Elle triture ce qu’il reste dans son assiette du bout de sa fourchette et elle sait que son père la regarde, sourcil arqué, se demandant pourquoi sa fille est si silencieuse ce soir. Il faut dire que ce n’est pas dans les habitudes d’Amara d’être si tranquille mais elle est un peu gênée, au point de ne pas savoir comment briser le silence qui s’est installé autour de la table depuis quelques minutes. Elle sait que son attitude n’est pas idéale et elle a un peu peur de sembler mal élevée, elle ne veut pas que ça donne une mauvaise image de ses parents, elle ne veut pas qu'on la juge… C'est plus fort qu'elle pourtant, ce dîner est étrange. Quand sa mère est rentrée du travail en annonçant « tu ne devineras jamais qui je viens de croiser et d’inviter à manger, » elle était à des lieux de se douter que Nao se retrouverait assis en face d’elle. Ce n’est pas qu'elle ne l’apprécie pas, c'est juste que ça fait si longtemps qu'ils ne se sont pas vus que sa mère a dû préciser de qui elle parlait, « Mais si, Nao, sa famille louait une maison dans notre quartier, vous faisiez les quatre-cent coups ensemble quand tu étais petite » et Amara a écarquillé les yeux avant de rougir de honte.

Maintenant elle force un sourire en direction du jeune homme. Enfants, ils s’entendaient comme larrons en foire et puis les choses ont changé, l’adolescence s’est imposée, amenant avec elle une barrière linguistique et des réserves. Elle se souvient de la dernière fois qu’elle a vu Nao, des silences gênés comme celui qu’elle brise maladroitement à présent « Can you pass me the water please ? » avant de réaliser que son verre est encore plein et qu’elle demande pour rien, voulant aussitôt se frapper le front comme l’idiote qu’elle est.

Il lui faut quelques instants pour se faire violence et demander de but en blanc « Do you want to go get ice cream ? » se demandant si avec un peu de mouvement, les choses n’iraient pas mieux. « Amara, ce n’est pas raisonnable, tu… » Commence son père et elle fronce le nez. Déjà depuis MFactor, sortir est un peu plus difficile qu’avant mais alors depuis la victoire. « Mais t'inquiète pas ! Everything will be fine, it’s bright enough for me to wear sunnies, the parlor isn’t far and Nao will get me out of any sticky situation, right Nao ? » Elle le fixe, force un nouveau sourire, fait un petit signe de tête vers la sortie. S’il pouvait la tirer de cette situation, ça pourrait être pas mal. De toute façon, elle est déjà en train de se lever, d’attraper son assiette pour la ramener à la cuisine avant de filer jusqu’à l’entrée de la maison qu’ils habitent depuis qu’ils ont déménagé en Angleterre. « Envoie-moi son numéro en quickie » lance son père, alors qu’elle passe à sa hauteur. Elle lève les yeux au plafond avec un petit sursaut de rire, bien plus Amara qu'un silence coincé tandis que Cesare Bataglia darde un regard qui se veut menaçant sur Nao, papa poule toujours méfiant des garçons autour de sa fille.