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sujet; We're on the right side of rock bottom [HESTAN #5]

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We’re on the right side
of rock bottom



Ils l’avaient finalement laissé partir.
Ils avaient plus ou moins soigné sa jambe. Ils avaient plus ou moins soigné sa tête. Enfin l’extérieur de sa tête. Quant à ce qu’il y avait dedans… Il n’avait plus dormir à l’hôpital, trop anxieux. Pourquoi ? Pourquoi le soignait-on dans l’endroit même où il avait failli crever ? Ou tant d’autres personnes étaient mortes ? Mais qu’on le laisse sortir ! Et puis… n’importe qui pouvait venir. N’importe qui pouvait l’achever. Putain de proie facile. Ça faisait pitié. Ça lui faisait pitié. Il voulait sortir. Il voulait sortir. On avait finalement accédé à sa requête. Personne ne voulait trop le contrarier. Quoiqu’il n’avait plus d’arme pour menacer. C’était peut être juste… qu’il faisait bel et bien pitié. « Vous avez besoin d’aide pour rentrer chez vous Monsieur Lestrange ? » Il dévisagea la Médicomage qui venait de lui parler. Chez lui… comment allait-il s’y prendre ? Transplaner était totalement contre indiqué. Est-ce qu’il allait s’abaisser à demander à ce qu’on le raccompagne ? « Non. Je vais très bien. » Et sa voix est ferme. Un miracle. Elle hausse les épaules et le laisse là. Elle a d’autres patients à voir, d’autres cas sans doute plus sérieux à traiter. Alors il quitte l’hôpital. Et il marche.
Il boîte. Un peu. Ça fait mal, cette jambe mais il s’en moque.
Ce qui l’inquiète c’est tout ces gens. Trop de personnes. Qui pourraient le tuer d’un geste sans qu’il ne puisse se défendre. Il devait aller plus vite. Alors il tire sur les muscles et les abîme. Ça fait de plus en plus mal. « on s’en moque » grince-t-il pour lui-même entre ses dents. Mieux valait ça que d’être abattu comme un chien au beau milieu de la rue.
S’il avait été un Insurgé, c’était le moment qu’il aurait choisi.
Il ne pouvait pas courir, mais c’était d’un pas quasi martial qu’il arriva devant chez lui. Et poussa la porte. En sécurité. Enfin, presque. Il était seul, certes. Mais il y avait quelque chose dans sa tête, qui le bouffait. Et il fallait l’éliminer.

La chambre. L’armoire. Le tiroir du bas. Ses doigts glissèrent sur la poignée et il dut s’y reprendre à deux fois avant de parvenir à l’ouvrir. Dedans, quatre ans de baguettes confisquées. Évidemment il ne les avait pas toutes gardées mais à la manière d’un dragon il avait amassé une série de trophées arrachés à différents traîtres, rebelles etc. Combien y en avait-il en tout ? Une vingtaine ? Voire plus… Les morceaux de bois inertes roulaient dans le fond du meuble alors qu’il détacha complètement le tiroir de l’armoire pour le poser par terre, devant lui. Sans choisir, poussé par un sentiment d’urgence étouffant il s’empara de la première qui tomba sous sa main. Ses lèvres murmuraient une même rengaine : « 33 cm, bois d’if, cœur de dragon. ». Celle qui tenait entre ses mains était trop courte, trop blanche, trop éloignée de la sienne. Il marmonna un sort, l’agita en direction de sa table de nuit : là où elle aurait du léviter elle ne bougea pas. Peut être était-il trop nerveux pour pouvoir correctement utiliser sa magie ? Ou bien cette baguette ne lui convenait pas, ne pouvait pas lui convenir. « merdemerdemerde. » Un geste brusque, un geste rageux et la baguette se brisa entre ses mains. Une deuxième. « 33 cm, bois d’if, cœur de dragon. » La deuxième ne convenait pas non plus. Brisée. Une troisième. « 33 cm, bois d’if, cœur de dragon. » Il parvint à faire léviter un bref instant la petite table, mais c’était trop faible. Beaucoup trop faible pour ce qu’il voulait faire. Brisée à son tour. Une quatrième. Une cinquième. Une sixième. Plusieurs minutes plus tard il était toujours là, entouré par plusieurs morceaux de bois qui avaient pu autrefois contenir une certaine puissance magique et qui étaient à présent aussi inutile que des cure-dents. « Putain, non… non. » Mais il en avait besoin ! Il avait besoin d’une baguette. Désespérément. Il ne pouvait pas attendre qu’un artisan lui en fasse une nouvelle. Il ne pouvait pas sortir pour en récupérer une. Il devait… en-avoir-une-maintenant. Ses ongles raclaient le fond du tiroir, agrippaient désespérement à la chaîne les quelques dernières baguettes qui s’étaient accumulées là. L’une d’entre elles se fendit en deux alors qu’il la maniait, comme si elle refusait même de se plier aux désirs d’un homme qui n’avait visiblement pas les idées en place. Il se trouva enveloppé d’une immense vague de panique en remarquant qu’il n’en restait plus que trois en possible état de fonctionnement. « nononon… j’en ai besoin, j’en ai besoin. » Il y en avait une qui ressemblait plus que les autres à son ancienne et fidèle arme : un peu plus grande que la moyenne, bois plutôt sombre. Il la fit tourner entre ses doigts mais par manque de coordination la laissa tomber à terre. « du calme. du calme rabastan. du calme. respire et récupère là. doucement voilà comme ça voilà. lumo » L’extrémité s’illumine doucement, faiblement mais c’est mieux que rien. C’est mieux que les autres. Il se relève et ravance jusqu’à l’armoire ouverte. Il décale toute une rangée de costume et en tire de derrière une bassine sombre remplie d’un liquide argentée. Les souvenirs s’y mêlaient, tournoyaient. Pas les meilleurs. Mais ce n’était pas l’important. L’essentiel c’était qu’il devait absolument… absolument virer ceux là.

Maintenant.
Avant que sa tête ne craque.
Avant que tout ne craque.
Il pose la pointe de la baguette de susbtitution sur sa tempe.
« allez allez vite vite vite » Il savait le faire, il avait effectué ce genre de chose tellement de fois auparavant que c’en était indécent. Il avait même plusieurs fois failli passer le seuil de ce qui aurait pu être dangereux pour sa santé mentale. Arrêté au dernier moment peut être par un instinct de conservation encore trop ancré.
Il entendait sa voix. En boucle. En boucle. Qui hurlait. En boucle. Et il sentait le vide. Froid, froid. En boucle. Il fallait juste… juste qu’il retire ça. Peut être pas tout. Il y avait des moments qu’il pouvait soutenir. Mais… ça non. Il tira sur la baguette mais le souvenir ne vint pas. Comme s’il s’accrochait. Comme s’il ne voulait pas partir de sa tête. « allezallezallez » Il recommence. Ça fait mal. Ce n’est pas sensé faire mal. Ses pensées s’embrouillaient. Les visages se confondaient et ce n’était plus la voix de Clara qu’il entendait, mais celle d’Adele, celle de Gwen, celle d’Hécate. Il tire sur la baguette et un sourire s’efface de sa mémoire pour venir glisser de sa tempe à la Pensine. Il le laisse se noyer parmis les autres filaments argentés avec un geste d’impuissance : « pas ça pas celui là non mais… » Pourquoi l’autre ne voulait pas partir ? Il enfonce l’extrémité de l’arme si fort sur sa tempe qu’il ressent une étrange brûlure. Était-ce bon signe ? Peut être… peut être.
Il voulait juste ne plus entendre ce cri.
Était-ce trop demander ?

Encore une fois la baguette lui échappe, tombe et rebondit sur le sol. « saloperiedeputaindebaguettedemerde » Il regrette son geste au moment même où il lève son pied droit pour l’abattre sur le morceau de bois, mais c’est trop tard. Sous son talon il entend le craquement caractéristique. « merde mais pourquoi j’ai fait ça pourquoi j’ai fait ça  » Il récupère les deux bouts, tente de les remettre l’un contre l’autre comme s’il espérait qu’elle allait se resouder d’elle-même. Et la sienne ? Hein ? Où était-elle ? Restée là bas. Près de Clara ? Près des pierres… Il ne l’avait pas prise avec lui quand on l’avait extrait. Il n’y avait pas pensé. Il n’avait pas pensé à grand-chose. Et de toute manière, elle n’aurait servi à rien.
Peut être le Maître aurait-il pu, lui ?
« merdemerdemerde » Et le voilà qui se retrouvait sans baguette. Obligé de se terrer chez lui.
S’il sortait, dès qu’il sortirait il y aurait quelqu’un pour l’attendre et l’abattre. Il ne pouvait plus sortir. C’était un miracle s’il avait survécu. Et maintenant il était coincé chez lui. Sans arme, il ne pouvait pas sortir. Il ne pouvait même pas sortir de sa propre tête. Emprisonné par ce vide, par ce cri. À genou sur le parquet de sa chambre il cria. Fort. Plus fort que ce hurlement qui se répétait sans cesse dans sa mémoire. Pour le couvrir, mais c’est inutile. Il avait beau gueuler, la mort a toujours le dernier mot. Il avait beau faire, elle sera toujours plus froide, plus distante, plus puissante que lui, le petit pion zélé de la Faucheuse. L’armoire tangua dangereusement sur ses pieds alors que la voix de Rabastan devenait de plus en plus sourde, mue par une vague de magie non contrôlée et surtout non canalisée par une baguette. Elle finit par basculer pour s’écraser par terre non loin de lui.
« calme toi calme toi » Il n’y a plus rien à entendre dans sa tête que le cri, plus de voix, plus de pensées, plus rien. Entendre sa véritable voix, sourde et fatiguée le rassurait. Le guidait. Un peu au moins. « il faut il faut il faut que je je trouve une baguette » Il le fallait. Vraiment. « et quelqu’un pour l’utiliser » Quelqu’un pour l’aider. Adele fut sa première pensée. C’était vers elle qu’il s’était tourné il y avait maintenant quelques petites années lorsqu’il avait eu besoin d’aide. Mais Adele devait avoir d’autres chats à fouetter. Elle aussi avait été à l’hôpital… Pas Adele donc. Owen ? Il grimaça, presque honteux d’avoir pensé aussi vite à Avery. Mais cette solution n’était pas plus viable que la première et même encore moins. Même si son collègue avait pu éventuellement être en état de l’aider, Rabastan n’avait pas vraiment envie qu’il le voit dans… cet état ?

Et elle ? Est-ce qu’il voulait qu’elle le voit dans cet état ?
Cette question ne resta pas longtemps dans son esprit. Il paniquait. Il avait mal. Il avait peur. Il ne voulait pas bouger. Il voulait juste crever. Il lui fallait quelqu’un, absolument. Il lui fallait une bouée. Peut importait comment on le verrait, peut importait ce qu’on pouvait bien penser en fin de compte. Il voulait juste qu’on l’aide. Il voulait juste que ça s’arrête.
En se redressant, brusquement, il attrapa un petit bout de parchemin, chopa une plume et griffonna, presque fiévreusement, sans réfléchir à ce qu’il disait, sans réfléchir à aucune conséquence, en pensant juste qu’il voulait que quelqu’un vienne. (Et où était sa mère quand on avait besoin d’elle ?) Oh mais… il releva sa plume du papier un instant, traversé par une brève idée. Ratura ce qu’il avait déjà écrit. Lui pourrait sans doute l’aider. Il pourrait effacer tout ça d’un coup de baguette, sans problème, sans difficulté. Il saurait comment lui parler. Il suffisait juste pour lui d’appuyer sur… il releva la manche de son avant bras gauche. La Marque était sombre, morbide. Il la caressa du bout de l’index.
Mais il n’avait pas de baguette.
Et il ne pouvait pas sortir.
Ni transplaner.
« et je ne dois pas lui faire honte. il aurait honte de moi et m’abandonnerait » Seems legit.

Ce fut donc une courte missive à demi raturée que Rabastan accrocha à la patte du hibou qu’il gardait chez lui (calfeutré dans un recoin, nourri et soigné mais loin d’être ce que les gens considèrent être un animal de compagnie) : « Hecate (rayé tant de fois qu’il était difficile de deviner le prénom sous les traits noirs) pourrais-tu venir passer (toute cette partie est barrée d’un trait en diagonale) » au final il n’y avait sur le mot qu’une adresse écrite en lettres tremblantes « 43 Allée des Embrumes » ce n’était pas signé. Il ne voulait pas signer. Il ne voulait pas qu’on le trouve.
Si, il voulait qu’on le trouve.
Qu’elle le trouve.

Le hibou s’envola. Il se rendit compte trop tard qu’il mordait ses jointures, déjà remises à mal par l’ensevelissement elle se rouvraient de nouveau et il sentit le sang couler dans sa bouche. Il clignait des yeux, trop souvent. Et il n’entendait rien. Que le cri. Il avait mal à la tête. Il fallait que ça parte. Il fallait que ça parte. La voix d’Adele pourtant perçait le brouillard. Loin des fenêtres Rabastan, loin des fenêtres. Oui oui oui… il s’éloigna des immenses fenêtres qui tapissaient ses murs, le plus loin possible. Son dos heurta un mur, il se laissa glisser. Ses jambes repliées, les genoux remontés jusqu’à son menton, la tête dans ses bras. Comme ça il ne voyait pas les formes sombres s’agiter. Il ne voyait rien. N’entendait rien. Juste ce cri. Ne ressentait rien. Juste ce vide.
Il avait juste besoin… de s’accrocher à quelque chose.

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Elle avait été infecte, plus odieuse encore que tout ce que le ministère avait connu dans le domaine jusqu'à présent. La porte de son bureau claquait toutes les trois minutes alors qu'elle renvoyait à leurs pénates les gratte-papiers venus la déranger pendant son minutieux travail d'enquête. Ces derniers trébuchaient sur les papiers, récoltant une flopée d'injures, avant de décaniller en vitesse et sans demander leur reste alors qu'Hécate retournait à ses observations.

Elle allait les trouver.
Qui que soient les salopards responsables de cette explosion, de cet attentat, elle les trouverait et elle leur ouvrirait le crâne.
Elle les tuerait et cette fois, les moindres étincelles et braises de doute, qui avaient survécu envers et contre tout lors de la mort de Léda s'étaient embrasées de nouveau pour lui tordre l'estomac, lui incendier les veines.

Ils avaient fait sauter un hôpital.Un hôpital. Quel serait le prochain lieu de carnage? une crèche de l'élite? quel plaisir cela serait pour ces guerilleros de voir le sang pur de ces petits rejetons de mangemorts tapisser les murs, de voir leurs membres voler en éclat, brisant à jamais les grandes lignées! à moins qu'il ne frappe le chemin de Traverse à nouveau! à la période des fêtes si possible! quand la garde serait baissée! Quel était le prochain acte de ce spectacle morbide?! Quelle scène viendrait colorer en rouge la ville de Londres?!

Hécate était haineuse, si haineuse que ses mains tremblaient, qu'elle parlait vite, comme un serpent crachant son venin, prêt à tuer, prêt à mordre et à arracher. Car au delà de cette souffrance qu'entraîne n'importe quel attentat, surtout lorsqu'on avait le "privilège" de faire partie des équipes de secours, elle ressentait un feu particulier, glacé, lui déchirer les intestins. Elle avait fouillé les décombre, recevant des émanations de gaz toxique, le coeur lancé au triple galop. Elle avait jailli de sa chaise en apprenant la nouvelle de l'explosion et avait fouillé, fouillé sans jamais avouer, montrer qu'elle ne voulait voir qu'une seule personne, une seule, qu'elle refusait d'imaginer brisé et déformé par les gravats. Une scène de cauchemar tournant dans son esprit, un moment suspendu durant lequel elle soulevait une pierre et reconnaissait un visage à moitié défiguré par les ruines, elle avait remué ciel et terre. Sans prier. Sans s'en remettre à qui que ce soit d'autre que ses mains aux doigts écorchés, à ses bras fatigués et à sa magie qui lui faisait soulever des rocs pesant dix fois son poids.

Puis elle l'avait trouvé. Elle avait trouvé Rabastan. Enfoui, le visage blanc de plâtre et partiellement marqué par des sillons de sang et de larmes. Elle l'avait vu. Et elle avait vu la petite main qu'il serrait dans la sienne, cette main qui émergeait d'un bloc de roche, sectionnée au niveau du poignet, les nerfs écrasés et la chair déchirée ne laissant aucun doute quand à l'état de sa propriétaire. C'était une main d'enfant. C'était une main de petite fille...Hécate avait senti ses entrailles se geler et avait effectué sa tâche en retenant ses larmes, ses hurlements de rage et de frustration, toutes les effusions d'affection qu'elle aurait tué pour montrer.
Il ne fallait pas que ça se sache.
Le secret était de mise.

Et elle l'avait remis au médicomages, lui, cet homme qu'elle aimait, sans un mot de réconfort, sans un regard d'affection, pour protéger une couverture qui à ce moment pesait sur ses épaules plus qu'une armure de métal. Elle n'avait pas pu lui parler, pas pu le serrer contre elle, pas pu l'embrasser, pas pu le regarder, pas pu se pencher sur lui pour inspecter ses blessures, elle l'avait laissé partir comme une bonne employée, une bonne et servile petite inspectrice du niveau 2, restant parmi les gravats, à regarder cette main sectionnée, à imaginer à quel point la petite avait souffert, à quel point Rabastan avait souffert, l'enfer qu'ils avaient du vivre dans cette prison de pierre.

Elle trop jeune pour partir. Lui trop abîmé pour s'offusquer de souffrir.
Lentement, elle s'était penchée, et avait ôté du petit poignet un bracelet en argent orné d'une étoile. Puis elle l'avait mis dans sa poche.
Elle ne savait pas qui était cette enfant. Elle ne saurait jamais son nom. Jamais son âge. Jamais son histoire. Mais elle avait murmuré, dans la langue noire de ses ancêtres, la phrase qu'elle connaissait par coeur, celle qu'elle avait prononcé à la mort de Léda, et qui était pour elle comme une mélopée trop souvent entendue. Une phrase d'adieu, de remerciement, de respect. A genoux dans les pierres, face au reste de ce qu'avait été cette petite, elle avait soufflé:

"Ke faya kari tu spakie nelle stered elo Sola.
Ke Mahra kari tu spihiti sulla attera Shor.
Ke Taera keepo tu emori ne kore Quieti.
Ke Aria balaho tu sohizi ne windy e Storaha.
Fohava Moonkino."

Puisse le feu transporter tes braises vers les étoiles et le soleil
Puisse la mer porter ton âme vers l'autre rive
Puisse la terre garder en son coeur tranquille ton souvenir
Puisse l'air faire danser dans le vent et l'Histoire ton sourire.
Bonne nuit, désormais et pour toujours


Le souvenir la hantait.
Il la hantait et elle savait que si c'était le cas, Rabastan devait être au bord du gouffre. Son image de grand mangemort ne l'avait jamais trompée, elle avait senti dès leur première rencontre que derrière ces yeux bleus il y avait un monde de doutes, de regrets, de remords et de questions sans réponses. Il ne l'avait jamais trompée. Il pouvait mentir au monde, mais il n'avait jamais été capable de le faire avec elle, un tord qui était largement réciproque et avait contribué à les faire plonger tous les deux dans une eau dont ils ne savaient pas s'ils ressortiraient un jour, ni dans quel état. Il souffrait, elle le savait, et elle était bloquée dans ce putain de bureau, à éplucher des dossiers, à accueillir les rapports toujours plus nombreux.

Elle les trouverait.
Elle les tuerait.
Pour Léda.
Pour la petite fille à l'étoile.
Pour Rabastan.

Comment avait-elle pu oublier, oublier, la douleur qu'inflige ce genre de deuil et de souffrance, comment avait-elle pu perdre la sensation déchirante que Léda en partant, avait creusée dans son coeur? comment?! trouver la main de la petite avait tout ramené à la surface, avait arraché ces émotions du néant pour les ramener en face d'Hécate, les lui mettre en face des yeux. La mort avait rit à son oreille comme d'habitude, lui laissant tout le loisir d'errer parmi les vivants pendant qu'on lui prenait ou tentait de lui prendre ceux qu'elle aimait.
Ils ne lui prendraient pas Rabastan.
Pas lui.
Elle ne le permettrait pas.

Elle souligna une phrase dans un dossier et accrocha une feuille à son mur, où se juxtaposaient photographies, notes, indices. Il fallait les coincer. Il fallait les coincer pour de bon. Et les tuer tous. Dans le sang, dans les flammes, la colère, la rage, la haine, la vengeance.
Oeil pour oeil, dent pour dent. Ils comprendraient le sens de cette expression et avec acuité. L'enfant en Hécate était blessé au point de cogner sur les murs, de hurler contre le monde entier, de se débattre face aux douces tentatives de la compassion pour se faire entendre. Elle ne voulait plus montrer de compassion. Elle ne voulait plus laisser filer qui que ce soit, laisser qui que ce soit la menacer même de loin, même depuis les frondaisons de la moindre forêt. L'hôpital avait la plus monstrueuse scène qu'elle avait vu depuis la bataille des rebuts. Des corps démembrés, des pleurs, des hurlements, des femmes recherchants leur époux, leurs enfants, des enfants appelant leurs parents, terrorisés. Elle en avait porté un jusqu'aux secouristes alors que le petit se tordait dans ses bras. Etait-ce ça la liberté?! ce monde qu'on leur promettait s'ils rendaient les armes, eux les lâches collaborationnistes, les amis du "mal" ?! était-ce ça leur avenir à tous?! Déblayer des gravats et prier devant des rocs afin que les âmes emprisonnées sous la pierre puissent traverser le voile de la mort, retrouver amants et parents sous la poussière, enfermés à l'intérieur d'un carcan de souffrance?!

C'était donc ça la grande promesse?! comment avait elle pu oublier....

Prise d'un haut le coeur, Hécate s'assit sur son bureau, juste au moment où une note volait sous sa porte pour venir se poser juste à côté d'elle. Ce n'était pas un papier ministériel. il ne portait pas la marque du Magister. Elle la déplia avec empressement, alors qu'un pressentiment lui tordait le ventre. Ce qu'elle parvint à déchiffrer, et surtout l'écriture caractéristique, toute en pointes, la frappa et elle sauta du bureau avant d'attraper sa veste et de verrouiller la porte de son bureau derrière elle d'un geste de baguette.

-Shacklebolt! s'exclama un collègue qui arrivait les bras chargés de dossiers, on peut savoir où tu vas?!
-Si on te demande t'auras qu'à dire que je t'ai dit d'aller te faire foutre! répliqua-t-elle d'un ton sans appel avant de se glisser dans l'ascenseur au moment où celui çi fermait ses portes.

Merlin faites qu'elle n'arrive pas trop tard.

***

La maison était là. Grande, percée de nombreuses fenêtres. Hécate était arrivée trempée, la pluie tombant sur Londres depuis près d'une heure et quand elle se réfugia sur le porche, elle approcha avec empressement la main de la sonnette avant de se rendre compte que la poignée de la porte ne luisait pas de l'enchantement caractéristique des sorts de sécurité. Cette vision fit monter son adrénaline et elle ouvrit prudemment avant d'entrer.
Le hall était décoré avec goût mais sans détails personnels, un élément qu'elle ne remarqua que fugacement tant son esprit était concentré sur quelque chose d'autrement plus important. Sa baguette à la main, elle avança, le bruit de ses talons résonnant sur le marbre puis passa dans un salon lumineux, dont les baies vitrées sans teint donnaient sur l'allée des embrûmes sans qu'il soit possible de distinguer depuis l'autre côté ce qui se déroulait dans la maison. Elle tourna la tête à gauche, puis à droite, ses yeux scannant le décor pour y localiser celui qu'elle cherchait.

C'est alors qu'elle le vit bouger, très, très légèrement, sur sa gauche, dans la seconde partie du salon, qui avait des airs de champ de bataille. Une armoire s'était fracassée au sol, des miroirs gisaient sur le sol, leurs éclats dispersés sur le parquet et les tapis, et des baguettes, des dizaines de baguettes jonchaient la pièce alors qu'une pensine tournoyait près d'une table basse. On aurait dit qu'un ouragan avait décidé de payer une visite aux lieux. Un ouragan qui à ce moment, gisait prostré contre un mur, la tête dans les bras, les mains tremblantes.

-Rabastan...

Elle rangea sa baguette et s'approcha d'un pas rapide, s'agenouillant près de lui. D'un geste délicat des mains, elle laissa la première se poser sur une de ses mains et la seconde dans ses cheveux, les caressant avec lenteur et légereté afin de ne pas l'apeurer. Il trembla violemment sous son toucher mais elle souffla:

-C'est moi. Hécate. Je suis venue aussi vite que j'ai pu.

Il n'y eut pas la moindre réponse. La jeune femme, gênée par ses talons, les enleva pour mieux se caler face à lui, croisant les jambes en tailleurs. Ils allaient visiblement rester là un moment.Puis, continuant ses caresses patientes, elle murmura:

-Je suis là, Rabastan. Regardes moi. Tu peux y arriver.

D'un geste plus doux que tout autre, elle le poussa à relever le visage, juste pour constater l'étendue du désespoir qui s'étalait sur ses traits. Seigneur. Il avait une plaie sur la tempe, une sorte de brûlure, et elle l'effleura du bout des doigts avant de murmurer:

-Viens là.

Et sans demander la permission, peut être pour la première fois de sa vie, elle se rapprocha de lui et le prit dans ses bras, le serrant contre elle, les mains dans ses cheveux, le serrant pour ne plus le perdre, pour ne pas le laisser se perdre lui même, pour qu'il sente que quelqu'un, quelqu'un était là pour lui, lui et personne d'autre. Il n'était pas seul. il n'étais plus seul. Hécate posa ses lèvres sur la tempe du mangemort et inspira son parfum. Il lui avait manqué, à un point tel que le tenir en devenait douloureux. La jeune femme ne voulait pas parler, ne voulait pas lui dire ce qu'elle ressentait car ce qui se produisait à cet instant n'était pas à propos d'elle, c'était à propos de lui. Sa souffrance. Ce qu'il avait vécu, lui. Mais elle avait cru le perdre, elle avait cru le perdre, et le tenir lui donnait envie de ne plus jamais le lâcher, pas avant d'avoir compris comment apaiser cet atroce vortex de peine qu'elle sentait à l'intérieur de lui.

J'ai besoin de toi. Parles moi. Parles moi je t'en supplies, dis des mots, fais un geste. Je suis là. Je suis là pour toi. Je suis venue pour toi. Juste pour toi. Je ne vais nulle part. Je reste avec toi. J Je suis là.

-Je suis là...






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Les yeux clos et la tête plaquée contre ses bras, il ne voit rien. Il ne veut pas regarder ces fenêtres, il ne veut surtout pas voir ces fenêtres. Éloigne-toi des vitres Rabastan. Il lui semble entendre la voix d’Adele. Il se rencogne un peu plus, toujours plus. Il ne veut rien voir, ne veut rien entendre. Rien ressentir. Juste le noir complet. Juste dormir, sans rêve. Ce serait le mieux non ? Et les fenêtres qui n’étaient pas si loin… À cette hauteur Rabastan ce serait… « non non non je ne dois pas je ne dois pas » Il entend le crissement d’un miroir qui se brise. Il redresse la tête, voit la glace en face de lui se craqueler et exploser dans une myriades de petits éclats de reflets. « non chut calme toi » Un mur se fissure à son tour. Pas ça, pas de nouveau, pas encore ! Respire, respire… « respire respire ». Putain ! Non mais non ! Pas encore. Il avait réussi, c’était réglé ! Pourquoi est-ce que… tout revenait ? Il cligne des yeux. Et ça ? C’était une hallucination n’est-ce pas ? Cette silhouette qui s’approche, c’est une hallucination ? Il cligne une nouvelle fois des yeux, plus fort. Elle s’est rapprochée, et elle se rapproche encore. C’est une hallucination. Tu es seul, tu es seul. Il n’y a pas de ça ici, il n’y a pas de ça. Et les doigts qu’il sent sur son visage, c’est faux également. C’est faux, tout est faux. Sauf les vitres, ces putains de vitres. Et tout serait tellement plus simple. « personne n’est là vous n’êtes pas là vous ne pouvez rien me faire JE SUIS SEUL » Et le mur se fissure encore un peu plus profondément. Son cri a fait disparaître la haute silhouette encapuchonnée. Il replonge la tête dans ses bras. Ça va passer. Il se le répète en boucle, en boucle. Ça va passer. C’est juste une crise. Une crise. Et dans quelques heures. Quelques heures. Quelques jours. Quelques jours. Ça ira mieux. Un peu mieux.
Il pourra se relever. Avancer. Regarder, entendre et ressentir.
Il s’en était déjà tiré une fois. Deux fois. Et ça avait été pire à l’époque, n’est-ce pas ? Et il s’en était tiré. Une fois. Deux fois. Il pouvait le faire une troisième. Juste une mauvaise passe.
Il avait juste besoin d’oublier. Juste quelques minutes d’oubli suffiraient. Quelques secondes. Quand il n’aurait plus ce cri, plus ce trou noir sans fond, plus cette impression renouvelée de crever à chaque tour de cerveau, à chaque retour de pensée ça irait mieux.
Le hurlement enfantin lui en rappelait un autre. Qu’il avait entendu pendant des années. « elle n’est plus là elle est morte elles sont mortes chut chut chut mortes et pas toi maintenant chut chut respire respire et calme toi » Sa voix est étouffée par ses bras, mais il l’entend, elle murmure à son oreille. S’entendre le rassure. Il est encore vivant. Encore lucide. Plus ou moins. Il fallait juste tenir. Quelques jours, heures, minutes… Le temps que ça aille mieux, le temps qu’elle arrive. Parce qu’elle allait venir non ? Il avait juste à tenir jusque là.

Ses oreilles sifflent, bourdonnent, il sent le sang qui bat à ses tempes. Et alors, il l’entend. Une voix, sa voix. « Rabastan. » C’est son prénom, et c’est sa voix. Une hallucination ? Peut être, peut être pas. Il l’avait appelé, elle était venue. Ça faisait combien de temps qu’il avait envoyé le message ? Deux heures ? Dix minutes ? Le temps qu’il avait fallu pour briser un miroir, fissurer un mur, foutre le bordel dans sa maison. Il ne relève pas la tête pourtant. C’est si rassurant de ne rien voir. D’être dans le noir. Il ne voulait rien voir. Peut être que… si il voulait la voir elle. Mais il ne voulait pas qu’elle le voit. Il ne savait pas. Et ça criait, criait, criait. Comment avait-il pu l’entendre, alors que sa tête était proche d’exploser ? On lui frôle la main, elle pose sa main sur la sienne. Il se raidit. Il devait ouvrir les yeux maintenant. Ce n’était pas une hallucination, elle était là. Il devait en être certain et vérifier. Vérifier que c’était bien elle qui avait laissé ses doigts glisser sur sa main, dans ses cheveux. Parce que si ce n’était pas elle… Il devait vérifier, mais il avait trop peur. Ou quelque chose dans ce goût là. « C’est moi. Hécate. Je suis venue aussi vite que j’ai pu. » Ça ne pouvait pas parler, il le savait. Mais ça pouvait toujours faire parler dans la tête. Il était certain que c’était elle pourtant. Il ne reconnaissait pas que sa voix mais aussi son souffle, son odeur, sa température. C’était elle. Et un trop bon souvenir pour que ça puisse le générer. « Je suis là, Rabastan. Regardes moi. Tu peux y arriver. » Comme les enfants qui sentent quelque chose s’enrouler autour de leur cheville en pleine nuit, dans le noir ; ils n’osent pas allumer la lumière de peur de découvrir la tentacule d’un hideux monstre prêt à les entraîner dans leur repaire pour les dévorer. Ils savent, ces enfants, que rationnellement cela ne peut être que leurs draps qui se sont serrés autour de leur jambe à cause d’un sommeil trop agité, mais ils ne peuvent pas se résoudre à allumer. Tant qu’on est dans le noir, c’est plus simple. Une fois qu’on voit, si la pire option s’avérait être la bonne, tout est scellé. Et c’est fini. Les doigts chauds (chauds) lui poussent le menton doucement (doucement) vers le haut. Il cligne des yeux. Une fois, deux fois, trois fois. La lumière. Et une silhouette. Noire. Petite. Avec des yeux noirs et des cheveux noirs. Hécate. Il se demande ce qu’elle voit. Il la sent frôler sa tête, sa tempe. Il frissonne, se rétracte légèrement, mécaniquement. « Viens là. » Il n’a rien à répondre, rien à faire que déjà elle le prenait contre elle. Enveloppé dans ses bras, contre sa peau, contre ses vêtements. Il sent son odeur, il sent son souffle. Il a tellement de chance qu’elle soit là, vivante. Parce qu’elle aurait pu se trouver elle aussi à l’hôpital. Que se serait-il passé si ça avait été elle, à ses cotés, sous les pierres. « Je suis là. » Oui… elle était là, mais que se serait-il passé si… si elle avait été près de lui à cet instant là. Si ça avait été sa main qu’il aurait tenue. Ça continue de hurler. Il sursaute et s’agrippe à elle. Brusquement, il attrape ses bras et serre ses doigts contre le tissu de son vêtement. Il l’attrape et ne la lâche plus, maintenant il doit s’accrocher. Elle est là, elle est vivante. Il doit s’accrocher parce que si elle part, il n’y aura personne. Elle ne doit pas partir, elle ne doit pas mourir. Elle ne doit pas crier. « ne pars pas ne pars pas » il appuie son front contre elle, son cou ? sa poitrine ? Il siffle ses mots entre ses dents, s’il te plaît ne pars pas parce que si elle s’en va… Il s’en va aussi. Il ne sent rien, que du vide. Elle le rattache à quelque chose. « reste tu dois rester » sinon je me perds. Il se perd dans le souvenir, il se perd dans le cri. Sans même s’en rendre compte il fera trois pas dans le salon. Sans même s’en rendre compte il ouvrirait la fenêtre. Il n’en prendrait conscience qu’au moment du choc certainement. Et toujours ce cri. Non non non. On n’a pas le droit. Pas après tout ça. Il y avait nécessairement un moment où ça irait mieux. Il n’y avait qu’à attendre. Et s’accrocher. « ta b-baguette il me faut ta baguette » Il en avait besoin, et il avait besoin d’elle aussi.

S’il vous plaît. Je vous en prie. Son cri à elle, qu’il ne connait que trop bien. Aide moi ! Aide moi ! Et le nouveau, qu’il ne connait déjà que trop. Sa main droite lâche Hécate, il agrippe sa propre tête enfonce ses ongles dans sa peau. Il aimerait pouvoir tout arracher, comme ça simplement. Il recule, s’écarte d’elle d’un geste, son autre main serrée. « …tention. » Le mur d’en face, déjà fissuré s’ouvre complètement en deux pour s’écrouler. Ce n’est pas une cloison porteuse, juste une des rares séparations non nécessaires qui avait survécu à Rabastan Architecte Lestrange. Il tombe, prêt d’eux, pas assez prêt pour leur faire le moindre mal, pas assez loin pour ne pas faire paniquer le Mangemort. « aide moi » il parle bas, si bas que ça doit être un exploit si d’aventure elle l’entend. « s’il te plait retire ça retire tout ça » Il se ravance de nouveau, il a peur de la blesser. La dernière fois qu’il avait taper dans les actes de magie involontaire de manière aussi prégnante il avait fait tomber un pan de mur sur Owen. Il n’avait pas envie de voir de nouveaux murs recouvrir d’autres personnes. Surtout pas Hécate. « prend ta baguette et retire le » Il ne pense qu’à ça, il ne voit que ça, il n’entend que ça, elle devrait pouvoir le faire non ? Elle devrait pouvoir comprendre qu’il en avait besoin, désespérement besoin. Il attrape son bras d’une main, de l’autre il cherche à prendre sa baguette s’il te plait, vite, vite vite !


Dernière édition par Rabastan Lestrange le Sam 18 Juin 2016 - 13:35, édité 1 fois
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C'était pire encore que ce qu'elle avait imaginé. Dès la seconde où il releva les yeux, elle réalisa avec douleur que c'était infiniment pire. Par tous les esprits, combien de fois avait-elle prié pour ne plus jamais voir cette expression sur le visage d'un être cher. Combien de fois avait-elle supplié pour ne plus jamais sentir ce vide dans les yeux de quelqu'un. Le vide qu'entraîne le fait d'avoir vu le pire, ce que personne ne doit voir. C'était comme une mer de noirceur, un océan de vide où nageaient des esprits, des hurlements et de la douleur.
Hécate vit qu'il doutait de son existence, à la manière dont ses yeux la détaillaient puis à la façon dont il reçu son contact, presque comme s'il était attendu à une décharge électrique.

Puis elle le prit dans ses bras, et elle sentait qu'il brûlait. C'était de la fièvre, ça, de la fièvre entraînée par une fatigue nerveuse intense, alors elle le serra doucement, bien que lui s'accroche comme si sa vie en dépendait. Mais peut être sa vie en dépendait-elle. La pensée glaça la jeune femme.
Elle savait. Elle savait ce que le traumatisme pouvait faire commettre aux gens. Devant ses yeux passèrent des images, rapides, terribles, presque comme si l'espace d'un très bref instant, sa grand mère lui avait transmis le don de voyance. Des fragments de passé jusque là enfouis.
Un corps se balançant à une corde, dans un grenier de la Nouvelle Orléans.
Une baignoire de l'époque des plantation remplie de sang, des poignets entaillés gisant sur les bords.
Des vêtements retrouvés pliés près des bayous, tout près des eaux noires et viciées.

Non. Non. N'y pense pas. Ne pense pas à ça. Il n'est pas comme eux. Il est né pour survivre, c'est un battant. Comme toi. C'est un battant. Ca n'arrivera pas, tu ne laissera pas ça arriver.

Il n'était pas comme eux. Il avait connu l'enfer d'Azkaban, il avait connu ce qu'on pouvait connaître de pire et il était toujours là. Avec elle. Sans s'en rendre compte, elle serra plus fort ce corps contre le sien, juste au moment où la voix cassée de Rabastan parvenait à ses oreilles:

« Ne pars pas,ne pars pas...reste, tu dois rester »

Elle n'allait nulle part. Partir était la dernière idée qu'elle avait en tête et tant pis si elle devait camper dans le salon et laisser Virgile dévaliser le frigo. Le garçon était protégé par les chevelues et plus qu'apte à prendre soin de lui même, Rabastan en revanche n'avait plus la force de se maintenir à flot. Ni physiquement, ni psychologiquement. Partir...

-Je resterai avec toi aussi longtemps que tu le veux, murmura-t-elle.

Les doigts se crispèrent sur ses bras et la voix de Rabastan se fit entendre, plus pressante cette fois:

« ta b-baguette il me faut ta baguette »


Hécate se sentit soudain anxieuse. Comment lui expliquer à ce moment précis, que sa baguette n'obéissait qu'à elle? que les gravures sur le manche empêcheraient toute magie de fonctionner pour lui? Elle n'avait pas le coeur de le lui dire, elle avait peur de sa réaction et fut bien vite coupée dans ses réflexions alors qu'un pan de mur se fissurait sur sa gauche.

« …tention. »

Le plâtre craqua sourdement et tomba sur le sol dans un fracas et un nuage de poussière qui la fit tousser légèrement et fermer les yeux. La magie de Rabastan devenait de plus en plus instable et elle craignit soudain qu'il ne se blesse involontairement en faisant exploser une vitre, s'écrouler un lustre ou pire : en faisant l'attaquer les objets les plus dangereux du mobiliers, comme cela arrivait parfois lorsque le sorcier était désespéré au point de vouloir à tout prit cesser de ressentir. Elle avait vu un homme un jour, s'empaler sur des couteaux de cuisine qu'il avait lui même fait léviter et se mouvoir, sous l'emprise d'une crise de choc post traumatique.

« aide moi...prend ta baguette et retire le»

Pas besoin d'être grand clerc pour comprendre ce dont il était en train de parler mais lorsque le mangemort leva le bras et chercha à atteindre la baguette d'Hécate, cette dernière eut un réflexe presque viscéral, qui consista à bloquer son poignet en pleine course, l'empêchant fermement de parvenir à ses fins. Sa main se referma autour de celle de Rabastan sans violence, mais sans concessions, et elle murmura:

-Je vais le faire. Tu n'y arriveras pas elle. Laisse moi le faire pour toi. Fais moi confiance. Rabastan. Fais moi confiance.


Une nouvelle fois, elle prit son visage entre ses mains et le regarda, se forçant à sourire, pour qu'il voie autre chose que de la détresse sur ses traits, et pour qu'il voie de ses yeux qu'une telle expression existait encore. Elle était venue pour lui, pour lui seul, parce qu'il avait besoin d'elle et son amour, si elle avait du mal à l'exprimer à travers des mots, s'exprimait avec des gestes et des expressions. Sourire, quand lui n'en était plus capable depuis si longtemps, faisait partie de ce qu'elle pouvait lui offrir à ce moment. Juste une expression, qu'elle avait du mal à donner de manière spontanée à tout autre que lui, pas comme ça. Elle pouvait sourire avec joie, avec sarcasme, mais la tendresse n'était réservée qu'à ceux qu'elle chérissait par dessus tout. Sa mère, sa tante, ses cousines, son frère. Sa famille.
Et maintenant lui.
Lui.
Elle le regarda dans les yeux et doucement, approcha la pensine d'eux, la plaçant entre leurs corps, mais ne lui lâchant jamais la main. De sa main de baguette, elle lui effleura la joue, et souffla:

-Laisse le venir. Laisse le t'envahir, ne lutte pas. J'ai besoin de le sentir. Est ce que tu peux le faire, Rabastan?


Avec patience, elle l'observa, guetta sa réaction, puis, elle posa le bout de sa baguette sombre contre la tempe du mangemort. Allait-elle y parvenir? elle avait vu d'autres sorciers pratiquer de telles procédures, mais ne s'y était jamais risquée elle même. Certains souvenirs ne s'obtenaient pas facilement et pouvait laisser des séquelles à celui qui cherchaient à les extraire, tout comme à celui qui les chassait de son esprit. Elle avait peur. peur pour elle, peur pour lui, peur que ce qui se cache dans son esprit soit exactement ce qu'elle était en train d'imaginer : la mort violente et déchirante de la petite fille à l'étoile. C'était ce qui le hantait, elle le sentait, parce qu'elle avait appris à le connaître et que quand ils l'avaient trouvés, il serrait si fort cette petite main. Il l'avait vu, entendu mourir. Mais quelque chose de plus grave s'était produit, et elle allait découvrir quoi d'ici une poignée de secondes. Son ventre se tordit d'appréhension.

-Ne lutte pas. Je le sentirai arriver, ne crains rien. Fermes les yeux.

Elle vit ses iris bleues disparaître et lentement, le bout de sa baguette fut attiré contre la peau de Rabastan contre un aimant par du métal. La connexion était établie. Quand un souvenir passait à la portée de l'instrument magique, c'était comme un poisson taquinant une ligne. Une légère traction s'imposait, une tension se ressentait, le manche de la baguette chauffait doucement contre la paume d'Hécate. Elle vit le visage de Rabastan se tordre dans une moue de refus, de résistance et elle souffla:

-Ne luttes pas. Je sais que c'est dur, mais tu dois accepter une dernière fois. L'esprit retient ce qu'il refuse d'accepter et d'archiver. Ne résiste pas, ressens le, une dernière fois. Laisse le venir, acceptes le...et dis lui au revoir.

Il y eut un silence pendant lequel le lustre trembla et la main gauche d'Hécate lui caressa les cheveux.

-Tu dois la laisser partir. Tu as fait tout ce que tu as pu...laisse la partir...


Cette fois, la baguette fut collée contre la tempe de Rabastan avec force et le manche se mit à brûler. La force qui la traversait était telle qu'Hécate crut un instant que c'était l'extremité de son arme qui allait traverser la chair et venir se ficher dans le cerveau du mangemort pour y trouver l'élément problématique, celui qui provoquait ce drame. Mais non. Le manche se contentait de brûler de plus en plus, et Hécate tira lentement, doucement, afin de tester la solidité de l'accroche entre le souvenir et la baguette. Plusieurs fois, elle s'interrompit. Plusieurs fois, elle cru l'avoir perdu, parce que la douleur contre sa paume devenait de nouveau tolérable. Mais alors qu'elle tirait fermement, elle le vit. Comme un miracle, elle vit un épais filament sortir de la tempe du sorcier. Un filament...qui n'était pas argenté.
Il était noir.
Hécate sentit une sueur glacée lui descendre dans le dos.
Les souvenirs ne pouvaient pas être noirs, c'était rigoureusement impossible. Ce n'était pas possible. Elle n'avait jamais vu une chose pareille. Elle approcha son visage, et soudain, alors que la lueur étrange s'approchait de son visage, elle entendit un hurlement, si réaliste, si proche qu'elle sursauta, devenant aussi livide qu'elle pouvait l'être. Parti aussi vite qu'il était venu, le hurlement flotta pourtant en l'air et Hécate fut prise d'une peur aussi inexplicable que tenace. Ce n'était pas un souvenir comme un autre, c'était quelque chose d'infiniment plus sombre, plus dangereux que ça, c'était une chose qui n'aurait jamais du se trouver dans la tête de qui que ce soit. Et qui n'avait rien à faire dans une pensine non plus.

Elle se leva, sans quitter le filament noir des yeux, et s'approcha d'une étagère restée debout, sur laquelle reposaient plusieurs livres, quelques objets disparates mais anciens, dont une petite fiole de porcelaine gravée d'argent, qu'elle ouvrit avant d'en vider le contenu sur le sol. Le liquide bleuté creusa un trou dans le tapis -tant pis pour l'Axminster- et elle déposa le souvenir à l'intérieur, des larmes de douleur lui remplissant les yeux alors que la paume de sa main lui semblait se couvrir de cloques. Puis, elle la referma, appliquant un sortilège informulé sur tout le tour du goulot, le scellant définitivement, et lâcha sa baguette sur le sol, gardant sa main brûlée contre elle.

Les larmes dans ses yeux se multipliaient, parce qu'elle avait mal, parce qu'elle avait eu peur, et parce que la petite fiole qu'elle conservait dans sa main valide pulsait d'une énergie mauvaise. Il faudrait s'en débarrasser. Se débarrasser de cette chose. Comment était-elle arrivée dans l'esprit de Rabastan. Que s'était il passé sous les pierres de ce cimetière de plâtre et de marbre qu'était devenu l'hopital Sainte-Mangouste?

Les questions affluaient, mais Hécate ne voulait pas les résoudre, elle ne voulait pas y répondre. Elle avait entendu un hurlement, ou plutôt une version déformée d'un hurlement, devenue si puissante et aigue qu'il était capable de faire se dresser les cheveux de n'importe quel guerrier. Ce cri avait été celui d'un enfant. D'une enfant. Hécate n'eut pas besoin de beaucoup de réflexion pour savoir laquelle.

Titubante, elle revint près de Rabastan en hâte, laissant d'un geste hâtif la fiole sur le premier étage de l'étagère et tomba à genoux près de lui, la gorge serrée, le ventre compressé. Elle avait envie de crier, de pleurer elle aussi, mais surtout, elle avait envie de le savoir en sécurité, de se retirer avec lui dans un lieu où rien ne leur arriverait, pour une fois. Elle voulait que pour une fois, ils puissent passer un moment où personne ne viendrait les chercher. Même les guerriers avaient besoin de repos, juste d'une seconde. D'une seconde...Pitié seigneur...une seconde.

-Viens...murmura-t-elle, viens avec moi mon ange.

Le surnom était venu tout seul, peut être trop tôt, peut être pas au bon moment, mais il était venu. Elle aida Rabastan à se mettre debout, le soutenant autant qu'elle le pouvait, puis les fit quitter le salon, observant le couloir sur sa droite. S'y engageant, elle inspecta les pièces, dont toutes les portes étaient -comme de bien entendu- ouvertes. Et c'est lorsque son oeil repéra un carrelage gris anthracite qu'elle bifurqua, les faisant pénétrer dans une salle de bain, qui devait bien faire la taille de son salon à elle. Bon sang, il ne tenait pas sur ses jambes...et il était humide de fièvre. Le bon terme aurait été trempé de fièvre.

-Tiens bon.

Elle le fit asseoir sur le carrelage, dans la cabine de douche à l'italienne qui -fort heureusement- ne leur demandait d'enjamber aucun rebord, ni de s'adapter à aucun espace exigu. Juste le sol, et une large baie vitrée pour stopper les éclaboussures. Rabastan était déjà pied nu, et ne portait pas comme à son habitude ce complet trois pièces qu'il affectionnait tant, aussi ne fut-il pas difficile d'entrouvrir sa chemise et de le caler contre le mur.

-C'est bon. Tout va bien. Je suis avec toi. Je ne pars pas, je reste avec toi, tout le temps que tu voudras.

Elle actionna l'eau et le vit trembler brusquement en sentant le contact du liquide frais sur son crâne. Il avait le regard vide. Eteint, dépourvu de toute énergie, comme ces enfants épuisés par une nuit de cauchemars ou une longue maladie. Hécate s'agenouille et se glissa entre ses jambes, refermant les bras du mangemort autour d'elle et appuyant sa tête contre lui. L'eau était désormais à une chaleur acceptable. Prenant les mains de Rabastan entre les siennes, elle se mit à lui parler, doucement:

-Tout va bien. Tu es en sécurité maintenant. Je vais t'aider à aller mieux. Tu n'es pas seul, mon ange. Tu n'es plus seul. On va calmer ta fièvre, puis tu auras besoin de dormir. De manger et de boire. Et de rester tranquille. Juste un peu. Je serai là.

C'est à ce moment, dans ces murmures que le bruit de l'eau dominait presque sans peine, qu'elle se rendit compte du fossé béant qui s'était creusé en à peine un mois entre leur ancienne relation et cette nouvelle dynamique, qui peinait encore à trouver ses repères. Elle n'était plus son employée, plus seulement, et ce fut là qu'elle en prit conscience, alors qu'elle sentait ses frissons, sa respiration hachée et le rythme complètement déboussolé de son coeur, son sa chemise. Elle était venue en tant que femme, elle l'aidait en tant que femme, elle restait en tant que femme, et cette pensée lui donna le vertige.
Elle l'aimait, bon sang.
Elle l'aimait, et dieu seul savait à quel point.

Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle ne l'aurait jamais laissé se perdre. Qu'il aurait fallu la tuer pour l’empêcher de pointer le bout de son nez dans cette maison. Et que s'il avait fallu se brûler au troisième degré pour parvenir à arracher ce...souvenir? cauchemar? résidu de mort? elle l'aurait fait. Ca lui faisait peur. Ce sentiment si fort de pouvoir tout faire, pour permettre à une personne de continuer à respirer. Comment en était-elle arrivée là? Fermant les yeux, elle s'appuya contre lui. Elle devait être forte pour deux, mais elle lui chuchota:

-Ne t'abandonnes pas toi même. Ne me laisse pas seule ici. Je t'en prie. Tu es trop important. Tu es beaucoup trop important. Je ne pars pas. Mais ne me laisse pas non plus. S'il te plaît. S'il te plaît...

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Elle s’avance vers lui, encore un peu plus, jusqu’à ce que ses lèvres rencontrent les siennes. C’est bien sa femme alors ; il ferme les yeux et laisse la brusque vague d’apaisement le parcourir. C’est tellement agréable, c’est tellement doux. Il n’était pas conscient de grand-chose mais il était certain au moins d’un fait : il aimerait que cet instant ne s’arrête pas. Il avait envie de la serrer contre lui, étrangement il avait le sentiment que ce n’était pas courant, que ce n’était pas une situation récurrente. Pourtant si c’était sa femme. Hécate ?... Il ne réfléchissait plus, laissait juste le lent contact s’allonger, les yeux toujours clos. Jusqu’à ce que finalement elle s’écarte. Il aurait voulu que ça dure, encore et encore. Pourquoi avait-il l’impression que ça risquait de se casser, de partir ? « Il y a eu un problème oui. » C’était donc bien ce qu’il avait cru comprendre. Toujours désorienté il secoua la tête, l’eau coulait sans discontinuer sur son visage, il devait sans cesse cligner des yeux. Ça l’aiderait peut être à remettre ses esprits en place… Rabastan Lestrange, 44 ans… « Toi et moi avons tendance à enchaîner les problèmes. » Ah bon ? Il ne s’en rappelait pas. Les informations apparaissaient et disparaissaient sans qu’il ne puisse vraiment les saisir, juste des prénoms, des mots volés et des images. Des odeurs aussi. Et la vague sensation qu’à un moment donné on avait du jouer avec son cerveau. Une impression persistante. « Mais tu m’as appelé à l’aide et je suis venue. Nous avons résolu ça en équipe. Il faudra juste réparer un peu ton salon mais… » Résolu quoi ? Et qu’est-ce qu’il avait son salon ? Il avait un salon déjà ? Oui, il s’en souvenait, c’était cette grande pièce de tout à l’heure. Un peu floue. D’accord il faudrait le réparer mais quoi ? Mais ?... « Tu vas bien. » Il se sentait bien en tout cas. Son pouce glisse sur sa joue, à nouveau il ferme les yeux comme pour davantage savourer ce contact. « On va bien. » Il sourit. Ou tente de sourire. Ça fait quand même mal aux joues ça. Il sent ses petites mains se resserer autour des siennes pour l’aider à se relever. Il se laisse faire. Le sol glisse, à cause de l’eau. Et il a mal à la jambe. Pourquoi a-t-il mal à sa jambe ? Une mauvaise position ? Hécate coupe l’eau et soudain le silence revient, on n’entend plus que les dernières gouttes qui s’écrasent régulièrement sur le carrelage alors qu’ils sortaient de la douche. « Aies pitié de la demi-portion que je suis, et penche-toi un peu. » Il la regarde sourire, elle ne semble pas avoir trop de problème, il se penche en avant tout en se disant qu’il serait parfaitement capable de le faire lui-même, mais c’était agréable d’avoir quelqu’un qui prenait soin de lui comme ça. Sa femme, c’était ça ? « Tu es trempé et moi aussi. » Il la regarde, pas que la tête, tout son corps : c’est vrai, elle dégoulinait. Elle allait attraper froid. « Tu sais où se trouvent tes vêtements de rechange ? Est-ce que tu t’en souviens ? » Il acquiesce : « Je crois bien oui… » En fait non, mais c’est automatique, il sait qu’il avancera dans la bonne direction. Il a l’impression d’avoir déjà rencontré cet état avant, un état second. Comme s’il avait trop bu, ou bien pris de ces conneries de stupéfiants. Sauf qu’il ne faisait pas ça, lui. Il se laisse guider par sa mémoire automatique, par ses jambes jusqu’à arriver dans la chambre où il ouvre la porte d’une grande armoire. « Voilà… » Objectivement, ça faisait beaucoup de vêtements… Il la vit mettre ses poings sur ses hanches « Tu es pire que n’importe laquelle de mes cousines. » C’était sensé lui rappeler quelque chose ? Il les connaissait ses cousines ? Peut être bien. Ça ne lui disait rien. C’était très certainement juste une remarque pour lui faire remarquer qu’il avait encore plus de fringues qu’une fille. C’était sans doute vrai. Et il savait également qu’il y en avait encore plus dans une autre armoire dans un des couloirs. Il la laisse fouiller, elle écarte les chemises, les pantalons, les capes : il fronce un instant les sourcils, il n’ a pas envie qu’elle trouve… qu’elle trouve quoi ? Il ne savait pas lui-même mais mieux valait qu’elle ne s’arrête avant de… il tend sa main vers elle pour l’arrêter mais elle se redresse avec un air de victoire, en brandissant un pantalon et une chemise, pas du style costume, plutôt du style dortoir. Quelle idée de les mettre aussi loin dans ce bazar. Il les prit, toujours un peu déboussollé. « Je te laisse deux minutes d’accord ? » Oh non, ne pars pas… Il tendit la main vers elle mais s’interrompt alors qu’elle continue de parler « Je serai juste à coté. » Fais pas ton bébé enfin. Tu enfiles juste ça et ensuite tu la retrouves. Pourquoi est-ce que tu penses avoir autant besoin d’être avec elle ? « Change-toi et ensuite nous pourrons essayer de te faire manger un peu, ton corps à besoin de forces. » Étrangement il y avait quelques minutes il aurait dit oui à n’importe laquelle des assiettes garnies qu’on lui aurait présenté mais maintenant, c’était comme si la sensation de faim s’était évaporé. Il ne voulait plus manger, il grimace. Mais pourtant acquiesce par réflexe : « D’accord. Je mets ça. Je me dépêche. » Elle quitte la pièce, laisse la porte ouverte. Hum… il approche sa main de la poignée et pousse le panneau pour le fermer totalement, dans un clac retentissant.

Oh oh… Comme lorsqu’on voit un cognard nous foncer en pleine figure on sait avant l’impact qu’on va avoir mal, très mal, Rabastan sut au moment de finir sa poussée, avant même que la porte ne se ferme complètement, qu’il allait regretter ce geste. Sans vraiment savoir pourquoi. Il voulut rattraper la poignée mais ses doigts se refermèrent dans le vide. Oh oh… Pourquoi est-ce qu’il sent son cœur remonter dans sa gorge ? Pourquoi est-ce que ses jambes tremblent ? Pourquoi est-ce qu’il a mal à sa jambe d’ailleurs ? Et pourquoi ses dents claquent. Il a froid. Il doit s’habiller. Rouvre cette porte. Mais c’est ridicule enfin ! Ce n’est qu’une porte ! Hécate lui avait demandé de se changer, il avait froid, c’était ce qu’il devait faire. Il desserre la ceinture de son pantalon qui était trempé, pourquoi est-ce qu’elle le lui avait laissé ? Pourquoi est-ce qu’elle l’avait mis sous la douche ? Comment en étaient-ils arrivés là ? Retirer un pantalon gorgé d’eau est toujours une expérience assez difficile, surtout lorsqu’une des jambes du porteur a été cassée, recassée et à moitié piétinée. Il serre les dents alors que le tissu collant tombe de ses cuisses jusqu’à ses chevilles. Il observe la jambe douloureuse : le genou est d’une couleur bien plus sombre que l’autre, et peut être même gonflé. Il le touche du bout des doigts et gémit avant de retirer précipitamment sa main. Ça fait mal ça… Il porte la main à son cou, est-ce que quelque chose lui serre la gorge ? Il a du mal à respirer. Pourtant il n’y a rien, il est entièrement nu. La porte ! Ses yeux ne la quittent plus, ça lui semble étonnament étrange de voir une porte close. Une part de lui ne paraît pas apprécier. Attends… attends... « Je suis Rabastan Lestrange. J’ai 44 ans et je suis… » Il ferme les yeux, s’asseoit sur le lit avant de se laisser basculer en arrière, sur le matelas.

Ouvre cette porte.
Ouvre cette putain de porte Rabastan !

C’est quoi ce délire avec les portes ? Mieux vaut les laisser fermer, ça fait des courants d’air sinon. Il doit s’habiller. Il a mal à la gorge, comme si quelqu’un tentait de l’étrangler. Il va peut être avoir un rhume. Tu n’attrapes pas de rhume. Ouvre cette porte. Ses doigts boutonne la chemise lentement sur sa poitrine, il enfile encore plus lentement le pantalon, prenant grand soin à ne pas toucher son genou et quand il se lève il fait attention à s’appuyer sur son autre jambe. C’était cela le problème dont elle avait parlé plus tôt ? Il s’était peut être blessé au genou et il l’avait appelé. La porte ! Sa main s’approche de la poignée, il réfléchit. Réflchit. C’est comme un déjà-vu, il avait eu un éclair de compréhension juste après le blanc… juste après. Il avait compris puis oublié. Comme un rêve qui s’évapore. C’était juste après avoir vu la Pensine.
La Pensine… C’était ça alors ?
Il cligne des yeux. Plusieurs fois. La main toujours tendue vers la poignée. Attends, attends… Ouvre la porte, on verra après. Attends, attends… Mais écoute moi putain ! Obéis moi ! La main qu’il tend devant lui tremble un peu trop. Il a froid ? C’est certain qu’il va avoir un rhume, il a tellement mal à la gorge maintenant. Ce n’est pas un rhume, ouvre-cette-sacré-merlin-de-putain-de-porte ! Les doigts se referme sur la poignée, l’abaisse et la porte s’ouvre. Une silhouette l’attend dehors. Recule ! Il recule. Cligne des yeux. Deux silhouettes. Une grande et… Ferme les yeux, rouvre les. Il les ferme, plus longtemps, les rouvre. Il n’y a qu’Hécate, dans le couloir. Il tremble. « Je… je crois que je n’aime pas quand… » il tousse. Il y a quelque chose qui serre sa gorge ? Mais qu’est-ce que c’est ? « quand… les portes sont fermées. » Il s’avance vers elle, en boîtant légèrement. « Ça me revient un peu. » Il attrape son bras, doucement, la regarde dans les yeux. « J’ai… déconné avec la Pensine c’est ça ? » Il était quasi certain de ce qu’il avançait. Plus les minutes passaient plus l’impression de déjà vu devenait claire et saisissante. Ce genre de réaction avait lieu quand on s’amusait trop au gruyère avec sa mémoire. « Je crois qu’il faut que je… remette un peu d’ordre dans tout ça. » Machinalement il se prend la tête dans sa main libre, passe ses doigts dans ses cheveux encore humides. Ça cogne, dans sa tête, toutes ces pensées mélangées. « Je pense que je dois le faire vite. Hécate… » Il a envie de vomir, est-ce que ça s’entend dans son ton ? Dans sa manière de parler ? Il ne sait pas si c’est parce qu’il a mal, très mal à la tête, à la gorge ou bien au genou. Très mal ? Arrête, c’est rien. Comment ça rien ? Rien. Comparé à avant. Il y avait eu quoi avant ?

Des cris, des cris et encore des cris. Un fracas immense. Assourdissant puis plus rien que le silence. Et un mal de chien. A la tête, à la gorge et à la jambe. Rien que du silence autour. Puis une voix. De petite fille. Hein ? Hein ? Comme si demander suffisait pour que le roulis infernal des souvenirs ne cessent, la prise de conscience soudaine de Rabastan eut un effet presque radical. Il reste là, devant Hécate, toujours à lui tenir le bras, les yeux dans le vide, alors qu’il percutait enfin le pourquoi du comment. Ses doigts s’enfoncent dans la peau de la jeune femme. « Et la petite ? Elle est où maintenant ? » Il ne continue pas sa phrase, prenant brusquement conscience qu’Hécate ne pouvait pas la comprendre, tirée ainsi hors du contexte de ses pensées. Il secoua la tête. La lâche, lorsqu’il se rend compte qu’il la tient, avant de s’écarter légèrement : « Est-ce que tu pourrais… me passer ma baguette s’il te plait ? » Il tend sa main en avant prêt à recevoir son arme. Elle devait bien être quelque part non ?



Dernière édition par Rabastan Lestrange le Lun 27 Juin 2016 - 19:11, édité 1 fois
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Elle pouvait sentir son trouble à la manière dont sa respiration changeait de rythme mais surtout aux phrases incohérentes qu'il prononçait. Il avait froid. Il cherchait quelqu'un.
"où est-elle?"

L'espace d'un moment, elle craignit de lui avoir infligé des dégâts définitifs, d'avoir brûlé quelque chose dans sa tête et détruit sa personnalité, détruit qui il était. Cette pensée fit se tordre son estomac et provoqua un tremblement dans ses muscles, accompagné d'une montée de son rythme cardiaque, qu'elle sentit s'emballer furieusement. Non. Non. Elle avait fait exactement ce qu'elle devait faire, mais pourquoi le filament qui était venu sur la pointe de sa baguette avait-il eu une couleur d'encre, pourquoi Rabastan ne la reconnaissait-il pas, pourquoi répétait-il en boucle les mêmes mots vides de sens, pourquoi la fièvre était-elle aussi violente et po..

« … Hécate ? »

Le prénom libéra sa respiration, qui était restée bloquée dans sa poitrine sous le coup de cette crise d'angoisse -qu'elle trouverait par la suite étonamment bien contrôlée au vu des circonstances. Elle serra les mains de Rabastan, hochant doucement la tête. Puis elle le sentit se pencher et soudain, il déposa un baiser dans le creux de son cou. Ce fut la seconde précise où elle réalisa à quel point l'expérience l'avait véritablement assommé. Il ne se serait jamais permis une telle tendresse s'il avait eu les filtres omniprésents qui le bloquaient d'ordinaire. Elle ferma les yeux, s'interdisant à moitié de profiter de ce moment, le contact des lèvres sur sa peau lui ayant pourtant envoyé l'estomac en triple vrille et le coeur dans la stratosphère. Il y avait en elle l'instinct de raison, qui lui ordonnait de ne surtout pas prendre cette attitude tactile et terriblement demandeuse, comme une norme. Et évidemment, les sentiments qui bataillaient pour avoir la parole, arguant que s'il agissait comme cela, s'il demandait du contact à ce point, c'était qu'il le désirait, c'était qu'il désirait être avec elle, près d'elle. Que c'était au fond, peut-être ce qu'il voulait toujours faire, sans jamais y arriver.

« Je crois que… je suis un peu perdu. »


Ca pour être perdu...cette remarque la fit sourire un peu, le ton presque désolé de sa voix attendrissant Hécate. Elle appuya sa tête contre son torse juste assez pour qu'il puisse sentir qu'elle souriait, une sorte d'indicateur que personne ne le jugeait.

-Ce n'est pas grave, murmura-t-elle en retour, juste assez fort pour couvrir le bruit de l'eau, moi je sais où nous en sommes.

Il remua dans son dos, et soudain, la chemise alla atterrir dans un coin de la douche, en boule, trempée. Cette fois encore, elle eut une sorte de frisson violent, en sentant autant de peau contre la sienne, alors qu'il refermait de nouveau les bras autour de son corps. Il était si pâle...des yeux, elle détailla cette peau que personne n'avait le privilège de voir à part elle, et remarqua quelques tâches de rousseur sur son épaule, une cicatrice en croissant de lune, et quelques autres, plus fines, moins marquées. Il y avait comme une constellation de marques sur ses bras, et certaines formes évoquaient...autre chose que des blessures de guerre. Des choses plus secrètes, moins avouables, plus sombres. Elle aurait pu avoir une moue de dégoût, se sentir presque révulsée, la jeune femme savait d'ailleurs que si sa grand-mère avait été là, elle l'aurait tirée par les cheveux loin de cet anglais. Mais tout ce qu'elle parvint à ressentir fut une profonde tendresse.
Un petit battant.
Un petit survivant.
Comme elle.
Comme elle.

« Tu es belle. »

Hécate ouvrit les yeux, peu sure d'avoir bien entendu. Belle? qui était belle? elle? elle était belle? Ce qualificatif ne lui avait jamais été apposé. Courageuse, intelligente, féroce, implacable, décidée, tenace, pugnace, redoutable, oui. Belle jamais. Belle, c'était un compliment que l'on faisait aux jeunes femmes dont les sourires illuminaient la nuit, et dont l'attitude charmait les hommes comme les femmes. C'était un compliment que l'on faisait aux créatures comme Quini et Mako, ses cousines, ces deux déesses souples comme des lianes qui avaient toujours, toujours le mot pour plaire.

« Tu es très belle. »

Cette fois pas de confusion possible, il l'avait bien dit. Hécate avait resserré sa prise autour de ses mains sans même s'en rendre compte et laissait la voix danser dans son esprit. Toi aussi tu es beau. Tu ne le sais même pas. Mais tu es beau.

« Tu es… belle. »

Ce fut presque un ronronnement de bonheur qui lui échappa alors quelle se laissait aller dans ses bras. La situation n'était pas idéale, elle ne l'était jamais, mais les sentiments avaient gagnés. Elle le croyait, elle qui ne croyait personne dès lors qu'on lui faisait un compliment un tant soit peu...quel était le mot?...raffiné. Elle le croyait. S'il lui disait ces mots alors qu'il était dépourvu de ses barrières habituelles, il devait le penser. Les épaules d'Hécate tremblèrent un peu alors que la pression de ce qu'elle avait vu dans le filament, de ce qu'elle avait entendu, retombait. Ils allaient s'en sortir. Ils pouvaient surmonter cela, s'ils agissaient ensembles. Une larme brûlante roula sur sa joue, puis une autre et la sorcière s'appuya contre l'épaule de cet homme qui la protégeait des ombres sans même le réaliser pleinement.
Il sentait toujours l'ambre et le cèdre.

« Est-ce qu’il… y a eu un problème ?...Est-ce que ça va ? »

Cette fois, Hécate se retourna vers lui. Il avait les cheveux plaqués au crâne par l'eau et elle les ébouriffa gentiment, par réflexe, laissant ses épis revenir en force. Le voir vivant et conscient, même désorienté, lui parut une vue infiniment plus agréable que celle qu'elle avait trouvée en arrivant. Avec un sourire, elle se pencha vers lui et doucement, l'embrassa sur les lèvres, juste assez longtemps pour sentir qu'il se détendait dans des bras. Puis elle répondit:

-Il y a eu un problème oui. Toi et moi, nous avons tendance à enchaîner les problèmes. Mais tu m'as appelé à l'aide et je suis venue. Nous avons résolu ça en équipe. Il faudra juste réparer un peu ton salon mais...tu vas bien.

Du revers du pouce, elle caressa sa pommette et insista:

-On va bien.

La jeune femme s'accroupit et se releva doucement, prenant les mains de Rabastan dans les siennes pour l'inviter à faire de même. Coupant l'eau, elle l'attira hors de la cabine de douche, et attrapa la première serviette à sa portée avant de s'appliquer à lui sécher les cheveux. Il était trop grand et elle fronça les sourcils avec un demi-sourire:

-Aies pitié de la demi-portion que je suis, et penches toi un peu.


Il s'éxécuta et elle le remercia d'un froncement de nez amusé avant de passer la serviette à travers ses mèches blondes. Puis, elle en écarta une ou deux de ses yeux et dit :

-Tu es trempé et moi aussi. Tu sais où se trouvent tes vêtements de rechange? Est ce que tu t'en souviens?

Il hocha la tête et elle se laissa guider jusqu'à une chambre dont le lit parfaitement fait indiquait qu'il n'était pas utilisé. La poussière flottait dans la lumière qui filtrait à travers les lourds rideaux de la fenêtre et rien dans la pièce ne portait de marque personnelle. Pas de photos d'enfants, de famille, pas de souvenirs...à peine un reste de tablette de chocolat sur la table de nuit. Rabastan ouvrit une armoire coulissante et resta un moment immobile devant l'impressionnante collection de vêtements qui leur fut soudain dévoilée. Hécate mit les mains sur les hanches.

-Tu es pire que n'importe laquelle de mes cousines.

Puis, elle se mit à inspecter les vêtements, avant de dénicher ce qu'elle cherchait, mais qui semblait avoir été enfoui tout au fond du placard, comme pour éviter de montrer au monde quelle indignité constituait la présence du dit vêtement. Hécate tendit la main et sortit un pantalon souple et noir, ceux que les hommes portaient souvent lorsque leur venait l'idée -visiblement saugrenue pour Rabastan- de dormir. Il y avait bien un mot pour désigner cet accoutrement, mais elle avait peur de le penser, craignant que l'âme d'esthète du mangemort ne prenne peur et mette le pantalon à bruler par principe. Sa deuxième trouvaille fut une chemise noire qu'elle lui tendit, et elle se félicita de voir qu'il ne rechignait pas en les prenant. Pour ce qui concernait son propre cas, un sort lui permettrait de se sécher, mais Rabastan avait besoin de changer de peau, métaphoriquement parlant.

-Je te laisse deux minutes, d'accord? Je serai juste à côté. Changes toi et ensuite, nous pourrons essayer de te faire manger un peu, ton corps a besoin de forces

Le visage qu'il afficha dit clairement ce qu'il pensait du concept de "manger un peu". Et dans un éclair, Hécate eut l'impression de se retrouver face à une réplique presque exacte d'Aramis. C'est sans peine qu'elle imagina le calvaire qu'avait du représenter le fait de faire avaler quoi que ce soit au petit garçon et visiblement, nourrir le père n'allait pas être non plus de tout repos.

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Elle s’avance vers lui, encore un peu plus, jusqu’à ce que ses lèvres rencontrent les siennes. C’est bien sa femme alors ; il ferme les yeux et laisse la brusque vague d’apaisement le parcourir. C’est tellement agréable, c’est tellement doux. Il n’était pas conscient de grand-chose mais il était certain au moins d’un fait : il aimerait que cet instant ne s’arrête pas. Il avait envie de la serrer contre lui, étrangement il avait le sentiment que ce n’était pas courant, que ce n’était pas une situation récurrente. Pourtant si c’était sa femme. Hécate ?... Il ne réfléchissait plus, laissait juste le lent contact s’allonger, les yeux toujours clos. Jusqu’à ce que finalement elle s’écarte. Il aurait voulu que ça dure, encore et encore. Pourquoi avait-il l’impression que ça risquait de se casser, de partir ? « Il y a eu un problème oui. » C’était donc bien ce qu’il avait cru comprendre. Toujours désorienté il secoua la tête, l’eau coulait sans discontinuer sur son visage, il devait sans cesse cligner des yeux. Ça l’aiderait peut être à remettre ses esprits en place… Rabastan Lestrange, 44 ans… « Toi et moi avons tendance à enchaîner les problèmes. » Ah bon ? Il ne s’en rappelait pas. Les informations apparaissaient et disparaissaient sans qu’il ne puisse vraiment les saisir, juste des prénoms, des mots volés et des images. Des odeurs aussi. Et la vague sensation qu’à un moment donné on avait du jouer avec son cerveau. Une impression persistante. « Mais tu m’as appelé à l’aide et je suis venue. Nous avons résolu ça en équipe. Il faudra juste réparer un peu ton salon mais… » Résolu quoi ? Et qu’est-ce qu’il avait son salon ? Il avait un salon déjà ? Oui, il s’en souvenait, c’était cette grande pièce de tout à l’heure. Un peu floue. D’accord il faudrait le réparer mais quoi ? Mais ?... « Tu vas bien. » Il se sentait bien en tout cas. Son pouce glisse sur sa joue, à nouveau il ferme les yeux comme pour davantage savourer ce contact. « On va bien. » Il sourit. Ou tente de sourire. Ça fait quand même mal aux joues ça. Il sent ses petites mains se resserer autour des siennes pour l’aider à se relever. Il se laisse faire. Le sol glisse, à cause de l’eau. Et il a mal à la jambe. Pourquoi a-t-il mal à sa jambe ? Une mauvaise position ?  Hécate coupe l’eau et soudain le silence revient, on n’entend plus que les dernières gouttes qui s’écrasent régulièrement sur le carrelage alors qu’ils sortaient de la douche. « Aies pitié de la demi-portion que je suis, et penche-toi un peu. » Il la regarde sourire, elle ne semble pas avoir trop de problème, il se penche en avant tout en se disant qu’il serait parfaitement capable de le faire lui-même, mais c’était agréable d’avoir quelqu’un qui prenait soin de lui comme ça. Sa femme, c’était ça ? « Tu es trempé et moi aussi. » Il la regarde, pas que la tête, tout son corps : c’est vrai, elle dégoulinait. Elle allait attraper froid. « Tu sais où se trouvent tes vêtements de rechange ? Est-ce que tu t’en souviens ? » Il acquiesce : « Je crois bien oui… » En fait non, mais c’est automatique, il sait qu’il avancera dans la bonne direction. Il a l’impression d’avoir déjà rencontré cet état avant, un état second. Comme s’il avait trop bu, ou bien pris de ces conneries de stupéfiants. Sauf qu’il ne faisait pas ça, lui. Il se laisse guider par sa mémoire automatique, par ses jambes jusqu’à arriver dans la chambre où il ouvre la porte d’une grande armoire. « Voilà… » Objectivement, ça faisait beaucoup de vêtements… Il la vit mettre ses poings sur ses hanches « Tu es pire que n’importe laquelle de mes cousines. » C’était sensé lui rappeler quelque chose ? Il les connaissait ses cousines ? Peut être bien. Ça ne lui disait rien. C’était très certainement juste une remarque pour lui faire remarquer qu’il avait encore plus de fringues qu’une fille. C’était sans doute vrai. Et il savait également qu’il y en avait encore plus dans une autre armoire dans un des couloirs. Il la laisse fouiller, elle écarte les chemises, les pantalons, les capes : il fronce un instant les sourcils, il n’ a pas envie qu’elle trouve… qu’elle trouve quoi ? Il ne savait pas lui-même mais mieux valait qu’elle ne s’arrête avant de… il tend sa main vers elle pour l’arrêter mais elle se redresse avec un air de victoire, en brandissant un pantalon et une chemise, pas du style costume, plutôt du style dortoir. Quelle idée de les mettre aussi loin dans ce bazar. Il les prit, toujours un peu déboussollé. « Je te laisse deux minutes d’accord ? » Oh non, ne pars pas… Il tendit la main vers elle mais s’interrompt alors qu’elle continue de parler « Je serai juste à coté. » Fais pas ton bébé enfin. Tu enfiles juste ça et ensuite tu la retrouves. Pourquoi est-ce que tu penses avoir autant besoin d’être avec elle ? « Change-toi et ensuite nous pourrons essayer de te faire manger un peu, ton corps à besoin de forces. » Étrangement il y avait quelques minutes il aurait dit oui à n’importe laquelle des assiettes garnies qu’on lui aurait présenté mais maintenant, c’était comme si la sensation de faim s’était évaporé. Il ne voulait plus manger, il grimace. Mais pourtant acquiesce par réflexe : « D’accord. Je mets ça. Je me dépêche. » Elle quitte la pièce, laisse la porte ouverte. Hum… il approche sa main de la poignée et pousse le panneau pour le fermer totalement, dans un clac retentissant.

Oh oh… Comme lorsqu’on voit un cognard nous foncer en pleine figure on sait avant l’impact qu’on va avoir mal, très mal, Rabastan sut au moment de finir sa poussée, avant même que la porte ne se ferme complètement, qu’il allait regretter ce geste. Sans vraiment savoir pourquoi. Il voulut rattraper la poignée mais ses doigts se refermèrent dans le vide. Oh oh… Pourquoi est-ce qu’il sent son cœur remonter dans sa gorge ? Pourquoi est-ce que ses jambes tremblent ? Pourquoi est-ce qu’il a mal à sa jambe d’ailleurs ? Et pourquoi ses dents claquent. Il a froid. Il doit s’habiller. Rouvre cette porte. Mais c’est ridicule enfin ! Ce n’est qu’une porte ! Hécate lui avait demandé de se changer, il avait froid, c’était ce qu’il devait faire. Il desserre la ceinture de son pantalon qui était trempé, pourquoi est-ce qu’elle le lui avait laissé ? Pourquoi est-ce qu’elle l’avait mis sous la douche ? Comment en étaient-ils arrivés là ? Retirer un pantalon gorgé d’eau est toujours une expérience assez difficile, surtout lorsqu’une des jambes du porteur a été cassée, recassée et à moitié piétinée. Il serre les dents alors que le tissu collant tombe de ses cuisses jusqu’à ses chevilles. Il observe la jambe douloureuse : le genou est d’une couleur bien plus sombre que l’autre, et peut être même gonflé. Il le touche du bout des doigts et gémit avant de retirer précipitamment sa main. Ça fait mal ça… Il porte la main à son cou, est-ce que quelque chose lui serre la gorge ? Il a du mal à respirer. Pourtant il n’y a rien, il est entièrement nu. La porte ! Ses yeux ne la quittent plus, ça lui semble étonnament étrange de voir une porte close. Une part de lui ne paraît pas apprécier. Attends… attends... « Je suis Rabastan Lestrange. J’ai 44 ans et je suis…  » Il ferme les yeux, s’asseoit sur le lit avant de se laisser basculer en arrière, sur le matelas.

Ouvre cette porte.
Ouvre cette putain de porte Rabastan !

C’est quoi ce délire avec les portes ? Mieux vaut les laisser fermer, ça fait des courants d’air sinon. Il doit s’habiller. Il a mal à la gorge, comme si quelqu’un tentait de l’étrangler. Il va peut être avoir un rhume. Tu n’attrapes pas de rhume. Ouvre cette porte. Ses doigts boutonne la chemise lentement sur sa poitrine, il enfile encore plus lentement le pantalon, prenant grand soin à ne pas toucher son genou et quand il se lève il fait attention à s’appuyer sur son autre jambe. C’était cela le problème dont elle avait parlé plus tôt ? Il s’était peut être blessé au genou et il l’avait appelé. La porte ! Sa main s’approche de la poignée, il réfléchit. Réflchit. C’est comme un déjà-vu, il avait eu un éclair de compréhension juste après le blanc… juste après. Il avait compris puis oublié. Comme un rêve qui s’évapore. C’était juste après avoir vu la Pensine.
La Pensine… C’était ça alors ?
Il cligne des yeux. Plusieurs fois. La main toujours tendue vers la poignée. Attends, attends… Ouvre la porte, on verra après. Attends, attends… Mais écoute moi putain ! Obéis moi ! La main qu’il tend devant lui tremble un peu trop. Il a froid ? C’est certain qu’il va avoir un rhume, il a tellement mal à la gorge maintenant. Ce n’est pas un rhume, ouvre-cette-sacré-merlin-de-putain-de-porte ! Les doigts se referme sur la poignée, l’abaisse et la porte s’ouvre. Une silhouette l’attend dehors. Recule ! Il recule. Cligne des yeux. Deux silhouettes. Une grande et… Ferme les yeux, rouvre les. Il les ferme, plus longtemps, les rouvre. Il n’y a qu’Hécate, dans le couloir. Il tremble. « Je… je crois que je n’aime pas quand… » il tousse. Il y a quelque chose qui serre sa gorge ? Mais qu’est-ce que c’est ? « quand… les portes sont fermées. » Il s’avance vers elle, en boîtant légèrement. « Ça me revient un peu. » Il attrape son bras, doucement, la regarde dans les yeux. « J’ai… déconné avec la Pensine c’est ça ? » Il était quasi certain de ce qu’il avançait. Plus les minutes passaient plus l’impression de déjà vu devenait claire et saisissante. Ce genre de réaction avait lieu quand on s’amusait trop au gruyère avec sa mémoire. « Je crois qu’il faut que je… remette un peu d’ordre dans tout ça. » Machinalement il se prend la tête dans sa main libre, passe ses doigts dans ses cheveux encore humides. Ça cogne, dans sa tête, toutes ces pensées mélangées. « Je pense que je dois le faire vite. Hécate… » Il a envie de vomir, est-ce que ça s’entend dans son ton ? Dans sa manière de parler ? Il ne sait pas si c’est parce qu’il a mal, très mal à la tête, à la gorge ou bien au genou. Très mal ? Arrête, c’est rien. Comment ça rien ? Rien. Comparé à avant. Il y avait eu quoi avant ?

Des cris, des cris et encore des cris. Un fracas immense. Assourdissant puis plus rien que le silence. Et un mal de chien. A la tête, à la gorge et à la jambe. Rien que du silence autour. Puis une voix. De petite fille. Hein ? Hein ? Comme si demander suffisait pour que le roulis infernal des souvenirs ne cessent, la prise de conscience soudaine de Rabastan eut un effet presque radical. Il reste là, devant Hécate, toujours à lui tenir le bras, les yeux dans le vide, alors qu’il percutait enfin le pourquoi du comment. Ses doigts s’enfoncent dans la peau de la jeune femme. « Et la petite ? Elle est où maintenant ? » Il ne continue pas sa phrase, prenant brusquement conscience qu’Hécate ne pouvait pas la comprendre, tirée ainsi hors du contexte de ses pensées. Il secoua la tête. La lâche, lorsqu’il se rend compte qu’il la tient, avant de s’écarter légèrement : « Est-ce que tu pourrais… me passer ma baguette s’il te plait ? » Il tend sa main en avant prêt à recevoir son arme. Elle devait bien être quelque part non ?

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Hécate n'avait jamais vu les effets d'un usage abusif de pensine. Les siens vivaient avec leur souvenirs, pas parce qu'ils ne pouvaient pas les enlever, mais parce que le faire était extrêmement mal vu. Il fallait assumer, tout retenir, quitte à en perdre la raison.
C'était une loi comme une autre, mais une loi spécifique, aussi fut-elle surprise et inquiète -pour ne pas dire anxieuse- quand il se mit à lui poser des questions.
Trop de questions, trop d'un coup, sans véritable logique ni cohérence. On aurait dit une personne émergeant d'une biture trop prononcée, ou...un dément. Une personne affligée d'un trouble mémoriel, incapable de se souvenir de son adresse.

Consciente que ce n'était pas de la démence, mais la marque d'un remède qui faisait désormais plus de mal que ce qu'il était sensé apaiser, elle le prit par le bras et le fit asseoir dans le canapé du salon, sans commenter l'état dans lequel il l'avait mis, au fur et à mesure de ses explosions de magie involontaire. Puis, elle prit le visage de Rabastan dans ses mains, adoptant l'air sérieux qu'il connaissait bien, et qui signifiait:

"Je parles. Ecoutes moi maintenant, je ne plaisante pas"

Et, comme elle s'y attendait, il écouta. Il ne dit rien, même si ses yeux avaient un éclat perturbé, celui d'une personne qui sait très bien qu'elle n'aimera pas ce qu'elle va entendre. Mais Hécate n'avait pas le choix. Plus ils attendraient et plus l’atterrissage serait difficile, surtout au vu de ce qui s'était produit.

-Tu as perdu ta baguette.


Elle vit les yeux de Rabastan s'écarquiller soudainement et la panique poindre presque immédiatement, mais elle raffermit sa prise sur son visage.

-Tu es en sécurité.Je suis là. Personne ne sait que tu n'as plus d'arme. On va arranger ça aussi vite que possible, mais pour le moment tu es en sécurité, chez toi, alors respire. Inspire...expire...restes calme.Et écoutes moi.

Elle attendit que la panique devienne une émotion en sourdine derrière les iris claires qu'elle fixait, puis repris:

-Tu as été victime d'un attentat, à Sainte-Mangouste. Un groupe insurgé a fait sauter le bâtiment lors de l'inauguration de la nouvelle aile de magie expérimentale. Tu es resté bloqué sous les décombres, longtemps. Tu étais avec une petite fille.

Hécate hésita une brève seconde, puis acheva.

-Elle n'a pas survécu. Mais tu es resté avec elle tout le temps qu'il a fallu, ça je le sais, j'en ai la preuve, tu l'as aidée jusqu'à la dernière seconde de sa vie.

La jeune femme ôta une de ses mains du visage de Rabastan et alla chercher dans la poche de sa veste, avant d'en sortir un petit bracelet argenté orné d'une étoile. Elle l'avait gardé, comme un hommage, mais c'était à Rabastan qu'il revenait. Il saurait quoi en faire, Hécate savait qu'il trouverait comment mettre ce bijoux à profit. Il retrouverait peut être sa mère, son père, sa famille, il saurait quoi faire. Si tant est qu'il arrive à comprendre que la mort de cette enfant n'était pas de son fait, et qu'il n'aurait pas pu faire plus que de lui tenir la main...même si de toute évidence et vu ce que contenait la fiole bleue près de l'étagère, il avait essayé.

-On a du ôter un de tes souvenirs en urgence...je crois...mais je n'en suis pas sure, que...tu étais dans sa tête. Dans son esprit. Quand elle est décédée. Et je crois que ce que tu as vu n'aurait jamais du entrer dans ton esprit. J'ai scellé ce souvenir, définitivement. Il n'avait pas sa place dans une pensine.


Il n'avait sa place nulle part. La mort ne devait pas toucher les vivants quand leur temps n'était pas venu, elle ne devait pas dispenser son ombre et les mystères qu'elle recellait dans l'esprit d'un être que la vie menait toujours, même faiblement. Rabastan avait vu quelque chose de trop profond, de trop abyssal pour son esprit, et Hécate se doutait que la douleur ressenti par l'enfant au moment de sa mort, l'indicible peur de mourir sans ses parents, enfouie sous un bloc de pierre, avait grandement influencé ce que le mangemort avait vu.

Il avait l'air hagard, perdu...dévasté. Et Hécate prit une nouvelle fois conscience du gouffre qui séparait le "directeur de la justice magique" de l'homme qui était derrière le titre et le masque, derrière la marque. Il avait voulu aider, et c'était comme si la vie lui avait répondu par une immense claque au visage, un crachat et un "tu n'est pas de ceux qui aident". Mais il avait essayé, il avait vraiment essayé. Hécate le savait, elle l'avait vu quand ils l'avaient secourus, à la façon dont Rabastan s'était accroché à la main de la petite, à la manière dont ses yeux avaient cherché à voir si elle aussi, était sortie des décombres. Hécate sentit un poids immense sur son coeur.
Il avait fait beaucoup de mal.
Enormément de mal.
Mais ce n'était pas sa faute, cette fois ci. Et pourtant, il allait probablement se blâmer jusqu'à la fin de ses jours, parce que Rabastan attribuait souvent ses réussites à la chance, mais ne manquait jamais de s'attribuer l'entière et totale responsabilités de tout ses échecs. Que cette responsabilité soit réelle ou non.

Parfois Hécate ne comprenait pas pourquoi elle en était venue à l'aimer autant. Elle aurait du le mépriser, lui et son obéissance aveugle, son jusqu'au boutisme meurtrier et sa fragilité. Il était tout ce qu'on lui avait appris à détester. Pleurer, se rouler en boule, demander de l'aide était une chose que les faibles faisaient. Mais ils étaient les mêmes. Ils avaient les mêmes putains de défauts, et les mêmes putains de contradictions. Et elle le comprenait. Elle savait ce que c'était d'avoir tué, et tué et tué, mais de se flageller encore et encore pour une seule mort, qu'on aurait à tout prix voulu éviter parce que celle là, celle là on avait le pouvoir et le droit de l'empêcher, c'était une  vie qu'on avait le droit de sauver sans prendre un retour de manivelle, c'était une bonne action permise et dans nos cordes.

Mais c'était toujours ces vies là qui se désagrégeaient pendant que le diable vous riait au nez, c'était toujours ces fantômes là qui venaient vous hanter en vous disant que même ça, vous n'aviez pas été capable de le faire.

Alors oui, elle le comprenait. Et elle ressentit une telle bouffée d'empathie pour lui que doucement, elle s'avança et le pris dans ses bras.

-Je suis désolée, Rabastan. Je sais que je ne peux pas t'aider autant que je le voudrais. Je le sais. Mais je suis désolée que tu ais traversé ça. Et je peux rester, si tu le veux. Je peux t'assister, si tu en as envie. Juste...ne te ferme pas. Tout le monde se ferme. Tout le temps. Ca n'aide pas. Et ça me fait peur. Laisse moi être un peu avec toi. Tu n'est pas tout seul.


Elle espérait qu'il l'entende et qu'il ne soit pas de retour dans son monde. Elle espérait aussi qu'il l'écouterait vraiment. Toutes les personnes de sa vie à part Virgile avaient pour tare commune de ne jamais mettre de mots sur leurs maux. Elle la première. En découlaient des blessures infectées et silencieuses, des nuits entières de ruminations, des regards noirs échangés par dessus les tables et finalement des explosions dévastatrices de violence, comme ce qui s'était produit lors de sa dispute avec Murdock. Elle aurait voulu qu'on lui dise les choses pour une fois. Et que le problème ne se règle pas à coups de tessons de bouteille et de couteaux rouillés.

-Je suis là, murmura-t-elle.

Il sentait bon, c'était une constante. Et il était tiède, solide, du moins en apparence. Elle aurait juste voulu que cette facade soit plus en adéquation avec ce qui se produisait à l'intérieur, car il n'y avait rien de plus triste qu'une personne brisée dont on ignorait les plaies parce que le masque était lisse et sans trace.

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Secouer la tête, respirer et se concentrer : ça allait revenir. Les images devenaient plus nettes, il se rappelait de ce qu’il devait faire. C’était pas la première fois qu’il faisait mumuse avec la Pensine ; les souvenirs n’étaient pas tout à fait retiré, évidemment, ils étaient juste mis en sourdine. Plus loin, loin sous la première souche de la mémoire. Ils ne risquaient plus de resurgir sans prévenir. C’était ce genre de moments que l’on stockait dans cette bassine magique, les moments de honte qui peuvent nous reprendre sans prévenir, les moments de tristesse… Après les avoir retiré il fallait faire un effort pour se les remémorer. Et qui voudrait faire un effort pour ça ? Inspire, fixe un point. Il fallait simplement qu’il se concentre un peu et tout se remettrait en place. Alors qu’il creuse, qu’il trie et qu’il déroule un long train d’informations dans son esprit il laisse Hécate l’emmener jusqu’au salon. C’est à peine s’il prend garde au bazar qui les entoure. Il ne voyait que le visage d’Hécate, et sentait ses mains sur ses joues. « Tu as perdu ta baguette. » Dans un sursaut il tente de se dégager de son emprise mais en elle tient bon. Ça voulait dire quoi ça ? Est-ce qu’il pouvait perdre sa baguette ? Lui ? Elle ne le quittait jamais, la perdre relevait de l’inenvisageable. Et où avait-il pu la… Il ferme les yeux un moments. « Tu es en sécurité. Je suis là. Personne ne sait que tu n’as plus d’arme. » Plus d’arme… c’était presque l’équivalent d’une condamnation à mort. Où l’avait-il perdu ? Comment avait-il fait pour revenir jusqu’à sa maison sans difficulté ? Comment se faisait-il qu’il n’avait pas été tout simplement abbatu sur le trottoir ? Sans baguette… Et elle lui disait qu’il était en sécurité ? Est-ce que seulement le sort de protection autour de sa maison pouvait encore marcher s’il n’avait plus de baguette ? Où était-elle bordel ? « On va arranger ça aussi vite que possible. » Arranger ça ? Il allait devoir sortir. Il allait fatalement devoir sortir. Sans protection. Il en aurait vomi. Autant se dessiner une cible sur la tête, ce serait plus simple.
Autant se jeter par la fenêtre, ça évitera du travail à tout le monde.

« Mais pour le moment tu es en sécurité chez toi. Alors respire. Inspire, expire… reste calme et écoute moi. » Il s’applique à réguler sa respiration. Hoche la tête, l’écoute. De toute manière il ne voyait pas ce qu’il pouvait faire d’autre. Presqu’instinctivement sa main cherchait à agripper quelque chose, une arme quelconque. Comment avait-il pu la perdre ?
Attends… elle s’était… cassé non ? Ça lui revenait, le puzzle se reformait doucement. La sensation d’une semi arme dans les doigts. Il se revoyait coincé, c’était ça ce qu’il avait voulu cacher ? Ce qu’il avait voulu enfouir ? Ça paraissait légitime. Mais c’était plus étrange que juste une petite manipulation mentale de cet acabit ait pu entraîner un tel charivari mémoriel. « Tu as été victime d’un attentat à St Mangouste. » Il cligne des yeux, alors que les images reviennent, affaiblies comme de juste. « Oui… » il souffle « Oui je m’en souviens. » Il était resté bloqué et c’était là que sa baguette s’était brisée. Et c’était là qu’il y avait eu la fille. Kiara ? Il secoue la tête encore une fois, grimace. Elle était où ?
Hécate ne le laisse pas attendre trop longtemps : « Elle n’a pas survécu mais tu es restée avec elle tout le temps qu’il a fallu, ça je le sais, j’en ai la preuve, tu l’as aidé jusqu’à la dernière seconde de sa vie. » Il un vague ricanement, très bref, comme s’il ne croyait qu’à moitié à ce qu’elle lui disait. Elle le lâche à demi, et vient retirer un objet de sa poche qu’elle lui tend. Il prend le petit bracelet entre ses mains. Carla ? Oh et puis après tout ? Pourquoi est-ce qu’il s’y intéressait ? Ce n’était qu’une gamine.
N’est-ce pas ?

« On a du ôter un de tes souvenirs en urgence...je crois...mais je n'en suis pas sure, que...tu étais dans sa tête. Dans son esprit. Quand elle est décédée. Et je crois que ce que tu as vu n'aurait jamais du entrer dans ton esprit. J'ai scellé ce souvenir, définitivement. Il n'avait pas sa place dans une pensine. » Il se dégage complètement de son emprise, regarde sur le coté. Clarissa ? Cla- Il veut hausser les épaules mais n’y arrive pas. Oui, il la réentend sa voix. La petite voix aiguë. Il l’avait entendu son cri. Il l’entendait encore mais tellement tellement moins fort. C’était ça qu’il avait viré alors. Il avait viré Cl… Et elle était morte. Il a envie de sourire pour se donner un air. Il s’en moque de cette petite. Elle n’est strictement rien pour lui. Juste une gamine coincée en même temps que lui. Ça aurait pu être un homme, une femme… quelqu’un qui aurait passé ses derniers moments à lui cracher ses quatre vérités au visage, mais ça avait été une gamine qui ne le connaissait pas, qui avait juste crevé sans raison. A moins que sa présence à coté d’elle ait été pour le putain de destin une raison suffisante.  Hécate se rapproche de lui et il la laisse le prendre dans ses bras, sans réagir. Il n’a pas vraiment le courage de bouger, de reculer ou de répondre à son étreinte. « Je suis désolée, Rabastan. Je sais que je ne peux pas t'aider autant que je le voudrais. Je le sais. Mais je suis désolée que tu ais traversé ça. Et je peux rester, si tu le veux. Je peux t'assister, si tu en as envie. Juste...ne te ferme pas. Tout le monde se ferme. Tout le temps. Ca n'aide pas. Et ça me fait peur. Laisse moi être un peu avec toi. Tu n'est pas tout seul. » Il la regarde, il sait que ses yeux ont repris l’air neutre qu’il affecte d’ordinaire. « Je suis là. » Il inspire : « Je sais. » Oui elle était là, il la sentait contre elle. C’était lui qui l’avait appelé.

Tout se recollait. Et tout lui revenait. Son air perdu se métamorphose, se durcit pour reprendre l’habituelle façade. Faute de baguette il fait tourner le bracelet de la petite entre ses doigts, un tic qu’il a depuis semble-t-il le jour où il a pu s’acheter sa première baguette chez Ollivander. « Merci d’être venue. Je pense que j’avais… besoin de quelqu’un. » Il regarde les fenêtres. « C’était la panique, mais ça va mieux maintenant. » Il respire lentement. Puis il pose le bracelet sur le coin de la table basse. Il tente de ne plus le regarder. « Tu sais, la gosse… ça va hein. Elle pleurnichait, j’ai du déconner. J’aurais pas du. Ça m’apprendra tiens. » C’est sûr que ça lui apprendra. Ça lui apprendra à tenter de faire pencher la balance de l’autre coté. Il était apparemment mieux à sa place habituelle. « Je recommencerai pas, t’inquiète. Je me fais jamais avoir deux fois. » Il force quelque chose qui pourrait ressembler à un sourire à venir sur ses lèvres : « Merci d’être passé. Je… vais beaucoup mieux maintenant. » Maintenant que la panique était passé et que l’apathie était revenue. C’était tellement plus simple. Il aimait presque ce sentiment froid et monotone. Puis par conscience professionnelle : « Je me ferme pas hein. Je jure, ça va beaucoup mieux. » Il passe sa main sur sa joue, comme pour lui montrer qu’il n’était pas juste une coquille vide. « Je ne veux pas que tu aies peur hein. Je vais bien. »


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Elle resta un moment immobile, à le fixer, ou plutôt à l'observer comme une sorte de rapace à l'affut. En une seconde, ou peut être moins, le langage corporel avait changé, tout comme le ton, l'attitude, la mentalité. Tout.
En une seconde, ou peut être moins, il s'était transformé en statue de granit. Insensible.

Et le voilà qui déclinait les raisons pour lesquelles il n'en avait "rien à foutre", d'un ton monocorde à faire peur. Apathique. Il était totalement apathique.

Et loin de prendre cette attitude pour l'expression de ce qu'il ressentait vraiment, ou de ce qu'il aurait du ressentir, sans l'action de la magie, Hécate se posa des questions. Et ces dernières ne lui mirent pas de baume au coeur:

Depuis combien de temps faisait-il cela?
Depuis combien d'années se faisait il métaphoriquement des trous dans la tête?
Combien de fois s'était il auto mutilé mentalement pour avoir la force de continuer?
Combien de moments de bonté, d'humanité ou de faiblesse dormaient dans la pensine parce qu'ils n'étaient pas en accord avec ce qui était exigé de lui, ou parce qu'il n'arrivait pas à surmonter son chagrin, et qu'on ne lui en laissait pas le droit?

C'est cela qui blessa Hécate, plus que les mots insensibles de Rabastan, qu'il devait penser à ce moment précis, mais qui n'étaient qu'une expression du persona qu'il incarnait. Il les pensait, oui. Parce ce qu'avec les souvenirs brûlés au napalm qu'il venait d'extraire, il n'y avait plus gère d'autre alternative que la neutralité désintéressée voire la froideur.

Hécate ne le jugea pas. Elle ne jugerait jamais une personne pour les méthodes qu'elle employait pour se garder en vie. Mais le voir ainsi lui fit mal, parce qu'encore et toujours, elle prit comme une gifle en plein visage l'ampleur du gouffre qui se trouvait à l'intérieur de cet homme. Les gens le pensaient vide. Vide! Mais dans quelle langue fallait il le leur dire, que ce vide là, ce trou béant, c'était un séisme qui l'avait créé! et qu'il y avait encore toutes les pièces du puzzle, là au fond du puis, éclatées sur le sol! qu'elles existaient, Putain de Merlin! elle étaient cachées, et enfouies, et masquées pour ne plus jamais être susceptibles de subir la politique de la terre brûlées! mais elles existaient! Il existait!

Un mangemort c'était un masque! juste un putain de masque!
Et lui...Rabastan...c'était un homme.
C'était un homme...

Hécate se leva, peu sure de la marche à suivre. S'il avait décidé que tout allait bien, tout irait "bien" que les autres soient d'accord ou non et il crèverait la bouche ouverte avant d'accepter le fait que ce qu'il avait fait n'était pas une manière saine d'archiver ses traumatismes, et encore moins de les affronter.

Elle le laissa passer une main sur sa joue et répondit:

-Je n'ai pas peur.

Non, elle n'avait pas peur. Mais ça ne l'empêcherait pas de rester jusqu'à ce que tout ça se dissipe. Que son cerveau revienne vraiment à la bonne place, parce que ça là, devant ses yeux, ce n'était pas la bonne place. Pour lui peut-être. Mais pas pour elle. On lui avait souvent dit de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, mais l'instinct fut toutefois plus fort, et avant de tourner définitivement la page de cet épisode, elle lâcha amèrement:

-La "gosse", "pleurnichait" parce qu'elle avait peur.

Puis, elle se détourna et prit sa baguette. Mon dieu quel foutoir. L'armoire écroulée. Les murs fissurés, les miroirs brisés. Elle se concentra sur ses sorts de réparation et tenta de mettre un peu d'ordre dans le chaos qui avait pris possession du salon. Un meuble à la fois. Un élément à la fois.

Hécate avait l'impression d'avoir participé à un délit en l'aidant à devenir cette version apathique de lui même. Elle ne le jugeait pas, mais elle se jugeait elle même, de n'avoir pas su trouver une solution alternative à cette technique. Bordel de merde. Si elle avait su...

-Est ce que tu veux que je reste? demanda-t-elle d'un ton neutre lorsque le dernier miroir se fut reconstitué dans un joli chuintement de verre.

Il allait sans le moindre doute refuser, mais elle n'avait pas vraiment le coeur à le laisser là. L'humeur c'était un yoyo. Et dans son cas elle craignait que le yoyo ne se transforme en montagnes russes.

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