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of our lost kingdoms
Le Fanal — décembre 2003


chapter one


Grise est l'aube, déplore l'hymne élégiaque d'un goéland balafrant le firmament écossais de son pâle essor. Grise, à l'égale de la nuit lui ayant préludé, à en juger la roideur pétrifiant les muscles de la lugubre créature au crin épars, campée sur promontoire. Sentinelle à la mine de silice et aux mires délavées, on la croirait sculptée à même la falaise depuis l'ère de sa genèse, mêmement érodée par l'antédiluvienne borée en harcelant les hauts. Elle a l'air de ces veuves à perpétuité endeuillées, toute de noir ainsi vêtue, implorant que l'horizon démonté recrache un amant, un mari. Pourtant le sien est là, à l'abri de l'humble logis érigé en retrait, hors d'atteinte des déferlantes se brisant en contrebas. Il est là sans l'être, néanmoins ; l'abîme n'a régurgité pour elle qu'une nef concave, une épave d'homme. L'esprit, quant à lui, vogue toujours au large, comme pris au piège d'une tempête cauchemardesque qui semble gagner les littoraux de la conscience, au plus ses errances psychiques s'éternisent. Alors, en dépit des apparences, non : elle n'implore pas l'horizon, elle l'accuse, et surtout condamne ce qui s'y embusque. Azkaban, l'origine du mal, suppose-t-elle, puisqu'il lui faut un coupable et puisqu'elle-même, dans ce rôle, ne lui suffit plus. C'est là-bas, qu'est retenu prisonnier Rodolphus. Oui, ce ne peut-être que cela... un lambeau d'âme hantant encore la forteresse, ou l'inverse ? Elle ne sait pas, ne s'explique pas son état, et ça la ronge, littéralement. En quelques jours, sa propre santé s'est dégradée. C'est qu'à veiller sur son sommeil houleux, elle en perd le sien ; à se demander où vagabonde sa psyché, elle en égare la sienne. Peut-être est-ce ainsi qu'ils finiront. Lui, hanté par ses tourments intimes ; elle, bouffée par ses remords. Pas très glorieux, comme épilogue, qu'un rictus cynique ponctue tandis qu'elle tourne le dos à ses idées noires.

L'atmosphère tépide de la chambre à coucher lui saute à la gorge, lorsqu'elle s'y faufile. Ça schlingue la mauvaise fièvre, la moiteur âcre d'un corps suant sang et eaux à ferrailler contre une bien offensive corruption. Combien de temps tiendra-t-il, ainsi ? Elle lui a promis huit jours. Huit jours pour émerger ; ultimatum au-delà duquel elle ira lui dénicher un médicomage, dans le fin fond du cul de Potter s'il le faut. « Plus que deux. », elle scande donc, sur le ton de la menace, tandis qu'elle dégaine le sureau. En une valse rodée du poignet, la fenêtre est évasée, la literie rafraîchie et le comateux, désaltéré. « Tu as intérêt à revenir d'ici la fin du décompte, sinon..., ânonne-t-elle à son tympan, métacarpes contre front s'enquérant de sa température, parole de Black, ce qui t'attend à ton réveil n'aura rien à envier à ce que tu subis là. » Comme s'il s'insurgeait contre telle bravade, l'alité gronde et, sous les paupières clouées, elle jurerait que les orbes gisants la dévisagent. Un frisson glacé lui gravit alors l'échine, tandis qu'elle bat en retraite, soudain pénétrée d'une épouvante irrationnelle. Parfois, ce n'est pas lui. Parfois, elle les entend même pérorer. Et, à chaque malveillante occurrence, cet ineffable malaise qui l'étreint et se disperse, aussitôt. Délogeant d'un revers de dextre osseuse les reliefs de l'inquiétude passagère ombrageant ses traits tirés, et éludant ce faisant l'essaim perpétuel des énigmes bourdonnant à ses escourdes, l'harassée se juche sur l'accoudoir d'un fauteuil voisin. Un instant, juste un instant. C'est une menotte maculée de pourpre qui dégringole alors sur ses cuisses. Elle renifle ; il ne manquait plus que ça.

Lorsqu'elle surgit hors de sa narcose involontaire, l'oisive n'a guère idée du temps écoulé ; un quart d'heure, sans doute. « Merde... », râle-t-elle, avant même d'ouvrir un œil, en rectifiant quelque peu l'abstruse posture dans laquelle elle se trouve vautrée. Les prunelles, voilées de fatigue, percent alors péniblement la digue des cils et brossent à l'aveugle les alentours en quête d'un ancrage. Et celui-ci, interceptant ses errements, l'arrache définitivement à sa léthargie en cillant à sa rencontre. À se fier aux élancements lui tançant les reins, elle ne rêve pas. Il est revenu.


Dernière édition par Bellatrix Lestrange le Jeu 12 Jan 2017 - 21:49, édité 2 fois
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Le Fanal — décembre 2003

Le combustible qu’est son être a pris feu. Le feu est devenu nuit. Et la nuit l’a condamné. Dans le bourbier de son crâne il dégringole sans fin, temple barbare où le narguent des fantaisies caustiques. Un cauchemar inépuisable, une peine qu’il purge pour avoir laissé les Esprits Vengeurs lui pisser à la raie. Sous ses herses de chair défilent des vies qui ne sont pas siennes, et des chagrins dont il ne possède pas les sceaux. Sa vue est cisaillée, fustigée dans le délicat apparat d’un sommeil à peine troublé par des rictus. L’agonie est longue, fétide, vaguement spasmodique car la lutte est sans merci pour reconquérir ses songes lagunaires. Il y a la panique, absolument fatale, qui parfois s’insinue, l’immanente terreur d’avoir commis l’impair de trop, celui dont il ne reviendra cette fois pas. Cloisonner. Il lui faut cloisonner. Survivre. Il lui faut survivre. Le noyau de la possession a pris sa Babylone et à chaque sursaut de combat l’Occlumen a l’essence déchiquetée. Il n’a pas peur de crever, il n’a plus peur de clamser depuis longtemps, parce ce qui l’attend, ce qu’Ils lui préparent est autrement plus infernal et ceci en est le prologue. Un état végétatif, éternel de douleur et de folie. Des vides hilares lui promettent le bagne, un exil autrement plus dantesque que son séjour à A Z K A B A N, lettres taillées dans la bidoche de son âme par les crocs luisants que les ténèbres ravalent. T’en viendras à regretter les Détraqueurs, prononcent cent voix fluettes aux goitres putréfiés.  

* * *

Il s’est réveillé tranquillement. Trop tranquillement pour être tout à fait certain de Leur avoir échappé. Ses yeux ont irradié le plafond comme pour en trouer la fausseté, blâmant les lézardes et la peinture écaillée. Incertain quant à la temporalité investie, moins encore quant à l’espace habité, il a fini par lever une paluche aux contours troubles bientôt articulée avec lenteur. L’une de ses phalanges lui fait mal et un éclair de lucidité le percute. Hier. Avant-hier. Il y a quelques jours. Ou des années. Il se trouvait dans un paysage lapidifié avec pour compagne et ennemie sa reine épousée. L’annulaire se porte mieux, vraisemblablement ressoudé par le miracle de quelque mansuétude ; son corps tout entier, d’ailleurs, a été ravaudé. Épaisse, gorgée de veinures et stries que l’âge apporte comme une saison, la main s’abandonne jusqu’au bras opposé qu’une manche de chemise habille. La facture de l’étoffe est grossière, sans pareil dans un musée de vieilleries. Un froissement de sourcils survient lorsque les empreintes s’emparent du textile mais l’aristocrate n’a rien de plus à grimacer. Dans l’immédiat, qu’on l’ait affublé comme un pécore est bien le dernier de ses soucis. L’index et le pouce mâchonnent alors le tissu, le roulent pour découvrir en-deçà et sur une longueur avide la Marque estompée. Les tranchées de Pré-Au-Lard valdinguent sous ses orbes et les ongles crades s’enfoncent dans la carne pour aller chercher la victoire consumée. Dans le geste, une violence impériale. Et le dégoût. Puissant. Incorruptible. Une haine plus viscérale que celle-ci ne saurait être humaine. La manche est brutalement rabattue et le corps tout entier bascule, se redresse en position assise sur le bord du lit. Une couche qu’il ne connaît pas. Des murs qu’il ne connaît pas. Un chapelet d’effluves qu’il ne connaît pas… mais ce son, entre tous les décibels entendus, il l’endosse pesamment. Les vagues qui s’échouent, et sa patience qui déraisonne. Sa paume accède aux ravins de ses traits et traverse tous les confins de sa fatigue — il ne lui manquait plus que ça. Arrivée à la barbe, la pogne trébuche sur le futal qui n’est pas non plus sien. Décidément, on l’a nippé comme un cul-terreux, et ce on, par un infime mouvement, se trahit dans la pièce. L’élégante vouivre, délassée sur son trône, a le répit des Coupables que les Justes n’hantent guère. Sa présence n’en reste pas moins un paradoxe, une aberration normale. Qu’elle soit là ne l’étonne pas. Tout comme le contraire lui aurait paru banal. Cependant immobile, ainsi prostrée, il retrouve la naïade autrefois aimée, érotiquement consumée entre ses bras idolâtres. Elle aurait pu le laisser claquer. Mais elle ne l’a pas fait.

Ses appuis sont dolents, lorsqu’il se relève. Cette carence de vitalité, bientôt confirmée par le vrombissement trivial de l’estomac, ne l’empêche toutefois pas d’atteindre la plus proche fenêtre. Il y appose un avant-bras, sur lequel s’écrase le front. En voyant les cils de la madone frémir, il a préféré changer de cap et venir s’échouer contre vitre et poussière — sinon ? oui, au tribunal de sa conscience il avoue, un instant fébrile et tumultueux, avoir voulu la rejoindre. L’injure versifiant l’éveil aurait arraché un sourire oblique à l’homme, s’il n’était pas trop occupé à ignorer la chaîne mélodique couvrant l’extérieur. « Nous devons quitter l’Angleterre. » Cette phonation éraillée, rocaille délabrée, n’avait pas prononcé ce nous conjugal depuis des siècles, il lui semble. Elle ne s’embête pas non plus de quelconques remerciements — leur tonalité aurait des airs de bouffonnerie entre ces deux assassins multirécidivistes. « Combien de temps… » ai-je été inconscient, mais après tout, il s’en fout. Ce qui l’intéresse vraiment sont d’autres réponses qu’il glane sans un regard pour sa femme. « Quelles sont les nouvelles ? », oh, le tableau, il ne se le représente que trop bien. Arrestations massives, putsch gouvernemental, des pussies qui couinent n’avoir été que des pantins pour peu qu’ils aient une nouvelle queue à sucer, et nombre d'autres réjouissances dont la mainmise sur son bureau et matériel. Mais l’ampleur, il ne la réalise pas encore, il ne l’identifie pas tout à fait dans cette retraite prise. Et d’ailleurs… « Bordel, c’est quoi cet endroit ? » Les nerfs lâchent, rudoyés par un ressac qui fait flancher ce parfait salopard, et les calots d’acier au marbre sidérant n’ont soudain plus de colère que pour la Maudite. En tous les pandémoniums il fallait qu’elle le traîne ici, sur cette Olympie gueularde que les océans répriment en cadence.


Dernière édition par Rodolphus Lestrange le Sam 7 Jan 2017 - 0:48, édité 3 fois
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Le Fanal — décembre 2003

Automate aux charnières oxydées, l'anatomie plaintive n'abdique le douillet du fauteuil qu'à la faveur d'un fulgurant regain de dignité. Répugnant à exhaler quelque signe de défaillance que ce soit, c'est à peine si elle s'autorise à bâiller au grand jour, alors roupiller, il n'en est pas question. Plus même en sa présence à lui, lui qui pourtant ne soumet à sa vue qu'un râble busqué. Taciturne car accoutumée au silence, elle le contemple, ce dos à l'envergure colossale, ce dos superbe n'ayant d'égal que le dédain qui le cuirasse. Un dos monumental, une palissade hermétique qu'érigèrent entre eux trois décades de conflits. C'est à ce dos que se résume son époux depuis. C'est là tout ce qu'il lui concède à aimer, à haïr, à blesser, à frôler du regard. Elle ne l'en blâme pas, non. Car s'il est le rempart, elle est la douve, elle est l'artisan de ce fossé entre eux, cavé d'un fleuve de feu. Solliciter qu'il lui révèle les secrets confinés au-delà de tel bastion, de tel gouffre, ce serait absurde et sans doute ses intentions seraient-elles méjugées. Peut-être ne comprendrait-elle pas, d'ailleurs. Peut-être sont-ils inaptes à communiquer autrement que par javelots et boucliers interposés. Alors, sur sa rive étrangère elle demeure, bornée tel un billot de bois austère et tout aussi grave.

Quitter l'Angleterre, sont ses premiers mots. La joue frissonne, la nuque chancèle ; elle rit en sourdine, occultée sous un lacis de cheveux ténébreux. Égal à lui-même, monsieur le Ministre, elle songe. Car qu'il déambule ou qu'il articule un son, c'est une chose ; mais qu'il embraye ainsi, ça la console, plus que de raison. C'est là tout. Tout ce qui compte. Leur mariage a beau n'être qu'une valse à couteaux tirés, il est toujours son cavalier, l'unique au bras duquel elle se figure mener autant de guerres qu'il s'en présentera. Aussi, c'est un poids qui soudain s'évapore et, ce faisant, la déleste de toute anxiété. Les affaires reprennent, comme on dit. Combien de temps, il ânonne, cependant sans aboutir — suspension qu'elle interprète comme la manifestation d'un légitime embarras. La cabèche recouvre alors son éminence, et les prunelles leur lustre combattant. Si l'épouse comprend, la garce ne compatit pas pour autant, et les charnues s'étirent : « Oh, eh bien, pendant tu te reposais, nous avons tout perdu. » La seconde subséquente, elle tourne déjà talons, ébrase la porte. Avant de s'éclipser, elle s'immobilise un instant sur le seuil, et ajoute plus bas : « L'urgence est passée, à présent ; inutile de jouer les Ministres diligents, viens donc plutôt manger quelque chose... oh, et puis. Bienvenue au Fanal. »

Bellatrix Lestrange aux fourneaux, c'est à peu près aussi délicat qu'un Magyar à pointes pris au piège d'une échoppe de boules de cristal. Ça déborde, ça explose, ça fulmine, et pour finir : ça crame tout. Conséquence indéniable d'un néant de pratique allant de soi, puisqu'elle n'a jamais eu à rôtir quoi que ce soit en vue de s'en nourrir. La voilà néanmoins, à l'aube de ses cinquante-deux hivers, réduite à s'improviser elfe de maison ; non seulement ça n'est pas une réussite, mais ça l'enrage car de fait oui, ils ont tout perdu. Pourtant, ce n'est pas bien compliqué. Il suffit de doser gestes et quantités, mais le sureau (tout est de sa faute) fait des caprices. Le désastre est tel que la souillon ne se risque pas même à confronter le regard de celui qui, dans son dos, n'attend quant à lui qu'une chose : les nouvelles. Son impatience est plus que fondée, d'autant qu'elle ne sera même pas comblée d'un festin. Mais la Maudite en a décidé ainsi, et il peut bien piaffer et trépigner tout son saoul : il va manger. « Assieds-toi, c'est prêt. » Et tant pis si c'est à peine comestible. « Bon appétit. », qu'elle lui crache quand même, en lui larguant sa pitance sous le nez, une auge de bouillie amorphe et calcinée. Là enfin, le surplombant un instant, elle le scrute, à l'affût de la moindre grimace, du moindre retroussis de narine ; ose, fulminent les pupilles, ose seulement te plaindre ! « Mange, allez. Tant que c'est chaud. » Sans dévisser prunelles, la cuisinière expédie son tablier tavelé de substances méconnaissables sur un coin de chaise qu'elle tracte à elle pour s'y asseoir. Dos à son champ de bataille, mais bien en face de son mari, bien droite. Elle-même est privée de ration ; c'est que sa part s'est égarée, quelque part, entre un début d'incendie et l'inondation ayant visé à le contenir. « J'ai déjà grignoté quelque chose, tout à l'heure. », se disculpe la menteuse, menton louvoyant, en arrangeant son chignon duquel se sont échappées, dans la bagarre, quelques mèches noires.

« Bon. Les nouvelles... » Dans un soubresaut de baguette, un tiroir gémit et déballe son contenu. Lévite alors, jusqu'à la sénestre tendue, un carnet lardé d'un cuir éculé, tuméfié comme sur le point de dégobiller son volumineux contenu en plein vol. C'est qu'il y a là, à plat de paume, le produit de quatre années d'un labeur titanesque : duplicatas de rapports de perquisition, transcriptions d'interrogatoires, organigrammes supposés de la Résistance, coupures de journaux, articles les plus anecdotiques ayant trait à l'Insurrection, etc. Tout, tout y est consigné, archivé, avec un luxe de minutie. Sans doute fait-elle un piètre cordon-bleu, mais à cet art-ci, elle excelle. La sommité du sureau pianote alors allègrement la reliure et, un à un, les documents précieux s'en extirpent, fusant dans l'ordre convoqué en travers de tablée. Le portrait de Ioan Rhys, surtout, se démultiplie, puis celui entre autres, mêmement cloné, de Sean Markham : « Le remplaçant de ton frère, celui-là. », elle commente, tandis que déjà, une flopée de papelards s'amoncèle. « Voilà. Le nouveau gouvernement. Temporaire, qu'ils disent. », explicite-t-elle enfin, timbre poissant de sarcasme et désignant d'un ample geste théâtral le contenu épanché. « Ioan Rhys a été nommé il y a deux jours. L'heure suivante, les audiences préliminaires ont commencé... les arrestations ont été nombreuses, ton frère, sans doute... Augustus, peut-être. Je ne sais pas. Les informations sont contradictoires, les sources rares. Ils se targuent d'avoir coupé quelques têtes — façon de parler, pour le moment —, et s'échinent comme il faut pour achever le travail. » Sous-entendu, ils nous cherchent, nous. Sur ce concis état des lieux, la brune se soulève en silence, laissant soin à son traqué d'époux de raviver ses souvenirs au contact des pièces disposées à cet effet. À pas aériens, c'est jusqu'à la baie vitrée, qu'elle se déporte. Quoi qu'aveuglée par un astre montant, elle rive son attention sur l'horizon toujours blême. « Ce ne serait pas surprenant qu'ils en transfèrent... », frémit-elle, scellant sous paupières les visions infâmes et entre crocs les mots imprononçables. Inutile d'attiser les braises, il comprendra le brasier au-dessus duquel tous deux oscillent. Aussi poursuit-elle, changeant de cap : « Harpo Creek a été mis à sac, à l'instar de tous les foyers de Mangemorts connus. Ici, nous sommes en sécurité, pour l'instant... à part  moi, nul n'est au fait de l'existence du Fanal. » Puisque le Maître n'est plus. À cette pensée, elle fronce un sourcil, mais une moue presque espiègle enlumine ses traits fatigués. « Toi, moi et un monde à nos trousses. Ça sent le bon vieux temps, n'est-ce pas. » C'est qu'elle s'en délecterait presque, la Maudite. « À ceci près que nous sommes ruinés. Donc, si tu as quelques galions enfouis quelque part, Rodolphus, c'est le moment de les exhumer. » Elle coule alors une œillade à revers d'omoplate, et considère son opposite avec singularité, sans mot dire, mais la prunelle éloquente. Puis elle recouvre sa posture guindée, le Lieutenant s'abîmant au loin, méditatif. « Il faudra d'ailleurs tout déterrer. » À commencer par ce qui, naguère, justifia qu'on consacra leur binôme du titre de couple le plus redoutable de Grande-Bretagne.


Dernière édition par Bellatrix Lestrange le Ven 6 Jan 2017 - 20:12, édité 1 fois
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Le Fanal — décembre 2003

Le carrelage froid. Cette brande dure qui déconsidère son pas, qui juge son poids pour ce qu’il est ; celui d’un étranger. Bienvenue au Fanal, qu’on lui abandonne entre deux syllabes narquoises, et la bête encagée grogne déjà en silence. Plus mal luné qu’un Nundu, la montagne d’homme quitte le blindage pellucide sans plus un regard pour l’Immense phantasme dont le bleu océanique reflète ses affres. C’est à croire qu’elle jubile, la Garce ; hydre qu’il suit néanmoins à travers antre, guidé par la seule intuition que lui dicte la famine en son ventre. Tout perdre, c’est vaste. Tout perdre, c’est relatif. Même un Géant décervelé aurait pu venir à cette conclusion limpide qu’en n’étant pas sur le tertre des triomphateurs, on se retrouve forcément réduit à la pénurie des disgraciés. Quel en a été le prix, de cette seconde chute, c’est l’énigme que l’épouse se plaît à réchauffer dans les charbons du désastre. … ou bien dans les poêlons puants servant ses élucubrations culinaires. La mine patibulaire du sorcier aborde la saynète en réfrénant l’envie d’aboyer un rire, car sous ses orbes encore groggys valse la dame aux préciosités martiales, livrant à ses fourneaux une toute autre guerre que celle perpétrée des jours auparavant. La voilà bien ridicule, la Maudite, la terreur nocturne de l’héroïque putaille combattue au fil des décennies. Elle se contorsionne, elle feule, elle poudre son museau de simagrées à vous faire larmoyer un Gobelin. Négligeant pendant un temps les sombres tracasseries animant ses réflexions, Rodolphus contourne meubles et fagots gastronomiques sans lâcher des yeux le râble féminin qu’une agitation sans nom chatouille. Un intermède il est vrai distrayant, mais aussi fichtrement plaisant à mater puisque la prunelle affamée s’égare sur le ferme séant qu’une robe typiquement austère tente – sans succès – de cacher. Si à l’exécrable caractère de sa femme il se ne s’est que trop frotté depuis ces dernières années, cette relique-ci il ne serait point contre s’en emparer à nouveau pour y frotter Merlin seul sait quoi. Un sourcil s’arque toutefois lorsqu’il réalise la dégaine bien moins grotesque avec laquelle se pare la sylphide. Il est bien là, le problème. La diablesse est nippée de la plus typique de ses manières, lors même qu’on a profané son allure à lui d’oripeaux arrachés à quelque bouseux qui soit. Par quel maudit miracle cette rombière a t-elle réussi à préserver sa penderie…? Une question de plus rejoignant l’empilement des incompréhensions, à laquelle il ne porte plus guère attention dès lors qu’une écuelle au contenu délictueux lui est mollement offerte. Regrettant s’être assis par asthénie, il bigle sur l’immondice bouillonnant encore dans le plat. Vers le minois revêche se lève son nase plissé de dégoût, escorté par des calots qu’une suspicion manifeste ébranle ; on cherche à l’empoisonner. Ce serait bien un péché de femelle, ça ! Y aller avec lenteur et patience, avec une opiniâtreté de diablesse. Défiant la bobine quinteuse, un séisme indistinct cingle la broussaille masculine comme s’éploie la dextre pour aller crocheter la gobbe. Il ne cille ni n’égare ses lazurites du layon de leurs jumelles obombrées lorsque le premier coup de cuillère charroie jusqu’à sa gueule la bectance, une hardiesse qui décampe à mesure que les goûts nauséabonds de la ration pissotent contre son palais. Aucun être, aussi monstrueux et dangereux soit-il, n’aurait pu vaincre une telle exhalaison gustative. Les paupières s’affaissent d’un bloc et la senestre vient cette fois colmater la fosse empuantie en aplatissant paume sur lippes. Des gestes calmes pour une agonie rapide. Un « Seigneur » de circonstance parvient à filer, car même leur Maître n’aurait pu supporter l'absorption d’un pareil exsudat. Il en a reniflé, des arômes pestiférés. Il en a inhalé, des relents scrofuleux. Il en a même goûté, des horreurs de saveurs. Mais alors ça. La surprise de voir poindre sur sa langue une sapidité pareille dans une gamelle censément innocente le dépasse. Même Kreuvar cuisine mieux. À temps, la gargotière malsaine rompt le silence pour dégoiser son harangue. Un dos de patte salutaire écarte le récipient comme pour un prétexter la futilité sur la scène de toutes les attentions, puisque déjà le Lieutenant étale-t-il sa documentation.

Le chapelet d’écrits informatifs ne l’étonne même pas. Ses mains ne se souviennent peut-être plus de la rotondité exacte qu’ont les fesses de son épouse, mais son adresse de tacticienne, cela il ne l’a jamais oublié. Ses paluches se surélevèrent quelque peu pour laisser aux maintes feuilles le soin de se glisser en-deçà, avant de crouler dessus comme deux masses. La lecture est véloce, insatiable, tandis qu’est écoutée la phonation rassie. Il ne souhaite ni à son frère, ni à Rockwood d’avoir été capturés. Pas plus qu’il ne souhaite à son cadet la mort. Des encoignures de papier son froissées sous les phalanges du liseur, avant que la stature entière ne s’avachisse en arrière contre dosseret, un bras sanglé au buste et l’autre abordant le faciès dont les doigts massent les tempes. C’est sur l’arête nasale que les ongles finissent leur croisade, pétrissant l’os et les rides qui s’y camouflent. S’était-il attendu, jusqu’au dernier instant, à ce qu’on lui apprenne des nouvelles un poil moins alarmantes que l’apocalypse venue s’abattre sur leur Ordre ? Peut-être bien. Un ersatz de foi en leur oligarchie, le dernier balbutiement d’un espoir aliéné. C’est toujours pénible et un tantinet agaçant de se rendre compte à quel point le despotisme n’est pas une solution appréciée de tous… qu’avait-elle à grognasser, cette foutue roture ? Qu’avaient-ils à brailler, ces bouffons d’Insurgés ? L’anarchie. Voilà bien une religion prêchée par des simiens qui picorent aux râteliers de toutes les médiocrités confondues. Faut-il être un ramassis de bureaucrates apathiques pour reprendre les brides d’un État renversé à l’aide d’un gouvernement temporaire. Une chose est certaine, leur cancrerie n’est pas provisoire, elle ! S’ils comptent administrer cette nation avec la même synergie qu’ils ont géré leurs meutes désordonnées, il n’y a pas trop de mouron à se faire sur la pérennité de leur victoire. « Ce ne serait pas surprenant qu'ils en transfèrent... » Tout à ses radotages consternés que de longs soupirs lassés ponctuent, feu l’Entremetteur ne relève pas de suite le curieux propos inachevé. Ce n’est qu’en rouvrant les yeux que ses billes capturent les prunelles rivées sur le présumé horizon qui dans son dos pionce. La révélation qu’il en déduit le gifle. Il ne le reconnaît que trop bien, cet air… Et il n’y a pas une pléiade d’endroits où l’on irait transférer des prisonniers.

Avec un flegme d’apparat, il se relève, le portrait si bien coulé dans le mutisme qu’on le croirait pleinement absorbé dans le récit nasillé. C’est pourtant le fredonnement marin qui derechef le happe, c’est ce chuintement empesé qui le rappelle à lui comme un cor de bataille rappelle ses troupiers. Si les débris de son âme sont hantés, ce n’est pas uniquement par des entités ayant jadis été humaines. Son premier ennemi est la mémoire de ses sens, car leur écho est infini et au contraire des sentiments ; inusable. La silhouette s’égare, pensive il se peut. À dire vrai il traque, chassant dans la pièce l’élément qui lui octroiera quelque maigre répit auditif. « Harpo Creek a été mis à sac, à l'instar de tous les foyers de Mangemorts connus. (…) » La figure crépite un rictus et au labre de susurrer mauvaisement. « J’en déduis qu’ils ont mal pris le décret de décembre quatre-vingt-dix-neuf. » En sécurité, ose-t-elle ensuite affirmer, tandis que le vagabond, à cheval sur sa prédation, se meut en lenteur dans la cuisine. Il la sent. Elle n’est pas loin. Jusqu’au vaisselier il se rend, tournant à l’oratrice des épaules stoïques à peine saboulées par les bras s’évertuant à ouvrir un tiroir. À la déclamation finale, il ne rétorque pas de suite, rivant sur le contenu raflé quelqu’écrasante sollicitude. Une colère stridente monte à travers nerfs et synapses, pour l’heure contenue dans le simple bastion de ses phalanges qui pianotent sur les saillies du bois. « J’ai dû rater un chapitre. » Les trapèzes s’étirent, et la nuque craquèle une éternité de tension. « Aurais-tu troqué ton nom marital par celui de Flint… ? De Carrow… ? De Greengrass… ? De Malfoy, peut-être même, quitte à puer autant le faire avec brio. » Serres dorénavant figées, encastrées dans le matériau comme s’il s’agissait de la tiède carcasse de ces attentistes méprisés, il bouillonne cependant que son timbre reste affreusement quiet. « Pas à ma connaissance. » La dextre glisse, elle s’enfonce dans le compartiment pour aller s’enrouler auprès de l’If avec une tendresse de boa. « Alors pour quelle putain de raison aurais-je dissimulé une cagnotte de parjure ? Je, nous, n’avons jamais compté que sur Lui. Sur la charogne de notre jeunesse Il a commencé à déambuler, et sur le squelette de notre vie Il s’est définitivement installé. » Brusquement, le tiroir est refermé. Un centième de sa rage, c’est là tout ce qui a tonné. Roulant dans sa paume, la baguette maraudée fustige l’atmosphère et subitement tout se tait, et la mer, et les vagues, et les phobies lancinantes vomies par l’horizon. Ne reste plus que les bruits émis en la masure, dont cette longue plainte de latte qui sous le pas de l’homme succombe. « J’en ai déterré, des choses. Mais des chimères, jamais. Le bon vieux temps, c’était quand nos effigies n’étaient pas placardées à chaque recoin de rue. Le bon vieux temps, c’était quand on avait encore une cause à défendre, à inciser dans la moelle de l’Histoire. Le bon vieux temps, c’était quand Il était encore là, et qu’Il rassemblait sous Son étendard ce que nul autre n’avait pu avant Lui unifier. Maintenant ? Je vais te dire ce qui va se passer. Ceux qui restent vont soit s’agenouiller et utiliser leur joli coup de poignet, soit se jeter sur les déchets de Sa dynastie en prétendant peut-être même Lui succéder. Mais ils n’y arriveront pas. Il était le maillon d’une chaîne dorénavant brisée, vouée à rouiller sous les vestiges de ce bon vieux temps. » L’ombre est là, aux côtés de la vénusté, et à son flanc perdure l’Incoercible dont le rachis se voûte. Une patte armée sur la table, l’autre sur le dosseret de chaise, et les épaisses ridules à couteaux tirés ; il frôle. « Et nous deux, en attendant… reclus dans un trois pièce avec vue sur Azkaban. J’avais rêvé mieux, comme retraite. » Si le verbe est folâtre, l’intonation biffée de fureur souffle sur les mèches de jais un vent de menace. Il n’est même pas certain, d’en vouloir une, d’explication. À force d’audience, il en est lui aussi venu à porter crédit aux enfilades de rumeurs la croyant folle. Car il faut être dément, pour se croire sauf à l’orée des enfers.


Dernière édition par Rodolphus Lestrange le Sam 7 Jan 2017 - 0:49, édité 6 fois
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Le Fanal — décembre 2003

Brochant encore leurs palpitants, il est une onde miraculée, bandée entre eux comme un nerf à vif jamais sectionné, sur les trémolos de laquelle les consorts vibrent toujours en chœur. La furia, l'argot des furieux. C'est un idiome cadencé, presque une pulsation. Nul besoin d'harangue, nul besoin d'harmonie. Le tambour battant de ses pas suffit. Incapables de s'entendre souffrir, rire ou jouir ; mais ô combien sont-ils unis et à l'écoute, lorsqu'il s'agit de bouillir ! Elle devine ainsi le séisme à venir aux roulis des chairs sous derme. Elle renifle l'orage en gestation à son pâteux mutisme, car à l'inverse de l'adage, le calme de l'homme ne vient pas après la tempête, il l'annonce. Les cils féminins bruissent alors, charriant les paupières en vue de barder les brandons qui rougeoient déjà, par effet de contagion, et aux narines dilatées de noyer les ardeurs, que tel spectacle attise, sous monts et déluges de glaces invoqués. C'est irrationnel : lorsqu'il écume, elle veut cracher. Si l'un tombe, l'autre suit. Toujours. Souffle contenu sous sein, elle recouvre néanmoins son poste initial sans bruit, confiant au siège tantôt cédé le poids mort qu'est son corps épuisé. Alors la poitrine épanche les vapeurs ravalées, éventant le brasier ronflant. On réitère, on respire. Les phalanges s'entrelacent sur tablée, lorsqu'il musèle l'univers en sa poigne forcenée. Et il est là désormais, tout près, son envergure déployée comme s'il se disposait à l'étreindre, à la broyer. « J'avais rêvé mieux, comme retraite. », qu'il anhèle, ponctuant sa logorrhée d'un trait narquois. Les vertèbres se tordent alors, et les prunelles, grappins argentins, se rivent au massif d'homme qui les surplombe. Aux mandibules de rompre la sclérose en descellant corail et émail. Mais le lingual est quant à lui fainéant et plutôt que d'œuvrer à une quelconque riposte, il s'en va taquiner le pointu d'une canine, affleurant à l'angle d'un rictus effilé. Mordra ? Mordra pas ? La Maudite hésite à se livrer à cette gigue de damnés, lorgnant les pentes escarpées de leur commun déclin, jamais si proche, jamais si imminent. La dent capture finalement la lèvre inférieure, puis se retire, comme emportée par le ressac de la déglutition. Soit. Buste et rotules pivotent, halés par cette menotte qu'elle hisse jusqu'à la mâchoire hispide inclinée, capturée sans violence. « Soit. », radote-t-elle à voix haute, pour lui, avant que ne déflagre à leurs tympans le typique fracas d'un transplanage.

« Alors, plonge. », a-t-elle le temps de suggérer, avant que ne vocifèrent les vagues affamées, en contrebas du piton sur lequel ils trônent désormais presqu'enlacés. La dextre toujours cramponnée au fauve du masséter, elle n'a d'yeux que pour lui, qu'elle défie, sereine en dépit de la perdition qui les accule. Car alentour, le vide les enclave. Il n'y a plus un pan de terre auquel se raccrocher, sinon ce croc jaillissant des flots, sous leurs pieds resserrés. Une métaphore à leur sort, que cet écueil à perte de vue. « Plonge, puisque tout est terminé. Puisque nous avons échoué. Puisqu'il n'y a plus rien à sauver, ni à désirer. », reprend-t-elle, cette fois contrainte d'hurler pour couvrir le vacarme mugissant de la bête aqueuse. Ce faisant, la sénestre s'affaire à déboutonner le col de sa robe, puis à délier de ses broches la crinière que les vents s'empressent de bouleverser. Si l'un tombe, l'autre suit. À quoi bon. « Tu as raison, on ne va pas se regarder dans le blanc des yeux en attendant de décatir et de crever ! Autant sauter, là, maintenant. Ça nous épargnera bien des heurts ! » D'une saccade de cheville, elle se débarrasse d'un soulier, puis du second, tanguant dangereusement au-dessus du néant dans la manœuvre. « C'est peut-être ce qu'on aurait du faire, il y a longtemps ! Alors vas-y ! » Mais elle n'attend pas, la garce et d'un même élan, les précipite.

La chute, pourtant, est éphémère et c'est le plancher bien rude et geignard de la cahute qui les rafle à l'arrivée. Elle, le chevauchant, phalanges des deux mains boulonnées au crin. Chevelure déversée, nimbant d'obscure sa face olympienne, elle le toise, voûtée sur le faciès sanglé. « À défaut de déterrer quelque chimère que ce soit... déterre-moi au moins mon mari, où qu'il soit, rend-le moi... » Les serres libèrent alors leur prise, pour rajuster les étoffes contre gorge et en fixer les œillets tantôt dégrafés, puis le galbe se soulève, un peton nu de chaque côté du torse viril. « Il serait temps. » D'une nutation pénible, le portrait obvie vers le lointain, vers leur lointain, embusqué à l'horizon, entre ciel et mer. « J'ai attendu. J'ai patienté. Que tu sortes de là. Des mois, des années, j'ai guetté... en vain, je ne te reconnais pas... » Les globes dévalent de nouveau, jusqu'à culbuter ceux de l'adverse culminé. « Ce n'est pas pour... régner, gouverner... que je t'ai choisi, il y a plus de quarante ans, idiot. C'est pour la guerre, pour l'offensive. Tu veux.. inciser la moelle de l'Histoire ? Il n'y a qu'à coups de glaives, qu'on fait cela. C'est pourquoi j'ai épousé un conquérant, Rodolphus, et pas un petit prince pleurnichard. Je me fous de Sa Dynastie, je crache sur les cendres de Son empire... ce qui a fait de nous des spécimens d'une toute autre espèce que ceux dont tu citais les patronymes, ce n'est pas Lui ! Tu portais déjà en toi un autre genre d'appétit, et c'est ça dont j'ai besoin que tu te souviennes, que je veux que tu exhumes. » Pognes contre bide, ivre d'une exaltation indemne en dépit des années et leur lot de plaies, elle achève son laïus en confessant, plus bas. « J'ai besoin de toi, merde. » Le phonème se brise alors sur une intonation sourde, douloureuse, et pour la troisième et ultime occurrence, cingle l'évasion, mais seule son ombre se volatilise cette fois, fuyant l'écho de son tourment enfin formulé.


Dernière édition par Bellatrix Lestrange le Lun 9 Jan 2017 - 17:09, édité 1 fois
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Le Fanal — décembre 2003

Le poids immonde de l’Autre résonne sur ses frusques. Mais pire que tout, l’océan révolté lui taquine un hoquet. Ce mâle aux dangerosités plurielles, crades et méphitiques, a soudain le vertige des Eaux. Une pluie de phobies tabasse son derme et le frisson, immense, est insurmontable pour celui qui de la mer est le martyr. C’est avec effroi que les rotules tiennent, que les paluches s’agrippent aux plis discordants de la noire silhouette. Des sifflements tonitruent, en même temps qu’à leurs abords immédiats syncope l’écume des roulis. La gueule du furieux homme n’est soudain plus qu’un compost d’humanité, ce qui reste après le passage d’un bataillon de peurs en cette guerre qu’est la panique. Plus rien ne compte vraiment et l’ère n’est qu’à la tachycardie de l’organe ravagé, celui-ci même contre lequel une poitrine vibre et gronde les palabres du drame. Non, martèlent les lippes, non, qu’elles ordonnent puissamment, non, qu’elles claquent sous broussaille affligée d’embrun. Force souveraine, maniaque, son épouvante est pourtant bien laide car elle le prend de court ; l’instant d’avant il était cloitré, et le voilà maintenant sacrifié. Baigné dans son cauchemar, tout lui est familier, comme si cette portion d’océan avait le pouvoir d’abreuver ses pires tétanies. Les lettres de feu promises par ses Voix ressurgissent soudain, et la détestée Azkaban bientôt rejoint la vision d’un lac sur lequel dansent des hirondelles. Un alliage morbide contre lequel il n’a pas le temps de se préserver ; une plainte grave jonche sa trachée. Car voilà qu’en plus de l’affliction rappelée on lui exhibe la relique, pendue au cou d’albâtre comme un trophée volé aux cendres du Fils. Arcturus et son sourire lui lynchent les orbes, tandis que sous sa langue mûrissent les pires horreurs qu’il souhaite proférer à la Mère. Folle ondine. Elle les menace maintenant de sauter mais ce n’est pas la chute qu’il redoute, lui, c’est la noyade. La noyade comme nul ne la conçoit. Le heurt des corps et le basculement ont soudain raison de son souffle qui égosille un éboulement de pierraille dans la gorge sinistrée.  

Ils sont toutefois bien durs, les flots qui l’obtiennent. Un parquet intimement grinçant dont il recouvre les aspérités et la nue de poussières. Elle, faite sauvage, pétrit de ses os l’envergure atterrée. Il a le souffle haletant et les yeux dépouillés de toute attention spécifique, tant et si bien que la phonation ébruitée n’arrive à ses oreilles qu’à cadences éraflées. La seule voûte qu’il distingue est cette rigole sombre couronnant les milliers de rages grouillant sur la figure émaciée, des ténèbres chevelues transmuant la sentencieuse ménesse et une bête moribonde. C’est une charpente tremblante, qu’elle laisse en se relevant ; toutes les volontés n’y feraient rien, car c’est l’organisme et ses chiures de nerfs qui ont pris le contrôle de la dignité masculine. Peste soit-elle ! Il est bien trop vieux pour ces ébats démesurés raillant son sang-froid. Son occiput cogne le sol à l’instar de ses coudes, avant-bras ballant dans les airs tels de grands arbres qu’un séisme rudoieraient grièvement. C’est pantelant qu’il finit par cabrer sa colonne, ployant échine et renversant buste sur le flanc droit, un essor des plus affligeants tant la contracture de ses muscles et membres raidit le déplacement. D’opprobre il se sent affecté, tout autant que d’atrabile. Si l’on savait…! Nul n’irait imaginer qu’un tel monstre craint l’onde et ses abysses à l’image de quelque fauve feulant devant un bain. Pas même Bellatrix, puisque d’époux ils n’ont plus que l’empreinte marquant leur poignet, et qu’étrangers leurs cœurs sont devenus l’un pour l’autre. Elle ne sait plus rien de lui, et il ne sait plus rien d’elle. Aussi l’élégie de la sylphide lui semble en premier lieu trop absconse à cerner, il est même sûr – cet insane mâle s’employant commodément à la méprendre – que rien n’est à comprendre dans ce soliloque de forcenée. Il est là, prenant appui pour traîner sa masse, le labre tordu par l’effort et la hargne, coulant parfois un regard d’ordure abâtardie au galbe échappé. What the fuck are you talking about. Durant quelle chienne de vie l’a t-elle attendu ? Pas dans celle-ci, c’est certain. Sans guère trop d’efforts, il pourrait déplanter de sa mémoire les souvenances de 96. Et de cette époque, il n’a pas grand chose à se rappeler, sinon que cette foutue débandade au département des Mystères. Lui aussi ne la reconnaît plus, sinon que dans le rôle de l’apostat raflé sept années auparavant. Il s’étaient haïs, mais trahis… encore jamais. L’émail est broyé, les lippes manquent rétorquer. Cependant qu’il projette derechef ses globes lagunaires contre les vertèbres habillées, le masque empli de rogne se fend d’un doute. Le Fanal. Et ce surplis de veuve si caractéristique. Cette odeur de vécu, emplissant chaque recoin de masure, cette impression de n’être pas chez lui, mais bien chez elle. C’est comme si la madone avait, en ce lieu et espace, planqué un monceau d’existence. Un secret si bien gardé qu’il n’en aurait jamais rien su… Les syllabes plus tôt accouchées reviennent bercer sa pensée, révélées comme il ne les aurait jamais comprises sans ces miettes d’indices péniblement ingérées. D’un plat de paluche, le poitrail se redresse complètement, bientôt suivi par une rotule fléchie ébauchant la détermination du colosse à regagner la moindre des postures pour peu qu’elle soit verticale. Une déclivité pour le moins orientée, exigeant rejoindre celle vers qui soudain ses chairs veulent se mêler. La senestre se tend mais au lieu d’empoigner une hanche c’est le vide qu’elle savoure, émaillé par une supplique qui torsade les viscères du Scrutateur.

L’huisserie de la chambre en laquelle l’Abstraction s’est réfugiée est éventrée sans décence. Il n’a que faire des bibelots que l’agressive détresse de sa femme saque dans l’atmosphère, certains valsent loin et d’autres séduisent sa mâchoire de caresses tranchantes mais la plupart sont parés à la force seule des pognes ; celles-ci mêmes qui, arrivé à hauteur de l’Hyade, affrontent l’anatomie tempétueuse. Elle s’agite et s’enfièvre au contact de la manœuvre, renforçant que mieux l’emprise râblée enlisant les phalanges successivement sur les épaules, sur la taille puis sur le corsage autour duquel les bras s’enroulent. Une ultime saccade de la lionne entraîne les carcasses à reculons, et ce sont ses omoplates à lui qui offensent le mur d’une franche collision lui arrachant tout au plus un grognement de clapier thoracique. C’est là le seul son qu’il daigne formuler, avant qu’ils ne s’écroulent avec la malhabileté d’un empire brigandé. Et, longtemps, une perpétuité entière, il continue d’embastiller l’ergastule de l’âme en peine tel un garde-fou draconien, le faciès empoicrant de souffles solides la tignasse de jais. Nul besoin de lui dire. Ils ne sont peut-être plus que des étrangers l’un pour l’autre, mais leurs essences, trop sibyllines pour que les foutaises de l’esprit humain ne les atteignent, se confondent et se liguent dans la sérénité graduelle. L’appel au calme est entendu – d’une manière ou d’une autre. Enfin et ce seulement lorsque le tambourinement des myocardes dépérit, l’accent pacifiste converse contre lobe. « Je n’y croyais plus. La Putain du Serpent vouloir cracher sur les cendres de Son empire. » Tout regain belliqueux est aussitôt éteint par l’affermissement de l’étau et le fracas des maxillaires. « Laisse-moi savourer cet instant. Je l'ai attendu une éternité. » La compression des morphologies se mue en douceur, elle devient une étreinte, et l’étreinte une ivresse lorsqu’aux rondeurs féminines se livrent les articulations usées. Sous les empreintes, cependant, émerge le relief doté d’un pouvoir de répulsion des plus âpres puisqu’à son simple contact la main s’esbigne. Ce coquillage qu’elle arbore et qu’il honnit. « Tu n’aurais jamais dû garder ça… » L’accusation claque contre palais, suivie de la dextre qui revient guerroyer pour cette fois vaincre ; les doigts mordent, dévorent et arrachent le ruban maintenant l’amulette. Le nœud cède, non sans endolorir la nuque pillée. Dans le poing serré, serré à outrance, serré à s’en meurtrir la carne, gît probablement la dernière preuve de la Faute commise. Sa Faute. Endossée, acceptée, mais au grand jamais pardonnée. Ni par elle. Ni par lui. D’une vive impulsion, le talisman est largué à travers pièce et le creux métacarpien cisaillé et ensanglanté s’écrase contre les lèvres de l’endeuillée. Il ne veut rien savoir. Encore moins se souvenir. « Il ne devait rien rester de lui », rauque le bas phonème. Au bûcher, il pensait tout avoir livré.  
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Le Fanal — décembre 2003

Les talons nus ont à peine choqué les poutres de la piaule que la créature, tantôt pugnace, s'arque en une petite chose frêle et pâle, famélique sous ses nippes tombales. Bellatrix n'est plus qu'une peau de chagrin bouffée par les remords. Elle les sent grouiller dans ses viscères, puis arpenter à contrecourant veines et artères, telle une nuée de larves gâtant ses humeurs. Ses filles, ses haines, ses laideurs. Une chorale de ménades qu'elle a pendant huit ans tenu au silence, consignant leurs refrains là où nul ne pouvait les soupçonner. Phalanges lacées contre son cœur fou, comme pour l'empêcher de sourdre hors du tambour lynché qu'est sa charogne, elle réalise pourtant avec effroi qu'à l'ombre de cet organe ignoré, présumé mort, les voix ne se sont pas étiolées, au contraire. Dire qu'elle exigeait de Rodolphus qu'il creuse, lors même qu'elle n'a pas été foutu, pour sa part, d'inhumer quoi que ce soit, pas même la rumeur de ses propres affres. Ça la ferait presque marrer entre deux contractions de bidoche. Et elle ne sait plus, la marâtre, si leur délivrance est au fond à craindre ou souhaiter ; ce qu'elle sait, c'est qu'elle est imminente, et ses folies bien décidées à en découdre, à la découdre même. L'échancrure de femme se fend ainsi dans un cri, et les sutures psychiques cèdent. Suinte alors la crasse immonde d'une pestilente magie, souillures occultes après lesquelles les voilà qui rampent, les Maudites. Celles-là même qui tour à tour la possèdent parfois, mais qui depuis des lustres ne s'étaient plus manifestées de cette démente façon ; vision cauchemardesque s'il en est, car ce qu'elle voit, en promenant un regard ivre aux abords de son cataclysme mis au monde, ce sont ses clones, ses répliques qui, dans leur sarabande, saccagent et vandalisent tout sur leur passage. Une manifestation intempestive de ses facultés endiablées, ni plus ni moins, mais perçue sous le prisme de son insanité. Et tout lévite, et tout chavire dans un branle-bas infernal. Le mobilier éventré dégueule sa contenance puis réduit en miettes, il est à son tour raflé par la tornade des harpies. Le pire pourtant, ce n'est pas ce qui est fait, mais ce qui est dit ; car à la pluie de débris, se joint la non moins chaotique grêle des remontrances, déluge insensé d'incriminations que la furie s'inflige sans savoir s'arrêter. C'est l'Ardélion qui, à la faveur de son improbable irruption, interrompt la flagellante, tandis que sa carrure magnétise les rognes. Le cyclone, dont l'épouse est l'œil noir, ne fléchit néanmoins pas en intensité, mais l'ingérence de Rodolphus, lorsqu'elle lave son linge sale en famille, a au moins le don de perturber la faconde culpabilisatrice des bacchantes. « LAISSE-NOUS ! », mugit d'une même voix le chœur des démones aux abois, qui n'en a pas encore terminé. Mais l'Incoercible s'obstine à braver leur ire, jusqu'à se frayer corridor entre épaves et loques crachées en tous sens. Ainsi perce-t-il finalement leur orbite affolée, dérangeant la tarentelle, comme résolu à circonscrire toutes ses mégères en une seule étreinte. Et elles hurlent et elles ricanent, car l'entreprise semble vouée à l'échec ; ne voit-il pas qu'elles sont légion ? De fait, lorsque les bras se referment, il n'y a qu'une diablesse ferrée. Il n'y en a qu'une et néanmoins, c'est toute la harde invoquée qui semble ainsi mise aux fers. Les colères bridées sont alors ravalées en un hoquet par la charpente chancelante, et simultanément les lambeaux de lucidité se retranchent en leur siège, réconciliés de force, soudés par l'étau herculéen. « Laisse-no...moi... ! », glapit encore la délirante, en état de choc, lors même qu'elle flanche, à l'instar des décombres de la chambrée qui, en bloc, s'affaissent dans un fracas aliénant.

L'anatomie arpentée de curieux cahots névralgiques, busquée contre son Égide, ne rend cependant pas les armes sans heurts. Il lui faut un temps infini pour déjouer tout à fait les velléités rebelles d'un subconscient tyrannique, jouant au marionnettiste avec nerfs et tendons, et les pulsions instinctives d'une bastille de muscles crispés qui décline toute sommation de reddition que ce soit. Frissonne encore parfois à l'orle du larynx quelques accords abstrus, résonances d'un désespoir falot, frôlant par mégarde une corde vocale. Mais, somme toute, l'orage est passé, soufflé par ce puissant poitrail contre lequel la caboche dodeline, bercée par le galop de la bête cardiaque qui, au-dedans, lui intime la marche à suivre et dans les empreintes de laquelle il n'y a plus qu'à se couler. Aspire-t-il à vérifier qu'elle est bel et bien de retour, lorsqu'il lui gronde au tympan l'absconse insulte ? De ne pas jouer avec ce feu-là, elle voudrait lui rétorquer, sans doute davantage pour se le prouver à elle-même qu'à lui, qui aussitôt applique à ses lésions un baume qu'elle renifle avec suspicion. Savourer cet instant ? Sourcil froncé, elle se laisse faire pourtant sans broncher, toute entière consacrée à le dévisager, lombes cambrées dans l'étreinte, cependant qu'il plonge une paluche dans le corsage évasé pour en déloger le reliquat. Les dents grincent quelque peu, lorsqu'il le lui extorque avec la délicatesse d'un Sharak, mais elle ne fait pas mine entraver le geste. Elle ébauche à peine la formulation d'une riposte qu'il lui impose à nouveau silence. Ça devient une routine qu'elle ne goûte guère... mais qu'à sa manière, elle tolère.

Indolente, la menotte harpe alors sa colossale jumelle pour que s'en émancipe une bouche cependant mutique. Il ne veut rien entendre, aussi ne pipe-t-elle donc mot, mais ça ne l'empêchera pas de dire quand même, du bout des lèvres. C'est ainsi le sourcil contrarié d'Arcturus, et la parenthèse enclavant le sourire fantasmé d'Arcturus puis le menton faraud d'Arcturus, que celles-ci flattent de leur sceau purpurin. Un jeu ancien, auquel les jeunes parents naïfs se livraient parfois, en élucubrant milles et un avenirs morts-nés au-dessus de leur chérubin, assoupi dans son berceau. Il a tes yeux, murmurait le père. Il a ton nez, susurrait la mère. Il a beau n'avoir en définitive pas même hérité d'une niche dans le caveau familial, Arcturus continue d'être, et de vieillir, non pas avec eux, mais en eux. Regarder Rodolphus en face, ou parfois même son propre portrait, c'est comme contempler le reflet menteur d'un risèd : un putain de couteau dans la plaie inatteignable, planté entre omoplates et frétillant comme un alevin. Nul besoin d'une quelconque babiole, donc. Aussi ce coquillage n'est pas leur fils, mais leur sacrifice ;  non pas une relique d'un paradis perdu mais celle glanée aux brasiers des enfers foulés. Un trophée qu'elle porte au cou comme d'autres arborent à même le derme les symboles tatoués de leurs démons vaincus. Mais peut-être — et à l'aulne de ce qu'elle vient se s'infliger, la pensée fait sens — est-ce aussi une pénitence, une chaîne de forçat qui, tout ce temps, creusa de son poids anagogique, sans qu'elle ne s'en aperçoive, des failles mal colmatées, et par là gangrenées. Peut-être est-il effectivement temps de s'en séparer, pour permettre aux lésions de purger leurs sanies. L'éviction du sautoir ne serait que l'exorde d'une catharsis des plus pénibles ; mais s'il fallait ? S'il fallait en passer par là, s'il fallait qu'ils explorent leurs ténèbres intimes pour qu'à un certain point, ils soient en mesure de s'y rejoindre ? La nuque se guinde sur ce questionnement, et les prunelles jaugent leurs rivales. Car à contrario de ce qu'il revendique, ce n'est guère seulement l'instant qu'elle veut savourer, mais l'éternité qu'il leur reste. « Je t'en veux. », égrappe-t-elle alors, claquant paupières non sans une certaine pudeur, tandis que les fronts s'accointent. « D'en avoir fait... ton fardeau, ta faute. Je t'en veux de ne m'avoir décernée qu'un second rôle. » Bien sûr, pris au pied de la lettre, le blâme est inepte. Nulle autre qu'elle ne s'est constituée figurante, dans cette tragédie, en s'obstinant corps et âme à ce que l'épilogue soit sans cesse reconduit au mois prochain, puis au suivant, et ainsi de suite jusqu'à le contraindre, lui, à signer l'ouvrage sans elle. Mais tout compte fait, ce n'est pas d'avoir accompli ce qui devait être mis à exécution qui fait l'objet d'une incrimination ; elle ne l'accuse pas du meurtre de leur fils, mais témoigne plutôt de cet unique regret qui subsiste vingt-quatre ans plus tard : celui, non pas de n'avoir su être une bonne mère, mais d'avoir échoué en tant qu'épouse. Et cela, qu'elle formule sur le ton de l'accusation, n'est ni plus ni moins qu'un pardon. Un pardon à double-sens : un pardon mendié — certes avec l'arrogance d'un monarque —, mais surtout un pardon accordé, si tant est qu'il l'accepte. « Est-ce qu'il est trop tard ? », murmure-t-elle alors, en cabrant du chef pour s'enquérir du verdict à la source, avec la dignité d'un condamné. Chevillant les lazurites de son auscultation chirurgicale, elle ajoute, cette fois pour s'exposer vraiment, mais froidement : « Est-ce que je t'ai perdu ? Dis-moi. Est-ce que j'ai tout gâché ? »
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Le Fanal — décembre 2003

Dans le céruléen désuet de ses orbes, un amas de flammes vient rancir le noir abyssal de ses étroites pupilles. La sinistre ignition lui liche si aisément la mémoire qu’il pourrait s’y croire, devant ce brûlement de bois ayant avalé le cadavre chétif plus de vingt ans auparavant. Ce ne sont toutefois pas des hordes de remords qui l’assiègent, non plus des clivages atterrant son esprit, puisque la chose était à faire et serait faite à nouveau si au passé on le renvoyait. Jamais il n’aurait permis à la première branche généalogique de sa lignée de souffrir d’une telle dégénérescence, pas plus qu’il n’agrée aujourd’hui à ces ramures lui tenant lieu de famille quelqu’indigne incartade. Parangon de la noblesse déchue, ou infâme crevure aux instances rétrogrades, c’est fidèle à lui-même que perdure le quinquagénaire. Un homme à la moralité inspirée par des traditions et édits aussi antédiluviens et féroces que ne le sont ces flots vagissant dehors, un homme ayant trop embrassé La Cause au fil de son existence pour se défaire à présent de l’étreinte fatidique. Il ne s’attend pas à ce que les félons comprennent un jour pareil crédo, non plus s’attend-t-il à leur voir pousser la substance des conquérants ; bons qu’à piauler, se reproduire et dilapider l’héritage des Anciens dans d’impures patoches, ils précipitent de surcroît la fin du sacré qui en leur monde régnait. Ce sont ces mêmes ânes bâtés qui le condamneraient pour ses crimes, œillères consciencieusement installées car, surtout pas, ne doit être dérangée leur mauvaise foi. Ils brameraient meurtrier, et il éructerait pilleurs. Ils le nommeraient monstre, et il les rebaptiserait barbares. Combien reste-t-il de dévots ? Combien se sont parjurés et combien sont tombés ? Ce monde pour lequel Arcturus a été sacrifié, ce monde pour lequel ils ont si impitoyablement guerroyé existe-t-il encore ? Cette femme qu’il tient entre ses bras, mélancolie tragique pourléchant ses traits de baisers confus, est-elle l’ultime hoirie que ce champ de bataille veut bien lui céder ? Une infime saccade érafle sa babine, car c’est à l’abandon qu’il sent son corps partir à mesure que le labre féminin n’achemine son effroyable onction. Il lui semble subitement qu’un bon siècle de repos ne serait pas de refus, loin de l’agitation triviale et faisandée de la piétaille, loin des débonnaires et autres ineptes philanthropes ne lui inspirant que de sanguinolentes hécatombes. Il clôt les yeux à cette irritable pensée et délasse son crâne contre la paroi, avant que ses tympans ne subissent l’assaut tempéré de la gorgone maîtrisée et que ses rides n’en soient froissées.

Qu’elle lui en veuille n’a rien d'ahurissant. La divulgation n’est guère singulière puisque cette imputation est un truisme propre à leur mariage. Cependant la foudre ne tombe pas là où il l’aurait pensé, mais bien à des lieues de son entendement – là où s’égare la vésanie de son épouse. Elle aurait tort de penser ainsi. Occire leur fils était une peine par trop nécessaire, par trop indispensable pour que l'initiative, même abjecte, n’ait eu l’audace d’écraser son âme. Si le père ne pardonne en effet pas le geste, le patriarche, lui, ne s’embête d’aucun repentir. Il sait sa faute grave parce que la faiblesse du sentiment s’en mêle, mais en aucun cas sa raison ne laisserait-elle cet épisode muer en quelque pitoyable prétexte l'absolvant de ses péchés. Peut-être, néanmoins, qu’aux ombres il l’a offerte. Ces corridors d’arrière-scène dans lesquels elle s’est précipitée sans qu’il n’ait cherché à la rattraper ou même à la rejoindre. La sensation d’avoir failli était probablement trop encombrante pour retourner auprès d’elle en toute sérénité – l’orgueil a fait le reste. En rouvrant les paupières, il jette sur la figure marmoréenne une obligeance prudente que les astres suppliants de la vénusté ont la décence d’héberger. Ce n’est contre toute attente pas le reproche, qu’il consulte dans ce regard, mais bien une amnistie quelque peu timorée quoique résolument ancrée. Bellatrix est un firmament d’étrangetés en lequel il se perdrait volontiers lorsqu’ainsi joints leurs yeux s’expriment. Au terme de l’interrogatoire, les commissures hispides daignent rompre leur fermeté pour assouplir la gueule somme toute patibulaire de l’Éreinté. Un sourire, bien qu’indigent, naît dans le delta de son profil. « Je croyais que de nous deux, c’était moi le pessimiste. » Un misanthrope revêche qu’elle qualifiait autrefois d’ours avant même qu’ils ne troquent leur uniforme estudiantin pour d’odieux masques en argent ciselé. Revenant dans leur axe, les vertèbres arrachent ses calots du tableau grave dont elle pare son visage. « Ne porte pas un tel crédit à tes travers. T’accuser seule de notre naufrage est un impair que je n’ai jamais commis, et que je ne commettrais pas même si tu m’en offrais l’occasion. » Une nutation du chef signe à la négative et ses ridules s'ornent à présent d’une impavidité gibbeuse. « Je ne compte pas passer le temps qu’il nous reste à lambiner sur nos ruines. Je t’ai dérobée au combat et tu m’as soustrait au vide, ne me fais pas dire l’évidence comme si elle dédaignait ta pensée. » Cette étrange et non moins vive certitude que tout perdre était sûrement leur unique solution, la seule panacée à leur mal. Peut-être en effet que sans ça, sans ce cataclysme, ils se seraient oubliés l’un l’autre à travers leur office d’apôtres. « J’ai l’impression d’avoir passé une décade entière assoupi auprès de toi, présent mais aveuglé par l’inertie — et l’aigreur », confesse à demi mot l’émail serré. « Oui. Il est trop tard pour reprendre là où on s’était arrêtés, l’envie me manquerait assurément puisque plus rien ne nous rapproche de ce que nous étions alors. Pourtant t’étreindre m’enivre. C’est que tu ne m’indiffères pas encore. » Grand euphémisme pour cette carcasse électrisée au moindre contact, au moindre effleurement. Le timbre indûment nonchalant s’aspire trompeur, mais c’est sans compter sur l’éréthisme passionnel altérant son phrasé et la pression de ses membres. N’avoir jamais rien désiré d’autre que cette froide cariatide l’aura mené à l’orée du salubre, souillant la Mort autrement qu’en manœuvrant ses fils rouges pour qu’en ces chairs gâtées il dépure – à peine – sa frustration.

Malgré tout, la musculature se dénoue et s’écarte comme se redresse la charpente masculine. Arraché à la transe de l’étau plus tôt qu’on ne l’aurait cru, c’est sa dextre qu’il finit par tendre à la Maudite surplombée. La grâce du mouvement, quoique roide car sienne, a la suavité d’une dévotion. À leurs âges, on en sait déjà trop sur le langage pour croire le verbe entièrement fidèle au cœur ; la peau, elle, ne trompe jamais. Lorsque les mains s’enroulent et que l’un soulève l’autre, c’est un pacte tout entier qu’ils scellent muettement. La corneille abattue retrouve son port, qu’une longue cascatelle de plis obscurs accapare et vêt à l’image d’icônes qu’il sait chez certaines ethnies révérées. Celle-ci est cependant bien sienne, et le souffle qu’il délivre le lui confie en bordure de lippes puisque l’impulsion les a accolés. La touffeur derechef dégustée s’abroge alors même que les gueules égrainaient la distance, une cessation qu’il ébauche en rompant toute progression d’une saccade de nase. « Il faut que je sache », les lazurites s’enténèbrent et une rudesse belliqueuse pave soudainement son faciès, « ce qu’il est advenu de mon frère. » Un honneur étrange pour pareille ordure, qui ne feint toutefois d’aucune sorte l’inquiétude giflant les sillons de son timbre. Planquer sa couenne comme le premier des pétochards est une pilule qui lui est encore difficile à avaler, mais le faire sans avoir au moins une fois essayé de retrouver Rabastan est simplement impensable. Il ne cherche pas un miracle, seulement des réponses – factuelles et non pas subodorées par quelques ragots et hypothèses. Les phalanges rugueuses d’attardent contre la menotte saisie puis s’évadent à l’instar de l’homme, qui rallie la cuisine pour récupérer l’If et rabioter au porte-manteau un pardessus sombre légèrement trop étroit. Le bref essayage bigarre sur ses ridules une grogne familière pour l’épousée. « À qui diable as-tu dérobé ces habits ? Un maraud famélique ? » Manifestement, l’humeur bourrue du mastodonte est chez lui une constante bravant tout fatum. Une œillade est néanmoins glissée à la sylphide apparaissant dans l’encadrement de la porte, révélant un mari moins grondeur qu’il n’y paraît vraiment. « Si nous devons passer l’hiver dans ce trou à rats, il va nous falloir des vivres. Comestibles », se sent-il d’ajouter d’un revers de grimace sans oser développer davantage – il est certains terrains glissants sur lesquels même lui ne s’aventurerait pas. Laissant la suggestion planer sans faire à la madone l’affront de quelque ordre dicté, il aplatit sa paluche contre poignée puis évase l’huis derrière lequel un jour gris et maussade se blottit. Rodolphus s’y enfonce sans plus une palabre, refermant à moitié la lourde avant qu’un brusque volte-face n’abolisse son départ et que sa carrure ne fonde tout de go vers celle immobile de sa femme. Les serres trouvent refuge contre les mandibules diaphanes et des crocs affamés viennent chanter leur ardeur à même le charnu de cette pulpe maladivement convoitée. Longue rapine que ce baiser, morcelé de bouffées lascives et d’enlacements licencieux. Pourtant prévisible, l’embarras des décennies amoncelées décoche sur l’impulsion un regain de contrôle qui dérobe aux morphologies l’apogée de l’éros. Ils n’iront pas plus loin. Les badigoinces se quittent et le sien de labre est liché avec la paresse d’un libertin ; car il n’a de pudique que sa retenue. « Je rentrerai avant la nuit », affirme-t-il en retrouvant le chemin de la sortie. Plus qu’une allégation, c’est un défi. Qu’elle se risque à être là à son retour et plus rien de prude n’escortera ses gestes.
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Le Fanal — décembre 2003


chapter two


14 décembre, le Manoir de Norwich.

L'exubérance du jardin que la fugitive sillonne à vive allure n'est qu'une toile crasse, mâchurée d'amples traînées verdâtres que barbouille une ondée lapidaire. Qu'il s'agisse des bosquets frangeant la mare, s'affalant en mornes ramas de feuillages, du bocage de figuiers indomptés enlaçant le courtil au pied de la bâtisse, ou bien encore de la tonnelle de glycines étique ayant jadis fièrement obombré l'hyménée d'un couple aux cœurs encore légers  ; tout n'est là qu'abandon, stigmates d'humanités, conférant à l'endroit une tournure des plus piteuses à qui l'a autrefois connu entretenu, mais non moins pittoresque. Fruste relief drapé de noirceurs déferlant avec la brusquerie d'un césar en lande conquise, au mépris des précautions d'usage, Bellatrix n'est cependant plus légitime maîtresse des lieux depuis des lustres. Mais il est de ces espaces que l'on conserve en soi, de la même façon qu'on y sème un sillage persistant, et celui-ci en fait partie. Du parc au manoir, il n'est pas un empan qui ne lui soit familier, pas un recoin qui ne musse un souvenir ne serait-ce qu'anecdotique. C'est de ce fait un émoi équivoque que lui procure cette incursion impromptue. Si le séquestre de la demeure, ordonné suite à la condamnation des époux vingt-deux ans plus tôt, n'a guère jamais été envisagé comme une perte regrettable, compte tenu qu'aucun depuis ne tenait particulièrement à partager son quotidien avec d'odieux spectres mémoriels, cette résurgence évoque néanmoins un doux âge révolu, celui non pas de l'innocence — l'a-t-elle jamais connu ? —, mais celui de l'impunité. Aux côtés de Rodolphus, elle y coula en effet quelques jours heureux, à l'époque où, aux yeux du beau monde, ils n'étaient encore que le respectable couple Lestrange. Une denrée rare, que ces souvenances, et d'autant plus précieuse à l'aulne de la situation, mais par malheur trop enfouie pour que celle qui pourtant s'y enfonce au pas de charge puisse y puiser une quelconque exaltation. Tout au plus un malaise, n'éperonnant que davantage le sentiment d'insécurité qui déjà insuffle fougue à son trot. C'est qu'il est osé d'en affleurer les parages ; bien que vacantes, ces pénates sont estampillées mangemort-en-fuite, aussi le Lieutenant s'attendait-il à ce qu'une paire de factions aient été détachée de manière à guetter les potentielles allées et venues des anciens résidants. Pourtant, voilà plus d'une paire d'heures qu'elle rôde à l'affût du moindre sortilège qui témoignerait d'une surveillance hostile, sans qu'aucun péril ne consente à pointer proue. Ainsi a-t-elle troqué l'habit du clandestin pour une cocarde de va-t-en-guerre, résolue à prendre d'assaut les ruines et ce qui s'y cache puisque, de fait, elles n'ont d'inoccupées que l'apparence — en attestent d'ostensibles et fraîches empreintes décelées tantôt. Ce n'est d'ailleurs pas là mauvais signe ; cela prouverait que Kreuvar a mis à profit des années d'instructions rabâchées, pour ne pas dire martelées, par ses paranoïaques de maîtres. Car c'est bien pour l'elfe, que la proscrite vagabonde par monts et vaux ; de toutes les planques présumables, il n'y a plus que celle-ci, qu'elle trouble de sa marche téméraire, qui n'ait été visitée. Si cette ultime prospection fait chou blanc, c'est que le crétin trône sur la liste des biens confisqués par la tripotée de racailles s'étant arrogé la moindre de leurs possessions — auquel cas mieux vaudrait pour son maudit petit croupion qu'on ne leur rétrocède jamais la rapine. Il n'y a qu'une fois à couvert de la radée, tandis que son fracas écache la poussiéreuse inertie du vestibule, que le sureau est dégainé. Sans marquer halte, les degrés sont quatre à quatre gravis, jusqu'à ce que soit gagné le second étage et l'une des chambres, à la fenêtre de laquelle lui a semblé se distinguer une ombre, lorsqu'elle vadrouillait encore dans la closerie — incertitude qui motiva qu'elle décale d'ailleurs de la sorte, craignant que l'intrus ne s'esbigne. La bonne nouvelle, c'est qu'elle n'a pas rêvé ; la mauvaise, c'est qu'il ne s'agit pas de Kreuvar, mais d'un mioche qui, sidéré, la reluque, l'air d'avoir à mirer quelque revenant. « Bordel. », largue la Maudite, en expirant par naseaux sa déception. « V...vous...êtes...la...la-la...sor...la sorcière ? » Quelle question à la con, a-t-elle l'air d'une... ? « Et toi, t'es quoi ? », qu'elle rétorque, en saisissant la méprise à la tronche ahurie que tire le moldu, écarquillant des quinquets sur sa baguette. « Je... moi ? Bah, euh, Arnold... vous allez me... ? » Dissimulant tige à revers de cape, mais non pas vilenie, la cruelle ronge la distance d'une enjambée. « Quoi, te bouffer ? Gaffe, nabot, tu m'donnes des idées... », susurre-t-elle, bien que ponctuant la menace d'un ricanement. C'est qu'il y croit, ce couillon ! « Non, détends-toi. Les sorcières ne mangent pas les enfants, ânonne-t-elle en recouvrant son austère consternation, Mais dis-moi... tu as de l'imagination, pour un mol...moutard. » Un brin vexé par l'appellation, celui-ci claque des dents, étoupant le goulot qui béait jusque-là de stupeur. Pas longtemps, car très vite, il hausse des épaules et se justifie : « C'est parce qu'on dit que... c'est hanté, ici, et qu'une sorcière y vit, alors... mais j'sais bien qu'ça existe pas, c'est juste que vous... m'avez fichue les miquettes à débouler comme ça... » Et il n'est pas le premier, à s'ébahir de la sorte à sa vision. « Hanté, hein ? » Oui, qu'il fait du front. « Hanté j'sais pas trop, mais moi j'ai vu... » Fronçant un sourcil, elle gratte un surplus de terrain. « Vu quoi, mon cher Arnold ? », qu'elle s'enquiert, et au dénommé, galvanisé par le crédit inespéré accordé à son aventure, d'embrayer : « Un ovni. J'vous jure, tout petit et tout vert, avec de graaands yeux. Aussi sûrement que j'vous vois ! » Alors cette fois, ce n'est plus railleur qu'est son rire, mais franc, tonitruant même. « Un ovni... ! Et tu saurais me préciser où ? » Derechef, le garçon opine, pointant de l'index l'étage supérieur. « J'étais venu le photographier, pour les copains, j'en ai marre qu'on me traite de menteur, voyez. » Imaginer Kreuvar en vedette de cour de récréation moldue est un sommet d'absurdité n'exacerbant qu'encore davantage l'hilarité de la visiteuse, dont la liesse triomphante se trouve être toutefois dénaturée par son interlocuteur, qui s'enfle d'une moue frondeuse. « Vous m'croyez pas ? Bah v'nez ! » Aussitôt, le voilà qui décampe et, sur ses talons, un danger public qui n'en finit plus de se bidonner.

Lorsqu'elle rallie le jardin, une poignée de minutes plus tard, au terme de retrouvailles pour le moins sciantes, c'est une Lestrange tout à fait réjouie qui louche sur le fameux ovni trottinant à sa droite. « Dire que tu as frôlé la célébrité, Kreuvar... », se gausse-t-elle, en hissant capuche. Après avoir enjambé le cadavre d'Arnold, défenestré quelques instants auparavant, le duo accède, en quelques foulées, à la futaie somnolant à l'arrière de la masure. « Il est là, tu dis ? », brigue la Mangemorte, en lorgnant l'elfe mutique qui opine. Alors, calant deux phalanges entre lèvres, elle produit un long sifflement en direction des frondaisons. « Crois-moi, on s'en lasse à force. Tu n'as rien raté. La notoriété, on en fait toute une histoire, mais au fond... rien que des soucis. Ah ! Le voilà. » Poing tendu en direction des feuillus, elle indique d'une saccade de mâchoire le vol précipité d'un volatile au plumage émeraude. Une chance que la bestiole se soit laissée capturer avant la fuite. « Ignace ! », qu'elle hèle, et à l'Augurey de fondre sur le perchoir présenté. « Bon. Nous pouvons y aller. Nous n'avons rien laissé derrière nous ? » Lorgnant en arrière-champ le malencontreux accident, elle harponne alors l'épaule du serf, et tous trois se volatilisent enfin, dans la clameur d'un transplanage.


* * *

15 décembre, le Fanal.

Embastillée dans sa geôle nocturne, à la sommité du phare désaffecté, la Vigie peine à récréer ses pensées bilieuses. Échine fléchie sur son ouvrage, pourtant, elle s'y opiniâtre en ne coulant d'œillades vers l'obscur que pour viser les nuées étoilées qu'elle s'applique à cartographier. Aux astres, elle s'est décidée à confier ses errances, lorsqu'au déclin du second jour, son impatience se muait en folles théories : et s'il est pris ? et s'il lui est arrivé malheur ? n'avait-il pas annoncé qu'il rentrerait le soir-même ? Pas moins de cent fois, ces questionnements ont tarabusté sa psyché, engendrant par dizaines les essors hardis qui, sur le seuil de sa demeure, la conduisaient à se persuader qu'il fallait remuer ciel et terre à la recherche de l'Absent. Au ciel s'est-elle cantonnée en définitive, chaque fois rattrapée par de raisonnables instincts lui dictant patience. Mais la patience est à Bellatrix ce que le feu est à la poudre ; tôt ou tard, l'alchimie fallacieusement inactive détone. Et c'est bel et bien à telle impétuosité que la sorcière se prohibe de céder, en s'usant prunelles et vigueur de la sorte, puisque de fait il n'y a que telle activité qui n'ait jamais été à même de tempérer ses ardeurs. « Quoi. », crache-t-elle entre crocs grippés à l'intrus qui accède à son antre culminante après en avoir escaladé le colimaçon. Une séduisante effluve lui flatte alors narine, en guise d'unique réplique. Muet depuis qu'une certaine personne s'est un jour emparé de son lingual tranché dans un coup de sang, Kreuvar ne saurait en effet lui répondre qu'en griffonnant son dialecte sur ardoise ; mais les pognes encombrées d'un plateau, le mutilé s'en trouve dès lors incapable. Lorgnant la bombance, pourtant mitonnée à sa convenance, la Maudite plisse du minois : « Pas faim, remballe. », qu'elle débite. En réalité, elle calanche presque d'inanition. Mais se nourrir, c'est aussi ravitailler ce qu'elle tâche précisément d'abattre : sa volonté. Elle n'aspire de fait plus qu'à la léthargie — à défaut de courir vainement après un sommeil qu'elle sait par avance fuyant —, qu'à cet état d'apathie généralisé, ultime camisole qui entraverait, pour de bon, ses élans suicidaires. Car attendre, c'est encore ce qu'il se fait de mieux pour les fuyards de son acabit. Toute impulsion audacieuse, elle le sait mieux que quiconque, surtout motivée par quelque affect, équivaut à caracoler en bord de ravin. Or, si Rodolphus en est pris au piège, et qu'il faut tôt ou tard l'en secourir, mieux vaut cette fois se garder de l'y suivre. Le nez déclinant de nouveau sur le vélin, et tandis que la plume amorce un tracé, le geste toutefois se fige. Aux abois, muscles bandés, elle se focalise sur ce qu'elle croit n'être au début qu'un badinage de la tempête, faisant rage à l'extérieur, et du portique branlant scellant mal l'entrée de sa tour de guet. Cependant, à moins que le typhon ne se soit doté de guiboles, il y a bien quelqu'un — dont elle reconnaîtrait la démarche entre mille — dans l'escalier. Sclérosée dans sa posture attentive, l'épouse cille néanmoins ; monsieur a quand même daigné rentrer, qu'elle songe. Le labre s'effile alors d'un rictus mi-figue, mi-raisin, manifestation de son soulas et de son acrimonie toute mûre. Avant, néanmoins, que le bougre n'abouche, l'attitude a pris soin de s'alanguir et toute à son œuvre, l'astrologue ne semble plus désormais faire montre d'aucun trouble.

Mais Ignace, perché sur le faîte de la bibliothèque, n'en peut quant à lui déjà plus de piauler.
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of our lost kingdoms
Le Fanal — décembre 2003

14 décembre, Cambridge. Dans la clarté matinale, la bruine perdure comme une soierie fiévreuse dardée d’ivoire. Elle est en cette venelle bien peu dérangée, contrairement à l’un de ses autres bras élongés sur les pavements de l’illustre faculté – nichée à une poignée de kilomètres plus à l’ouest. Là-bas, l’afflux de pèlerins et disciples cogne si bien le dallage qu’envisager la moindre apparition transplanée serait pure ineptie, quand bien même l’on soit quelque fieffé opposant au Code du Secret. Ce que le Lestrange n’est assurément pas, tout comme il se garde d'infirmer ses chances dans l’art délicat qu’est la furtivité. Aussi est-ce dans la tranquille et modeste ruelle qu’accoste son voyage transdimensionnel, un port modérément emprunté au fil des dernières années mais suffisamment frais dans sa mémoire pour que la survenance se fasse sans accrocs. Le fracas insonore dérange une malheureuse palombe venue trouver refuge sur un rebord de volet, seul et unique être vivant ayant eu droit à la vision du pareil phénomène puisque tout autour, sous chaque faîtière, règne une torpeur ingénue. Le gabarit masculin poursuit son pas comme s’il ne l’avait jamais rompu, avant de rejoindre la lisière de l’aorte débouchant sur une rue cette fois ô combien passante. Rien n’a vraiment changé si ce n’est quelques enseignes commerçantes vers lesquelles il vomit une œillade sordide, avant d’emboîter le flux piétonnier non sans relever le haut col de son manteau – au préalable agrandi à la bonne taille d’un coup de sortilège bien placé. Malgré l’heure, l’affluence est déjà telle que c’est en jouant des épaules qu’il doit frayer son chemin, cognant çà et là des hères qui pivotent vers le rustre pour l’agonir de reproches avant de se raviser ; l’individu, bien que taiseux et imperméable à son environnement, dégage une aura lapidifiant tout essor séditieux. Les mouilles se scellent et les attentions s’esquivent, laissant l’Étranger transpercer l’essaim plébéien jusqu’à ce qu’il ne rejoigne le trottoir d’en face, ne s’enfonce derechef dans deux autres artères et ne déboule cette fois sur une petite cour murée et archaïque. S’y trouve un Cadaver Palaver, autrement dit l’un des six lieux secrets employés en Angleterre par la secte des Haidêistes. Hypogée en lequel il a naturellement ses entrées, comme dans nombre d’autres sanctuaires païens essaimés à travers le monde, regroupant fanatiques et savants idolâtrant la Camarde sous toutes ses formes et conceptions. Des guignols, si d’aventure on demandait au Nécroman son miséricordieux avis, des néophytes loin de rivaliser avec le premier de ses novices mais somme toute utiles dès lors qu’il est question d’éplucher la Terre pour lui ravir ses funestes magots. La plus probante similitude entre toutes ces castes fréquentées c’est qu’aussi moldus soient leurs membres, Rodolphus Lestrange les tolère curieusement, comme si cette affinité consubstantielle érodait sensiblement la médiocrité de ces chiens aux yeux de l’Élitiste.

Dévalant les quelques marches d’une pierre écaillée, c’est contre une porte enfoncée plus bas que sol et au bois usé que son poing finit par se projeter. Trois heurts, blanc, puis quatre autres heurts. Le judas s’entrouvre et un œil cauteleux s’y glisse, dévisageant l’intrus d’une prunelle nerveuse. « Mot de passe. » Les ridules masculines placardent une exaspération ostensible. « Sérieusement ? » Depuis quand ces trouffions demandent-ils un foutu mot de passe. Sa légendaire tronche devrait suffire à ouvrir tous les huis sacraux de leurs bauges miasmatiques pour lesquels il a tant investi. « Ouvre-moi cette putain de porte, je ne suis pas d’humeur à mollarder des menaces jusqu’à ce que t’en pisses dans ton futal. Ouvre », rauque-t-il bassement, provoquant chez la pupille un tressautement. Mais l’olibrius ne s’exécute pas pour autant, prenant l’huis le séparant du colosse pour une fortification impénétrable. « Mot de passe. Ou vous pouvez aller vous faire voir ailleurs. » L’If glisse dans la dextre du sorcier, sur les badigoinces duquel un rictus croasse. « Sans déconner. » Avant que la baguette n’achève définitivement le litige, une troisième voix hulule un rire engourdi dans le fond de la bâtisse. « Suffit, suffit Gauvihan. Je reconnaîtrais cette emphase de rogomme entre mille autres orages. Pousse-toi donc, jeune fou, ou c’est éborgné que tu vas finir. » Des froissements d’étoffe se font entendre derrière, et le globe disparaît en même temps que l’If est rengainé et que l’huisserie est évasée. Un aïeul de courte taille apparaît, parcheminé de rides et nippé comme un moine, levant sur le visiteur un regard madré. « Il n’y a pas que sa vue, que je devrais lui ôter. Mais sa cervelle toute entière. » Gauvihan, qu’il voit déguerpir dans la pénombre, est un adolescent pas plus pubère que le cul d’une nymphette. Il est accoutré de la même manière que l’ancêtre. Le faciès hirsute du nouvel hôte lui adresse un sourire carnassier dont la malveillance ne laisse place à aucun doute. De justesse, il vient d’en réchapper. Et fissa, le potache disparaît à l’étage. « Un nouvel épigone ? Il a l’air encore plus crétin que le précédent. » Le barbon crépite d’un nouveau rire. « Heureux de vous revoir, Professeur. »

Les sous-sols, usuellement courtisés par les fidèles de la prêtraille, sont étrangement quiets. N’ayant toutefois que faire de l’assiduité collégiale, le présumé professeur se rend avec Fetherstonhaugh jusqu’à ses quartiers, sorte de cabinet que l’on soupçonnerait être à la fois un laboratoire et une antique librairie. S’il est revenu ici, c’est pour une seule et unique chose ; la bague de Janus. « Je croyais que vous n’aviez jamais reçu mon message. » Ils s’avancent à hauteur d’une étroite vitrine, en laquelle repose un anneau au vieil or et aux apparences des plus banales. « Je l’ai reçu. J’attendais simplement le moment... opportun. C’est elle ? » La cabèche au crin gris opine, puis aux pognes arthritiques de soulever la vitre. « Du moins, tout porte à le croire. Il s’agit d’une science qui n’est jamais vraiment exacte… » Les phalanges du mage noir s’accaparent la relique et en sentant le matériau vibrer au contact de sa carne, les lippes se retroussent. « C’est elle. » Car il ne s’agit pas d’une quelconque science abstraite, mais bien de sorcellerie.  

14 décembre, Londres. Détour indispensable, Cambridge est maintenant loin. L’après-midi n’a néanmoins pas aboli les températures hiémales du pays, et une fine pluie s’est même mise à trébucher contre la mégapole. Le transplanage s’est une fois de plus fait sans embuches, et c’est à présent dans les bas-quartiers de la cité que rôdaille l’ombre carnaire. Pénétrer le Londres magique étant – au vu des circonstances – sensément impossible, c’est dans sa banlieue beaucoup plus prosaïque qu’il compte trouver la solution ; un visage inconnu de la société sorcière. Et l’incantation qu’il va falloir déployer, ténébreuse au possible, ne se serait conclue qu’en un terrible fiasco sans sa récente acquisition… Louvoyant soigneusement entre sentiers asphaltés et squares esseulés afin qu’aucun quidam ni caméra n’imprime sur sapience ou pellicule sa venue, il finit par aborder l’un des secteurs les plus pauvres de l’agglomération ; le Whitechapel du XXIème siècle. Des débris d’humanité s’y confinent à l’image de tumeurs rongeant le sein d’une matrice, et se réchauffent par endroits à l’aide seule de jerricanes embrasés. Les mines qu’il y croise ressemblent à la sienne, patibulaires, accablées et affamées, à peu de choses près qu’en ce prétoire malfamé, il est le prédateur de ces proies. Aucun ne le remarque cependant, laissant le charognard vagabonder au grès du bitume sans qu’il n’ait à dissimuler ses énigmatiques desseins. Jusqu’à ce que, sous un pont d’autoroute, un bougre isolé n’attire son attention. Le clochard a des allures de quinquagénaire, bien qu’il n’ait probablement que la quarantaine, et la morphologie de son profil correspond plus ou moins à ce que le Faucheur recherche. Mettant un terme à sa prospection méthodique, il approche patiemment de sa pâture. « Vous êtes seul ? » L’hominien soulève avec peine sa vue brouillée par la gnôle, guignant de bas en haut son interlocuteur. « D’solé mon gars. J’michetonne pas… mais y a des gamins plus loin, s’tu veux, qui pour quelques livres t’feront la totale avec ou sans préso'. J’dirais pas non à quelques piécettes par cont', 'pis comme ça j’t’indique le ch’min… » La suggestion fait clamser toute maussaderie chez le déguenillé qui arbore à présent une risette édentée, face à laquelle l’homme infléchit son chef vers le côté tout en auscultant les reliefs de la mâchoire opposée. Une étude suspicieuse qui désagrège la mimique du gredin. « 'chier, z’êtes un condé c’ça ? 'scusez, hein, mais des types dans vot' genre qui viennent jusqu’ici pour d’mander un truc pareil, bah en général c’pour tringler du cochon. Mais moi comme j’vous ai dit, j’suis un gars respectable m’voyez.Et seul ?Euh. … ouais. Seul… dites ça vous dérangerait d’me montrer vot' plaque… ? »

* * *
Dans la tourbe urbaine, entre canettes usagées, journaux déchirés, déjections, mégots, seringues, et tout ce que la flore des bas-fonds fait bourgeonner dans son paysage, une masse d’oripeaux et de chairs gît. Le mendiant a perdu de sa faconde, bien qu’il soit laborieux de le reconnaître totalement ; sa binette, entaillée sur l'intégralité du pourtour, n’exhibe plus qu’un portrait d’écorché vif, muscles, tendons et ossements goûtant l’oxygène que la pollution sature. Son teint, dorénavant répugnant, farde une expression d’épouvante figée à jamais dans la raideur mortuaire sarclant son corps. Surplombant cet Icare échoué, le Bourreau soupèse en sa senestre l’effigie découpée, verso sanguinolent tourné vers l’extérieur, avant de porter le trophée jusqu’à sa figure granitique et de l’y écraser dans un bruit de succion. Peu à peu ses ridules deviennent autres, et ce sont les traits du va-nu-pieds qui prennent place et forme sur son faciès tout juste ébroué par l’ânonnement de la formule sépulcrale. À ses pieds, les rats grignotent déjà la bidoche labourée de la respectable dépouille.

* * *
Sans cette bague, il sait qu’une prodigieuse céphalée se serait déjà emparée de son crâne, à mesure que les pensées et la personnalité du défunt se seraient confortablement logées dans le foyer de son acuité. Il n’aurait pas tenu longtemps avant de tituber, le crâne fendillé par une démence et affection aigües, peu à peu incapable de se dissocier psychiquement du masque mortuaire. Mais rien de tout cela ne devrait survenir, ni maintenant, ni après, ni même dans quelques jours où, d’un naturel alarmant, le fallacieux portrait se putréfiera à l’instar de n’importe quel cadavre. Quelques heures devraient néanmoins lui suffire, quelques heures pour glaner des réponses à ses questions, quelques heures pour retrouver la trace du frangin et le ramener au bercail ; quel que soit ce bercail. Assise devant lui, Jesamine Qwenty a la pupille molle des cibles prises sous Imperium. Son ancienne employée lorgne l’établissement dans lequel ils se trouvent, tantôt inquiète tantôt indifférente, biglant sur les têtes réduites que le carcan dégorge entre autres fourbis malséants. Au Nargole Éventré, pension suspecte à bien des égards, rien ne transpire le bon goût. Nonobstant son sinistre cadre, c’est bien pour la discrétion offerte à sa clientèle qu’il est allé prendre table dans cette gargote de l’Allée des Embrumes. Trahir sa présence, en franchissant la moindre barrière magique nouvellement installée, est un risque qu’il ne préfère pas prendre, moins encore lorsqu’on peut assujettir son ancienne copiste et la manœuvrer à sa guise. La voici qui lui tend d’ailleurs un sac en cuir qu’il récupère, stoïque. « Tout y est. » S’y entassent des ingrédients pour potions – notamment celle du polynectar. Convaincu à n’en point démordre, le patriarche s’est laissé prendre au jeu perfide de l’espoir, certain de pouvoir porter une fiole de cet élixir à son puîné une fois celui-ci retrouvé. « Les journaux. » Docile, la commise lui tend plusieurs papelards datés de décembre, dont celui fraîchement paru. Tandis qu’il en feuillette les pages, chassant le moindre indice à travers colonnes et articles, faits divers et annonces, la péronnelle fronce des sourcils. « Pourquoi sommes-nous ici, déjà… ? » Effet secondaire de l’emprise telle que fomentée par les soins du sorcier, la mémoire à court terme a encombré l’intellect envoûté pour qu’aucun fragment de libre arbitre ne vienne parasiter les pensées de son polichinelle. La réponse ne se fait pas attendre, bien qu’elle ait la mollesse des sentences que l’on articule sans prêter grande attention. « Pour profiter du décor. » Prise au pied de la lettre, la mention fait opiner avec sérieux la typesse qui derechef inspecte les environs cette fois avec grande sympathie. Tout lui semble soudain bien plus beau, un vrai palace si l’on en croit ses contorsions ravies et ses singeries buccales, qui s’accroissent lorsque toute son attention béate trébuche sur la chevalière ceignant l’auriculaire masculin. « Ça alors ! Vous portez les armoiries des Lestrange ? », caquète l’autre, le rire nasillard, avant qu’il n’aperçoive sa bévue de bleusaille. Jurant, il s’arrache à ses lectures et retourne les armes vers l’intérieur de sa pogne. « Ça me rappelle qu’on en a un, écroué dans les cachots du Ministère. » Le masque ensorcelé se braque vers la femme. « … répétez-moi ça ? » Et de s’exécuter, sottement. « Ça me rappelle qu’on en a un, écroué dans les cachots du Ministère. » Non. « Lequel. » Pas ça. « Vous allez rire. L’ancien de la J.M. Rabastan Lestrange. » Loin de se fendre la poire, son interlocuteur tique et finit par se relever en saisissant le sac. « Donnez-moi ce qu’il vous reste de Gallions. » Jesamine fouille son porte-monnaie, conséquemment allégé par les achats onéreux commandés plus tôt. En tendant le pécule, elle s’excuse platement. « Je n’ai que ça. » Il range la somme. « Vous partez ?Oui.Je vous suis ?Non. Allez plutôt vous jeter au-dessus d’un pont.D’accord. »

* * *
L’astre décline tout juste, et c’est pourtant un royaume de poix dans lequel se précipitent ses réflexions. Niellées sur un métal rouge, ses lazurites s’imbibent d’ire. Un carrefour entier l’éloigne de la cabine téléphonique, une distance irréaliste le séparant de l’atrium, du Ministère. Il lui suffirait d’entrer là-dedans pour se retrouver dans le poulailler et ne faire qu’une bouchée de ce qui s’y trouve. Mettre à feu et à sang un sacerdoce de toute manière exécré, avant et après Chute ; et puis au pire, en essayant, emporter dans son tombeau un déluge de victimes. Si l’impulsivité n’a jamais été son fort, la vendetta est une épigraphe frappée sur le minerai de ses entrailles. Une brûlure d’estomac que seul l’ichor d’autrui ne peut soigner. Sortir son frère de là serait une mission suicidaire, mais entre le Baiser et la perpétuité, Rodolphus sait que son cadet préférerait largement mieux crever baguette au poing et majeur dressé.

Un coup de klaxon résonne précipitamment et un bolide le frôle. Instinctivement aimanté par l’appel du carnage, ses pas l’ont conduit sur la chaussée bondée du centre-ville que la bête quitte sitôt en réintégrant le bas-côté. Foutus engins. Foutue race. Son labre, déformé par la haine, expectore un crachat qui atterrit sous le maudit caoutchouc des roues hâtées. C’est dans un feudeymon incendier qu’on devrait balancer ces merdasses, et avec elles les conducteurs, et avec les conducteurs leur famille, et avec leur famille l’ethnie au complet. Un soupir balafre ses naseaux, tout bon sens retrouvé après pareil entrefaite. Pas d’hécatombe pour aujourd’hui, ni ici, ni dans les souterrains gouvernementaux. Il lui faut réfléchir, prendre de la distance. Et surtout…, oh oui, surtout, il lui faut une bonne dose.
* * *

« La ferme. » Son laïus, il peut se le bourrer droit dans le fondement. Il ne la connaît que trop bien, la ritournelle des marchands d’Orviétan. Tout juste arrivé dans la charmille d’entrepôts désaffectés, le dealer lui a sauté dessus comme une ribaude sur des grosses burnes. L’If n’a pas tardé à racler l’air, joignant à l'ordre un Avada Kedavra expéditif. Les serres viennent piller le macchabée et le transplanage s’exécute presque aussitôt que la silhouette se relève.  

15 décembre, lieu inconnu. Il ne l’avait encore jamais inhalé. Il ne l’avait encore jamais pris aussi brut, aussi dur. Mais le Navitas est un aimable diable qui se fiche pas mal de savoir comment on l’invoque. Ce qui lui importe est l’éclipse, la déchéance de son dreamer. Et pour dégringoler, cette fois, le plongeon a été démesuré. Un long phantasme dans lequel il s’est perdu jusqu’à plus soif, un néant tranquille qu’il n’avait plus visité ; et ce gouffre, violent de roublardise, a eu tôt fait de le ramener dans son giron. L’inconfort de sa posture lui arrache une plainte avant même que les paupières ne se rouvrent, et lorsqu’elles s’y consacrent, c’est un empyrée flou et obscur auquel son regard a droit. Minable, engoncé dans un lit de gravats, la charpente douloureuse et la musculature fustigée par une inflammation sourde, il courbe son râble et se donne l’impulsion suffisante pour se redresser. Il ne se remémore que des bribes, des éclats noirauds envasant ses fondrilles de souvenirs. Les alentours sont ceux d’une usine abandonnée, ce qu’il en reste tout du moins puisque le Temps lui a mordillé la couenne pour ne laisser que des ruines – quoiqu’un récent cyclone semble avoir démoli fenêtres, moellons, et machinerie. Enclavant avec force la baguette, les jointures rubigineuses trahissent leur implication en tressaillant d’emblée, avec peut-être autant de vigueur que son organisme ne chancelle. Un relent de bile est brusquement régurgité contre pierraille bien que la panse n’ait pas grand chose à rendre, et un feulement prolongé monte du gosier ankylosé comme s'aplatit le dos d’une patte contre lippes. La mâchoire a retrouvé sa densité hispide ; un coup d’œil est jeté vers la gauche où le masque écorché réside, probablement après avoir été âprement retiré dans le courant des dernières heures. Ça renifle déjà un début de pourrissement, parfum dont il s’est si bien accoutumé que l'inspirer revigore le Nécroman. L’ascension n’en reste pas moins fastidieuse, et il semble au patriarche qu’on ait encollé le double de son âge à son impotente carcasse. Le sac de cuir intact l’attend non loin, mollement éclairé par un rayon sélénite car la nuit est immense. 24h de narcose…

15 décembre, le Fanal. Escortée par l’embrun, la stature franchit le seuil, dépose la besace et se dévêt avec lenteur du pardessus qui rejoint la patère. Une tiédeur lénitive loge désormais dans la masure, damasquinée dans les larges pièces ayant remplacé l’étroitesse du phare. L’épouse n’a pas chômé. Il doute cependant recevoir un accueil aussi chaleureux que ne l’est le nouvel apparat du Fanal, une conviction grandissant à chaque foulée amorcée, et inexorablement avérée lorsque le chant de l’Augurey lui parvient jusqu’aux esgourdes. « Oiseau de malheur », persifle-t-il entre canines, sobriquet pour le moins congru qu’il n’a cessé d'octroyer à la créature perse au fil des derniers éons. Comment nommer autrement un animal qui, non peu fier de ses dons, présage chacun des courroux de Bellatrix Black ? Il avait vaguement espéré que le piaf ne rejoigne leur fortune larronnée, mais force lui est de constater qu’envers et contre tous, Ignace fait de la résistance. Et pas que. Venant sur son flanc gauche, Kreuvar émerge avec une diligence tout à fait servile. Son maître n’aurait jamais cru possible se réjouir un jour de la sorte en voyant la gueule cousue de l’elfe, d’autant que les menottes vieillardes tiennent un plat dont il hume avec délice les arômes. « Morgane soit louée. Des mets digestes. » Une paluche soustrait l’assiette. « Où est-Elle ? », finit-il par demander, le portrait déstructuré par un léger scepticisme. Un index rabougri lui désigne les hauteurs de la bicoque.

Il s’y rend un peu plus tard, une fois le repas dûment avalé. L’office dans lequel il entre ne concorde en rien avec le pinacle d’un phare ordinaire, bien qu’il corresponde on ne peut mieux à l’érudite y patrouillant. Mirant le galbe voûté au-dessus de la mappemonde astrale, il débarrasse quelques opuscules traînant sur un fauteuil et s’y assoit, contemplant non pas le ciel dont les arcanes lui ont toujours paru abstrus, mais la Cabaliste besognant. Elle fait de sa mutité une sempiternelle bastide dont il ne veut cette fois combattre aucune des tours. Dans le silence il persiste, et, dans cette quiétude, il se complait même, lui dont l’esprit n’est pas encore tout à fait remis du sopor. C’est le languissant volatile qui, finalement, a raison de sa taciturnité. « Ce n’est pas une mélopée, qu’il siffle. C’est une géhenne. » Comme effarouché par le phonème irascible, le bec diminue sa psalmodie, prodige ponctué par un soupir esquinté du mari. Des excuses, il n’en proférera pas, une outrecuidance dont il devine déjà la coût. Ses doigts grimpent, broient l’arête nasale. « Je me suis égaré », ce qui n’est en soi pas une menterie – ce serait même la meilleure des synthèses. Massant le cartilage sans discontinuer, yeux claustrés derrière chairs, il savoure une ultime pause puis continue. « Ils ont eu Rabastan. Ce gamin a toujours eu une guigne de Saint. » Le terme dénote mais en confesse aussi davantage que la plus probante des déclarations. Il est et restera son petit frère, le môme tardivement adoré. « S’ils le condamnent… » Bien sûr, qu’ils le condamneront. Mais à quoi ? C’est surtout vers cette question que converge le furieux désarroi. Laissée en suspens, la phrase s’éternise, grossit, enfante bien pire et promet dans le dédale des rides grignées une guerre parée au déchaînement.
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