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sujet; La douleur est le poison de la beauté. [Darja Valkov]

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Le monde a changé.

J'ai toujours détesté cette phrase. Oui, évidemment que le monde changeait. Mais paradoxalement, c'était également faux. Les nombreux principes qui le régissaient restaient invariablement les mêmes, quels que soient l'époque et le régime. Les gens n'avaient pas de mémoire. Nuance : les vivants n'avaient pas de mémoire. Chaque période historique était marquée par un grand péril. Puis venait la paix. Certaines personnes y œuvraient depuis plus longtemps que d'autres.

Plus léger que le bruissement des feuilles mortes balayées par le vent de l'automne, je traçais mon chemin, pour l'instant toujours insoupçonné. Oh ! Le temps viendrait bientôt où la couverture du gentil vagabond serait consumée. Des retombées de ma rencontre infructueuse avec Hecate Shaklebolt seraient malheureusement à craindre. Ou heureusement. Je ne savais pas encore très bien... Malgré mon expérience, savoir ce qui relevait du destin ou de la simple erreur humaine était toujours difficile. Lorsque l'on nage dans les ombres il faut accepter d'être aveugle. Cependant, certaines choses s'étaient mises en place. La plus importante, mon pilier : Ronald Weasley. Un manzazuu n'est rien sans un apprenti. La survivance d'un héritage est primordiale. Il y avait également un autre sorcier : Keziah Campbell. Je lui avais joué un mauvais tour, la tête la première dans les Limbes. Pas sûr qu'il y revienne. Pas sûr qu'il refuse. Après tout, il avait quand même pris le gallion... J'allais garder un œil sur lui.

Aujourd'hui c'était au tour de quelqu'un d'autre. Darja Dusana Valkovova. Curieux parcours, disait-on. J'avais interrogé les Limbes à son sujet, "la grise n'est pas à sa place", plutôt succinct. Mes petits rats des rues en savaient encore moins. Le nom des Valkov était connu. Les réceptions de Madame, les paris plus ou moins clandestins de Monsieur, le culte de la pureté... Classique, dirons-nous. Pas tellement. Pas selon les Limbes. Il y avait quelque chose avec la fille. Dans ces cas là on fait comme n'importe qui : on lis les journaux, tous les journaux, même les vieux ; surtout les vieux. Puis, on demande à des gens qui ont connu des personnes qui ont côtoyé la fille... Poufsouffle. Je n'avais pas eu de mal à imaginer la tête du Père Valkov. L'idée de mettre la main sur une ancienne servante du manoir familial m'avait traversé l'esprit. Une idée jugée cependant trop dangereuse à mon goût. J'ai préféré continuer de soulever les pierres à ma façon. De ceux qui avaient été inscrits à Poudlard en 1989, beaucoup étaient morts. Parmi les survivants on retrouvait deux camps bien connus, que je préférais éviter de côtoyer de trop près, cela va sans dire. Enfin, il y avait les pétochards. Ceux qui n'avait rien à voir avec ça, qui ne connaissait pas de Darja Valkov, qui étaient très pressés et qui voulaient que je les laisse tranquille. Rien que ça. C'est donc par d'autres moyens, plutôt roublards, que je réussis à mettre la main sur un album photo. Poufsouffle, année 1991, un groupe d'élèves sur le bord du lac de Poudlard. Quelqu'un avait griffonné des noms au dos du cliché, l'un d'eux avait retenu mon attention, déjà lu dans mes précédentes recherches. Andrea Simmons. Intéressant.

Les visages enjoués des deux jeunes filles me souriaient toujours alors que j'arrivais à Cromer. Mes doigts replièrent la photo et la rangèrent sous ma cape. D'un haussement d'épaule j'ai rééquilibré le barda qui pesait sur mon dos, puis j'ai repris ma marche. Décidément, l'air était toujours aussi sec dans le Norfolk...

À peine fis-je trois pas dans l'avenue centrale que les enfants s'attroupèrent avec la vélocité d'une volée d'étourneau.


-Les marionnettes, Gwydion !
-On veut le théâtre des pupi !
-Gwydion ! Les pupi !
-Plus tard, plus tard. J'ai d'abord des affaires à régler.

Un "Oh !" de déception fut entonné en chœur. J'ai souris. Cromer était un de mes arrêts préférés sur la côte. Je passais par ici deux ou trois fois par mois. Le village était géographiquement bien placé sur les axes de communication, mais également suffisamment reculé pour permettre la tranquillité. Ce qui faisait de l'arrivée d'un saltimbanque tout un événement pour les gamins du coin. Mais qui dotait leurs parents d'une grande mémoire. Il y a plusieurs années de cela, j'avais fait plus qu'un petit spectacle de marionnettes à Cromer.

Une femme avait perdu son époux et son enfant. Les deux s'étaient noyés. Cloîtrée chez elle la plupart du temps, inconsolable, on l'a disait folle. Elle racontait à qui voulait l'entendre qu'ils allaient rentrer. Je me suis présenté à elle comme à tous ceux qui demandent mon aide sans le savoir. Je lui ai dit qu'il y avait un moyen de leur parler, de leur dire adieu. Ce que je lui permis d'accomplir. Ils ont retrouvé son corps sur la plage une semaine plus tard. Noyée elle aussi. Elle avait voulu les rejoindre. Personne ne savait ce que nous nous étions dit. Mais Cromer était un petit village et j'étais un étranger. Ici les enfants m'aimaient bien, mais le reste des habitants me regardaient comme si j'étais le Sinistros en personne. Et la maison de la veuve, toujours un peu plus délabrée années après années, ne faisait rien pour apaiser le souvenir de ce triste événement.

Je fis donc mine de ne pas entendre l'insulte sifflée par une vieille sorcière qui me dépassait et j'entrais dans le Serpent de Mer. La meilleure -sinon la seule- auberge de tout Cromer. Salle miteuse surchauffée. Cinq clients pour une vingtaine de table. Des têtes de licheurs recouvertes de poussière accrochées en trophées à tous les murs. L'établissement restait fidèle à lui-même.


-Alors, le voyageur, comment va le monde ?
James Connolly, deux mètres de muscles et de graisse plus ou moins bien répartis. Certainement l'un des rares à ne pas me mépriser à Cromer. Probablement parce que j'étais l'un des rares clients à faire le déplacement pour boire une bièraubeurre éventée chez lui. Peut-être aussi parce qu'il était natif de Kenmare et qu'il n'avait cure des histoires du bourg.
-Pas pire, James. Pas pire.
-Sa table est prête. Sa bièraubeurre arrive.
-Cette fois-ci, j'en commanderais deux.
-Oh oh ! Il a soif ou il attend de la visite ?
-Il attend de la visite. Répondis-je en souriant. James, tu seras aimable de lui indiquer ma table quand elle se présentera.
Même si sur les six clients de l'auberge j'étais le seul à ne pas dormir la tête dans mon assiette ou le coude sur ma bouteille, un minimum de courtoisie était de mise.
-Oh ! C'est une femme ! Et elle a un nom ?
-Tout à fait : Darja Valkov.
L'irlandais faillit en avaler ses bacchantes. Il essuya sans trop savoir pourquoi ses grandes paluches sur le tablier crasseux qui retenait son ventre.
-Valkov... Souffla-t-il. Valkov. Eh ben ça alors... C'est pas banal.
-Oh ! J'allais oublier, James. Elle demandera le Docteur Filius H. Clock.
-Oui, oui... Dit-il sans vraiment m'écouter. Valkov... Ça par exemple...

J'ignorais si le barman irlandais n'était pas familier avec les noms slaves, ou si Cromer n'était pas encore suffisamment enterré pour échapper au nom des Valkov. Je l'ai abandonné à son trouble, préférant filer vers ma table. Toujours la même, celle cachée derrière le piller vermoulu et les rideaux aux motifs écossais. Il y avait deux banquettes au cuir craquelé, une dos au mur, l'autre dos à la salle. J'ai pris la première.

J'allais devoir faire preuve d'un certain doigté. Notamment parce qu'il ne faudrait pas beaucoup de temps à Darja Valkov pour comprendre que je n'étais pas docteur et encore moins Filius H. Clock. Et que donc, les hiboux que je lui avais envoyé quant à une application atypique du filtre de Mort-Vivante... Eh bien... C'était du vent. Mais on n'attire pas les mouches avec du vinaigre. C'était aussi pourquoi j'avais voulu que notre petite rencontre ait lieu à Cromer. Je connaissais le village et ses environs, si les choses tournaient mal je saurais m'échapper avec plus de facilité que dans une Londres quadrillée par les Mangemorts...

James me servit ma commande, je l'ai remercié, puis j'ai jeté un coup d’œil à la montre à gousset qui pendait de ma poche.
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La Goutte du Mort vivant... Voilà qui était pour le moins déconcertant. C'était une potion sur laquelle elle ne s'était pas penchée depuis bien longtemps, puisque ne présentant pas grand intérêt pour ses recherches : elle préférait ses cobayes bien vivants, capables de se mouvoir, pouvoir lire en leur comportement les récentes altérations qu'elle venait d'y créer. Un corps sans vie, éteint pour des temps indéfinis, ne lui apportait pas de satisfaction, rien qu'un ennui profond. Pourtant, elle s'était penchée jadis sur cette potion, comme sur toutes les autres. Elle était après tout bien connue du public, et ne pas la maîtriser, en saisir le concept, aurait fait d'elle une bien piètre potionniste. Elle s'y était intéressée, à l'époque où elle glissait sur le chemin sinueux des poisons, où elle commençait à s'écarter des manuels, créant ses propres combinaisons, ses saveurs, ses concoctions aux remèdes incertains. Racines d'asphodèle et de valériane, infusion d'armoise, et fève soporifique, telle était la recette qu'on vous dicterait. Elle y ajoutait pour sa part poudre de pierre de lune et sirop d'ellébore, qui avaient également des vertus somnifères mais qui, surtout, étaient connus pour détendre le sujet – on les utilisait notamment dans le philtre de paix -, car croyez-le ou non, il était possible de tomber violemment de sommeil, et à moins de vouloir faire de ce sommeil une torture – sans quoi d'autres ingrédients encore auraient pu l'accentuer – elle s'attachait au confort de ses petites marionnettes. Il avait d'ailleurs été plus difficile de trouver des sujets d'expérimentation pour la Goutte que pour la plupart des autres potions : il n'y avait pas grand intérêt à endormir une personne, ou soi-même, à ce point, et ce n'était certainement pas ce pour quoi on venait la voir en priorité. Alors quand on lui envoya une missive traitant d'une application dérivée de la Goutte du Mort vivant , cela piqua forcément sa curiosité. Si le dénommé Filius H. Clock avait acquis une certaine renommée, il était pour le moins étonnant qu'il s'adresse à elle, dont le nom n'était connu que des fous et des prêts à tout, la seule clientèle qui puisse l'intéresser, elle qui n'avait encore jamais cherché la gloire, elle dont la jeunesse trop marquée cherchait à l'enchaîner à tort au banc des débutantes. Bien sûr, elle avait toujours à apprendre, et bien sûr, de longues discussions purement théoriques autour des potions, cures et remèdes, poisons et douleurs, la passionnaient tout autant que la pratique, aussi n'était-il guère étonnant qu'elle se précipitât lors de la réception de cette pressante invitation. Elle n'avait pas entendu dire que Clock se fût tant enterré dans les plaines anglaises, mais quitter les ombres menaçantes des tours de Londres la dépayserait à coup sûr, et ce ne pouvait être une mauvaise chose.

Alors qu'elle atterrissait à Cromer, l'air vif du village la revigora instantanément. Il avait tendance à faire rapidement trop chaud, dans la capitale, sitôt que l'on pénétrait un bâtiment, que l'on empruntait l'ascenseur, que les corps des soldats s'agitaient, masse compacte, tout autour de vous. Darja était une fille de l'est, c'est ce qu'on lisait dans ses origines en tout cas, sur les traits de son visage, dans la sonorité de son nom, et jusque dans ses préférences marquées pour les temps frais.
Elle s'arrêta une seconde pour observer les environs. Elle était descendue dans un village comme celui-ci, quelques mois auparavant, afin de livrer une commande. Peut-être même était-ce celui-là. Pour une fille comme Darja Valkov, habituée aux fastes de la vie citadine, à la nature cruellement abattue pour que règnent toujours plus de bâtiments en pierre, d'avenues goudronnées et de coques de métal, Cromer et consorts, si pittoresques et pleins de charme qu'ils soient, se ressemblaient tous. Ce n'était pas par manque d'intérêt pour la déesse mère : elle adorait la nature, avait fait des créatures un de ses sujets d'étude favoris et se passionnait pour la botanique, puisqu'ils étaient tous deux intrinsèquement liés à la science complexe des potions ; elle passait donc du temps dans les bois, allait même s'aventurer dans la Daeva quand l'excitation l'enflammait, et pourtant, son œil n'était toujours pas habitué à ces paysages.

Elle se mit à avancer dans les rues et se rendit bien vite compte que bien des paires d'yeux étaient posées sur elle, suivant son ascension, celles des enfants comme des femmes, de leurs conjoints et des vieillards, tantôt émerveillés, tantôt hostiles, intrigués, incompréhensifs. Ses cheveux blonds soyeux, sa cape hors de prix, tout chez elle détonnait avec ces environs sinistres. Elle ne savait pas s'ils la reconnaissaient, si les tabloïds sorciers s'enfonçaient si loin dans la campagne anglaise, si même eux s'intéressaient à une caste si différente de la leur, peut-être était-ce là justement une bonne raison de s'y intéresser, leurs différences ; elle ne savait pas s'ils savaient qui elle était, mais ils savaient en revanche assurément ce qu'elle était. Elle gratifiait les enfants de sourires, et évitait soigneusement les regards des autres. Elle n'aimait pas les gens. La plupart du temps. C'est ce qui arrivait, paraissait-il, tant qu'on n'était pas en paix avec soi-même. Elle n'était que partiellement d'accord avec cette idée : il lui semblait qu'en vivant avec les autres, les gens cherchaient à fuir qui ils étaient, individuellement. Les enfants, c'était différent...

« Tu sais où ça se trouve, toi, le Serpent de Mer ? »

Elle venait de s'agenouiller face à l'un d'entre eux, avait empli son regard d'espièglerie, et le laissait la dévorer des yeux, hésiter, se mordiller la lèvre et basculer d'un pied sur l'autre. Il n'avait pas dit un mot, mais son bras s'était tendu dans une direction qu'elle s'était empressée de suivre. Tout ça devenait gênant. Il était temps que le rideau tombe, que le spectacle se clôture. Être prise pour bête de foire, voilà ce qu'elle fuyait sans cesse, voilà pourquoi l'on ne la trouvait que rarement aux réceptions mondaines. Elle n'aimait pas voir tant de regards posés sur elle, ça la rendait nerveuse, elle qui ne reculait devant rien, que la peur ne faisait plus trembler.

Alors qu'elle voyait se dessiner les contours de la bâtissse (le Serpent de Mer... Un bon nom d'auberge miteuse pour un village de pêcheurs, cliché au possible), elle ralentit le pas, tentant de vaincre l'euphorie qui affluait en elle : un nom prestigieux, l'étude des potions... Voilà que la petite était toute chose. Ce n'était pourtant pas convenable, de se présenter ainsi, secouée par une excitation si palpable. On lui avait pourtant appris les bonnes manières... - ses parents n'arrêtaient pas de lui répéter que l'étude des mœurs était la seule matière pour laquelle elle se transformait en plaie étant enfant, mais ses souvenirs à ce propos étaient trop diffus.

Enfin, elle passa la porte. Son regard de glace balaya l'endroit qui manquait clairement de luminosité, sûrement d'un peu de propreté, mais surtout de confort. Allons, qu'importait, point de jérémiades pour si peu, quand il était question de sa passion ! « Excusez-moi... Darja Valkov, j'ai rendez-vous avec le doc... » Le bon gaillard derrière le bar s'était empressé de lui désigner une des tables occupées, sans attendre la fin de sa requête. Elle n'avait pu s'empêcher de lui lancer en retour une œillade soupçonneuse. « Merci... » avait-elle soufflé, en s'approchant de celui qui ressemblait plus à un éternel voyageur qu'à un docteur de renom. « Docteur Clock ? » demanda-t-elle pourtant poliment, bien que l'incertitude perça dans sa voix. Sa main gantée déposa sur la table une liasse de feuillets contenant l'essentiel de ses recherches à propos de la Goutte du Mort vivant. « Darja Valkov. Vous m'avez écrit  concernant un usage atypique d'une potion délicate... » Les habitudes londoniennes : on ne parlait pas à voix haute de sujets importants, tout du moins sans y mettre les formes. Si elle y avait bien réfléchi cependant, elle aurait vite compris que peu de personnes en cette pièce devaient être capables alors d'écouter leur discussion, de la comprendre, puis de s'en souvenir assez longtemps pour la répéter au-dehors.
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-Une potion ô combien délicate... Subtile, subtile, si subtile qu'on la croirait presque relever d'une incroyable alchimie.J'ai retiré ma capuche, dévoilant enfin mon visage. Bonjour à vous, Miss Valkovova. Visiblement, le professeur Clock n'est pas là.

Tour pendable, infâme tour pendable. Je souriais de toutes mes dents. Le plaisir coupable de voir se dessiner dans les yeux de la victime les prémices de la vérité, l'ignoble vérité. J'avais parfaitement conscience de ce que je risquais. Au mieux : Azkaban, pour le reste de ma vie. Au pire : mourir ici et maintenant. Heureusement, dans mon univers, les notions de ''mieux'', de ''pire'' et de même de ''mort'' restaient très relatives ; et soumises à des aléas que même l'homme le plus sage et le plus clairvoyant ne saurait prévoir.

Décidé à jouer la carte du lutin farceur jusqu'au bout, j'ai dégainé ma baguette de ma manche et... Je l'ai lentement posé sur la table.


-Soyez assurée que si j'avais voulu vous faire du mal, Miss Valkovova, j'aurais attendu que vous sortiez de la Bran Tower hier matin, lorsque vous vous rendiez au Ministère. J'aurais disparu de Londres avant même l'arrivée des médicomages.

J'ai applaudi d'un air faussement distingué, du bout des doigts dans le creux de la paume. Une manière singulière chez un homme vêtu de haillons et aux ongles noirs de crasse. Posséder des informations s'avérait toujours plus utile qu'une bourse bien garnie. Et des informations j'en avais à la pelle. On sous-estime grandement les vagabonds et les mendiants sur leurs facultés d'observation et d'écoute.

Le plus détaché possible, j'ai bu une gorgée de bièraubeurre ; tiède à souhait mais un peu lourde.


-Je vais vous parler d'une fille étrange, Darja Valkovova. J'avais prononcée son nom d'une voix froide et désincarnée, décomposant lentement chaque syllabe. Une fille étrange dans une famille étrange. Tout la prédispose à la grandeur et à la puissance. Tout, exceptée sa nature profonde. Elle est différente des siens, et ils en ont peur ; car on craint toujours ce qu'on ne peut comprendre. Alors il font tout ce qu'ils peuvent pour la tordre, la plier, la retordre et lui donner finalement la forme qu'ils désirent. On pourrait croire qu'ils ont réussi. On se tromperait.
J'ai plongé une main sous ma cape. Je tenais une photo entre mon index et mon majeur. Je la posais sur le petite table crasseuse, la faisant glisser vers l'héritière des Valkov. Elles étaient au milieu d'un groupe d'élèves, minuscules sur le cliché mais nettement visibles.
-Dites-moi, Miss Valkovova, cela ne vous paraît pas étrange d'acheter comme rebut son ancienne camarade de Poudlard ?

Andrea Simmons. Si son fantôme m'avait été utile, je l'aurais invoqué dans la seconde. Mais ce n'était heureusement pas le cas. Andrea Simmons n'était pas la clef, juste un levier. La vérité ne m'appartenait pas, pas plus qu'elle m'importait ; seule Darja y avait droit. Non, je ne m'amusais pas à un petit jeu pervers. Tout d'abord, j'avais d'autres choses plus préoccupantes à accomplir ; ensuite, je n'étais pas sadique. Cependant, toute cette comédie devait avoir lieu, sans quoi le dogme que suivait Darja n'exploserait jamais en mille morceaux. J'ignorais complètement ce qui lui était arrivée. Je savais juste qu'il y avait eu un ''avant'' et un ''après''. La guerre n'y était pour rien, il s'agissait de quelque chose de plus profond et de plus personnel. Je jouais à un jeu dangereux, mais la récompense était plus précieuse que toute orfèvrerie gobeline : la loyauté.

J'ai jeté un rapide coup d’œil dans la salle. Les habitués cuvaient toujours, James nettoyait une tache imaginaire sur son comptoir.


-On m'appelle le Nécromancien, Miss Valkovova. Ma vocation n'est ni de tourmenter les gens, ni de préparer des potions et encore moins de jouer les marionnettistes. Mon regard dévia brièvement vers les figurines de bois posées à mes pieds. Je sers un dessein qui va au delà de toute considération politique ou même idéologique. Il s'agit d'une Éternité qui nous englobe et nous transcende. Je posais alors mes coudes sur la table, me penchant légèrement en avant. Les jours et les nuits défilent, identiques. Vous ne vous expliquez pas la fadeur de votre propre existence, pourtant vous la supportez ; comme on s'accommode d'une vieille blessure. Si vous me laissez vous montrer quelque chose, je ne vous promets pas de guérison, mais je puis vous assurer que la vie telle que vous la concevez aura un tout autre sens à vos yeux.

Azkaban ou la mort ? Et le succès dans tout cela ?
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La capuche tombe, et c'est un visage sur lequel elle ne saurait mettre le moindre nom qui se dévoile à Darja.

« Bonjour à vous, Miss Valkovova. Visiblement, le professeur Clock n'est pas là. »

Sa mâchoire se crispe, ses nerfs se tendent. Il connaît son nom, ce qui veut dire que, de toute évidence, il est là pour elle. Ça devient une sale habitude, ces derniers temps, chez elle, de se faire rouler, d'attirer l'intérêt d'étrangers. Des flashs d'une intrusion chez elle, quelques jours plus tôt, lui reviennent en mémoire et achèvent la naissance de son angoisse. L'Inconnu poursuit, après avoir déposé sur la table sa baguette en signe de reddition. Le geste la rassure quelque peu, mais ses prunelles s'attardent sur ses ongles noircis, qui font naître, en et malgré elle, une certaine répulsion.
Il lui redonne du Valkovova. D'un œil méfiant, elle étudie ce qui lui semble être un vagabond, quand son ton et le choix de ses mots évoquent ceux d'un homme instruit. Alors elle se ressaisit, rassemble ses esprits, et finit par prendre place face à cet homme qui n'a de toute évidence pas froid aux yeux. Malgré le malaise qui la consume, une certaine curiosité cohabite avec lui en son intérieur et la pousse à écouter ce qu'il a à dire. Elle écoute donc. Elle écoute le récit qu'il lui fait, d'une fille que sa famille chercherait à soumettre. Subrepticement, ses sourcils se froncent. Elle ne voit pas où il veut en venir. Elle ne voit pas ce que cela a à faire avec elle. Darja manque de conclure qu'il est fou, et le voilà qui lui sort un cliché d'un autre temps, un cliché dont elle ne se souvient plus de l'existence, qu'elle ne se souvient pas d'avoir vu un jour. Et pourtant, elle s'y reconnaît, là, au milieu, avec, à ses côtés... Andrea, sa rebut. Si elles avaient l'air plutôt complices sur l'image mouvante dont elle ne pouvait détacher les yeux, elle conclut rapidement que ce ne devait être que pour les besoins du photographe, ou au mieux même, d'une vaste supercherie, et cessa instantanément de s'en préoccuper. Qu'était-il en train d'insinuer ? Cherchait-il à lui faire du chantage, en lui prêtant des relations malvenues, avec une née-moldue ? L'indignation se fit sentir, nourrie par ces incertitudes qu'elle ne savait taire. Raison et instinct entamaient en elle un combat singulier, auquel seule sa langue pourrait mettre un terme. Alors que cette dernière allait se délier, l'Inconnu reprit enfin, se présentant. La première partie de son discours manqua de la faire rire ; la seconde la referma aussitôt. A son dernier mot, elle répondit par un long regard sceptique, avant d'enfin prendre la parole, puisque apparemment, il avait enfin terminé, il avait posé ses cartes sur la table.

« Vous permettez ?, demanda-t-elle avec un signe de tête vers le bar. Je sens que j'ai besoin de me... détendre un peu, si je dois avoir cette discussion avec vous. Une liqueur de cannelle, s'il vous plaît. » réquisitionna-t-elle alors que l'aubergiste venait de se présenter à eux. « Ah, de ça, on n'a pas, ma bon'dame ! » Une seconde d'adaptation. « … Bien. Alors... Un whisky pur-feu, s'il vous plaît. » Elle se retourna au dernier instant. « … Le meilleur que vous ayez, bien sûr. » Pas d'un tors-boyaux que seuls les estomacs des campagnards auraient su supporter. Elle fit à nouveau face à son drôle d'interlocuteur.

« Bien. Monsieur, je ne suis pas certaine d'avoir parfaitement compris ce que vous croyez savoir sur moi, mais de toute évidence, vous vous êtes fait de fausses idées. Je n'ai pas grand-chose à voir avec cette... fille, ou sa famille. Je ne sais pas exactement ce que vous essayez de me vendre, une résurrection, un nouveau sens à ma vie ? Je suis désolée, mais je ne fais pas dans ces choses-là. Maintenant, si vous voulez parler business... J'imagine que c'est ce pour quoi vous êtes là, je suis sûre qu'on pourra trouver un autre terrain d'entente. Dîtes-moi simplement ce que vous voulez, si c'est assez amusant, je pourrais le faire par simple plaisir. »

Son verre arriva sur table. Elle sirota une bonne gorgée d'un alcool médiocre. Les visions, les messages de l'au-delà, la transcendance... Elle avait beau baigner dans la Magie depuis son plus jeune âge, et au milieu d'une famille possédant nombre de voyants qui plus est à travers les âges, ce n'était pas chose qu'elle prenait à la légère pour autant.

« En revanche, si vous ne faites que rechercher Andrea, je suis au regret de vous apprendre que je n'ai aucune idée d'où elle se trouve à l'heure actuelle. »
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-Elle est morte. J'avais dit ça très simplement, en regardant distraitement ailleurs. Soit Darja Valkov était une menteuse redoutable, soit son esprit était sérieusement amoché. Je penchais pour la première option. Mais ce n'est pas l'important. Je me fiche bien des cadavres dans les placards... J'ai sottement ricané de mon trait d'esprit. Un tour de magie ?

Peut-être étais-je allé un peu trop loin en mentionnant Andrea ? Peut-être me manquait-il aussi une pièce du puzzle ? Quoi qu'il en soit, la ruse sournoise n'avait pas fonctionné. Darja Valkov voulait être le genre de femme à ne pas se laisser impressionner par un inconnu encapuchonné dans un pub crasseux. Elle en aurait donc pour son argent.

Je pris grand soin de ne pas la pointer avec ma baguette. Mon autre main plongea dans ma cape pour en sortir... une chauve-souris décédée. Le petit corps sec tomba sans bruit sur la table. Plus de sourire, plus de grimace. Un geste du poignet et le rideau garni de poussière courut sur la tringle, me coupant Darja et moi du reste du pub ; un sortilège d’insonorisation lui fut appliqué. Il ne valait mieux pas être claustrophobe. La seule lumière provenait d'une lanterne faiblarde fixée dans le mur ; elle représentait une patte de loup stylisée du plus bel effet.

La pointe en acier frôla à peine la touffe de poils noirs qui ornait le thorax du chiroptère. Une arabesque complexe. Un mot d'un autre temps, grave et lourd de sens. Un mot qui modifiait bien plus que la simple intonation d'une voix. La piteuse créature déplia ses bras minuscules. Un piaillement désagréable s'éleva de sa bouche édentée et elle se mit sur ses pattes avec difficulté. On aurait dit un de ces vieux moldus empêtré dans une paire de béquilles mal réglées. Je tenais toujours ma baguette lorsque ma main saisit l'animal. Mon majeur glissa sur sa tête défraîchie.


-Le pouvoir. Où-est-il ? Demandais-je en relevant brusquement ma manche, dévoilant une peau aussi pâle qu'immaculée. Dans un tatouage de collégien ? Ou peut-être ici ? Mon index tapota l'une de mes tempes. Le pouvoir est le pouvoir, Darja Valkov. Je me remis à caresser la chauve-souris. Il existe, voilà tout. Il coule dans nos veines, Darja Valkov. Il anime cette bête. Il nous sépare de ceux qui, il n'y a pas si longtemps encore, étaient condamnés à une existence de servitude. C'est une putain volage qui aime trahir son maître.

J'ai écarté les doigts. La chauve-souris déplia ses ailes trouées et virevolta péniblement au dessus de nos têtes. Elle se nicha dans les replis du rideau, la tête en bas. Elle replia péniblement son attirail et fit mine de s'endormir. Elle n'y parviendrait pas. Aucun de ceux qui revenaient ne le pouvait. Elle était désormais vouée à une terreur muette.

-Je sais des choses, Darja Valkov. Une affirmation, aussi profonde que le sortilège qui avait animé le cadavre de l'animal. Des choses que d'aucun ont oublié. Des sentiers interdits au cœur des Arts Sombres. Loin dans les ténèbres se cachent des secrets qui rendraient fou un homme sain d'esprit. Certains sont allés trop vite, certains ont creusé trop loin et ne sont pas revenus. Mais quelques uns sont parvenus à calculer leur descente.

Comment influencer quelqu'un faisant partie d'une classe sociale influençant elle-même le reste de la population ? Vaste question. Les chances de me prendre un sortilège de stupéfixion sur le coin de la joue -ou même pire- étaient grandes. Mais la corde du pouvoir... Ah ! Cette corde si sensible chez les Mangemorts. Je ne devais néanmoins pas perdre de vue l’extrême fidélité de ces têtes-d'os. Darja Valkov avait beau être aussi fine et délicate qu'une tasse en porcelaine, elle devait certainement avoir dans sa manche quelques tours fort désagréables.

Selon moi, Voldemort évitait de laisser à ses disciples le loisir de se repaître de ses secrets. Ce qui était logique. Autant éviter de donner la clef de votre pouvoir aux personnes qui vous ont permis de l'obtenir. Il avait beau apprécier cette petite cour, je crois qu'à la moindre rumeur de putsch il n'aurait pas hésité à les faire éliminer jusqu'au dernier. Je ne lui aurais pas donné tort.


-Vous savez également des choses, Darja Valkov. Maîtresse des potions. J'avais détaché chaque syllabe. J'ai besoin de quelqu'un de votre acabit à mes côtés. Donnant donnant. Savoir contre pouvoir. Je suis honnête et je paie rubis sur l'ongle.

Un sourire.

Un serpent avec une tête de biche. Combien de nigauds avait-elle envoyé à l’échafaud ? Il y avait peu de place pour un véritable combat ici.
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Force était d'admettre qu'elle ne se sentait pas à son aise, par ici. Si elle ne s'était jamais considérée comme une princesse, n'avait jamais craint l'obscurité, ou de se salir durant la cueillette, son arrière-train n'était pas habitué à la dureté d'un tabouret en bois, ses papilles à l'âpreté d'un whisky de mauvaise qualité. Et plus encore, cet homme la rendait inconfortable. Ce n'était pas que son apparence mal soignée – de ce côté, le tavernier la repoussait plus encore - , c'était son élocution, ses grandes phrases et ses discours de vendeur de merveilles, ainsi qu'une lueur dans ses yeux...  « Elle est morte. » Si son visage demeure fermé, elle sent ses pupilles tressauter, sa respiration qui se coupe. Son petit cœur s'agite – et par petit, il ne faut pas entendre fragile, mais bien petit, étroit, peu apte au ressenti. Il fallait admette qu'elle disposait de la maturité émotionnelle d'une gamine de cinq ans. Comme toujours, elle ressent quelque chose sans savoir quoi. Comme toujours, ses pensées se bousculent, sans qu'aucun mot ne jaillisse au milieu d'elles pour venir les qualifier, donner un sens à tout cela. Et comme toujours, elle les chasse bien vite, avant qu'elles ne prennent trop de place, d'importance. Ce dossier est d'ailleurs assez facile à clôturer : ce n'est pas possible, je le saurai. Ça s'impose comme une évidence.

« Un tour de magie ? » Elle fronce les sourcils, se demandant ce que le vieillard lui réserve. Après avoir sorti... un cadavre de chauve-souris de sous ses guenilles, il fait se mouvoir le rideau, les isolant du reste de l'auberge, coupe le son, les enfermant ainsi dans une bulle à l'ambiance plus étrange encore que l'endroit lui-même. Des mots s'échappent d'entre ses lèvres, des mots qu'elle ne comprend pas. Sous l'influence de sa baguette, d'un brun verdâtre, elle voit la bestiole s'animer. Ses mouvements n'ont rien de naturel, ils sont saccadés, mécaniques, et elle sait que c'est plus qu'un tour d'illusionniste, qu'une autre tentative de la rouler dans la farine. « Le pouvoir. Où-est-il ? » Elle se laisse entraîner par sa voix. La question résonne en elle, en écho. Le pouvoir. Tant et si peu à la fois. Pour elle, sa définition était bien éloignée de celle qu'on lui prêtait de coutume. Peut-être était-ce parce qu'elle était une privilégiée, si proche de ce pouvoir que tant convoitaient, celui qui pourtant ne signifiait pas grand-chose pour elle. Elle porta la main à sa cuisse, sur laquelle sa petite besace reposait, avec à l'intérieur, les fioles qu'elle avait choisi le matin même. C'était là, son pouvoir, la toute-puissance pour elle. Elle ne demandait pas plus, que de toujours conserver ce don, et d'en explorer les tréfonds. Elle comprenait en partie ce qu'il disait. Pas tout. Soudain, la chauve-souris prend son envol, et Darja sursaute, secouée par un flash d'il y a quelques mois. Elle le regarde avec des yeux nouveaux, attend qu'il ait fini son discours pour conclure, songeuse, tentant encore de remettre tout en place : « C'était vous. » C'était vous, sur les toits, c'était vous, ce jour-là. Puis, peu à peu, les derniers mots qu'il a prononcé prennent place, elle les assimile doucement. « Ca n'a aucune importance. Que ce soit vous, j'entends. »

Elle n'a jamais été attirée par la nécromancie. La question ne s'est jamais posée. Pourtant, à présent qu'elle voit quelqu'un la pratiquer – il faut dire que c'est une chose particulièrement rare, un art sombre à l'accès peu aisé -, des milliers de questions se bousculent dans sa tête. La magie qui anime ces êtres revenant à la vie n'étant assurément pas la même que celle coulant dans le sang des vivants, se pourrait-il que les propriétés de leurs poils, de leur sang, de leurs yeux, de leurs griffes, soient différents une fois mêlés à une potion ? Quel sinueux chemin a-t-il dû emprunter pour parvenir à découvrir et maîtriser une telle capacité ? Quels secrets de la magie a-t-il pu découvrir durant son périple ? Les cloches sonnent à la découverte d'un possible allié. Peut-être est-ce là sa plus belle découverte depuis un bon moment. Peut-être pourrait-il lui apporter une réelle avancée, lui ouvrir de nouveaux horizons. Lorsque prennent fin ses réflexions, Darja répond au sourire de l'inconnu. Un sourire maladroit, un peu tordu ou voire même un peu torve, propulsé sur ce visage de glas par l'excitation qui la gagne doucement à l'idée de cette nouvelle aventure, de toutes ces possibles découvertes, de ces poussiéreux secrets sur lesquels elle pourrait faire lumière, de ce qu'elle pourrait tirer du savoir des anciens. Une excitation qui fait taire les doutes, les suspicions, qui voudrait oublier la méfiance qui, quelques minutes auparavant, la tenait.

« Voilà un marché qui me paraît convenable. »
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