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MERCREDI 30 JANVIER 2002
« your fingers cut like a knife, remind me i'm alive »

QUATORZE HEURES. La plume tournoyant autour de ses doigts fins, le regard dirigé vers une immense pile de parchemins. Evangeline observait son bureau en bois et poussa un soupire qui en disait long sur l'humeur dans laquelle elle était. Constamment assise sur certainement l'une des chaises les moins confortables du Ministère de la Magie, elle passait ses journées au travail à répéter les mêmes gestes et les mêmes acheminements. Vérifier, corriger, recompter. Ainsi de suite. En intégrant le Département de la Coopération Magique Internationale, spécialisée dans le Commerce International notamment avec les pays européens de l'Est, elle s'était imaginée un métier plus mouvementé où les voyages étaient des choses communes. Mais il n'en était rien. Elle avait rêvé et souhaité voyager dans les pays étrangers. Elle n'avait mis que les pieds en France, une seule fois il y a de cela quelques années et cela ne s'était pas terminé comme elle l'aurait imaginé. Depuis, elle n'avait jamais quitté la Grande-Bretagne mais vivait toujours dans l'espérance de sortir de sa vie qui lui paraissait bien trop monotone pour son âge.

Néanmoins, son séjour en France lui avait permis de se découvrir de nouvelles aptitudes dans un certain domaine que sa famille maniait avec aisance. Si la plupart des Jenkins étaient connus pour leur antipathie sans égale, c'était l'oncle d'Evangeline qui gagnait la médaille du meilleur serial killer-executioner de tous les temps. Tueur de cracmols, de sang-de-bourbes... Auparavant, Evangeline ne comprenait pas les actes aussi horribles et inhumains de son oncle. Mais ça, c'était il y déjà bien longtemps. Si elle l'avait considéré comme un dangereux psychopathe à enfermer à Azkaban, ce n'était désormais plus le cas et son admiration allait vers cet homme qui œuvrait en faveur de ses idéologies afin de créer ce qu'il appelait « un monde meilleur ». Le regard plongé et surtout perdu dans des écritures qui ne lui donnaient aucune envie de travailler, Evangeline soupirait inlassablement. Par chance, aucun de ses supérieurs ou de ses collègues n'était dans les parages pour l'entendre se plaindre. Intérieurement, certes. Mais à force, cela se voyait dans son comportement qui commençait à témoigner d'un certain ennui.

Les heures passaient. Défilaient. Ses yeux semblaient concentrés, son comportement et son attitude manifestaient un sérieux et une assiduité qu'elle avait l'habitude de montrer lorsqu'elle était au Ministère de la Magie. Cependant, son esprit avait décidé de s'échapper depuis déjà de bonnes longues minutes dans d'autres pensées bien plus amusantes et excitantes. Après une journée épuisante de travail, une journée banale qui ne se démarquait par aucun événement, Evangeline avait l'habitude de se rendre dans différents bars de Londres. Elle passait des heures dans ces endroits, à boire, à faire tout ce qu'elle souhaitait sans qu'elle n'ait à demander une permission. Elle pouvait jouir d'une certaine liberté, sans être sous des ordres qui lui imposaient des limites et des barrières infranchissables. Evangeline aimait donner les directives et être celle qui était chargée de mener les autres. Malheureusement, elle n'en avait jamais l'occasion. Hiérarchiquement, elle était mal placée. Que ce soit au Ministère ou dans les rangs des Mangemorts. Elle n'était qu'une novice qui rêvait de gravir des échelons le plus rapidement possible, en grillant le plus d'étapes si cela était dans ses capacités.

VINGT-ET-UNE HEURES. Une main vêtue d'un gant noir poussa doucement une porte en bois qui se mit à grincer. Un bruit strident que très peu entendirent compte tenu du brouhaha assourdissant qui émanait de l'établissement et qui se propageait même dans les rues alentours. Le filet d'air frais qui s’immisça dans le bâtiment valu à Evangeline quelques regards durs et menaçants, des sourcils froncés et des remarques désagréables qu'elle laissait passer facilement. Après tout, elle avait laissé la porte ouverte et s'était mise debout à l'entrée quelques instants afin de retirer ses gants et son manteau qui lui avait donné une impression d'étouffement dès lors qu'elle s'était invitée dans ce lieu presque convivial. En refermant la porte d'un coup de talon, elle observa les différents faciès qui décoraient l'endroit. Inconnu. Inconnu. Inconnu. Ah. Evangeline pencha doucement sa tête vers la droite afin d'analyser la silhouette masculine qui se tenait au comptoir du bar.

Le sourire railleur et l'attitude à la limite de la condescendance qui concordait parfaitement, elle s'approcha de l'homme en question. Evan posa son manteau sur le comptoir et n'en avait rien à faire de prendre de la place et de s'étaler alors que d'autres individus se trouvaient juste à côté d'elle. Ils n'avaient qu'à aller ailleurs si cela ne leur plaisait pas, mais dans tous les cas, elle n'allait pas être celle qui, poliment, se retirerait pour poser ses affaires autre part. Assez prêt afin de pouvoir susurrer quelques mots rapides à l'individu qu'elle prenait pour cible ce soir-là, elle se lança. « Mr.Carrow. Comme c'est inattendu de vous trouver dans un endroit aussi... » fit-elle en insistant sur « inattendu » comme pour souligner une certaine ironie. Elle recula son visage afin d'observer le faciès de l'homme. « Joyeux. » Lazarus était ce qui se rapprochait le plus de ce qu'elle pouvait appeler un mentor. Mangemort et particulièrement habile avec les diverses méthodes de supplices, physiques et psychologiques, Evangeline lui portait une grande admiration. Un grand intérêt qui ne s'arrêtait cependant pas à l'apprentissage de tortures. Les prunelles plongées dans celles de son interlocuteur, elle ne cillait pas. Comme d'habitude. Elle dessinait un sourire aguichant et provocateur, toujours inconsciemment. « Et qu'est-ce qui vous amène dans un bar rempli d'ignares et d'impudents ? » demanda-t-elle en faisant un léger signe de la tête vers un groupe quelque peu perturbateur dans un coin de l'établissement. Un groupuscule d'ignorants qui allait lui taper sur le système s'ils continuaient à faire autant de bruit alors qu'ils n'en avaient aucun droit. Mais pour l'instant, Evan préférait endurer. Elle s'énerverait plus tard, si c'était encore nécessaire.
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Au sein du Ministère, il devait être le numéro deux. Au sein des mangemorts, il était un parmi d'autres, mais commençait à avoir un certain ascendant, car il était plus vieux que la plupart des recrues du Lord, désormais. Plus dur, plus expérimenté, plus rusé, plus dangereux. Lazarus Carrow avait été un jeune homme ambitieux qui aurait pu se faire avoir facilement parce qu'il croyait que rien ni personne au monde ne pourrait lui résister, parce qu'il possédait le nom, le caractère, l'intelligence. Il avait découvert rapidement que le monde se foutait du nom, avait un caractère cent fois pire que le sien, et que surtout, le monde était une vieille femme rusée, qui voyait mourir tous ses enfants et à qui il ne survivrait pas. Il n'était pas plus rusé que le monde. Il le comprenait peut-être un peu. Il arrivait à l'apprivoiser. Il avait compris qu'aimer les gens ne les sauverait pas, et que personne ne le sauverait lui. Lazarus Carrow menait une vie malhonnête, une vie de pêcheur, c'était un dépravé total, mais il s'en fichait. Pourquoi vouloir être seul alors qu'il pouvait être vivant à la place ? Pourquoi vivre comme s'il attendait de mourir ? Il vivait comme s'il allait mourir demain, il vivait comme s'il allait vivre pour toujours. Lazarus Carrow se foutait des autres, mais les autres se foutaient également de lui, alors pour continuer son chemin, il les écrasait, parce que c'était comme ça, le monde fonctionnait ainsi.

Il n'était pas un salaud, il était juste habitué. Il était logique. Pour survivre dans un monde impitoyable, il fallait être impitoyable. Ni plus ni moins. Il était violent Mais sa violence se manifestait rarement pour des histoires d'argent. Alors qu'elle pouvait, tout au contraire, atteindre à une intensité meurtrière en l'espace de quelques minutes, pour une histoire de confiance trahie, un mensonge,un tort qu'on aurait fait à un membre de sa famille. Il avait de la loyauté un sens atavique et irrationnel et son sentiment de perte était toujours aussi douloureux et inattendu devant les compromissions que celle-ci s'autorisait, aussi fréquentes soient-elles, comme autant de plaies renouvelées au cœur.

Les gens le craignaient, mais la plupart du temps, il se foutait éperdument d'eux. Au ministère, où finalement, malgré toutes les rumeurs qui courraient sur le fait qu'il se noyait dans l'alcool dans des bars miteux, il passait le plus clair de son temps, il n'avait qu'une règle : on ne lui parlait pas, sauf pour des raisons urgentes, et on faisait bien son boulot. A partir de là, aucune personne ne se plaignait jamais de travailler avec lui. Il n'était pas emmerdant, il fallait juste apprendre à fermer sa gueule. Sinon, il était compétent et savait gratifier l'efficacité, surtout lorsqu'elle était sur la même longueur de folie que lui. Il faisait de la politique. Il faisait ça bien, du moins bien à sa manière.

Il n'y avait pas deux manières de diriger une organisation : faire ça bien, redistribuer, se conduire correctement avec les gens. Tu as alors la conscience claire , on te respecte dans la communauté , les gens te font confiance. Et quand quelqu'un commence à enfreindre les règles et se montre trop con en essayant de te contester, tu lui fais sauter sa putain de cervelle. Et quand tu en arrives là, tu ne t'amuses pas à déconner pour le faire. C'est comme une zone franche. Personne n'aime ça, mais la seule chose qui importe, c'est de savoir qui ressort vivant du duel. Et jusqu'à là, Lazarus Carrow était toujours ressorti vainqueur.

Il était fou, fou à lier, et il buvait pour oublier la colère, et tout ce qui le rendait fou, les brutes, les barbares, les idiots, les moldus, le monde, tout. Quand du whisky ne lui coulait pas dans les veines, Lazarus parlait à Dieu, même s'il n'y croyait plus. Il ne savait pas ce qui était le pire, la boisson ou la prière. Parce qu'il avait l'impression que le décompte avait commencé pour lui. Il y avait une chose qu'il avait apprise en vieillissant. Il n'essayait plus de corriger les fautes d'hier dans l'instant présent. Il les effaçait de sa mémoire. Vraiment, il les éliminait. Il voyait sa vie comme une soirée de fête, et il était aujourd'hui assez vieux pour mettre de côté les soucis vains et stupides de sa condition de mortel, et cesser d'imposer la mesure erronée du temps que nous offrent calendriers et horloges à son existence et, ce faisant, à l'éternité.

Il buvait donc, et il s'amusait. Il adorait les bars et le whisky à s'en faire sauter les plombs, avec la même vénération, la même confiance simple qu'un homme à genoux devant un mausolée votif. Ce genre de foi émotionnelle faisait de lui un intoxiqué chronique, car elle ne mourrait pas plus facilement que la religion. Aussi loin qu’il pût se souvenir, son père lui semblait avoir passé sa vie à combattre le Diable, tout le temps. Aussi loin qu'il se souvenait, le Diable avait toujours été son meilleur ami. Il en était là, dans un bar, un peu branché, un peu select, mais Lazarus s'en fichait, peu importait, ça aurait été lugubre que ça aurait été la même chose, il s'en foutait. Il venait pour boire, pour se montrer, pour sourire, pour écouter, il ne savait pas, en fait, tout était bon à prendre.

Il entendait les fêtards dans la rue, il entendait des bruits de verre qu'on brisait ,une boîte de bière en train de rouler sur le ciment, lorsque quelqu'un s'assit à coté de lui. Il tourna légérement la tête. Evangeline. Tiens. Il aimait bien l'entendre parler. Et ce fichu sourire aguicheur le rendait fou. Elle était douée, la petite, il plaçait pas mal d'espoir en elle. Elle devrait encore apprendre, mais il était sur que le nom de Evangeline Jenkins compterait un jour. Lazarus Carrow n'avait jamais misé sur le mauvais cheval, ça marcherait à nouveau. Elle se fichait de lui, mais elle le faisait rire. Et puis à la fin, elle était à lui. « Mademoiselle Jenkins. » Baise-main poli. Comment rester un gentleman tout en étant un magnifique salaud : être Lazarus Carrow, par exemple. « C'est une surprise pour moi aussi...agréable, je dois dire. » La même lueur métallique, un peu dure, dans le regard. Sourire mauvais, plein d'une joie terrible, presque d'une fureur joyeuse. On n'aurait pas pu dire si c'était de l'envie ou de la colère ou encore du mépris. « J'y écoute et j'y apprends. Et de temps en temps, j'y rencontre une jolie jeune fille qui accepte de boire un verre avec moi. »

Qu'il s'appropriait, faisait sienne, quittant le bar pour aller ailleurs, finissant la nuit dans une dépravation tout autre que l'alcool. Mais tout aussi agréable. « Et vous, qu'est-ce qui vous amène ici ? » Il appela le barman : « Je vous offre un verre ? »


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