 | La nuit commençait à tomber, suivant l’exemple de la pluie qui en avait décidé de même quelques heures plus tôt.
Khayla était dehors depuis le petit matin et elle y était encore longtemps après que ses vêtements mouillés soient devenus une seconde peau. Il fallait dire que la taille du domaine d’Ypsös ainsi que sa diversité des créatures étaient chronophages et requéraient une attention de tous les instants. Les exigences de la vie à la campagne – même s’ils ne se trouvaient qu’à quelques minutes de la ville – plaisaient à Khalya qui s’acquittait de toutes ces tâches avec plaisir. Quatre mois qu’elle avait définitivement quitté la moiteur et l’obscurité des cachots dans lesquelles elle avait été enfermée, et elle ne se lassait pas de sentir le vent et la pluie glisser sur sa peau.
D’un geste assuré, elle appliqua une dernière couche d’argile verte sur le membre endolori de l’hippogriffe avant de se relever et de plonger ses mains dans un baquet rempli d’eau de pluie. Avec des gestes précis, elle distribua équitablement les grains dans les mangeoires de chaque animal. C’était une tâche fatigante et répétitive, qu’elle aurait pu exécuter en quelques minutes si seulement elle avait encore eu sa baguette, mais elle lui faisait bien : elle reprenait à peine les kilos perdus pendant son enfermement, reprenant forme doucement forme humaine. De plus, conséquence direct de tout cet exercice : il lui épargnait les visites impromptue de cauchemars tant il la laissait vidée et rompue.
Un dernier coup d’œil la rassura sur la tranquillité des crabes de feu non loin de là. Elle s’autorisa de mettre fin à sa journée en remontant le chemin qui menait à la demeure d’Ypsös – et qu’elle commençait tout juste à appeler chez elle.
Les nuages qui s’amoncelaient, noirs et menaçant, l’obligèrent à forcer l’allure pour se mettre à l’abri avant que l’orage n’éclate : ce qu’elle parvint à faire, mais de justesse.
La chaleur de la maison l’enveloppa et la revigora dès son arrivée : elle ne pouvait nier que les elfes de maison faisait tout pour plaire à leur maître – sans qu’elle soit tout à fait certaine qu’il s’en rende compte.
« Par Merlin ! Quelle odeur. » jura-t-elle en entrant dans une misérable pièce poussiéreuse et sans meuble – sauf si on comptait la couverture crasseuse dans un coin. Elle ne s’y attarda pas, pianotant contre les briques du mur pour accéder à ses véritables appartements. Ypsös avait jugé extravagant d’aménager une fausse chambre, la trouvant trop précautionneuse – et il avait certainement raison – mais elle n’aurait pu supporter que leur secret soit éventé à cause de leur légèreté : Ypsös n’aurait jamais à payer d’avoir volé à son secours.
Sa toilette faite, elle enfila une tenue plus confortable et se dirigea vers la salle à manger. Comme d’habitude, la table avait été dressée pour deux mais Khayla n’espérait pas que son ami se joigne à elle : il était parti depuis trois jours à la chasse.
Il était si déterminé pendant ses traques, qu’elle le savait incapable de se détourner de sa proie – quitte à se les geler pendant des jours. Bien qu’elle comprenne le plaisir de la chasse elle n’avait jamais compris l’exaltation presque palpable qui émanait de lui à l’idée de partir en chasse.
Elle venait d’entamer le plat de résistance – un savoureux rôti de veaux, accompagnés de légumes vert et de belles pommes de terre rissolées – quand une porte claqua à grand bruit. Khayla se leva d’un bond et se précipita vers l’entrée, persuadée que c’était son meilleur ami – il n’y avait que lui pour oser pénétrer dans ce manoir avec si peu de discrétion.
Ravie de le voir et pressentant qu’il aurait nombres d’anecdotes à lui raconter, elle dévala les escaliers pour l’approcher. Elle ne put retenir un sourire en le voyant : il avait la dégaine d’un ours avec son manteau trempé, ses cheveux hirsutes et ses bottes pleines de boue - semblables à d’immenses pattes. Arrivée à quelques pas, elle ralentit l’allure et croisa les bras avec théâtralité, lâchant avec ironie.
« Je ne sais même pas pourquoi j’ai envie de t’accueillir chaleureusement : trois jours que tu es parti t’amuser dans les bois alors que moi je suis bloquée ici à m’occuper de tes stupides créatures. Emmène-moi la prochaine fois. » dit-elle, un air buté qui fut rapidement démenti par un sourire mutin. « Si j’avais su que tu t’occuperais si peu de moi, je me serai choisi un autre maître. » Si le sujet était sensible, Khayla avait décidé d’en rire autant qu’elle le pouvait, histoire de dédramatiser ce traumatisme. Et, en lui laissant à peine le temps de réagir, elle l’aida à se débarrasser de son manteau – pas parce que c’était ce qu’une bonne rebut devait faire, mais parce qu’elle avait toujours aimé prendre soin de lui.
Les quelques pas qu’il fit alors qu’elle lui annonçait qu’il pouvait encore se joindre à elle pour dîner lui suffirent à remarquer sa claudication. Khayla se stoppa net, fronçant ses sourcils d’un air réprobateur – qui n’était pas feint cette fois. « Qu’est-ce qui s’est passé ? » demanda-t-elle en essayant de garder son calme. Malheureusement, la seule idée qu’il ait pu passer plusieurs jours dans la nature sans se préoccuper de sa blessure brisa net sa volonté de ne pas s’emporter : « Sérieusement Yps ? Tu es blessé ? Pourquoi tu n’as pas envoyé un message ou transplané? Je serai venue. Laisse-moi deviner … Le magistère t’a confisqué ta baguette pour idiotie aggravée c’est ça ? » Elle passa une main agacée sur son front, repoussant ses cheveux en arrière pour manifester son irritation. Elle n’était pas vraiment en colère mais … sérieusement. Il revenait toujours abîmé.
Elle lui balança à la figure le manteau qu’elle avait récupéré en bougonnant : « Puisque tu es du genre à te débrouiller seul, reprends ça il empeste !» Et sur ces paroles, de lui tourner le dos, bien décidée à aller terminer son repas. |
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