C'était le grand jour. Il n'y avait rien de bien réjouissant à toute cette foutue cérémonie, tellement indiscrète, tellement honteuse, qu'elle se situait dans les confins de l'Atrium, dans le coin d'un recoin. Les deux derniers mois avaient été éprouvants et quoi de plus normal, nous n'étions que des animaux prompts à servir la volonté d'un seul, ou d'une seule. Je n'y voyais qu'une seule alternative : éviter de passer plus de temps entre les murs maudits d'Azkaban. J'avais du mal à m'en convaincre. C'était comme si ma volonté s'était éteinte et que je n'étais plus qu'objet de ma semblant de vie, à défaut de pouvoir la maîtriser. Volontaire pour être rebut, il fallait être complètement cinglé ou être sous le joug du sort de l'impéro pour oser renoncer la disponibilité de son corps. Je ne me reconnaissais pas là dedans, mais lorsque je voyais les marques sur mon corps, l'instinct de survie avait repris le dessus. J'étais avec les autres, en fin de liste. Il n'y avait qu'une seule personne qui pouvait calmer mes maux, ma colère et ma hargne et elle était désormais réduite au même sort que le mien. Ysolde. Je regardais mes pieds, puis vers elle, tout en veillant à ne pas attirer les regards méfiants des sous-fifres de ce Magister. Ils me dégoûtaient tous, sauf elle.
« Elle te plait la rebut blonde hein vermine ? » Son rire amer raisonnait dans mes oreilles, alors qu'un grognement se fit entendre. Sa baguette s'enfonçait dans mon cou, alors que je le fixais droit dans les yeux, prêt à en découdre. « N'abîmes pas les produits, ils auront leur compte. » La vente se poursuit et c'est mon tour. Je me tiens droit, les regarde droit dans les yeux. Ils étaient répugnants, mais au moins, ils ne masquaient pas leur vraie nature comme ces autres vermines d'insurgés. Il n'y avait aucun moyen de gagner dans un jeu où les vainqueurs avaient fait leur propres règles. La décision tombe, je suis vendu. Je suis déchu. On m'installe dans une salle, où on me force à tendre mon avant-bras droit. Je vais être marqué, comme du vulgaire bétail. Je serre le poing et contemple la scène, impuissant. La porte s'ouvre, mon sorcier est là. Je n'ai pas peur enfin.. Si mais je ne le montre pas. Je le fixe, avec haine et dégoût, grognant à l'approche de mon instant d’infamie suprême. J'appréhende, retiens mes sueurs froides d'émerger. J'étais intimidé. Après tout, face à cet homme, je n'étais qu'un gamin et il pouvait très bien être mon père, enfin s'il n'était pas un moldu. Un souvenir d'antan vint réchauffer mon coeur, apaiser son rythme cardiaque. Glendalough, la contrée paisible de Wicklow et où la seule chose dont il faut se soucier, c'est le nombre d'arbres à aller couper le lendemain. Un léger sourire se dessine sur mes lèvres. N'importe qui me prendrait pour un fou de sourire à cet instant. Il fallait croire que je l'étais.
Je le fixais droit dans les yeux, avant de sourire bêtement face à la douceur de ce souvenir. Finalement, un de sous-fifres du Magister renforça son emprise, me ramenant avec violence et douleur à la réalité de ma vie. « Liam O'Daire, sang-mêlé, soi-disant bûcheron/fermier lors des événements, s'est rendu coupable de haute trahison pour avoir protégé et défendu des insurgés, et coupable d'acte de résistance aux Rafleurs, apte à tous sortes de travaux, excelle dans tous les travaux physiques, monsieur le sous-secrétaire d'État. » Il s'inclina, me forçant à le faire. Sauf qu'il n'était pas au bout de ses peines puisqu'il m'arrivait à peine à l'épaule. Brandissant sa baguette, il lança le sortilège de jambencoton, ce qui me fit tomber et, contre mon gré, je me retrouvais agenouillé face à cet homme qui me glaçait le sang.
Dix heures du matin. Mine de rien, il traînait. Mais il fallait dire que cette énième enchère où il ne trouverait probablement rien d'intéressant, Lazarus Carrow s'en moquait un peu, n'y allant que pour faire plaisir à son frère – peut-être la seule personne au monde à qui il acceptait de faire plaisir – et sachant par avance qu'il n'avait que peu de chances d'y trouver quelque chose d'intéressant. Pas quelqu'un, dire quelqu'un aurait signifié qu'il prêtait une quelconque attentions aux rebuts, or ce n'était pas le cas, il les méprisait totalement, comme il avait d'ailleurs toujours méprisé la terre entière. Les gens. Il détestait les gens, globalement, en particulier leur médiocrité. La perspective de devoir affronter celle ci une fois de plus le rendait en permanence aigri, et lui qui n'avait besoin de personne pour être provocateur et expliquer à tous ceux qu'il croisait à quel point il les jugeait minable devenait carrément odieux.
Il tendit la main vers la carafe de whisky. Il n'irait pas là-bas supporter le bas-peuple et la boue sans un remontant, ou totalement ivre, ce qui aurait idéal pour faire bonne mesure. « Il est dix heures du matin, tu ne vas pas commencer à boire maintenant ? » Sa femme venait de lui adresser la parole pour la première fois de la journée, baissant la Gazette du Sorcier derrière laquelle elle se murait ostensiblement tous les matins pour prendre son petit-déjeuner lorsque Lazarus s'avisait d'être présent. La plupart du temps, il lisait son propre exemplaire. « Et quand bien même ? Tu vas m'en empêcher, peut-être ? » Elle lui lança un regard indigné auquel il ne répondit que par de l'indifférence. Leur relation fonctionnait comme ça. Alors qu'il vidait ostensiblement son verre, elle se leva et le raclement de chaise lui indiqua qu'elle s'en allait. « Ne compte pas sur moi pour t'accompagner, dans ce cas. » Ben voyons, ça aurait le pompon, se taper la mauvaise humeur de madame Delilah Slughorn-Carrow en prime. Il manqua de lui adresser un geste obscène, mais renonça. Décidément, c'était un peu trop gamin. Lazarus Carrow était un gosse, un sale gosse puéril et cruel, mais parfois, il était las lui-même de tout ça.
De toute façon, il devait y aller. Finissant le fond du whisky pur-feu, Lazarus se leva. Mal lui en pris : il eut à peine le temps de porter la main à sa bouche qu'il se mettait à tousser comme un diable et à cracher du sang. Le liquide rouge continua un moment à lui couler entre les doigts. « Merde. » Ça l'épuisait. Il se rassit, le temps de reprendre ses esprits et d'essuyer l'hémoglobine. Il faudrait vraiment qu'il voit à Sainte-Mangouste...plus tard. Aujourd'hui, il avait les enchères et l'après-midi, il retournait travailler avec une conférence importante sur les dernières arrestations d'insurgés. Il ne pouvait pas se reposer. Il n'en avait pas le temps, ni le droit. On pouvait dire ce qu'on voulait de Lazarus Carrow, mais pas qu'il était faignant. Il bossait réellement – pour une bonne ou une mauvaise cause, ça, après...
Silhouette sombre et mine austère, il traversa le parc de son manoir d'un pas ferme avant de transplaner au Ministère. A voir son pas décidé, personne n'aurait jamais cru qu'il était malade. Dans l'Atrium de la nouvelle antre du Magister, on s'écartait sur son chemin. Seul un homme, de dix ans plus jeune que lui, mais avec une indubitable ressemblance dans la manière d'être, vint à sa rencontre. « Salut, gamin. » Il appelait toujours son frère gamin. C'était lui qui l'avait élevé, ou presque. « Je ne pensais pas que tu viendrais. » Lazarus lui adressa un regard mi-amusé, mi-maussade. « Si ça peut te rassurer, je ne pensais pas venir non plus. » Il était sans doute celui avec qu'il s'entendait le mieux dans la famille Carrow. Les enchères commencèrent. Assis au fond, ils pouvaient se permettre de faire des commentaires. « De toute façon, ça va être comme d'habitude. Ils n'ont jamais ce que je veux. » Son frère lisait la présentation des différents rebuts alors que ceux-ci défilaient. « Tu es trop exigeant. Qu'est-ce que tu veux, exactement ? » Une machine à tuer, aurait-il pu répondre, mais après un passage à Azkaban, ça n'existait pas, ce genre de chose. « Un type capable de me déménager le piano quand je décide de le changer de place, qui puisse transporter les pièces lourdes pour mes collections. » Son frère observait les pages et les rebuts. « Celui qu'ils amènent, là. Il conviendrait ? »
Lazarus jeta un œil inquisiteur au lot qu'on exhibait. Un grand jeune homme brun, la vingtaine, l'âge d'Ulysse, grosso modo. Un an de moins, sans doute, ou deux. « Il a un air de défi. » Comme tous les irlandais, une sacrée caboche, il voulait bien le parier. « Il faudra le mater, oui, peut-être, mais je ne pense pas que ça te posera problème. » Lazarus sourit, leva une main pour annoncer qu'il renchérissait. « Non. Ça me plaît bien. » Son frère se contenta d'un rire sec : « Tu es vraiment bizarre, Laz', parfois. Eh...dis voir, tu as du sang au coin de la bouche. » Merde, il l'avait vu. Carrow épongea le sang et leva une nouvelle fois la main pour se signaler au maître des enchères. « Ça va, je te dis. » Son frère tourna vers lui un visage inquiet : « Tu as pensé à ce que je t'ai dis ? Tu devrais te méfier. Ou au moins prendre un garde du corps, quelque chose comme ça » Oui, oui, il connaissait la théorie de l'empoisonnement, mais elle l'agaçait. Personne n'était assez fou – ou suicidaire – pour tenter de faire ça. Parce qu'il y aurait des représailles. « Ne recommence pas. Bon, cette histoire dure trop. A combien en est-on ? Mille trois cent ? Deux mille pour moi. » Le maître des enchères en appela à l'audience, mais le sous-secrétaire d'état venait apparemment de remporter la vente. « Deux mille une fois, deux mille deux fois...adjugé pour deux mille gallions à monsieur le sous-secrétaire d’État. »
Bien, ça c'était fait. Il lança la somme à son frère, qui s'en allait. « Tiens, tu payeras avant de partir. » Lui devait s'occuper de son achat, avec toute cette histoire. Il entra dans la salle annexe. Son regard inquisiteur ne l'avait pas quitté. Un gamin, oui, avec l'air un peu niais, forcé à s'incliner. Il ne prêta guère attention au geôlier : « Je sais ça. O'Daire, donc. Tu sais qui je suis, ils te l'ont dit. Lazarus Carrow, mangemort, sous-secrétaire d’État.» Il retira ses lunettes teintées. La lumière n'était pas trop forte. Ses yeux bleus, très pâles, s’arrêtèrent sur l'Irlandais. Il y avait quelque chose de dérangeant dans ce regard. On sentait qu'il était habitué à voir celui des autres s'incliner devant lui. Sa voix était basse, grave. Mais l'élocution était claire, précise, le ton sec. « Tu seras marqué du sablier. Allez-y. » Pourquoi le sablier ? La signification existait pour Lazarus. Bien que ne croyant pas en Dieu, l'idée d'éternité l'intéressait.
Il ne cilla pas alors que le sous-fifre marquait le Rebut. Pas plus qu'il n'avait cillé, malgré la douleur, immonde, lorsqu'il avait reçu la Marque. Puis il reprit, à nouveau, de cette voix tranquille, presque lente. « Je décide de ce qui t'arrive, tu comprends ça ? Être un connard ne me dérange pas du tout. Au contraire. Si tu m'emmerdes, tu le paieras. Les pseudos-tentatives de révolte, tu évites, aussi. Je n'ai pas de temps à perdre, même si ça me fait plus marrer qu'autre chose. Parce que quoi tu fasses, ce sera toujours moi le gagnant à la fin. Tu comprends ce que je dis ? Réponds quand on te parle. Tu n'as pas envie que je commence à sévir maintenant. Crois moi. »
Il expliquerait ce qu'il attendait de lui lorsqu'il aurait eu la réponse. Pour l'instant, il évaluait s'il allait devoir casser toute volonté en Liam O'Daire avant de pouvoir l'utiliser.
J'avais cette phrase, tournant en boucle inlassablement dans ma mémoire. Ma mère, moi, au sommet des sept cents marches à escalader, à pouvoir observer Dublin grâce au temps dégagé qu'il faisait. Je venais d'avoir mon premier coma à cause d'un cognard qui avait échappé à mon regard affûté. A vrai dire, j'étais trop occupé à protéger les uns et les autres que j'en avais oublié ma propre peau. Et, j'avais eu peur. Peur de ne pas me réveiller, peur de ne plus pouvoir jouer. J'avais été blessé dans mon orgueil de semi-loup irlandais surtout. Le grand et fort Liam, ne résistant pas à un simple cognard. « Ne leur montre pas Liam, ils n'en sont pas dignes. » Qui l'était ? Probablement des sorciers capables de penser par eux-mêmes et non de simples moutons tiraillés entre deux camps. Ils ruinaient le monde magique, entraînant des dommages collatéraux dans leur chute. Cela semblait convenir à tout le monde et il n'y avait plus qu'à trouver sa place dans ce monde sorcier ou bien rejoindre ceux qui sont déjà tombés. Mâchoire serrée, j'attendais que mon heure vienne, tempérant mon coeur et ses battements irréguliers. Il était temps de leur face et de maîtriser cette haine qui me consumait. Je ne rêvais que d'une seule chose, tous les envoyer paître chez les gorgones.
Les enchères allaient bientôt réduire ma personne au titre d'objet. Vingt gallions pour commencer. Des rires éclatèrent, insultant mes oreilles. Ils n'en valaient même pas la moitié. Je décidais de prendre cette histoire à l'envers. C'était eux les rebuts d'un être, et ils étaient bien pitoyables de pouvoir se réjouir d'un tel spectacle. C'était leur règle, il était nécessaire de s'y plier. Ma déchéance s'arrête grâce à un homme, au fond de la salle, où seuls les reflets de la lumière sur ses lunettes me confortent dans l'idée que ce n'est pas qu'une simple ombre. Il me glaçait le sang et je n'avais pas fini avec lui. L'huissier consacra la vente et je fus placer dans une salle annexe. Des cris s'échappaient des portes, je me sentais tellement impuissant. Sentiment qui allait devenir mon meilleur ami.
Agenouillé, réduit au silence, ma vie d'objet était bien là. Il me tendait les bras enfin, je tendais le mien pour le moment. La sanction tomba : un sablier. Curieux. Son temps était-il compté comme à tout un chacun ? Je ne le quittais pas des yeux, sans ciller alors que l'un des sous-fifres s'exécutait. Ma peau se mit à brûler, embrasant ma chair. Mes sourcils commencèrent à froncer, avant que mon regard ne plonge dans celui de mon nouveau sorcier. Mes yeux violets fixaient l'homme, c'était comme s'il s'agissait d'un duel, alors que je n'avais pas à en mener. Tout était fait selon leurs règles, tout était unilatéral, tout devait être accepté. Je n'avais pas daigné parler encore. Je craignais de ne plus savoir comment articuler, ne plus connaître le propre son de ma voix. Les tortures redondantes, habituelles, avaient fini par étouffer mes cris. Azkaban m'avait réduit à cet état de soumission, je n'étais plus celui que j'avais pu être. Il y avait certes toute cette fierté dans mon regard mais intérieurement, tout était vide, en cendres. Ma haine et ma colère avaient tout réduit à néant.
Le sous-fifre fit sa besogne, relâchant mon bras. La Marque était encore rouge. Je baissais alors la tête, fixant avec dégoût cette nouvelle tavelure de mon corps. Son discours sonnait creux, il n'attira même pas mon attention au début, jusqu'à ce qu'il vienne confirmer ce que j'avais pris en postulat. Oui, il était du côté des gagnants, et j'allais jouer selon ses règles mais si ce sablier s'inversait, qu'en adviendrait-il ? Visage fermé et l'air grave, je relevais la tête vers lui. « Compris. » Sec et froid, ma voix rauque et cassée avait résonné dans la pièce. « Tu la ramènes moins, vermine d'Irlandais. Il va t'mâter, tu vas enfin apprendre. » Le sortilège s'estompa, alors qu'il se mit à rire. Profitant de l'inattention globale à cette réflexion, j'en profitais pour lui bondir dessus, dans un grognement, plaçant mon coude au niveau de sa trachée. Il était à ma merci. « Qui la ramène là, hein ? Veracrasse, je pourrais te tuer. Quand est-ce que tu vas l'apprendre ça ? » Le second sous-fifre sortit sa baguette, bousculant le sous-secrétaire d'État. Sentant un bout froid sur ma nuque brûlante, je relâchais le sous-fifre, avec un air de dégoût. Au moins si Carrow avait besoin d'une démonstration physique, il l'avait eu.
La révolte, jamais Lazarus ne pourrait la comprendre. Il était inutile de résister aux mangemorts. Il était inutile de tenter de lui résister, surtout à lui, personnellement. Il n'était pas rancunier, il ne l'avait jamais été – prompt à rire, prompt à la colère, prompt à pardonner, voilà comment son père le définissait – mais les ennemis du Lord, les ennemis de sa famille, avaient tué son père. Il ne pouvait pas leur pardonner. Pas ça. Son père était probablement, hors son frère, la seule personne au monde qu'il voyait comme un type bien, et il se vengerait. Peur ? Non, il n'avait pas peur. Il n'en avait pas le droit, et puis il n'était pas n'importe qui, il était Lazarus Gene Carrow, il ne connaissait pas la peur, et personne ne pouvait le vaincre, il ne pouvait pas échouer. Non, la peur, le mangemort ne la connaissait pas. Ou bien c'était justement parce qu'il avait eu peur, avant, qu'il était si en colère, qu'il ne se rendrait jamais. Oui, sans aucun doute, il avait eu peur. Il s'était retrouvé seul, avec son frère, et sa mère. Et il n'était pas son père. Il n'était pas quelqu'un de bien, dont le mariage de convenance s'était transformé en mariage d'amour, quelqu'un qui avait des valeurs, de la morale. Non, même s'il vénérait son père, il n'était pas comme lui. Et si un type bien comme son père était mort, comment lui, si imparfait, pouvait-il réussir ? Voilà. Il avait eu peur. Et comme il était fier, il avait remplacé sa peur par de la colère. Sa rage ne le quittait plus, c'était fini.
Défenseur de la civilisation, voilà comment il se voyait, car pour lui, le purisme, c'était la civilisation. L'ensemble des sorciers devait préserver son sang pour ne pas disparaître, pour faire valoir sa supériorité...le bourbisme visait à diluer le sang, à faire disparaître les sorciers, et donc à annihiler cette supériorité. Or cette même supériorité devait servir à guider le monde : bref à y apporter la civilisation. Ne pas lutter contre le bourbisme, donc, revenait pour Lazarus à revenir à la barbarie. Il haissait la barbarie...sans doute était-ce pour cela qu'il ne s'aimait pas beaucoup, contrairement à ce qu'il prétendait, et dont il réussissait à se convaincre la plupart du temps. Et pourtant, il ne trouvait pas que se battre était inhumain. Dans un combat, il n'y avait pas de question de sang, c'était l'humain contre l'humain. Après on parlait d'idées, et on déshumanisait. Se battre permettait de garantir le droit de déshumaniser l'existence des ennemis du purisme. Paradoxalement cela garantissait le droit à la fragilité des individus. Le droit, en somme de ne pas renoncer à sa propre humanité, justement en se battant. Ce que Lazarus avait fait, pourtant. La part d'humanité, d'enfance, du mangemort, était depuis longtemps morte et réduite à néant. Morte avec son père. Il savait depuis longtemps que rien de bon n'avait sa place en ce monde, et qu'il ne pouvait qu'y perdre. L'enfance de Lazarus s'était arrêtée le jour où son père était mort. On grandissait vite. On pigeait vite. L’enfance restait mutilée quelque part, inachevée, perdue à jamais. Les salauds, ils l'avait tué dans l’œuf. Il parlait mal, hein ? Il parlait aux gens, surtout. C'était pour qu'ils comprennent. Les insultes frappaient de plein fouet. Tant mieux, peut-être qu'ils écoutaient enfin le silence des autres. Le silence d'un gamin, du gamin qu'il était et qui jamais n'avait rien dit.
Lazarus Carrow ne regrettait pas ce qu'il était. Il faisait partie de l'internationale de la saloperie du monde, du clan de ces types qui toujours, toujours, étaient monstrueux, cruels, sadiques, pervers, salauds, connards en somme. Il s'en foutait, il assumait. Lazarus Carrow, ou le plus gros enfoiré de la terre, et ça me fait rire. C'est ce qu'il était, et encore, par rapport à certains mecs sur terre, il était sympathique. Personne ne pouvait oublier le rire de ce type presque cinquantenaire, ce rire qui roulait sous le ciel bleu, comme aujourd'hui, et qui comme l'horizon, ne pouvait pas s'arrêter. Assez bizarrement, lui le salaud concevait sa mission comme celle de l'ultime barrière contre les salauds de l'autre bord. Maintenant, il pouvait peut-être tutoyer le peuple ?
Il était le défenseur de tas de gens qui ne savaient aucunement ce qu'il vivait et qui il était. Lui il avait la force, la rage, la violence, le couteau dans la tête pour faire ça. Le monde vivait pendant ce temps. Le monde dansait, bouffait, faisait la fête. Le monde se regardait faire la guerre, discutait politique, râlait après des conneries. Et pendant ce temps, le salaud qu'il était repartait en guerre pour le sauver.
C'est sans doute parce qu'il était un salaud et un barbare qu'il aimait autant la civilisation. Le monde dans lequel il était né l'avait jeté dans l'arène. Qui avait commencé ? Lui ou les bourbistes ? Que ce serait-il passé si finalement, on avait laissé son père tranquille ? Serait-il devenu mangemort ? Il ne savait pas. Il avait accepté les règles du jeu, et le jeu l'avait formé à son image. Maintenant, il jouait selon ses règles. Il fallait que tout le monde s'adapte. La question, c'était maintenant de savoir si Liam O'Daire allait baisser les yeux devant lui, s'il comptait obéir. A première vue, oui, mais Lazarus avait appris à se méfier. Il fallait une certaine force de caractère pour parvenir à ça – bien que la démonstration de pouvoir de l'autre sous-fifre soit inutile. Il aurait pu se défendre tout seul, en réalité. Ca ne lui aurait pas réellement posé problème, et puis il ne détestait pas les gens avec du caractère, quand bien même ils étaient ses ennemis, c'était plutôt la platitude qui le dérangeait. Il aurait pu parler des heures, encore. « T'as fait un effort, tu me plais. Tu t'es bougé le cul, enfin, alors je t'aime bien. Parce que t'es quelqu'un de bien, contrairement à moi. Je rêve d'un monde sans sadiques, tu sais ? Un foutu monde où je n'existe pas. Aide-moi. Tu vas t'en sortir, tu finiras par te tirer de chez moi. Et alors, chaque fois que tu verras un enfant, regarde-le bien, aime-le. Aide-le s'il te tend une main peureuse, donne-lui de l'amour comme on donne du pain. Sauve-le de sa misère morale, sauve le de tout. Fais-le, tu peux le faire, puisque tu ne ressembles pas à ce salaud. Fais le parce que tu ne me ressembles pas. »
Il aurait pu dire ça, oui. Ça aurait été vrai, mais il ne pouvait pas le dire – l'autre n'aurait de toute façon pas compris. Il reprit la parole d'un ton détaché :
« Tu pourrais le tuer, oui. Tu pourrais peut-être même tuer son petit camarade, et tu pourrais même essayer de me tuer moi, même si je doute, pour le coup, que tu y parviennes. Ce que tu fais ne sert à rien si tu n'es pas sur de l'emporter. » Il eut un geste sec pour les deux employés des enchères : « Relevez le. » Il se leva à son tour. L'autre était plus grand que lui, plus jeune, plus fort. Mais Lazarus n'avait pas peur. « Tu veux t'enfuir ? Tu veux en finir avec tout ça ? Essaye, mais fais attention à ce que tu fais. Pense. Réfléchis. Calcule. Tu me retrouveras toujours sur ton chemin. Parce que moi aussi, je pense, je réfléchis, et je calcule. » Il sourit encore presque sympathiquement. Ses yeux, glacials, disaient tout autre chose. On n'y lisait rien, juste de la colère, adressée au monde entier, et du mépris. C'était chez Lazarus quelque chose d'habituel, comme le fait que son sourire soit en lui même provocateur. « Si tu as fini de te donner en spectacle, nous y allons. »
Il ne salua pas les deux employés, et se contenta de marcher, d'un pas vif, à travers le Ministère, jusqu'à ce qu'ils arrivent dans l'Atrium et qu'ils puissent transplaner directement jusqu'à Herpo Creek. Le temps était froid, venteux : il allait pleuvoir. Lazarus fit un geste large, désignant le manoir familial et le parc : « Ca, c'est chez moi. C'est assez moche, c'est ma femme qui a dessiné les plans, il faut dire. » Il traversa le parc à grands pas, l'autre toujours sur les talons : « Les elfes font la nourriture, des choses comme ça, ça ne sera pas ta mission, même si il pourra arriver que tu serves de domestiques. » Il ouvrit la porte de la galerie, qui donnait sur le parc, et y entra. On y trouvait toutes sortes d'antiquité. « Je collectionne ce genre de choses. J'ai de nombreux fournisseurs partout dans le pays. Ta mission sera de rapporter ces pièces ici, notamment. » Il désigna un volumineux piano : « De temps en temps, je le déplace. Il est bien ici, en hiver, ça me permet de jouer tranquillement, l'été, il monte d'un étage parce qu'il fait moins chaud au premier. Tu le déplaceras. Les elfes te feront visiter, on te donnera probablement l'une des pièces du grenier comme chambre, si on peut dire. Ta seconde mission sera de me servir de garde du corps. Tu en impose, ce serait dommage de ne pas en profiter. »
La porte qui donnait sur le salon s'ouvrit sur la galerie : « Ah, Tibérius. Mon frère. En mon absence, tu lui obéiras au doigt et à l'oeil. » Il adressa un clin d'oeil à l'autre et continua la visite, abandonnant son frère à ses occupations. « Normalement, ma femme devrait royalement t'ignorer, mais elle aime bien casser ce qui m'appartient, méfie donc toi d'elle. Ma fille Susanna me fait la gueule depuis son adolescence, donc ça devrait être un peu pareil. Mon fils, normalement, ça devrait aller, et pour ma dernière fille, Béatrix, c'est comme mon frère. Tu l'appelles mademoiselle Carrow et tu lui obéis quoiqu'elle demande. » Ou presque, mais il n'allait pas préciser plus. « Des ques... » La crise le prit sans prévenir, alors qu'il commençait à monter l'escalier et il eut juste le temps de porter la main à sa bouche, agité d'une violente quinte de toux, alors que le sang dégoulinait entre ses doigts.
En ces temps critiques -enfin tout dépend où on se situe dans l'Histoire-, tous les sacrifices pouvaient être nécessaires et, dans une caboche de désespéré, cela n'en prendrait même pas la forme. Je n'avais rien à perdre, je n'avais plus rien à perdre. Mon semblant de fierté me faisait faire à peu près n'importe quoi. Je n'étais pas prêt à ployer devant eux, pas encore. J'avais sous-estimé ce moment précis où je serais marqué et où je devrais renoncer au sorcier que j'avais pu être. Sang-mêlé, ancien prisonnier d'Azkaban, rebut, il n'y avait pas de quoi faire rêver. Pourtant, j'avais trouvé un acquéreur. Je ne connaissais pas le visage de Lazarus Carrow, son nom résonnant comme une ombre dans les murs d'Azkaban. Un mangemort, sous-secrétaire d'État reconnu pour être avide de pouvoir, pouvant vendre sa famille pour prendre avoir une once d'importance supplémentaire. Portrait réjouissant, mais les rumeurs allaient bon train. Cela ne devait servir qu'à le craindre, à le haïr. Probablement une autre victime du système dans sa requalification.
Tenant fermement le garde, prêt à écraser sa trachée de mon coude. Il fallait être complètement fou pour oser agir ainsi, en compagnie de son futur sorcier. Je n'avais plus de baguette, je n'en avais pas besoin pour agir comme un dégénéré. Je n'avais que cette envie là en tête, supprimer sa vie. Ce n'était pas une révolte, juste mon envie de justice. Mon regard était rempli de haine et de colère. Et je commençais à me rendre compte que si j'en arrivais à lui ôter la vie, je deviendrais comme eux. Je deviendrais un monstre, le genre qui leur plairait bien de voir. Une bête de foire à part entière.
La voix de Lazarus Carrow parvint difficilement à trouver écho dans tout cet océan de haine. Je n'en avais qu'après cette veracrasse de sous-fifre mais il fallait réfléchir aux conséquences parfois. J'étais trop impulsif, trop désespéré pour penser à cela. Ils m'avaient détruit, que me restait-il ? Une enveloppe corporelle vide ? Le reste étant entrain de pourrir ? J'enlevais lentement mon coude de son cou, avant de le plaquer brutalement au mur, lui transmettant mon souhait de sa mort par mon regard, sombre. Il en profita pour me mettre au sol, aidé de son autre collègue. Les deux commencèrent leur vengeance, entreprenant des coups dans les côtes et au visage. Je sentis ma lèvre se gonfler puis se fendre mais je ne disais rien, pas un signe de douleur. Cela leur ferait trop plaisir. Le Mangemort mit fin au spectacle, leur ordonnant de me relever. Je me tenais presque droit, tenant avec difficulté mes côtes d'une main, essuyant d'un geste brusque et peu élégant, le sang qui coulait de ma bouche de l'autre main. Il se leva, et je le scrutais. Il était charismatique, n'ayant nul besoin d'user de sa baguette ou d'élever la voix pour se faire entendre.
Ses mots me glaçaient le sang, son regard aussi. Je me demandais ce qui avait bien pu lui arriver pour qu'il soit à ce point habité par la haine. Nous nous retrouvions là dedans. C'était à le croire, du moins. Il avait l'air amusé, aimant s'écouter parler probablement. Mais son regard avait presque le même effet qu'un baiser d'un détraqueur : glacial, laissant vide, pétrifiant toute sensation. Je finis par baisser la tête, en signe de défaite. Il n'y avait rien d'autre à faire, c'était son monde, ses règles.
Il prit une allure déterminée, vive et je redécouvris le Ministère de la Magie. Tout y était sombre, triste. Les affiches clamant haut et fort l'héroïsme des Mangemorts m'amusa, jusqu'à ce que je vis ce monument. La Magie est puissante ? Oui mais son but n'était pas d'écraser son prochain. Nous en étions donc à ce point... Voyant Lazarus Carrow avancer, insensible à cette monstruosité, j'entrepris de quelques pas de course, tenant fermement mes côtes. Je venais de me rendre compte de l'ampleur de cette guerre, et surtout, de la passivité déconcertante face à ce genre de message. Nous transplanâmes alors à Herpo Creek, lieu du domicile de mon sorcier. Il faisait froid mais ce froid, ce vent, je ne les avais pas ressentis ainsi depuis bien longtemps. Je le suivais, toujours d'un pas pressé, écoutant ses dires. Entre lui et sa femme, cela ne semblait pas être l'amour fou. Je ne pus m'empêcher un sourire sur mes lèvres, aussi léger soit-il. Sa collection était impressionnante, elle rassemblait des oeuvres de gobelins, et toute sorte de pièces magiques. Voici donc mon travail, les transporter et aller en quérir d'autres.
Collectionneur, musicien, j'avais du mal à concevoir comment un homme assez raffiné pouvait souffrir d'une réputation aussi horrible. J'observais le piano, imposant mais je lui préférais l'adjectif majestueux. Il devait produire un son des plus agréables, même si je n'aurais probablement jamais l'occasion de l'entendre. Après tout, qu'est-ce-qu'un rebut peut connaître en musique ? J'hochais la tête, m'émerveillant de toutes ces choses. C'était de suite plus agréable qu'une cellule, même si cela restait une prison au final. Lazarus Carrow semblait être de ceux qui savaient se défendre, en inspirant la crainte et la peur. J'en déduisis que sa vie était en danger. Cela devait aller de paire avec la fonction de sous-secrétaire probablement. Il présenta son frère, occupé, ne daignant lui accorder un signe. Cette famille était aussi éclatée ? Il confirma ma pensée. Je comprenais mieux ce froid dans son regard, ce n'était pas vivable de devoir prétendre ainsi. Il avait la chance d'avoir une famille, la mienne avait été tuée, par des hommes comme lui. Et il ne savait même pas en profiter. Tout pouvait se renverser demain, et les derniers mots ne pourraient servir qu'aux regrets et aux remords.
Je le suivis dans les escaliers, lorsque le Mangemort eut une forte quinte de toux. Manquant de tomber à la renverse, je le rattrapais de justesse, le portant alors au canapé le plus proche. Sa main était pleine de sang, son teint était devenu pâle, presque livide. Ses yeux, gris, viraient encore plus clairs alors que ses rétines devenaient rouges. Du poison ? Je le laissais sur ce canapé, fonçant dans la cuisine. Il y avait de quoi songer à une évasion. Les Elfes, perturbés par mon entrée, me dévisageaient. « Bézoard ? » L'un d'entre eux m'en attrapa, je l'écrasais alors dans le premier récipient, ajoutant des baies de groseille et du whisky pur-feu pour enlever le goût plus que peu agréable du bézoard. Je mis la mixture dans un verre, enlevant les gros morceaux. A genoux devant Lazarus Carrow, je le lui tendais. « C'est du poison que vous crachez. Tenez. » Je repris mes distances, baissant la tête.
Liam O'Daire. Il connaissait ce nom. Il faisait partie de son passé. Il le savait. Et s'il ne s'en était pas rappelé jusqu'à alors, c'était sans doute parce qu'il avait voulu l'occulter. Les souvenirs faisaient mal et il le savait. Souffrances sur souffrances, douleurs sur douleurs, comme une liste de nom de condamnés à mort qu'il aurait pu lire, jusqu'à la fin, jusqu'au bas de la page, de sa voix basse, presque éraillée. Ils étaient trop nombreux, père, mère, femmes, enfants, amours, à n'être pas heureux. Mais il savait qui était ce gamin, parce qu'il connaissait sa mère, parce qu'il était son fils. Avait-il aimé Aurora O'Daire ? Il avait mené une double vie pendant cinq ans, changeant son identité, passant pour un moldu, manquant de compromettre la mission qu'on lui avait confié pour prouver qu'il était digne de recevoir la marque des Ténèbres, il avait eu un fils avec elle et finalement, n'était parti que parce que son monde semblait s'écrouler. Alors oui, peut-être qu'il l'avait aimée, finalement. C'était le passé, de toute façon. C'était fini, ça s'était arrêté lorsque les O'Daire avaient voulu faire de lui un loup-garou, un semi-loup, il ne savait pas quoi. Il voulait bien l'emmener avec lui, l'élever, ça il pouvait assumer, mais se retrouver avec un fils semi-loup, et une fille semi-vélane alors même que les aurors le poursuivait et que le Lord était tombé lui semblait impossible. Il devenait de plus en plus sombre et déprimé, sans jamais rien expliquer, jusqu'à ce jour pluvieux où finalement, il était parti.
« Je ne veux pas qu'il reste avec vous, je ne veux pas que vous en fassiez ça...une bestiole. » Le ton était prodigieusement calme, c'était presque étrange de le voir ainsi, lui qui était plutôt colérique, d'habitude. « Je m'en irais, si je ne gagne pas, ça vaut mieux. Pour toi comme pour moi. » Aurora le regarda gravement. « Tu ne devrais pas faire ça. » Et pourquoi pas ? C'était la meilleure solution. Bien sur qu'il l'aimait, à ce moment il n'en doutait pas, mais maintenir cette fiction comme quoi il était un moldu et qu'il s'appelait Thaddeus Gallagher, démarcheur itinérant, n'était plus possible. Il avait des tas de problèmes. Et si les sorciers qu'il fréquentait en Irlande lui avaient en gros expliquer, à lui, le soit-disant moldu perdu par les problèmes des sorciers, que la fin de la guerre était une bonne chose, intérieurement, il ne pouvait s'empêcher de se rappeler d'où il venait, et il n'arrivait que moyennement à faire semblant d'être heureux pour eux : par chance – façon de parler – avec l'histoire avec Liam, il n'avait pas besoin d'avoir l'air heureux. « Ce n'est ni bien pour toi, ni pour nous, ni pour Liam...» Il répliqua doucement : « Le mal, c'est comme les enfants : sur terre, il faut en avoir. »
Il disait cela tranquillement, ses deux yeux surveillant le soir. Par ce temps qui délabrait tout, il avait de grands soucis, mais on ne voyait rien de sa peine. Son calme était presque méchant. Le soir tombait entre eux comme une barrière. Il partit ce jour là, conservant simplement une vieille photo prise sur le vif alors qu'il faisait la sieste avec Liam, où il regardait l'objectif avec surprise. Au fil du temps, il ne savait pas bien ce qu'était devenu la photographie.
Quelle importance ? Il songeait encore à la question alors qu'il tombait. Il allait se fracasser au sol sans pouvoir rien dire. Les crises s'accentuaient et il n'y avait rien fait du tout, mauvaise idée, il aurait du agir. O'Daire pouvait tout à fait en profiter pour le buter. C'était presque drôle, n'est-ce pas ? Lazarus, en tout cas, en aurait ri s'il avait pu. Tué par son propre fils, sans qu'il n'aie jamais eu l'occasion de lui reparler, et alors même qu'il l'avait acheté comme rebut. L'aurait-il acheté s'il avait su qu'il s'agissait de son fils, s'il l'avait compris depuis le départ ? Oui, oui sans aucun doute – le sous-secrétaire d'Etat aurait peut-être même dépensé beaucoup plus d'argent pour se faire. Sa famille était une déchirure. Tout lui manquait. Le mangemort savait que quelque chose foirait : pourtant, il avait tout fait pour qu'ils soient heureux, sur le papier ils ne manquaient de rien. Père, mère, frère, femme, enfants, Lazarus lui même, aucun n'était heureux, par rapport à ce rêve calme et si bien calculé. Peut-être parce qu'il calculait trop, justement...il ne savait pas. C'était compliqué de savoir, parce que rien ne touchait Carrow à ce moment là, sinon la douleur, et qu'il n'avait conscience de rien de toute façon, sinon du sang qui coulait de sa bouche, et qu'il essayait de retenir, désespérément, comme si sa survie en dépendait, comme si en gardant le sang dans son corps, il allait échapper à la maladie.
Lorsqu'il parvint à comprendre où il était, Liam O'Daire se tenait devant lui, lui présentant un machin immonde qu'il but plus par réflexe et incompréhension qu'autre chose. En revanche, son esprit fit à peu près le point, assez pour qu'il se lève et saisisse fermement le col du jeune homme. Il plongea ce regard si pale, d'une sauvagerie qui estomaquait, presque viking, dans les yeux de l'Irlandais, pour prononcer quelques mots, livides, mais avec une force incroyable, comme s'il venait de comprendre quelque chose : « Liam...Thaddeus...Pryam...O'Daire. » Il connaissait le nom entier. Son regard s'était fait presque fou, absent, alors qu'il disait cela : il avait crocheté les vêtements avec force, comme une serre de rapace. Il relâcha le gamin au bout d'un instant de silence qui parut s'éterniser longtemps et se rassit sur le canapé.
« Tes parents t'ont bien éduqué. » Sa mère, surtout, lui, il n'y était pour rien : la pitié, ça ne faisait guère partie du caractère de Lazarus, qui aurait plutôt du genre à apprendre à ses gosses à n'épargner personne. Personne ne donnait de chance à personne en ce monde, l'univers était cruel, ou indifférent, ce qui était peut-être pire. Pour survivre, pour gagner, il fallait saisir toutes les occasions qui se présentaient. Peu importaient les autres.
La porte s'ouvrit sur son frère : « Je t'avais dit que c'était du poison. Tu le crois, maintenant qu'il a fallu que ce soit un rebut qui te le dise ? » Il avait l'air sincèrement inquiet, comme toujours. En fait, c'était bien lui le meilleur de la fratrie. Dommage qu'il n'aie pas été l’aîné, avec un tel sérieux, Tibérius aurait fait un bon chef de famille. « Je vais bien, ça va. Je verrais ça...plus tard. » Lazarus fronça les sourcils, pensant d'un coup à une chose : Tibérius avait insisté pour qu'il vienne à cette vente, il avait proposé Liam...savait-il ? « Tu n'as rien à me dire d'autre, dis moi ? » Son frangin sourit vaguement : « Je ne crois pas, non. » Lazarus se leva : « Bon. Alors je vais aligner deux ou trois notes de piano. O'Daire, vas faire soigner par les elfes ces blessures. Tu reviendras après...si je suis d'humeur. »
Après quoi, il les abandonna royalement à leurs sorts respectifs pour effectivement se mettre à jouer dans la galerie, ne s'occupant de rien, une résolution qu'il comptait tenir jusqu'à ce qu'il entende les pas annonçant quelqu'un dans la pièce.
Le mangemort était étrange, presque fou. Atteint d'une forte quinte de toux au point d'en cracher son sang, j'aurais pu le laisser tomber à la renverse, le laisser s'étouffer dans son sang si pur et partir loin de cet endroit maudit. Mais ce n'était pas ainsi que j'avais grandi, pas ainsi que j'avais appris. Ce n'était pas notre vision du monde, et cela nous avait coûté, puisque tous avaient péri et que j'avais survécu. Même l'être le plus abjecte ne méritait pas qu'il soit laissé à son triste sort ou son triste empoisonnement dans le cas présent. Non la mort était une délivrance pour tous les méfaits qu'ils avaient pu accomplir, c'était la facilité, leur chemin de prédilection. Je ne connaissais pas Lazarus Carrow, si ce n'était par les rumeurs. Il était froid, dépourvu de tout sentiment sauf haine et douleur. Je me reconnaissais dans son regard, j'avais le même depuis deux ans. Le mangemort m'avait épargné, me mettant en garde sur le fonctionnement de cette société gangrenée par un mal absolu. Finalement, ma famille n'avait pas à connaître cela, elle n'y aurait pas survécu. Tuer Lazarus Carrow n'aurait eu aucun effet et, une fois ma mort survenue, qui pourrait venger ma mère et le reste du domaine ? Il n'y avait plus personne. Ma dette était remboursée, il m'avait sauvé et j'avais calmé son poison. Nous étions quittes et ce sentiment de nausée s'estompait à mesure que l'antidote faisait effet. Je devais être particulièrement stupide pour ne pas tenter de m'enfuir.
Je me tenais devant lui, n'osant pas bouger à vrai dire. Je n'étais pas un meurtrier ou du moins, je n'éprouvais aucune gloire à user de la violence contrairement aux sorciers de la trempe de Carrow. Il se leva, après avoir ingurgité la mixture peu délicate mais particulièrement efficace et vint saisir mon col, déjà troué et déchiré par les mauvais traitements. Me tenant fermement, je sentis ses doigts s'enfoncer dans ma peau, presque jusqu'au sang. Mon corps entier se pétrifia, alors que ma mâchoire se serra un peu plus. Son regard était absent, sombre, il semblait affecté d'une folie nouvelle. Je ne bougeais pas, ne ployant pas devant sa folie ou la douleur de ses doigts s'enfonçant dans ma chair. Une seule chose provoqua une réaction. Le mangemort connaissait mon identité complète, jusqu'à mon troisième prénom et avec un aplomb déconcertant. Mes yeux me trahirent, par leur étonnement. Il me reconnaissait, à moi, son objet, une identité entière et j'en avais même oublié le sens. Je m'interrogeais sur le sens de sa façon d'être, ou son absence de sens. Il avait eu l'impression de détenir une vieille vérité, enfouie et finalement oubliée.
Comme si de rien était, le sorcier se rassit sur le canapé, me laissant plus que perplexe face à ses changements d'humeurs. Sa phrase sonnait bizarrement. Qu'en avait-il à faire de mes parents ? Enfin, de ma mère surtout. Mon père était un lâche, il nous avait abandonné. Je ne le connaissais pas, je ne savais même pas à quoi il ressemblait. C'était bien simple, il pouvait être en face de moi que je ne le reconnaîtrais pas. Je baissais les yeux à sa remarque qui évoquait des souvenirs douloureux encore. Le visage de ma mère, ses derniers mots et la fin. Ma plaie était vive, ma douleur indicible et pourtant, je restais de marbre. Ces vermines seraient bien trop heureuses de voir les conséquences de leurs actes méprisables. Je n'avais aucune satisfaction à leur donner.
La porte s'ouvrit pour dévoiler le frère de Lazarus, Tibérius. Il n'inspirait rien de bénéfique et une intuition me poussait à me révulser de lui, plus que de Lazarus. Il y avait quelque chose d'étrange dans son regard, une lueur sadique et un air complaisant car trop satisfait. Je fixais le plancher durant leur petite conversation, jusqu'à ce que le mangemort m'ordonna d'aller soigner mes blessures. Je tournais les talons, me tenant les côtes. Mon regard tomba sur la main droite de Tibérius, marquée d'une large cicatrice particulièrement vilaine. Cela m'intrigua et son regard se posa sur moi, me plaçant entre le dégoût et l'effroi. Il s'avança lentement, avant de tourner autour de moi. Rictus aux lèvres, Tibérius continua sa route alors que je m'avançais vers la cuisine, auprès des Elfes.
Réticent, je refusais tout contact. Non pas parce qu'il s'agissait d'Elfes mais parce que mon corps était trop endolori pour supporter le moindre contact. Il avait été trop mal mené ces derniers temps. L'Elfe qui m'avait donné le bézoard décala le reste de mon col avant de verser un liquide violet dessus, qui piqua ma peau abîmée, engendrant de la fumée. « Monsieur sait qu'il gardera cette cicatrice. L'Elfe ne peut rien y faire. » Il passa son doigt froid et frêle sur mon cou, avec un air compatissant. Sans dire un mot, je soulevais avec peine ma guenille, laissant apparaître mon torse marqué par des cicatrices dont j'étais fier et d'autres qui ne faisaient que traduire ce que j'avais pu subir. L'Elfe appliqua la même potion et je ne pus retenir un grognement assez fort. « L'Elfe ne voulait pas faire mal à monsieur, l'Elfe est désolé. » Il baissa la tête, se préparant à une sanction. Je me rhabillais directement, avec difficulté. « Liam et je suis comme toi. » Je le regardais, passant ma main lourdement sur son crâne dégarni. « Merci. »
Je partis rejoindre les deux hommes, discutant. « Je pense pas que tu aurais du l'acheter. Il est en piteux état et son regard ne m'inspire rien de bon. Dès qu'il pourra te tuer, il le fera. Tu connais les irlandais. » Je restais au pas de la porte, les écoutant patiemment. Qu'est-ce qu'ils pouvaient bien connaître à l'Irlande et aux Irlandais ? Veracrasse de royaliste. J'échappais un grognement avant de débouler dans la salle. « J'ai peur que ça ne t'attire encore des histoires, comme.. » Je les interrompis bien malgré moi. « Je.. Pardon. Monsieur y'a quelque chose que je puisse faire ? » Je fixais la main de Tibérius et son regard. Il me semblait avoir déjà vu cela. Mes yeux, violets d'habitude, s'étaient assombris à mesure que je me perdais dans mes songes et dans mes souvenirs, oubliant la conversation et oubliant tout le reste d'ailleurs.
Il aurait pu mourir. Qu'est-ce que ça aurait changé ? Lazarus se mettait à réfléchir aux conséquences. Lentement. Il se passerait quoi. Les mondains ouriraient toujours hypocritement, les collabos feraient la fête, encore et toujours. Installé au piano, le mangemort jouait. Il alignait des notes. Mais plus il en venait, plus il y en avait, et plus les sons se dissolvaient dans une sorte d'indifférence grise, détirée. Ras bords... À la fin, une corde unique, une note unique. Assis au bord du piano, Laazarus s'écoutait la chanter. En définitive, c'était comme du silence. Le diapason des mots et des misères. On avait voulu le tuer, et on avait failli réussir. C'était une sacré audace, oui, il était presque admiratif, il fallait un putain de sacré culot pour tenter de faire ça, pour sur. Il laissa échapper un petit rire, secouant la tête en souriant tout seul. « T'es un putain d'enfoiré, mon pote, mais je vais te trouver. Ca sera marrant, tiens. On verra si tu fais toujours le malin après ça. » Il se versa un autre verre de whisky, se marrant toujours tout seul.
Quelle journée bizarre. Il n'avait pas prévu d'acheter ce rebut. A priori, pas non plus de se faire empoisonner. Bizarre, là encore. Lazarus ne croyait pas au destin, mais quelle chance y-avait-il qu'il retrouve son fils bâtard abandonné il y avait presque vingt ans, ou vingt ans déjà, il ne savait même plus, et que celui ci lui sauve la vie en découvrant que quelqu'un l'empoisonnait ? Aucune ou presque, alors qu'est-ce que ça voulait dire ? Sans doute un signe pour rappeller qu'il allait devoir sévir et qu'il ne fallait pas trop qu'on l'emmerde, qu'il restait le chef. Il le fallait. Peut-être qu'il avait un peu faibli. Il ne savait pas bien, mais évidemment., ça devait être ça. Il ne fallait pas faire confiance aux gens, c'était une erreur absolue. Se méfier de tout, de tout le monde. Il n'était pas en sécurité. Le monde voulait sa perte. Il voulait la perte du monde. Les choses fonctionnaient comme ça, c'était obligé. Chacun écrasait ou était écrasé, et parfois les deux, souvent les deux, même, d'ailleurs, et il fallait se prémunir contre ça. Lazarus était un cynique, un réaliste, il savait qu'on ne l'aimait pas forcément, que rien n'était acquis, et que ce qu'il avait on chercherait toujours à le lui prendre, parce que rien, jamais, jamais, n'était fait pour être facile dans ce monde ci.
Il avait été heureux, en Irlande, sans doute. Oui, il avait vraiment été heureux, loin de Londres, des mangemorts, et de tous les problèmes existentiels qu'il avait là bas. Il aurait tellement souhaité que ça continue, d'ailleurs...il aurait pu vieillir là. Il y aurait eu de grandes bibliothèques, des divans profonds, les cris de petits enfants dehors, des confitures de baies, de longues conversations dans des chaises longues. Les ombres s'allongeraient alors, la mort s'approcherait doucement. La vie aurait été bonne parce qu'il aurait aimé. Quelqu'un d'autre que lui même. Quelqu'un d'autre que le fantôme de son père. D'une autre forme que cet amour maladif qu'il portait à ses enfants et qui eux, n'en sauraient jamais rien, parce que tout son amour consistait à détruire toute les bonnes parties d'eux, l'amour, la confiance, tout, absolument tout, parce qu'il n'y avait que comme ça qu'ils survivraient.
Il était aigri par la vie. Haineux, rageux, mais il n'avait plus peur de rien. Il avait eu peur, avant. Il y avait longtemps. A ce moment là...Il ne savait pas ce qui se passait dans sa vie, malheureux d'avoir perdu son père et cet avenir si brillant qu'on lui promettait alors que son présent était terrible, et assez moche. Il se sentait comme abîmé. Il existait sans vivre vraiment, une copie d'un père mort. Que des fois il était vide et des fois il bouillonnait à l'intérieur, qu'il était sous pression, prêt à éclater. Qu'il ressentait plusieurs choses à la fois, comment dire ? Que ça grouillait de pensées dans son cerveau. Qu'il y avait une sorte d'impatience, comme l'envie de passer à autre chose, quelque chose qui serait bien mieux que maintenant, sans savoir ce qui allait mal ni ce qui serait mieux. Qu'il avait peur de pas y arriver, peur de ne pas pouvoir tenir jusque là. De ne jamais être assez fort pour survivre à ça, et que quand il disait " ça " il ne savait même pas de quoi je parlais. Il entendit Tibérius entrer sur le coté. Il prononça quelques paroles, presque au hasard. « Quand je suis parti en Irlande... j'arrivais pas à gérer tout ce qu'il y avait dans ma tête. J'avais toujours l'impression d'être en danger, un danger permanent, de tous les côtés où je regardais, d'être sur le point de me noyer. Tu sais ce que ça fait ? » Tibérius ne répondit pas. Il avait abandonné l'idée de répondre à son frère dans ses délires. « Ca fait mal, putain, un mal de chien. Mais je m'en suis remis, je suis pas mort. Ils ne m'ont pas tué, ils ne me tueront pas cette fois. Je vais vivre, et cette vie, putain, j'en profiterais jusqu'au bout. »
C'était un homme émacié, tanné. Un homme dur et violent. On ne savait pas ce qu'avait été sa vie, on savait qu'il finirait dans la fosse commune. Lazarus n'avait pas d'âge, rien. C'est à peine s'il lui restait encore un nom. Il avait largué toutes les amarres. C'était une loque. C'était un roi. Tibérius reprit doucement : « Je pense pas que tu aurais du l'acheter. Il est en piteux état et son regard ne m'inspire rien de bon. Dès qu'il pourra te tuer, il le fera. Tu connais les irlandais. » Lazarus renifla d'un air méprisant. Son frère avait un sale don pour lui rappeler ses erreurs et ses échecs. « C'est toi qui a voulu que je l'achète, je te ferais remarquer. Et s'il avait voulu me tuer, il avait une très bonne occasion de le faire. Il aurait pu se contenter de me laisser crever. » Il tapota une touche du piano pensivement. « Je veux que tu trouves la personne qui essaye de me tuer. Ca devrait être dans tes cordes, ça. » Tibérius adopta son air obstiné. Lazarus leva les yeux au ciel. Il connaissait ce genre de discussion. Ca devait être ennuyant d'être le type raisonnable de la famille. « J'ai peur que ça ne t'attire encore des histoires, comme.. » O'Daire entra à ce moment là. Comme pour le moment, il n'avait rien à lui donner à faire, Lazarus se contenta de se lever. « Non, pas vraiment. Je vais me promener un peu. Tu n'auras qu'à suivre. »
Une activité passionnante de le suivre. Il marchait à grand pas dans le domaine, sans jamais rien dire, pour réfléchir, simplement. Le domaine était grand, boisé. Le soleil d'hiver brillait, très pâle. Lazarus sourit. Pour une fois, il fit une exception à la règle. « Il paraît que je suis un connard. C'est le nom qui veut ça, mais moi je l'ai érigé en art, O'Daire. Personne ne peut m'avoir, et je baise le monde entier depuis des années. J'aurais pu mener une vie tranquille. Une vie honnête et un peu conne. Mais ça, j'en veux pas. Je suis pas honnête, O'Daire, mais je suis surement pas con. » Il sourit, amusé par ce qu'il disait. « Ils disent que j'ai du sang sur les mains. C'est vrai. J'ai du sang sur les mains et du champagne dans ma baignoire. Ils ne savent pas ce qu'ils disent. Ni ce qu'ils pensent. Ils ne comprennent rien. Même pour un type comme moi, ce monde est merveilleux. Il suffit de savoir qui tu es. »
#EVENTS & #MISSIONS. NE MANQUEZ PAS LA WIZPRIDE (rp et hrp) !#SCRYNEWS. refonte du ministère (plus d'infos) & nouveaux procès de guerre (plus d'infos)#FORUMATHON.