La bataille de Poudlard, seconde du nom, avait lieu en ce moment, et Samaël était coincé à Storm's End. Bien sûr, il n'avait pas pratiqué la magie depuis un bon moment, et il sortait tout juste d'une cavalcade de sept ans dans la campagne anglaise. Il n'était probablement pas le meilleur allié pour la résistance ; mais s'il était coincé dans le cottage, c'était surtout parce qu'on ne lui faisait pas confiance. Après tout, Rohan ne l'avait ramené ici que depuis six jours, et s'il avait accepté le Serment Inviolable, il n'en demeurait pas moins suspect. Sortir en pleine soirée, Rohan aux fesses, pour s'enfoncer dans les bois en déblatérant quelque chose sur une vision et un loup n'avait sûrement pas aidé non plus. Il avait trouvé Alix – un autre loup-garou, de ce que Sam avait compris. Il n'était pas très sûr de pourquoi ses rêves l'avaient mené à cet Alix, ni très bien en quoi cela avait un rôle à jouer avec le résultat de la bataille finale, mais il savait que ça ne l'aidait pas à gagner la confiance des habitants de Storm's End. Voilà pourquoi il se retrouvait coincé dans le cottage en compagnie d'Alix le loup.

Des sorts avaient été lancés : les deux jeunes hommes ne pouvaient rien fouiller, rien détruire, rien voler dans la demeure, sous peine de recevoir de sales enchantements, de plein fouet dans la poire. Ils étaient donc assis dans le salon, silencieux et embarrassés. Sam l'était, en tout cas. Il ne savait pas quoi faire de ses mains, et il n'arrêtait pas de se lever, faire quelques pas, et revenir s'asseoir pour recommencer le même manège. Il ne supportait pas l'idée d'être encore sur la touche. Plus que tout, il détestait ne pas savoir pourquoi il avait trouvé Alix. Pourquoi cet étranger apparaissait dans ses visions. Ce n'était pas le seul, bien sûr : d'autres symboles, dans les rêves de Sam, le ramenaient à des sorciers qu'il ne fréquentait plus depuis longtemps. Mais il n'avait jamais rencontré Alix auparavant. C'était un inconnu et il avait tracé un petit sillon jusque dans les prophéties de Sam. Le brun se demandait comment.

Il s'éclaircit la gorge. Il n'était plus habitué à la société, et il recommençait tout juste à redécouvrir les ficelles de la discussion (ou la conversation, comme certains l'appellent). Il passa un temps étrangement long à toussoter, avant de finalement se lancer. ❝ Alix, c'est ça ? ❞ Pourquoi est-ce qu'il demande ? Il le sait bien. Ça fait partie du small talk, les préliminaires de la discussion, en somme. ❝ C'est quoi ton histoire ? ❞ Il se penche un peu en avant, curieux, avant de se redresser et de froncer le nez. Il a l'air trop intéressé, c'est suspicieux. Sam ne veut pas paraître trop inquisiteur. ❝ Je demande seulement parce que j'ai rêvé de toi... enfin hier soir ma–... je te vois dans mes visions. ❞ A chaque fois qu'il parle de son don (ou sa malédiction), et peut-être parce qu'il en a toujours fait un tabou, il rougit. C'est intime, pour lui. C'est un terrain qu'il ne discute pas facilement. Cependant, dans l'ennui de leur enfermement, et la curiosité grandissant, il fait une petite folie ce soir. ❝ Depuis longtemps, c'est ça que je veux dire. Pourtant on s'est jamais vus. ❞ Un instant il garde la bouche entrouverte, puis acquiesce, comme s'il avait vraiment pris le temps d'y réfléchir avant d'affirmer qu'Alix était un parfait inconnu pour lui. ❝ Du coup, j'aimerais bien comprendre, et tu peux peut-être m'aider... ❞ Un petit sourire timide. Il ne sait plus trop sourire non plus. ❝ Alors ? C'est quoi ton histoire ? ❞

Samaël laissait son regard vagabonder dans le salon. Il n'attendait pas forcément de réponse de la part d'Alix. Pendant des années, il s'était parlé tout seul. Il était habitué au silence. Au début de son exil, Sam était émerveillé par à peu près n'importe quel paysage. Il pouvait s'asseoir et regarder des heures durant, les feuilles mortes s'échouer dans la boue. Il n'avait rien de mieux à faire, de toute façon, et c'était une bonne manière d'occuper ses journées. Puis il s'était habitué. Un coucher de soleil sur la colline, une nuit de pleine lune dans la clairière, toute ça a fini par le laisser de marbre. Le nouveau décor qui l'émerveillait, c'était la bibliothèque inondée de vieux livres. L'âtre de la cheminée. Les tapis effilés aux couleurs devenues pastels avec le temps. Sam avait oublié la beauté du monde civilisé. Il avait oublié le sentiment de sécurité, qu'on pouvait ressentir entre les quatre murs d'une maison. Le confort d'un fauteuil.

Samaël s'enfonça plus avant sur le coussin, un sourire satisfait sur le visage. La balade de son regard s'arrêta sur Alix : celui-ci s'était assis face à lui. Sam se sentait scruté, mais il avait fait de même. Si c'était inconfortable, il tenta de le dissimuler de son mieux. ❝ Je ne suis... pas vraiment à l'aise à l'idée de raconter mon histoire à un étranger. ❞ Sam hocha vivement la tête. Pas de souci. ❝ J'ai été attaqué, je suis devenu un loup-garou. Je me suis échappé de ma meute. Que veux-tu savoir de plus ? ❞ Alors il voulait bien lui raconter un peu, quand même ? Le voyant suivait des yeux le jeu des mains d'Alix. Un petit sourire s'était collé sur ses lèvres alors qu'il regardait le manège de ses doigts, qui s'entrelaçaient dans une danse étrange avant de se perdre dans la nuque du jeune homme. ❝  De quoi rêvais-tu ? ❞ Comme une image qui s'imprime sur les paupières, Samaël vit un loup. Aussi noir que la nuit, aussi gros que la lune. Une seconde et il souffle doucement. Le symbole s'efface. ❝ Si tu m'expliquais ce que tu voyais de moi, je pourrais savoir ce que tu as besoin de savoir. ❞ A nouveau, Sam hoche la tête vigoureusement. ❝ Bien sûr ! C'est un rêve à propos de toi, après tout. ❞

Sam se penche, et adopte un ton de confidence. ❝ Un loup. J'ai vu un loup de jais. Ce qui est bizarre, c'est que ça pourrait être n'importe qui. ❞ Il fait une pause, laisse échapper un petit rire. ❝ Enfin, pas n'importe qui ! N'importe quel lycan, plutôt. ❞ Il ferme les yeux. Normalement, il est difficile à Samaël de conjurer ses rêves, mais ceux à propos d'Alix ont été si fréquents qu'il les connaît assez bien. Il connaît en tous cas certains symboles par cœur. ❝ Je sais que c'est toi parce que ton loup m'a mené jusqu'à toi, dans la forêt. Je l'explique pas vraiment. Il est venu quand je dormais et il a hurlé à la lune. Elle était si ronde, c'était un cercle d'opale presque parfait. ❞ Une grimace lui tord le visage, brièvement. ❝ Le loup pleurait quand les racines ont grimpé dans le ciel. Elles ont percé la lune. J'ai vu un arbre y naître. Un arbre dans la lune. Et le loup avait mal. ❞ Sam ouvre les yeux. Il n'avait pas réalisé qu'il s'était mis à pleurer. Un peu confus, il se redresse, tourne la tête et essuie grossièrement ses joues. ❝ Au réveil, je savais où tu étais, alors je suis venu. ❞ Son sourire est fatigué.

Samaël ramène ses genoux devant lui, et les serre pour se réchauffer. Un vent froid lui donne la chair de poule. Ce n'est pas à l'intérieur de la maison que le temps a changé, mais dans sa tête. Ce rêve d'une nuit d'hiver a ses effets physiques sur Sam. Il souffle un nuage de buée qui n'aurait pas lieu d'être. ❝ Tu as quitté ta meute ? Ce n'est pas une famille, une meute ? ❞ demande le jeune homme avec candeur. ❝ Je n'ai jamais compris comment fonctionnaient les loups-garous. Tu veux bien m'expliquer ? ❞ Sam pose sa tête sur ses genoux, et ses yeux clairs sont grands ouverts. Il ne sait toujours pas vraiment comment se comporter avec les autres. Il n'a jamais été de ceux qui avaient le rapport social facile, mais sept ans loin de tout … ça n'aide pas. ❝ Si je t'ennuie, tu peux me le dire. J'ai passé sept ans loin de tout, alors la bienséance, j'ai un peu oublié. ❞