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sujet; Should we bring some poetry in this world ? Ft. Louis Werner

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Should we bring some poetry in this world ? Ft. Louis Werner Empty

    Comme à son habitude ce fut la musique qui la marqua en premier. Non pas la lumière chaude et câline qui se réverbérait de part en part, illuminant la salle sans qu’on ne sache vraiment d’où elle provenait, ni même la débauche de tables solidement campées sur leurs pied pour offrir aux mains indolentes mets raffinés et coupes pleines. C’est à peine si elle remarqua les vêtements élégants et chatoyants des sorciers et sorcières déjà présents, tant toute son attention été tournée vers l’orchestre qui se produisait en bout de salle. Les notes étaient graves et profondes, douces à l’oreille mais suffisamment entraînantes pour réchauffer l’atmosphère encore formelle de ce début de soirée.
    Pour ceux qui l’ignorent : il est particulièrement plaisant pour un artiste de profiter des talents d’un confrère. Après avoir dédié tant de ses nuits à enchanter celles des autres, Melusine trouvait réconfortant d’être celle bercée de chansons ce soir.
    Toutes les conditions étaient réunies pour que la soirée soit délicieuse : bien loin des tumultes de la guerre et de ses atrocités. Une soirée dédiée aux belles choses et à la bonne chère, un peu de douceur ouatée et de bulles ambrées pour oublier les ombres qui se coulent dans les coins et profitent de la pestilence ambiante pour légitimer leur fausse idéologie.
    Au diable cette atmosphère morose et ces mauvaises nouvelles qui frappaient inlassablement leur époque. Au diable ! Du moins pour cette nuit. Il fallait bien un peu de joie pour un bal de charité réussi. Un peu de bonheur et d’amour …
    Et un protagoniste était absent de ce charmant tableau : Louis manquait à l’appel. Elle regretta silencieusement qu’il ne soit pas déjà là. Il avait à faire ce soir, et elle avait seulement réussi à lui extorquer la promesse qu’il la rejoindrait. Aussi, techniquement, il n’était pas en retard car Louis ne l’était jamais : il était même d’une ponctualité à en rendre folle de jalousie n’importe quelle horloge suisse.

    N’ayant pas de fiancé à exhiber à son bras, elle se rapprocha de l’orchestre, n’oubliant pas de saluer toutes les connaissances qui croisaient sa route. Un sorcier la complimenta sur sa robe et se vit offrir un sourire charmant en retour.
    Elle s’était vêtue sobrement, comme à son habitude, jugeant que le minimalisme était toujours gage d’élégance. Sa robe de sorcière d’un parme glacé laissait deviner les atouts de son corps élancé sans jamais n’en révéler plus que ce que la bienséance ne l’autorisait. Les ourlets lestés par une frange de fourrure violette dansaient malgré eux une valse suave, dévoilant tantôt le bout d’un escarpin en suède tantôt une cheville enlacée amoureusement par une lanière de cuir. Ses cheveux roux, rassemblés en une queue de cheval plaquée bas sur sa nuque, rehaussaient ses traits minutieusement ciselés : de la courbe aiguë de son arcade sourcilière à ses pommettes saillantes qui creusaient monts et vallées sur ses joues jusqu’à son menton volontaire qui ne manquait pas de lui donner toujours un air un peu irrévérencieux.
    Pour bijou, elle n’avait que de clous d’oreilles, un bracelet dont la finesse le rendait presque invisible et en guise de collier, un foulard gris brouillard pour habiller son cou. Enfin, elle avait troqué le rouge à ses lèvres par un rose framboise, plus frais et léger.
    Plus que son penchant naturel pour la simplicité, c’était la raison qui avait motivé ce choix de vêtement sobre. Melusine était parfaitement consciente d’avoir beaucoup fait parler d’elle ces derniers mois et ne souhaitait pas attirer davantage l’attention. Il était nécessaire qu’elle soit reconnue, mais à trop drainer l’intérêt du public, il est facile de s’en attirer les foudres, les jalousies ou le dédain. Dans son métier, on savait briller sous les feux des projecteurs comme s’en retirer gracieusement : un savoir précieux qui lui permettrait, au moins, d’éviter cet écueil-là.

    « Louis n’est pas avec vous ce soir ? »
    Elle était encore en train d’observer ses paires jouer quand la voix la tira brutalement de ses pensées. Surprise par la rudesse de la question, elle resta interdite une demi-seconde. Par merlin, qui pouvait bien vouloir souligner l’évidente absence de son fiancé ? Une réflexion mordante s’échoua sur le bout de ses lèvres et se transforma en un sourire mondain alors qu’elle se retournait pour faire face à son interlocutrice. Il lui fallut quelques secondes mais elle finit par reconnaître Amanda, la trompettiste du corps musical de Louis. Une musicienne douée mais qui jouait beaucoup trop en force à son goût.

    « Non, pourquoi le serait-il ?» Et à elle d’appuyer sa question innocente d’un regard sincèrement étonné.
    L’interrogation resta en suspend entre les deux femmes puis ce fut au silence de s’étirer et de modeler un malaise qui ne tarda pas à s’installer. Melusine laissa tout le loisir à son interlocutrice de saisir à quel point ses suppositions étaient fausses. Il faut dire qu’elle était convaincante avec son sourcil haussé et la bouche arrondie. L’air parfaitement stupéfait de Melusine répondait à la question informulée : non Louis ne lui avait pas fait faux bond et oui, bien entendu, leur arrivé différée avait été entendue entre les deux promis. Bien sûr.

    Toute à son erreur, Amanda bafouilla une réponse contrite que Melusine ne prit même pas la peine d’écouter. « Louis se joindra à nous plus tard. Il travaille sans relâche pour la représentation de cette fin de semaine. Mais vous Amanda que faites-vous là ? Je pensais que le chef d’orchestre avait demandé à ce que tous ses talents se penchent sur ce nouveau morceau particulièrement retors.» Melusine lui attrapa le bras pour l’empêcher de filer et la traîna en direction l’espace restauration, prétextant vouloir une coupe de ce liquide ambré qui lui faisait de l’œil depuis son arrivée.
    La question n’était pas anodine, elle savait pertinemment que seuls les meilleurs éléments de l’orchestre avaient eu le privilège de se voir confier cette nouvelle partition. La logique faisant le reste ; elle avait facilement deviné qu’Amanda ne faisait pas parti des prodiges.

    Si Melusine n’a pas été suffisamment claire, laissez-moi l’être pour elle : c’était à ce genre de recadrage mondain qu’on s’exposait lorsqu’on déplaisait à la rousse – par une question malvenue ou une provocation. Jamais elle n’élevait la voix, ni même ne manifestait son agacement. Elle faisait simplement glisser la conversation sur un sujet déstabilisant ou désagréable pour son interlocuteur, et si cette mise en bouche ne suffisait pas, elle poursuivait jusqu’à être parfaitement déplaisante.

    Melusine remarqua bien qu’Amanda cherchait un moyen de se sauver, mais elle poursuivit la conversation de telle sorte qu’il aurait été incroyablement impoli de lui fausser compagnie.
    Ne lui en déplaise, Amanda n’était pas idiote et elle finit par comprendre son petit manège et s’appliqua donc à lui donner le change avec aisance. Naturellement, elles parlèrent musique et la rousse ne put s’empêcher de grimacer quand Amanda lui présenta ses vœux de chance pour la réouverture du Blue Velvet.
    C’était de bonne guerre et elle l’avait mérité, mais ce n’est pas pour autant qu’elle apprécia la moquerie à peine voilée.
    Elle réussit néanmoins à ne pas s’offusquer. Les premiers résultats du cabaret parlaient d’eux-mêmes : la fréquentation était en hausse de vingt pourcent par rapport à la même époque l’année dernière, et ce même après plusieurs mois de fermeture. Il était crucial de capitaliser sur l’élan positif de ces premiers mois pour que l’engouement ne retombe pas comme un soufflet mal cuisiné, mais elle n’avait que faire des vœux de succès d’une petite trompettiste qui n’arriverait sans doute jamais à s’élever davantage qu’elle ne l’avait déjà fait.
    Ah ! Le mépris est un bouclier redoutable pour protéger l’ego.

    La conversation s'éternisait et Melusine envisageait sérieusement de laisser une échappatoire à Amanda. Cela avait été amusant au début, quand la sorcière, mal à l’aise, faisait démonstration de toute sa maladresse mais maintenant qu’elle avait retrouvé un certain aplomb, ce n’était plus aussi divertissant.
    Ce fut précisément à ce moment-là qu’elle aperçut Louis s’approcher d’elles.
    «Oh ! On dirait que mon fiancé vient juste d’arriver. »
    Melusine l’observa fendre la foule avec l’assurance de celui qui n’a pas souvent à faire attention à ne bousculer personne. Une fois à leur hauteur, elle l’accueillit d’un véritable sourire, l’invitant à se joindre à la conversation : « Louis, nous t’attendions avec impatience.»
    Elle s’approcha et déposa un baiser juste à la commissure de ses lèvres. Elle profita de leur proximité pour lisser un pli imaginaire à sa veste.

    C’était sur ce petit geste plus que sur ses baisers que l’on pouvait deviner toute l’affection que Melusine portait à Louis.
    Ses ambitions égoïstes trouvaient leurs limites quand il s’agissait de lui : elle voulait le voir briller presque autant qu’elle souhaitait réussir elle-même. Il était son partenaire, dans l’intimité comme dans la vie, et s’il lui fallait traverser un terrier de scrout à pétard ou rajuster sa cravate pour lui permettre de progresser plus facilement, elle ferait l'un ou l'autre sans l’ombre d’une hésitation.
    «Ta répétition s’est bien passée ?»Elle appuya légèrement le début de sa phrase, ne doutant pas un instant que Louis comprendrait qu’il lui fallait prendre la discussion en cours de route et prétendre qu’il était bien en train de travailler son violon.
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