cette que certains tentent de vous doubler en jouant sur la nouveauté...avec un peu de succès si j'en crois ton expression. Peut-être est-il temps de frapper fort avec quelque chose de ton cru. Lorsque nous nous sommes quittés tu avais quelques bonnes idées...
Kirill s'autorise une sorte de rictus mi sincère, mi provocateur.
-Si on peut considérer tes idées comme bonnes...la plupart de tes "lumières" ne sont pas très heureuses, si j'en crois mes souvenirs. Peut-être as tu besoin demes illuminations...
Défiance, méfiance et puissance. Tels sont Kirill et Nikita, chacun à leur façon. Les prédateurs tels qu'eux ne peuvent entretenir des relations de mouton. Alors on s'aiguillonne, on se cherche, on se défie, on émule l'intellect de l'autre et on danse autour de la ligne rouge. Un peu de piment dans ce monde d'imbéciles patentés. |
| | | |
| Nikita ne fit aucun commentaire pendant de longs instants, entendant Kirill s'éloigner il lui emboîta le pas sans mot dire. L'autre russe savait pertinemment qu'il n'y voyait goutte et s'il avait fait un geste pour l'inviter à se déplacer, il n'avait senti aucun mouvement de bras venant de la part de son interlocuteur. Il coinça sa cigarette entre ses lèvres à nouveau après avoir tiré une longue bouffée et sortit la baguette de sa poche, marmonnant un 'Lumos' dans sa barbe pour que sa baguette illumine au moins ses pieds. Il ne connaissait pas encore assez Londres pour pouvoir se déplacer sans voir où le menaient ses pas et il était bien trop fatigué pour se fier aux sons des pas de Kirill pour évaluer la distance et la hauteur des obstacles.
Le problème est tout autre. Leur produit fidélise la clientèle d'une manière … définitive. Leur vente ne s'est pas limitée à l'Angleterre mais je suis certain qu'on a pas encore mention de tous ceux qui ont « goûté » à leurs produits.
Les réseaux d'Orviétan avaient une clientèle fidélisée qui était 'surveillée' par les trafiquants des différentes branches et autour desquelles des plus petits poissons tournaient pour fournir un produit moins cher mais de moins 'bonne' qualité. Quand l'un de ces clients ou de ces groupes venait à disparaître ou se tournait vers d'autres chats, cela était vite remarqué. Il restait alors deux options : laisser les clients partir, jugeant que l'apport en gains était déficitaire par rapport aux moyens à employer pour les reconquérir, ou faire valoir son droit et rappeler qui était celui qui était fournissait. Le trafic avait besoin d'une fidélité importante car on ne survivait pas avec quelques acheteurs occasionnels ou quelques jeunes en mal de sensations. C'est pourquoi les plus petits, les chatons, les rats, tous ceux qui cherchaient à s'approprier les prises déjà ferrées, se devaient d'être subtils ou devaient se greffer aux cartels déjà en place le temps de se trouver un noyau dur d'acheteurs.
L'art qu'exerçait Kirill n'était pas le même. Nikita avait besoin de suiveurs, Kirill n'en avait cure. Il ne vivait pas pour le profit ou pour les autres. Il vivait pour sa recherche et pour ses découvertes. Nikita n'avait pas le loisir de pouvoir en faire autant. Sa recherche, ses envies et sa curiosité passaient après le réseau et le commerce.
Il fronça le nez à la remarque de Kirill avant de laisser échapper un rire rauque. Nikita n'était pas susceptible, il avait pleinement conscience de la qualité aléatoire de ses expériences. Il adorait tester, faire des études et continuer à développer ses produits. Il avait ça dans le sang comme aurait dit un de ses cousins qui venait de temps à autres échanger quelques recettes avec lui. Il fit rouler ses épaules avant de tirer une nouvelle bouffée de sa cigarette et de l'écraser contre un mur.
Venant de la personne qui a dû s'ostraciser à cause de ses idées....
On pouvait sentir dans sa voix un soupçon de sourire, d'ironie. Chacun se cherchait et se titillait, pointant du doigt les défauts et les remarques de l'autre. Nikita appréciait les critiques constructives de ses pairs, de ceux qu'il considérait assez pour écouter leur voix. Kirill faisait partie de ces gens là, ceux pour lesquels il avait assez d'estime pour écouter leur voix et en prendre – en partie – compte. Car il restait un Oupyr et pour cela, il défendait becs et ongles ses propres recherches.
Cependant, tu connais mon avis quant à ton … « illumination ». Il ferma les yeux quelques instants avant de continuer. Que me proposes-tu? |
| | | |
| -Tu connais mon avis sur la question Oupyr. Diversifier le menu. L'Orviétan est un assemblage de molécules, comme un tableau est un assemblage de couleurs. Vous reproduisez sans cesse la même toile et à force de la diffuser, laissez percer vos secrets artistiques et vos techniques de fabrication. Les copieurs et les falsificateurs arrivent alors assez vite. Produisez d'autres toiles, soyez plus divers, plus complexes surtout, maniez des couleurs délicates à reproduire. Il est plus facile pour un faussaire de créer du vert pomme que du bleu Majorelle, si tu suis ma pensée. Dans le domaine des psychotropes tu es un fin limier et un créateur de talent. Cela ne devrait pas te poser problème. Diversité. Complexité. Mais surtout: adaptation à ta clientèle.
Il tire sur sa cigarette. Devant lui s'écoule la Tamise, noire et tourmentée sous la pluie du moins de Septembre. Kirill voit presque dans l'eau sombre flotter les cadavres de tous les drogués de la capitale, leurs yeux injectés de sang et leurs lèvres gercées, leurs oreilles tâchées de sang et leurs gencives inflammées, leurs iris à la couleur détruite par l'overdose d'Orviétan. Morts pour oublier. Oubliés à peine morts. La cruelle et magnifique ironie de la vie de junkie...
-Les gens ici sont en guerre, Nikita. Pour les pauvres, l'Orviétan ne suffit plus à faire oublier les malheurs et pour les riches, la mode est passée. Ils veulent plus que de l'oubli, il veulent de l'illusion. Tu leur vendais l'amnésie, tu vas devoir leur vendre du rêve et si tu y parviens...il se pourrait même que tu recoives l'aide de certaines personnes haut placées, qui feront de ton cartel le plus puissant de cette partie de l'Europe. Un dictateur n'aime personne plus que celui qui plonge le peuple dans une béatitude factice.
Il jette son mégot dans l'eau, laisse la pluie lui tremper les cheveux et murmure, sachant que Nikita possède une ouïe hors du commun:
-Il y a cette nouvelle molécule sur laquelle je me penche depuis quelques mois...elle est purement artificielle et la mettre au point nécessite évidemment un peu de temps mais j'ai la conviction qu'avec un zeste de participation de ta part, homme d'affaires que tu es, nous pourrions en faire...le joyaux de ta couronne. Je ne te demande rien en échange sinon quelques accès pour mener mes expériences. Tu me connais et tu sais ce que vaut ma parole. Reste à voir si tenter une nouvelle...aventure à mes côtés te tente, mon vieil ami.
Il ne sourit pas et pourtant le ton est un tantinet plus chaleureux qu'à l'ordinaire, juste un peu. Nikita est un partenaire de longue date, le retrouver met Kirill d'une humeur presque joueuse, ce qui est dire lorsque l'on connait la personnalité de l'héritier des Moltchaline. Nikita avec son humour rugueux et ses manières de cosaque ont toujours émulé son cerveau. Oupyr est comme cet acolyte de cour de récré qui rentre toujours en classe couvert de bleus et vous fait atterrir dans le bureau de la directrice, mais qui n'a pas son pareil pour organiser casinos clandestins et traffic de bonbons. Une fois la confiance gagnée, il devient cet associé prévisible dans sa fermeté, implacable dans sa vengeance et agréable en ce qu'il pose les règles à plat.
-Un verre? Sergueï m'a ramené de Russie la meilleure vodka du pays. J'habite tout près et je dois t'avouer que les gens ici n'ont pas l'air du lancer de verre comme toi et moi le maîtrisons. Après nous pourrons parler affaires plus sérieusement. |
| | | |
| L'eau dégoulinait sur son front, elle lui rappelait les nuits humides en Sibérie, lorsque l'on passait une longue journée à crapahuter dans la neige et qu'on se réchauffe auprès d'un feu improvisé. La pluie Londonienne n'était que pisse de chat par rapport à la froideur d'un hiver sibérien. Parmi les premiers sorts qu'il avait appris de son père, l'imperméabilité était l'un d'entre eux. Et il appliquait les principes de Nikodim à la lettre, seuls ses cheveux et son visage étaient détrempés. Il releva sa baguette légèrement, éclairant dorénavant au niveau de sa taille, ses yeux fixés sur la lumière qui s'en échappait. Il ferma ses yeux paresseusement et pencha légèrement la tête tout en écoutant le discours de Kirill. Le Motchaline savait manier les mots, on ne pouvait le lui nier, il savait où frapper pour faire réagir et comment agiter une carotte pour susciter l'attention.
Bien sûr qu'il avait pensé à diversifier son marché, à développer ses produits, il ne faisait que ça, il ne rêvait que de ça. Mais pour pouvoir proposer une nouvelle drogue, il fallait être certain de pouvoir la produire en quantité suffisante et surtout de sa non-létalité, car un client mort n'était plus un client intéressant. Et surtout, le plus problématique dans l'histoire, était l'acceptation par les autres cartels. Ceux-ci, pour la plupart, vivaient dans une guerre froide relative où le moindre faux pas était guetté pour pouvoir donner une excuse au plus lâche – ou au plus ambitieux – de frapper. Même parmi les membres d'une nouvelle communauté, il y avait des tabous et des règles à respecter et la diffusion d'une nouvelle drogue était souvent soumise à débat. Avec de l'argent et quelques pattes bien graissées, aucune opposition n'était relevée et avant que les moins réactifs ne puissent dire quoi que ce soit, le produit avait commencé à se disperser sur les marchés. C'était ainsi que cela se passait en Russie. Mais comment réagiraient les locaux ?
Nikita passa son index sur ses lèvres en continuant d'écouter Kirill, les yeux toujours fermés. Il fronça doucement les sourcils au fur et à mesure que son compatriote parlait. Bien sûr, il voulait en venir là. L'ombre sur son visage disparu rapidement pour laisser apparaître un sourire mi-figue mi-raisin tout en roulant doucement des épaules comme pour se débarrasser d'un poids quelconque. Il attrapa à nouveau son paquet de cigarettes et pris le temps de tirer une bouffée avant d'acquiescer.
Une … aventure.. à tes côtés a toujours été promesses de belles découvertes. Allons chez toi. Un sourire dans la voix, il se recula légèrement du bord de la Tamise et comme pour inviter Kirill à le guider, il fit faire un léger arc de cercle à sa baguette – toujours allumée – vers le sol. Explique moi un peu où tu veux en venir avec cette molécule |
| | | |
| | | | | Siberian wolves (ft. Nikita Oupyr) | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
|
|
|