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Pré-au-Lard. Des maisons, des fenêtres et autant de paires d'yeux derrière, prunelles acérées auxquelles rien n'échappe. Chaque rue est telle une longue vitrine dont vous êtes la marchandise, joliment épiée, constamment regardée. Admirée ou décriée, peu importe. On vous voit, on relève chacun de vos faits et gestes. Plus le coin est petit, plus chacun dépense son temps et son énergie à mordiller l'intimité des autres, tirant à soi la couverture du sensationnel. Quitte à se condamner au vieux plaid de la routine qui n'a d'autres propriétés que vous gratter la peau d'ennui.
Et, ça, Verena l'endurait tous les jours, bien heureuse de partir tôt et de rentrer tard, au point que les voisins finissaient presque par l'oublier. Mais les jours où le travail ne l'appelait pas au Ministère, où les heures du jour se résumeraient à hanter le village, la Franco-anglaise n'était pas contre une petite échappée hors des sentiers battus, partant à l'aube naissante pour arpenter les abords de Pré-au-Lard, loin des commères et des médisants.
Dans ses bras, un petit calepin. Derrière l'oreille, un crayon. Aux lèvres, une chanson collant à la saison, un air de Noël fredonné en sourdine juste pour donner le rythme de la marche. Le paysage valait la peine d'être croqué pour le plaisir. Bien emmitouflée dans son manteau dont le col lui remontait jusqu'au menton, son chapeau recouvrant ses cheveux et ses gants en cuir épousant ses doigts, Vera ne craignait pas grand-chose du froid. Son nez rougi ne la dérangeait pas et il lui suffisait d'agiter ses orteils dans ses bottillons pour qu'ils oublient l'engourdissement du froid.
Dans son sillage, son écharpe battait parfois la mesure, un pan voletant dans son dos quand son pas s'accélérait. Un va-et-vient qui attirait un autre œil que celui du passant habitué aux parures d'hiver. Dans les airs, plus haut, un bruissement d'ailes crevait parfois le silence. Depuis que la sorcière avait quitté sa demeure, quelqu'un la suivait avec obstination. Délogée du chapeau d'abord, trois fois du sac ensuite, tant et si bien que Verena était partie sans, une chouette ronchonnait sans discontinuer. Iris, tête de mule à ses heures, n'avait pas pour intention de laisser sa maîtresse seule, pour la bonne et simple raison qu'il s'agissait de sa maîtresse.
Aussi, quand l'ancienne Beauxbâtons s'installa dans un coin reculé, au calme, le nez en l'air pour choisir son morceau de paysage à gribouiller, sa compagne ailée se percha dans son dos, le regard perçant couvant la jeune femme d'une jalousie presque palpable. La boule de plumes était presque mignonne avec sa bouderie facile et sa présence étouffante. Heureusement qu'il s'agissait là d'une chouette et non d'un Saint-Bernard. ∂∂ Mmm. Ca !, marmonna le demoiselle en désignant une zone du plat de la main, se parlant à elle-même comme s'il s'agissait là de l'action la plus naturelle du monde. La fine trousse cachée entre son torse et le carnet lors du transport fit son apparition avec le peu de matériel que Verena transportait. Indiquant partant que le crayon derrière son oreille se révélait purement décoratif ... Une fois le bon porte-mine choisit, quelques traits naquirent lentement sur le papier, dans un silence aussi relatif que provisoire.
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