Meera était vraiment dans la merde. Elle n'était plus bien sûr des possibilités qui s'offraient à elle. La guerre était terminée. Elle faisait partie des vaincus. Quelque part, elle ne s'était jamais sentie grande vainqueur ces dernières années : après avoir été déshérité, et jetée en exil, elle avait perdu la femme qu'elle aimait et avait compromis bon nombre de ses principes. Tout ça dans le seul but de pouvoir retourner chez elle, à Katmandou. Elle ne regrettait aucune de ses décisions. Elle ne se blâmait pas pour son homosexualité, ni pour avoir pris la marque, ni pour avoir battu, torturé, tué. Elle n'avait pas aimé ça, mais elle l'avait fait avec un objectif en tête. Cette raison la dirigeait depuis ses dix-huit ans. C'est idiot, pourrait-on penser : pourquoi être prête à tout pour être acceptée au sein d'une famille qui l'a si facilement exclue ?

Meera s'était posée la question également. Auprès d'Amelia, elle avait essayé d'imaginer prendre une direction différente. Pourtant quelque chose en elle était brisé, depuis son départ du Népal. Une partie de sa magie lui était inaccessible. Elle n'était plus membre de la tribu de la Terre. Si depuis l'an dernier, elle essayait de débloquer à nouveau cette sorcellerie élémentaire, c'était compliqué et surtout, douloureux. Utiliser ce don lui laissait de sévères séquelles physiques, qu'elle n'avait pas auparavant. Quelque chose s'était brisé, oui. Meera savait qu'elle ne pourrait vivre pleinement tant qu'elle n'aurait pas reconstruit ce lien. Voilà pourquoi elle était prête à tout, même rejoindre les mangemorts, si cela pouvait aider son objectif.

Cependant, les mangemorts sont vaincus maintenant, la majorité ont été capturés et attendent leur procès. Certains, comme elle, sont en fuite. Prisonnière, disgraciée, il lui sera encore plus dur de retrouver le respect et l'amour des siens. Elle refuse d'être prise au piège ainsi. Elle a encore du chemin à faire avant d'atteindre son but. Elle ne sera stoppée par personne. Si elle réussit à rester libre ; c'est dans cette optique qu'elle est entrée par effraction dans l'appartement de son ancienne petite amie, Amelia. Cette dernière l'a abandonnée un jour, et n'a plus donné aucune nouvelle. Meera l'a relativement mal pris. Elle ne serait pas assise sur le canapé de son ex-compagne, à l'attendre dans le noir, si la situation ne l'exigeait pas.

Amelia pouvait la cacher. Elle lui devait bien ça. Leur relation avait peut-être commencé à fatiguer, avant que la jeune femme ne s'en aille, mais Meera aurait aimé être tenue au courant. Elle aurait aimé pouvoir mettre un point final à leur histoire d'amour ; et rester amies. C'est ce qu'elles étaient avant tout. Elles avaient fait leurs premières armes ensemble, elle se connaissait depuis un bon bout de temps. Comment pouvait-on tout balayer de la sorte ? La mangemorte avait plein de questions en tête, et une colère contenue depuis longtemps, mêlée à un lourd chagrin. Elle n'allait pas s'enquérir des raisons et réponses d'Amelia pourtant. Elle n'était pas là pour en savoir plus sur leur histoire, elle avait juste besoin d'un toit, pour quelques jours. Le temps de trouver un plan sur le long-terme, une façon de retourner la situation à son avantage.

Meera entendit des bruits de pas dans le couloir. Le tintement d'un trousseau de clés qu'on sort de sa poche. Le son typique d'un loquet qui se déverrouille et le craquement froid de la porte qu'on ouvre. Amelia se tenait derrière. La lumière du corridor éclairait faiblement la pièce. Pas sûr qu'elle ait vu Meera, encore. Celle-ci contemple Amelia des pieds à la tête. Elle a changé. Elle paraît plus vieille. C'est l'effet que peut avoir la guerre sur vous. Elle est toujours belle, elle semble toujours féroce et tendre, ou bien ce n'est que la vision de Meera à travers le filtre de ses souvenirs. L'ex-auror entre dans son salon, allume la lumière. Après avoir refermé la porte, elle se retourne et croise le regard de Meera, debout dans le salon. Elles se font face.

Il y a une tension soudaine qui émerge. Meera cherche à la désamorcer. ❝ I don't have my wand. ❞ dit-elle calmement en levant les mains à hauteur d'épaules. Le tissu qui lui couvre les bras descend au coude. Sa marque est bien visible. Pourquoi la cacher maintenant ? Amelia devait savoir. Meera ne comptait pas lui mentir sur la raison de sa visite, de toute manière. Elle avait besoin de son aide, alors elle avait aussi besoin de sa confiance. L'un n'allait pas sans l'autre. ❝ I'm glad you're okay. ❞ fait-elle. En fuite depuis la fin de la bataille de Pré-au-Lard, Meera n'avait pas pu s'assurer qu'Amelia était sortie du conflit en pleine forme. S'introduire chez elle était un vrai coup de poker. ❝ I need your help, Amelia. ❞ La revoir pourrait être difficile, mais Meera a vécu pire. Tous les sorciers ont vécu pire maintenant. Head over the heart.

Amelia est épuisée.
Pendant la guerre, elle a rêvé plus d’une fois à l’après, mais clairement, il ne ressemblait en rien à ce qu’elle vit actuellement. Elle a vraiment pensé que ce sentiment de fatigue constante, ce sentiment qu’on ne laisse jamais son corps tranquille, disparaîtrait quand tout serait fini. Qu’elle pourrait refaire ces bonnes nuits d’avant la guerre, qu’elle pourrait passer des journées assise dans le canapé, plus détendue que jamais.
Elle a presque envie de rire en repensant à quel point elle a été naïve. On ne se sort pas aussi facilement d’un combat de plus de trois ans. On ne se remet pas comme ça de la perte de personnes qui comptaient, des horreurs qu’on a perpétré, même si on est sûr qu’elles étaient justifiées. Toutes les images hantent, le jour, la nuit, ne laissent pas une minute de répit. Amelia n’est pas tellement surprise d’avoir appris l’internement à Sainte-Mangouste d’un certain nombre de ses camarades résistants, qui n’arrivent pas à tourner la page, à reprendre une vie normale. Elle a la chance d’avoir été habituée aux souvenirs difficiles à porter, avec son métier, et c’est peut-être la raison pour laquelle elle s’en sort aussi bien - si on peut dire les choses ainsi.
Mais le gros problème, au fond, ce n’est pas tellement toutes les choses qui la hantent, tous ces souvenirs de la guerre. Elle serait capable d’avancer, elle le sait, s’il n’y avait que ça. Le gros problème, elle le porte en elle tous les jours, il l’accompagne quand elle se lève, quand elle travaille, quand elle mange, quand elle se couche, et parfois même au creux de la nuit. Le gros problème, c’est qu’elle est constamment reliée à Édouard et qu’il souffre deux fois plus qu’elle. Ils n’ont même pas eu le temps de comprendre comment fonctionnait vraiment le triumvirat. Ils ont eu quoi ? Deux, trois semaines, pour s’apprivoiser de nouveau ? Comment sont-ils censés gérer ça maintenant ? Amelia a sans cesse cette impression qu’un grappin la tire en arrière, pèse sur sa poitrine. Et elle ne peut strictement RIEN faire.
Ça la rend malade, et incompétente, aussi. Plusieurs fois, ces dernières semaines, elle a été ralentie, ou déconcentrée par quelque chose qu’Édouard ressentait, à milles lieues d’elle. Elle voit bien que ça commence à agacer ses collègues, surtout ceux qui ne la connaissent pas bien, ou ceux qui ont été nommés aurors après la guerre. Elle fait de son mieux pour faire la part des choses, pourtant. Mais essayer de pousser dans un coin tout ce qu’Édouard partage sans le vouloir, c’est beaucoup moins simple qu’elle le voudrait.

Amelia est épuisée.
Ses pieds la portent un peu sans qu’elle y réfléchisse jusqu’à la porte de son appartement, et son cerveau se met en pilote automatique pour trouver la bonne clé. Elle entre, un peu ailleurs, laisse tomber son sac, allume la lumière, et referme la porte derrière elle, dans une routine bien huilée. Mais quand elle relève les yeux, elle se réveille d’un coup.
Meera. Meera est là, au beau milieu de son salon.
Amelia se raidit tout de suite, et naturellement, son bras se rapproche de sa baguette. « I don't have my wand. » se défend la jeune femme, mais l’auror ne se détend pas pour autant. Elle n’a pas la moindre idée de ce que Meera fait là, mais ça ne peut pas être bon. « I'm glad you're okay. » Amelia serre un peu les dents. Bien sûr, une part d’elle est heureuse de voir que Meera est en vie. Leur relation n’a jamais été feinte, Amelia a toujours eu beaucoup d’affection pour elle, envers et contre tout. Et même encore aujourd’hui, après tout ce qui s’est passé, après tout ce par quoi elles sont passées, la blonde sait que son attachement pour Meera n’est pas complètement effacé. « I need your help, Amelia. » L’auror fronce légèrement les sourcils. « You... » Elle ferme les yeux deux petites secondes et se passe une main sur le visage. Elle ne sait même pas ce que Meera a fait, depuis qu’elle l’a quittée, en janvier 2001. Tout ce qu’elle sait, c’est que quand elle l’a laissée, elle portait la marque - qu’elle porte toujours - et qu’elle se rangeait clairement du côté du Magister. Oh, et qu’actuellement, elle est recherchée, aussi. Soudain, elle pense à Seth. Il est de garde ce soir, il ne devrait pas rentrer avant un moment… Et il vaut mieux. Il va falloir qu’elle gère la situation vite, et bien.
Elle devrait peut-être s’enquérir de l’état de la jeune femme, lui proposer un verre d’eau, quelque chose à manger. Mais pour l’instant, il faut surtout qu’elle tâte le terrain, qu’elle s’assure que Meera n’a pas de mauvaises intentions en venant à sa rencontre, Qu’elle s’assure, aussi, que la Meera avec qui elle a construit quelques chose, des années auparavant, est toujours là. Qu’elle n’a pas disparu, remplacée par un monstre à cause de la guerre. Amelia en doute - malgré son choix de camp, Meera n’est pas une mauvaise personne, au fond. Elle avait ses raisons, même si la blonde ne les apprécie pas vraiment. « I can lose my job if they find you here! » fait-elle finalement, avant de se ruer vers les fenêtres pour tirer les rideaux. Si elle était raisonnable, et objective, elle aurait sûrement déjà fait sortir Meera de son appartement. Mais Amelia n’a jamais été raisonnable, surtout quand il s’agit des personnes qui comptent ou qui ont compté dans sa vie. « What do you want, exactly ? » demande-t-elle en se tournant vers son ancienne petite amie. Elle est un peu sèche, sûrement parce qu’elle est un peu inquiète de savoir où tout ça va aller, et surtout parce qu’elle est crevée. Elle s’attend à tout et n’importe quoi.

Meera se répète que la fin justifie les moyens. Ce n'est pas grave, de revoir Amelia, de lui imposer l'impossible. Il en va de sa survie, alors elle ne doit pas penser aux effets de ses actes sur les autres. Elle doit penser à elle, à son objectif, elle doit penser à son Népal qui lui manque, à ses parents et Shanti et tout ce pour quoi elle se bat depuis plus de dix ans maintenant. Elle devrait rester de glace face à la fatigue d'Amelia, à son petit haussement de sourcils qui ne lui échappe pas, à sa voix lasse et aux cicatrices de guerre qu'elle peut lire dans son ton, dans sa posture. Elle la connaissait si bien. Maintenant, Amelia a l'air d'une autre femme. Ce n'est pas le genre de détail sur lequel Meera devrait s'attarder, alors elle garde le visage qu'elle s'est composée, amical mais distant. Elle retient l'envie de serrer Amelia contre elle et lui dire que tout irait bien : cette époque-là était révolue.

❝ You... ❞ Si elle avait voulu l'attaquer, Amelia l'aurait déjà fait. C'est un premier point rassurant. Mais Meera sait qu'elle tire une corde bien fragile. Son ancienne petite amie pourrait très bien la mettre à la porte. Elle ne lui en voudrait pas de le faire. Son cœur se serra un instant tandis qu'elle appréhendait la réaction de la blonde. ❝ I can lose my job if they find you here! ❞ s'exclame-t-elle soudain. Elle se précipite aux fenêtres, ferme les rideaux. Est-ce qu'on la surveille ? Le Ministère n'a pas changé. Peu importe qui est aux commandes, il ne s'agira jamais vraiment d'une démocratie au sein du gouvernement magique britannique. Big Brother plane toujours au-dessus de leurs têtes.

Amelia se tourne vers Meera. ❝ What do you want exactly? ❞ Elle n'a pas de patience dans la voix. C'est normal. La mangemorte ne tournera pas autour du pot, alors. ❝ Can I stay here? Just for one week, maybe two. ❞ Elle préfère tourner le regard. Elle imagine déjà la réaction outragée d'Amelia, elle n'a pas envie d'y faire face. ❝ I hate to put you in this position but I can't be caught. I just need a bit of time to figure things out. ❞ Cette fois elle redresse la tête, et regarde Amelia droit dans les yeux. Ce qu'elles ont partagé, des années plus tôt... Est-ce que ça l'autorisait à demander une si grande faveur à son ancienne petite amie ? Elle abusait de leur relation passée, elle abusait de sa fragilité peut-être. Le fait est que Meera n'avait personne d'autre vers qui se tourner. ❝ You know me. You know I'm not a bad person. ❞

Ce n'est pas grave, de revoir Amelia. Ce n'est pas grave, de lui imposer l'impossible. Meera a envie de la serrer dans ses bras. Elle n'est pas là pour ça. Les sentiments ne l'aideront pas à sortir de ce merdier. C'est de plus en plus dur de garder ce visage composé, cette distance pourtant de mise. Elle aimerait bien pleurer. Elle ne pleure pas souvent, mais ils ont perdu la guerre, des amis à elle sont morts, et son objectif de rentrer au pays s'est éloigné à toute vitesse, alors qu'il semblait à portée de main. Meera renifle, c'est tout ce qu'elle peut faire pour contrer ce flot d'émotions qui vient s'entasser dans sa gorge. Elle a la voix un peu cassée, mais elle ne pleure pas. ❝ You're all I've got Amelia. I- I don't know what to do. ❞

« Can I stay here? Just for one week, maybe two. » Amelia ouvre grand les yeux, incrédule. Meera s’est dérobée sous ses yeux glacés, elle n’a pas l’air très fière de ce qu’elle vient de demander. Et elle a raison, parce que c’est complètement absurde, une demande pareille. Complètement absurde. C’est horrible, parce que même si sa raison lui crie qu’elle doit répondre un non ferme et définitif, le coeur d’Amelia ne s’y résout pas. Elle sait qu’elle a ses torts. Meera a des comptes à rendre, mais la réciproque est vraie aussi. Ames est partie sans rien dire, laissant tout derrière elle du jour au lendemain. Elle assume ses raisons, elle les assumera toujours, et ne peut pas dire qu’elle les regrette. Mais elle voit assez clair derrière sa colère pour savoir que Meera a du souffrir de sa défection soudaine. Ce n’est pas comme s’il n’y avait rien eu de sérieux entre elles. Bien au contraire.
« I hate to put you in this position but I can't be caught. I just need a bit of time to figure things out.  » Amelia se plonge de nouveau le visage dans les mains avant de rencontrer de nouveau le regard de son ancienne petite amie. « You know me. You know I'm not a bad person. » La blonde inspire et souffle. Ça n’a rien à voir, qu’elle soit une bonne personne ou pas. Elle est fugitive, et Amelia est déjà assez dans la merde. Le titre d’héroïne de guerre lui a été donné à contre-coeur, son boulot d’auror ne paie pas aussi bien qu’on pourrait le croire, et les gens lui tournent le dos parce qu’elle est magiquement liée à un loup-garou. Elle sait qu’on la surveille, sans trop savoir pourquoi. Elle ne peut pas ajouter Meera en haut de cette pile qui lui rend la vie déjà assez difficile.
« You're all I've got Amelia. I- I don't know what to do. » La voix de la jeune femme se brise un peu, et quand bien même elle aimerait rester stoïque, intraitable, Amelia n’arrive pas à rester de marbre. Derrière le canapé, elle se met à faire les cent pas, avec un mal de tête qui pointe le bout de son nez maintenant que le choc se dissipe. Elle laisse un silence s’étirer pendant qu’elle essaie de se remettre les idées en place. Elle ne peut pas sérieusement héberger Meera chez elle, tout de même ? Ce serait de la folie ! Et qu’est-ce qu’elle dirait à Seth, hein ? C’est trop dangereux, beaucoup trop dangereux. Et puis, c’est une mangemorte, bordel de merde. Elle porte la marque !
Elle se masse les yeux et finit par capituler. « You can stay tonight. » déclare-t-elle, même si elle sait que c’est déjà une mauvaise idée. « I can’t promise you you can stay longer. » Elle file dans la cuisine et en sort deux bières, parce qu’elle a clairement besoin d’une, et revient, en en tendant une à Meera. « Let me think about it. I’m not the only one concerned. » Elle fait un signe de la main vers les affaires de Seth sur le porte manteau, et ses chaussures devant la porte.
Elle sait qu’elle ne réagit pas vraiment comme elle devrait réagir. Mais elle est tellement fatiguée qu’elle n’agit certainement pas de manière raisonnée. Meera doit le voir. Amelia se laisse tomber sur le canapé. « How did you end up here? Why are you even still in London? In case you didn’t know, there are patrols EVERYWHERE. » fait la blonde, un poil excédée. « I can’t believe you’re here! You really shouldn’t be here Meera. » Elle sait qu’elle le sait. Mais le souligner et le surligner n’est pas inutile. Meera est toujours debout, alors Amelia soupire, la tire par la manche et la force à s'asseoir sur le canapé. « I'm so gonna regret this.. »