| C’est jamais très bon signe quand tu réalises que c’est toi qui contrôles la situation, quand tu as un minimum de pouvoir et que tu réfléchis à quoi en faire. Tu cueilles sa formule de politesse avec une paire de sourcils qui n’en finit plus de se hausser. T’avais bien observé son malaise après être tombée dans la poubelle ; mais t’étais loin d’imaginer qu’elle en aurait eu honte. Parce qu’il n’y avait bien que toi pour ne pas en faire ombrage.
Te voilà donc investi d’une toute-puissance qui luit sur ton front bas comme une couronne d’épines. Elle ferait mieux d’apprendre vite que ce n’est pas pour rien qu’on ne te conférait aucun pouvoir ; et que celui qui s’y risquait devrait avoir peur pour ses plumes de phénix. « J’ai quoi en échange d’mon silence ? » on peut pas faire pire comme réponse, puisqu’elle ne t’engageait pas à ne rien dire, et te faisait en plus de ça passer pour le maître de stage abonné à l’abus de pouvoir si ce n’était au détournement de mineurs. Parce que t’as clairement pas l’air net à la toiser, les cuisses et les boules moulées, les bras à l’air et le ton de voix traînant comme des baskets d’adolescents. Parce qu’il y avait trop d’histoires sordides à propos de promotion canapé, et que toi-même tu avais fait l’objet de certaines d’entre elles –confèrent les innombrables nuits passées dans le canapé de Rookwood… Un silence, lourd comme un dragon mort, pèse sur vous deux campés à l’entrée du ministère. Certaines langues-de-plomb transplanent à quelques mètres de vous, ne prenant guère le temps d’intervenir, parce que t’avais les bras définitivement trop gros.
Et, au moment où tu considères l’avoir fait suffisamment poireauter et baliser, tu brises le silence à coups de pics à glace « c’est bon, j’déconne, j’dirai rien » tu hausses les épaules et lèves les yeux au ciel comme si ça relevait de l’évidence même. « On m’fait chier à m’refiler tous les stagiaires ; j’estime donc que ch’uis l’seul à pouvoir vous bizuter » tu l’avises d’un sourcil plissé de crânerie « c’ma p’tite consolation, tu vois » Peut-être même que si elle avait été du sexe opposé, tu lui aurais ébouriffé la tignasse ; mais au vu du soin et de la nervosité avec laquelle elle s’était repeignée, tu auras l’obligeance de te retenir de le faire. Et déjà à l’époque, c’était un bel effort de ta part, sans doute annonciateur de toutes les autres faveurs que tu finirais par lui céder malgré toi. Mais toujours, ces privilèges s’accorderont aux prix de messes basses et de regards de jugement incessants. Parce que tu lui mangeais pas non plus dans la main et ne tardais jamais à lui rappeler qui était le patron –ce à quoi elle s’empressait de souligner que des patrons, t’avais cru bon de t’en coltiner deux –c’est qu’elle apprenait vite, la bougresse, à force d’observation. Tu le diras certes à personne mais ne manqueras pas de le lui rappeler à voix basse ; autant de fois qu’elle t’enverra bouler en écrasant son corps menue contre ton bras. Quelques fois, tu ne bougeras pas d’un pouce, aplatissant par la-même son estime comme une mouche. Et puis, d’autres fois, tu feindras t’écrouler raide mort au beau milieu d’un couloir du ministère, comme ployant sous sa force phénoménale. Vous n’aviez pas fini de vous cherchez des noises et ce, pendant les six mois qui suivraient. Contrairement à ce que tu avais craint, elle le vécut bien mieux que Nott, puisqu’elle assimila vite fait tes points faibles, et s’appropria même la plupart des blagues qui se racontaient dans ton dos. A croire qu’en quelques mois, elle avait bâti un réseau souterrain entier de gueuseries à ton sujet, afin d’être certaine qu’elle puisse toujours te rendre la monnaie de ta pièce. Et, à ce rythme-là, vous finirez bien vite fauchés.
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