Pour la quatrième fois de la journée, Imogene range son bureau. Ceux qui vont et viennent dans la pièce s'étonnent de la voir toujours en train de ranger ses crayons, trier une énième fois les documents, chercher en vain quelque chose à ranger. Par désespoir, elle est même passée dans le bureau des secrétaires pour proposer de ranger quelque chose, mais elles n'ont manifestement pas apprécié puisqu'elle l'ont renvoyée dans la pièce étroite, en pestant que les jeunes Sang-Pur nobles se croient toujours mieux que tout le monde.

Elle lorgne le bureau d'un Rafleur complètement désordonné. C'est une manière de ne pas se laisser penser. Tout la ramène à l'attentat de Sainte-Mangouste. Son corps brisé, la poussière, Bacchus... Bacchus lui avait dit de rester chez elle se reposer après sa sortie de l'hôpital, mais c'est encore pire. Trop d'espace. Trop de ténèbres. Trop de souvenirs.
Elle est revenue il y a trois jours, après avoir supplié les infirmières de la laisser partir. L'odeur du sang et de la mort attaquait les couloirs, enveloppait les visiteurs et caressait ceux qui s'accrochaient encore à la vie. Parfois en vain. Imogene ne voulait pas voir ça. L'agonie dans leurs yeux, les suppliques lancées dans le noir, elle n'est pas douée pour la pitié. Elle n'est pas douée pour plaindre les gens.

Bacchus se montre inquiet. Il la laisse même l'embêter de temps en temps, sans doute pour essayer de lui remonter le moral. Mais déjà qu'elle n'arrive pas à travailler à cause du désordre, maintenant elle sent la poussière partout, partout sur ses vêtements, et Bacchus qui la prend dans ses bras...
« Imo. Reste ici. Pas bouger. M'attend. »
Elle sursaute. Bacchus sort du bureau en la pointant du doigt.
« Je ne suis pas un chien. » répond-elle sèchement.
Mais puisqu'il veut qu'elle reste, elle va prendre l'air en attendant. Elle lisse sa jupe d'un coup de baguette et sort du bureau simplement, sous les regards médusés des autres Rafleurs, encore peu habitués aux gamineries de la jeune femme avec Murdock, d'habitude craint des petits stagiaires.
Elle traverse les couloirs en regardant ses pieds au sol. Elle essaie d'éviter de marcher sur les lignes, ce qui lui donne une démarche bizarre. Ce genre de jeux lui permet de rester concentrée.
Même si certains bureaux restent vacants, il y a bien plus de monde que d'habitude dans les couloirs. C'est dérangé et dérangeant. Elle se fait bousculer de tous les côtés sans rien dire, trop habituée à garder la tête basse. Jusqu'à atteindre la sortie. Ou plutôt, en bonne voie pour atteindre la sortie, puisqu'une voix familière, un peu hésitante, l'arrête au milieu du hall.

« Excusez-moi ? »
Lui est-ce au moins destiné ? Trop tard. Elle se retourne et se retrouve face à face au regard empli d'espoir, puis de surprise d'Astoria Greengrass. Imogene la reconnaît immédiatement. Il faut dire que les Greengrass passe difficilement inaperçus. Et la voilà, trop impeccable, le port altier, le regard qui ne flanche pas, telle une reine au milieu des rats. Une Sang-Pur jusqu'au bout des ongles.
Déjà à Poudlard elle se démarquait par son allure fière et gracieuse, sans pour autant prendre toute la place. Mais que fait-elle ici ? C'est le dernier endroit où Imogene pensait la retrouver. Elle ne pensait la retrouver nulle part, en fait. Elles n'ont jamais été proches. Le rang de leur famille respective leur garantissait un respect mutuel, mais Imogene n'ayant jamais été très sociable, il était peu probable qu'elle se fasse des amis de la trempe d'Astoria.
Elle est perdue dans ses souvenirs quand la jeune Sang-Pur bredouille quelque chose qu'elle n'entend pas sous le grondement des passants. Un peu plus et on pourrait croire qu'elle est intimidée. Imogene s'approche d'un pas, tandis qu'Astoria se relève de sa chaise. Ses moindres gestes ont l'air éblouissants. Elle se racle la gorge.
« Je ne savais pas que tu étais Rafleuse ».
Sur le coup, Imogene a un moment de latence. Le son de sa voix claire la déstabilise un peu. Elle n'a plus l'habitude de revoir des connaissances.
C'est un peu une surprise qu'elle ne soit pas au courant. Les Greengrass sont toujours au courant de tout, avant tout le monde, tout le temps. Mais il faut dire que les Rowle se font discrets en ce moment.
Imogene est un peu mal à l'aise à l'idée de faire la conversation. Elle n'aime pas trop parler en général sauf si c'est pour embêter Bacchus. En plus, elle n'a pas l'impression d'être sur un pied d'égalité. Car elle a beau être une Sang-Pur, Astoria fait partie d'un groupe encore plus haut, qui voit toujours plus grand. Ils sont partout, et s'ils ne sont pas là, alors on parle d'eux.
Mais peu importe., elle ne peut pas se permettre de paraître impressionnée. Elle fera bonne figure. Elle a ça dans le sang.
Imogene esquisse un sourire et lui tend la main.
« Bonjour. Je suis en stage. »