Samaël n'osait pas toquer. Après des années en cavale, il n'avait plus peur de grand chose, sinon du méchant loup lui-même. Mais Voldemort avait cassé sa pipe. C'était déjà arrivé une fois, le Magister avait trouvé le moyen de revenir. Peut-être que le répit serait d'une durée relative, mais tant qu'il ne hantait plus les visions du jeune homme, c'était suffisant. Suffisant pour essayer de reconstruire sa vie. Sam avait brûlé bien des étapes dans ce processus, il était déjà en possession d'un emploi, d'un toit, il se réintégrait doucement à la société. Cependant, il n'avait toujours pas contacté sa famille ; il faut entendre par-là son oncle, Duncan. Quand sa mère est morte, des suites d'une maladie assez fulgurante, c'est Duncan qui a accueilli Samaël. Lui qui avait toujours manqué d'une présence paternelle dans sa vie, il a trouvé en son tuteur une figure de morale, un modèle dont il avait besoin plus que jamais, alors qu'il faisait le deuil de sa mère.

Ses visions avaient toujours été difficiles à appréhender, pour Duncan. Il n'avait pourtant jamais pris peur – ou du moins, ne l'avait-il jamais montré. Il avait été patient, attentif. C'était un homme bon, et Sam l'aimait très fort. C'est pourquoi ça avait été si difficile, et en même temps si simple, de le quitter sept ans plus tôt. Son statut de voyant mettait Duncan en danger. Il mettait tout le monde en danger, juste en étant là. Alors Sam est parti, ne laissant qu'une courte note derrière lui. Il n'a pas donné de nouvelles toutes ces années. Il n'a jamais revu Duncan. Même pendant la guerre, qui s'est terminée depuis peu, les deux hommes ne se sont pas revus. Samaël aidait Susan à Poudlard, il venait en aide aux victimes des batailles du mieux qu'il le pouvait. Il n'avait pas osé demander si Duncan était encore en vie, ni comment était sa vie désormais. Il avait mal agi, en partant de la sorte. Peu importe si on a la meilleure des raisons, à l'instant où on ressent une once de culpabilité, c'est qu'on s'est trompé, quelque part sur le chemin.

Sam n'arrivait pas à toquer contre la porte de Duncan. Il avait fait des erreurs sur son chemin pour la survie. Il était parti comme un juif voleur. Il avait tourné le dos à sa famille. Et si Duncan ne lui pardonnait pas ? Pire, et si Duncan avait une nouvelle famille ? S'il ne voulait tout simplement plus de lui dans sa vie ? Le voyant ferma les yeux un moment. Il prit plusieurs longues inspirations. Loin de la société, il ne se posait pas autant de questions. Il n'avait qu'un objectif : survivre. Quand les besoins primaires sont aussi simplement satisfaits, on commence à cogiter sur la nature des choses, des relations. On commence à douter. Sam n'aimait pas ça. Il ne devait pas perdre de vue la personne qu'il était devenue. Il était un adulte désormais – et il devait agir comme tel.

Son poing cogna contre le battant trois coups secs. Samaël garda le visage droit, le regard fixé sur la porte. Il entendit quelque bruit dans l'appartement. Son cœur battait fort contre sa poitrine. Il sentait ses joues chauffer, quelques gouttes de sueur descendre de sa nuque jusqu'au bas de son dos. C'était ça la peur. Il avait presque oublié. Rien à voir avec ses visions violentes et ses réveils en nage. Ses doigts vinrent pincer sa paume : yep, c'était bien la réalité. Sam avala sa salive. La porte s'ouvrit soudain, tirée vers l'intérieur d'un seul coup. L'homme qui lui faisait face était plus carré. Plus barbu, aussi. Il avait laissé ses cheveux pousser. Des rides lui barraient le front, le coin des yeux. Il avait l'air âgé. Plus que ça, il avait l'air cassé. Sam ouvrit la bouche, chercha ses mots, chercha de l'air. Il ne pensait pas qu'il allait pleurer, et pourtant les larmes affluaient, se coinçaient sur ses paupières sans vouloir descendre le long de ses joues. ❝ Hello, Nunky. ❞ réussit-il enfin à articuler.

Il ne savait pas depuis combien de temps il était allongé sur son canapé, à essayer de dormir au lieu de comater. Il avait achevé sa dernière bouteille de whisky qui trônait sur la table basse plusieurs heures avant et restait là, immobile, le regard perdu sur le plafond de son salon. Le silence de l’appartement n’était brisé que par un vieux vinyle de Bob Dylan sur lequel il avait remis la main en récupérant son appartement et qui tournait sur le lecteur.

Trois coups secs contre sa porte d’entrée le tirèrent de ses pensées. Il se redressa sur le canapé en grommelant et attrapa sa baguette pour couper la musique et braquer un regard torve vers la porte, se demandant si ça valait vraiment la peine qu’il se lève pour aller ouvrir.
Qu’est ce que que c’était cette fois ? Ça ne pouvait pas être un de ses collègues ou le ministère, ils lui auraient envoyés un hibou ou un patronus pour le prévenir, alors quoi ? C’était encore un de ses voisins qui venaient se plaindre qu’il faisait trop de bruit quand il rentrait à des heures trop tardives ? Il avait l’habitude de s’arrêter dans un pub sur son chemin en rentrant du ministère et y passait souvent sa soirée à boire et rentrait des états lamentables. Il s’était déjà pris plusieurs fois la tête avec ses voisins mais ils n’étaient jamais allé jusqu’à venir le voir dans son appartement, ils se contentaient de lui faire des remarques quand ils le croisaient dans la cage d’escalier.

L’auror retint un juron et se releva péniblement, sa baguette à la main, pour se diriger vers la porte, se préparant à rembarrer la personne qui venait le déranger. Tout ce qu’il voulait c’était qu’on lui foute la paix. Il avait très peu de jours de repos à cause de la situation encore très tendue du pays et comptait bien profiter de chaque moment de répit qu’il pouvait avoir.

Il ouvrit -trop ?- violemment la porte et s’immobilisa quand son regard se posa sur Samaël.
« Hello, Nunky. » Non, c’était impossible. Ça ne pouvait pas être lui. Il devait être en train de délirer et l’alcool devait lui provoquer des hallucinations. Ça ne lui était encore jamais arrivé mais il y avait bien un début à tout non ? Comment est ce que ça pouvait être Samaël ?
Il avait complètement disparu de sa vie quoi… Sept ans plus tôt ? Sans rien lui dire et sans que l’auror ne voit rien venir. Il était simplement parti comme ça, du jour au lendemain.
Duncan avait bien essayé de le retrouver ou au moins de savoir ce qu’il devenait, ce qu’il faisait mais il n’avait absolument rien trouvé. Il avait passé des semaines à déprimer à s’en vouloir de n’avoir rien vu venir mais s’était finalement fait à l’idée que Samaël avait du avoir ses raisons de partir et avait réussi à tourner la page.

Et maintenant Samaël se retrouvait face à lui, sept ans après.

Duncan cligna plusieurs fois des yeux, essayant de s’assurer que c’était bel et bien son neveu, qu’il n’était pas en train de délirer et souffla un simple. « Sam ? » D’une voix éraillée, cassée.
Il nota les larmes aux coins des yeux du jeune homme et sentit dans la foulée ses propres yeux s’embuer avant qu’il ne passe un bras dans le dos de son neveu pour le serrer contre lui. Il sentit son cœur se serrer un peu plus et les larmes se presser un peu plus sous ses yeux mais parvint à articuler un. « C’est toi. » Il passa son autre bras dans le dos de Samaël pour le serrer un peu plus contre lui en murmurant. « C’est bien toi. » Il n’arrivait pas à y croire. Comment est ce qu’il pouvait se trouver devant lui, comme ça, après tout ce temps. Il ne comprenait pas comment ça pouvait être possible mais il s’en fichait. Il avait retrouvé son neveu.

Il laissa passer quelques secondes, le temps de s’assurer qu’il n’était pas en train d’halluciner et libéra Samaël de son étreinte. Il posa ses mains sur ses épaules et le regarda droit dans les yeux, un mince sourire étirant ses lèvres. « Je… J’arrive pas à croire que tu sois là. » Il libéra les épaules de son neveu et jeta un bref coup d’œil vers son appartement avant de reporter son attention sur Samaël et de reprendre. « Tu… Tu veux entrer ? Je pense qu’on a pas mal de choses à se dire et on serait mieux à l’intérieur pour discuter. » Dans l’absolu, ça ne le dérangeait pas plus que ça de continuer à discuter sur son palier mais il ne voulait pas que ses voisins risquent de venir les emmerder alors qu’ils étaient en pleines explications.
Ils seraient mieux à l’intérieur, même s’il se doutait que son neveu ne manquerait pas de remarquer l’état de son appartement et les bouteilles d’alcool vides trônant un peu partout.