Samaël avait les bottes crasseuses. Elles faisaient un sale bruit de succion à chaque foulée en s'enfonçant dans la boue. Il essayait de contrôler son souffle mais il courait comme un forcené, et sa respiration était erratique. Il n'avait pas assez d'énergie pour continuer ce petit manège plus longtemps. Un coup d’œil en arrière lui certifia une légère avance. Il accéléra la cadence en puisant dans ses dernières forces. Il fallait qu'il trouve un abri. Et vite. Sinon, c'était la capture, c'était la misère. La mort, comme il l'avait vue des centaines de fois dans ses rêves. Il obliqua à gauche, puis à droite, et finit par pousser les portes d'une bâtisse au hasard. Elles étaient closes, bien sûr. Il ne pouvait pas appeler à l'aide, ou bien il alerterait ses poursuivants. Il tenta sa chance à la boutique d'à côté. Portes ouvertes. Sans se poser de question, il entra en trombe, referma les battants derrière lui et s'y adossa, respirant le moins fort possible. D'un regard, il balaya la pièce dans laquelle il se trouvait. Une lumière venait de l'arrière-boutique. En catastrophe, il sortit sa baguette. Et maintenant ? Il prenait en otage le pauvre moldu qui travaillait là ? Il l'obligeait à lui obéir ? Sam n'avait jamais lancé d'impero. Peut-être qu'en expliquant sa situation, on accepterait de le cacher. Pour quelques heures seulement... Il n'avait besoin que de quelques heures.

Il entendit les rafleurs passer devant le bâtiment. Ils ne firent aucun arrêt, et le bruit de leurs pas s'éloigna. Pourtant, Samaël ne voulait pas se risquer à sortir : les autres pouvaient toujours quadriller le village. Du bruit dans l'arrière-boutique. Sam se figea, baguette prête. La silhouette d'un homme se découpa dans la lumière. Ce dernier entra dans la pièce principale, et concentré, il ne remarqua pas Sam de suite. Lorsqu'il le vit, il se figea à son tour. Un petit échange de regards accompagna un silence tendu. Sam posa un doigt sur ses lèvres, nerveux. Il s'éloigna de la porte en murmurant ❝ I'm sorry to barge in. ❞ Il embrassa la pièce du regard une nouvelle fois, s'arrêtant sur quelques détails. Des dessins, des aiguilles. Un banc de massage, ou quelque chose s'en rapprochant. Il avait une maigre idée d'où il se trouvait. ❝ I'm here for a- I'd like a tattoo. If that's okay with you. ❞ L'homme fixa la baguette de Sam quelques secondes. Il hocha doucement la tête. ❝ Yep, that's why I'm here. A tattoo. ❞

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*

Murtagh lui avait laissé son après-midi. C'était relativement rare ; Sam aimait bien travailler à Lazarus' Pit. Il venait tout juste de commencer, et son emploi avait été obtenu en partie grâce à Susan. Le jeune homme ne voulait pas la mettre en porte-à-faux, alors il essayait d'être un employé modèle. C'était pas évident pour un p'tit gars comme lui, sorti de sept ans de cavale, mais ses collègues avaient tous un pet au casque. Il se fondait bien dans le décor. Il aurait pensé que se réajuster à la société sorcière allait être plus compliqué. Au final, il ne s'en sortait pas trop mal. Il avait un job, il s'apprêtait à avoir son premier appartement, et si son don de voyance était toujours une belle épine au milieu de son pied, les choses s'arrangeaient. Voldemort était mort. Sam ne s'était jamais senti aussi soulagé qu'au moment de l'annonce. Pouvoir mettre sa vie de cavale derrière lui... Il n'avait pas de mot.

Après tant d'années passées loin de tout, le monde sorcier lui semblait nouveau. Il redécouvrait avec candeur la magie du quotidien, les règles et les institutions, les liens sociaux que tissaient les gens entre eux. Ce que ça voulait dire, d'être membre d'une communauté. Sam voyait des horreurs toutes les nuits, il les avait ressenties durant la guerre avec une force qu'il tentait encore d'oublier. Alors lorsqu'il était bien réveillé, lorsqu'il était convaincu d'évoluer dans la réalité – et pas dans cet entre-deux métaphorique étrange où il passait ses rêves – il se montrait positif. Confiant envers l'avenir. C'est pour ça qu'il cherchait à développer ses relations avec les autres. Aider Viktor à rénover sa boutique n'était qu'un pas de plus dans cette direction.

Viktor était responsable de la majorité de ses tatouages. Il avait littéralement imprimé les symboles prophétiques que Sam voyait sans arrêt. C'était une tâche qu'il n'aurait confié à personne d'autre : Heidelberg s'était révélé un ami de confiance. Il lui avait apporté son soutien lors de son exil, l'avait nourri et logé plusieurs fois. En retour, Samaël avait conduit un rafleur chez Viktor : tu parles d'un bon copain. Leur amitié aurait pu s'arrêter là, s'ils ne s'étaient pas retrouvés à Poudlard durant la guerre, à soigner les blessés, à disposer des morts. Sam s'était confondu en excuses. Il ne voulait pas perdre un allié comme Heidelberg. Pas même après la fin du conflit.

Sam toqua à la porte – une première ! – avant d'entrer dans la petite boutique de Viktor. Il ne voyait pas de meilleure manière d'occuper ses congés, qu'en donnant un coup de main à son meilleur camarade. ❝ You here dummy? ❞ Pas de respect pour ses aînés. Sam fit quelques pas sur le chantier, se tordit le cou pour trouver Viktor. ❝ I'm ready to work. I brought snacks and tea. ❞ Il offrit un large sourire quand Heidelberg daigna montrer son doux visage. ❝ So I was thinking, we could take a lil' break now, and work just a tiny bit later? We need to catch up. ❞

NOV.2003 Samaël a déboulé dans sa vie, un peu sans prévenir, pas mal par hasard. Il se souvient encore de son accoutrement déroutant et de sa façon si bizarre de débarquer chez lui. Il ne se souvient pas exactement, par contre, pourquoi il l'a aidé. La solitude, sûrement. Cette envie d'arrêter, enfin, d'être inutile. Aujourd'hui, Samaël fait partie de son quotidien sans qu'il puisse sembler rien y faire. Il déboule, de temps à temps, avec des phrases incompréhensibles. Ce n'est pas vraiment que Viktor ne croie pas aux voyants. Peut-être que c'est juste qu'il ne les aime pas. Il n'aime pas ceux qui en savent trop, surtout sur lui. Les voyants, les empathes, les créatures magiques et, plus largement, les animaux. Heureusement, Samaël ne rêve pas trop de lui. Viktor ne doit pas avoir une destinée bien intéressante. Il ne sait pas. Ou alors il a deviné qu'il n'aime pas ça. Non, Samaël n'a pas ce genre de tact.
Ce qu'il aime le plus, peut-être, chez Samaël, en dehors de sa capacité à débarquer pile lorsqu'il a besoin de quelqu'un pour être avec lui, c'est son besoin continuel en tatouages. C'est peut-être ridicule mais Viktor n'est pas médecin, dans la vraie vie. Il est tatoueur. Et c'est cela qui le détend. Alors lorsque Sam vient le voir durant une de leurs rares pauses avec un nouveau besoin en marque cryptique, cela fait du bien à Viktor. Ce qui fait du bien, aussi, bizarrement, c'est que Samaël ai besoin de ces marques. Viktor se sent immensément proche de ce genre de pulsion qui te donne quelque chose à faire pour te connecter à ton propre corps. Sans qu'ils aient eu les mêmes raisons, Viktor a aussi eu besoin, à une époque, d'un nombre astronomique de tatouages, comme une étrange armure pour se protéger de lui-même. Aujourd'hui, Viktor n'a plus de tatouages, enfin si, il en a un seul, celui qui conserve son apparence masculine. Il a jeté les autres, comme un serpent abandonne son ancienne peau venu le temps de la mue.
Alors ils s'installent dans un coin, Viktor sort sa baguette, de l'encre (abondante dans l'ancienne école, et inutile pour les potions de soins), et commence à travailler sur le corps de Samaël. Cela le détend toujours, cela ne manque jamais de lui faire du bien et cela lui rappelle qu'il lui reste toujours ça. Tout peut partir mais il a des capacités, un métier, une maison qui l'attend dans le Pays de Galles, et il sait que s'ils s'en sortent vivant il pourra toujours se débrouiller. Tatouer Samaël lui redonne, étrangement, de l'espoir. Et c'est si rare, si précieux, l'espoir, de nos jours, qu'il s'est mis à vraiment l'apprécier, comme ça, sans trop y faire attention.

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24 dec. 2003 • Il avait oublié que ça faisait mal, les tatouages. Enfin non, pas vraiment oublié, juste... plus habitué. Cela fait quoi, seize, dix-sept ans qu'il ne s'en est pas fait ? C'est compliqué de se tatouer soit-même. Heureusement qu'ils sont mobiles. Heureusement qu'il fait ça depuis toujours. Il sourit devant son travail, et il se sent doucement se détendre, en sentant l'image prendre vie et se dérouler sous ses yeux. Il pense à Sasha, encore, à la fois où il a remonté son pull à la recherche d'un tatouage pour ne rien y trouver. Il pense à ses clients, qui, parfois, voient ses poignets et les immondes cicatrices qui s'y dévoilent. Il n'aime pas leurs regards. Et surtout, il regarde ses poignets, maintenant ornés de chaînes de montagnes où le vent souffle et où les saisons changent toutes les heures. Les feuilles rouges commencent déjà à tomber, signant la fin de l'automne et le début de l'hiver. Il a a hâte de voir les tatouages se teinter du même blanc que celui qui se trouve à l'extérieur.
Il soupire, soulagé. Cela fait presque une semaine qu'il est arrivé à Londres. Aucune catastrophe, pour l'instant. Enfin, en dehors de Sasha. Murtagh n'est pas loin, Samaël non plus, sans parler d'Arnold avec qui il vit enfin de nouveau. Les autres, aussi, sont bien sûr là. Tous ceux qu'il ne connait pas ou qu'il prétend ne pas connaître. Il voudrait ne jamais avoir à les voir, mais la décision est prête et il ne reste plus qu'à continuer à mentir se tenir droit.

Il entend alors quelqu'un toquer à la porte, à l'entrée de la boutique. Il n'attend personne, et Samaël n'est pas du genre à toquer. « You here dummy ? » Il rigole légèrement, et si, c'est Samaël qui s'habitue à la civilisation. Il attrape ses vêtements et se rhabille prestement. Il ne faudrait pas que son ami ne voie plus que ce qu'il ne devrait. « I'm ready to work. I brought snacks and tea. » Il arrive enfin dans le cœur de la boutique pour le voir chargé, et lui lance un regard un peu attendri. « Yeah yeah, hello dufus. » Il l'imite, s'habitue bizarrement à taquiner Samaël. Il fait surtout ça à Sasha, normalement. Mais il y a beaucoup de choses qu'il ne fait plus à Sasha dernièrement. « So I was thinking, we could take a lil' break now, and work just a tiny bit later? We need to catch up.  » Il ouvre un peu les yeux parce que bon, en fait, ce n'est pas vraiment une pause s'il ne bossait pas avant. Mais il ne veut pas avoir à expliquer à Samaël ce qu'il faisait exactement alors, comme d'habitude, il ment. « Owh yeah, I was fixing the back shop. It's good you're here to take care of the front. » Il veut surtout que la première salle de la boutique soit présentable. Il reste surtout la peinture à faire, avant de passer aux meubles (qu'il espère recevoir déjà montés. Non ? Ce n'est pas possible?), et juste peindre en blanc ce n'est pas vraiment quelque chose qu'il aime faire seule. Plus tard, il recouvrira tout de fresques mais pour l'instant, il faut que ce soit un blanc bien propre.
« I'm not hungry though. » Viktor n'a jamais faim. Mais ça tout le monde le sait. Alors tout le monde s'entête juste à lui ramener de quoi manger. C'est gentil, mais il n'a pas faim, c'est tout. Pas de quoi en faire un drame. « I'll take tea. It'll soothe me. » Il attend un peu, comme pour attendre de voir si Samaël est curieux. Mais il est toujours curieux. Pire qu'une commère, ce garçon. Il a un sourire en sentant son regard sur lui, un sourire tordu, agacé mais lassé, maintenant. « It's just... It's... Classical Arnold, he was supposed to help us this afternoon. I asked him, and he said but of course he's nowhere to be found now. I hope he did his homework. For his sake. » Vitmagic avait été une des premières choses que Viktor s'était permis d'acheter après la vente de la maison sur Penarth. « He must be wandering somewhere with hell know who... » Il fait rouler entre ses doigts le mug de thé que Samaël a fini par lui tendre. « ... I think he still hates me. For... you know. » Tout.

Samaël laisse son regard vagabonder dans la boutique. Les travaux ont un peu avancé, mais pas beaucoup, depuis la dernière fois qu'il est passé. Il y a encore du boulot. Fût un temps où il était plus cérébral que manuel, quand il appartenait encore aux Serdaigles. Après sept ans en cavale, Sam avait appris à utiliser ses mains pour autre chose que tourner les pages d'un bouquin. ❝ Owh yeah, I was fixing the back shop. It's good you're here to take care of the front. ❞ Le jeune homme hoche vivement la tête. Il a hâte de se mettre à bosser. Son estomac gargouille malgré lui ; il ne peut pas cacher qu'il a aussi fort faim. Retrouver un quotidien où la nourriture est aussi accessible, pour si peu d'effort, ça lui donne envie de dévorer tout Londres. ❝ I'm not hungry though. ❞ C'est un peu dommage, et Sam ne peut s'empêcher une petite moue. Il redécouvre la joie des repas à plusieurs. C'est presque toujours un bon moment, alors il éprouve une légère déception jusqu'à ce que Viktor ajoute ❝ I'll take tea. It'll soothe me. ❞ Sam sourit sans perdre Viktor du regard. Il n'a pas faim, mais un thé lui ferait du bien. Il a oublié comment la plupart des gens fonctionnent, mais pas Viktor. Il est l'un des seuls humains que Samaël a fréquenté durant sa fuite. Il paie attention aux détails quant il s'agit du tatoueur.

Vik sourit aussi. Ses épaules s'affaissent un peu, comme lassé. ❝ It's just... It's... Classical Arnold, he was supposed to help us this afternoon. I asked him, and he said yes but of course he's nowhere to be found now. I hope he did his homework. For his sake. ❞ Sam ne comprenait pas qu'on puisse se montrer aussi rebelle, aussi têtu. Il ne comprenait pas qu'on puisse inquiéter à ce point ses parents, surtout un père comme Vik. Puis ça le frappe soudain : il a fait pareil avec Duncan. Il a été aussi peu respectueux, aussi peu concerné. Il a été pris dans son ouragan de problèmes et au lieu d'inclure son oncle, il a fait ses bagages et il est parti. Il comprend, en fait. Ça ne veut pas dire qu'il l'accepte. Sam hésite à réconforter Viktor. Il n'est plus très sûr de bien s'y prendre. A la place, il lâche un sachet de thé dans l'eau brûlante, attend qu'elle infuse. ❝ He must be wandering somewhere with hell knows who... ❞ Le thé est prêt. Sam tend un mug à son compère. ❝ I think he still hates me. For... you know. ❞

Samaël croque un biscuit, réfléchit le temps de bien tout mâcher et avaler. ❝ He doesn't, Vik. He just needs time to... to process, you know? ❞ Une de ses mains vient maladroitement se poser sur l'épaule de Viktor. C'est bizarre et gênant alors il la retire rapidement. ❝ I- I don't know how to make you feel better. I'd like to help. ❞ Sam se gratte la nuque. Il finit son biscuit en une bouchée. ❝ But I'm sure everybody wants to help. Less talking, more working right? That's how I can help. ❞ Le jeune homme retrousse les manches de ses chemises, dévoilant des bras couverts de tatouages, dont il doit la majorité à Viktor. ❝ Finish your tea dummy. You're the one who can use a lil' break. Snow-white yeah? ❞ Sam trempe son rouleau dans un seau de peinture blanche, le racle contre les bords du seau pour enlever le surplus, et s'attelle à blanchir la boutique.

Il y a quelque chose de cathartique dans la re-décoration d'un endroit. Peindre cette boutique, la meubler autrement, la transformer en quelque chose de nouveau... C'est une manière de prendre un nouveau départ. Sam s'en rend compte à mesure qu'il s'active sur les murs. Vik a fini son thé et l'a rejoint. Ils parlent un peu, sont surtout en majorité concentrés sur leur travail. C'est fatiguant, mais ce blanc apaise. Rien de tel qu'un boulot répétitif et manuel pour calmer les doutes et flots de pensées qui sans arrêt nous assaillent. Ils y sont depuis une heure maintenant. Ils ont bien avancé. Ils auraient sûrement été plus rapides en utilisant la magie, mais Sam suppose que Vik avait besoin de s'occuper l'esprit. Le voyant pose son rouleau au sol, sur un papier journal, et fait craquer son poignet. ❝ I think I understand now the meaning of a break! ❞ s'exclame-t-il. Il sort un autre petit biscuit de sa poche, en croque un bout. ❝ It's real nice Vik. It reminds me of winter, ya know, when you wake up and outside the cave, it's all white and pure and you think maybe you died overnight because it looks like you're in Heaven! ❞ Sam s'extasie un court instant, puis jette un regard peureux autour de lui. Il n'est plus dans la forêt. Il tente de se donner une contenance, ricane comme s'il venait de faire une blague. ❝ It's really white is what I mean... ❞ Sam termine son biscuit. Il en tend un à Viktor. ❝ Hungry now? If not we can work some more, it's fine by me. ❞