PRISONERS • bloodstains on the carpet Draco Malfoy |
why do I try, I know I'm gonna fall down 7 JANV. 2002 & ONE SHOT Il y avait un heurt. Un tiraillement, un… trouble résultant d’une hésitation que l’occlumencie, utilisée à bon escient, avait su masquer aux regards perçants du comité. Malfoy affrontait les questions avec un timbre laconique, dos droit et prunelles assurées, refusant de ciller par souci de ne s’attirer aucune suspicion. La présence de son mentor dans la pièce n’était pas pour amoindrir son inconfort : sa relation avec Rookwood n’était certes pas l’interminable torture à laquelle il s’était attendu au départ, elle n’en demeurait pas moins une épreuve de force, sous bien des aspects. Cet homme était de ceux qui méprisaient les failles et qui ne faisaient pas le moindre cadeau à quiconque faiblissait. Fait certain : s’il devait tomber, Augustus assisterait sans ciller à la chute, voire la précipiterait. A contrario, s’il se tirait brillamment de l’interrogatoire, sans doute gagnerait-il en crédit aux yeux de son aîné. En plus, évidemment, d’avoir sa vie pour butin — et c’était bien là l’essentiel. Certaines questions étaient aisées — c’était notamment le cas de toutes celles liées à son ancien collègue, accusé de trahison quelques jours plus tôt : « Quels sont précisément vos rapports avec Demsey Dawlish ? » « Inexistants », pouvait-il affirmer en toute franchise, sans ressentir la moindre gêne. « Nous n’avons jamais eu l’occasion de travailler ensemble et je n’ai aucun intérêt à sympathiser avec mes collègues. » Ceux qu’il n’ignorait pas faisaient partie de sa vie en dehors de ces murs, il n'avait que faire de la bonne entente au bureau. Mais il y avait une ombre au tableau, et elle se révélait lorsque le sujet glissait sur des terrains plus délicats, non moins compromettants. « Avez-vous déjà commis, de force ou de gré, un acte en faveur de l’insurrection ? » Un étrange voile semblait enrober un pan de son esprit et le rendre volatile, insaisissable, comme un mot surfant sur le bout de la langue sans jamais daigner se laisser formuler. Il en percevait la présence du coin de l’œil et à peine faisait-il mine d’y dédier une plus nette attention que le tout lui glissait entre les doigts, laissant simplement ancrée à ses pulpes l’impression tenace que quelque chose lui échappait. Quelque chose de potentiellement énorme. Quelque chose qui — s’il en croyait l’acharnement avec lequel le Veritaserum tendait avec avidité dans cette direction précise — devait s’apparenter à une vérité manquante. Si tel était le cas, l’instinct de préservation le poussait à penser qu’elle n’était pas masquée par hasard, qu’il ne devait pas s’y pencher. Pas maintenant. « Non. » Sa langue se déliait relativement aisément, la goutte de poison ingurgitée ne trouvant dans sa mémoire aucun élément compromettant à le forcer à dévoiler, et il se ragaillardissait, s’invectivait intérieurement pour chasser toute forme de doute : qu’aurait-il bien eu à cacher ? Les intérêts du gouvernement étaient ceux de son Maître et la satisfaction dudit Maître lui était favorable. Bien sûr qu’il n’agirait sous aucun prétexte en sa défaveur ! « Avez-vous couvert ou tu les actes répréhensibles d’un proche ou d’une connaissance, par profit personnel ou afin de lui éviter d’être inculpé pour trahison ? » Il tiqua presque — la question trouvait en lui un écho dérangeant, mais l’appel était suivi d’un vide qu’aucune réminiscence ne venait combler. « Mon entourage est fiable et dévoué à la cause du Magister », répliqua-t-il, perplexe, non à cause de la question mais de cette sensation dérangeante. « Répondez par oui ou par non », vint la froide répartie, avant que la question ne soit répétée. « Non. » Fair point : une réponse directe était impossible à contrefaire, tandis que les détours rendaient suspicieux. L’échange s’étira désagréablement, plus d’une heure durant avant que Rookwood ne fasse claquer sur la table son dossier, qu’il venait de clore. « Ce sera tout, Malfoy. » Soulagé d’être enfin congédié, le concerné salua sobrement les membres du Comité de Direction du Département des Mystères et s’éclipsa avant que quiconque ne tente de le retenir. S’il pensait avoir eu sa dose de surprises cependant, la fiole qui l’attendait sur son bureau à son retour au Manoir lui donna tort. Curieux, Draco affubla le petit corps de cristal d’une série de sortilèges-tests pour s’assurer qu’elle n’était chargée d’aucun maléfice ou piège ; tous s’avérèrent négatifs et, sa curiosité attisée, il ne put s’empêcher de se saisir de l’objet de provenance inconnue pour le faire tourner entre ses doigts pâles. Aucune étiquette, aucune indication, mais les filaments lumineux, ni solides ni liquides, qui flottaient à l’intérieur était aisés à reconnaitre : c’étaient des souvenirs. Le jeune homme hésita un moment seulement avant de déverrouiller les portes de verre de l’armoire trônant dans un coin du bureau, contournant la collection d’ouvrages d’alchimie dont étaient chargées deux étagères pour faire apparaître, de la pointe de sa baguette, la Pensine séculaire masquée aux regards non-initiés. Le flacon y fut vidé peu avant qu’il ne plonge dans la lourde vasque de pierre pour décrypter les mystères de ces curieux messages. Les traits des protagonistes figurant dans la première scène le frappèrent — une réplique de lui-même, penchée au-dessus de l’âtre de la cheminée, s’entretenait avec nulle autre que Granger. « Je veux que tu m’aides à libérer Luna », affirmait la jeune femme avec aplomb, visiblement tout sauf impressionnée par le rictus mauvais qu’il affichait pour sa part. « Hilarant. Que dirais-tu plutôt de la rejoindre ? L’offre me semble nettement plus raisonnable. » Il fouillait déjà subrepticement du regard le décor qui se dessinait derrière elle afin qu’une plume animée par sa baguette le retrace sur un parchemin, lorsqu’elle l’interrompit. « A vrai dire je ne te laisse pas le choix, Malfoy. Tu as déjà pensé aux conséquences auxquelles tu pourrais faire face si Harry venait à comprendre que tu as contracté une dette de vie envers lui ? » Tels étaient les mots qui avaient scellé une collaboration dont il n’avait pas voulu, ébauches d’un contrat qui n’avait, par la suite, cessé de prendre de l’ampleur. Quelques nuits plus tard : « Lovegood, réveille-toi. » Il se retrouvait penché au-dessus d’une forme prostrée, défigurée par les sorts et coups qui avaient plu sans discontinuer, des heures durant, sur ses membres déjà affaiblis par des semaines de maltraitance. « On n’a pas beaucoup de temps. » Lèvres tordues en une grimace douloureuse plutôt qu’en une ébauche de sourire, regard fiévreux brièvement centré sur lui avant de se perdre dans le vide. « Tu dois boire ça. » Ton pressant se heurtant à la lassitude de la rebut. « Ça va t’aider à t’enfuir d’ici. Tu m’entends, Lovegood ? (…) » Panique grandissante à l'idée de se faire prendre, empressement, gestes plus fermes, exhortations impatientes exigeant une réaction. Flasque se pressant contre la bouche laminée de l’ombre de Loufoca, pour y laisser couler une dose de la terrible Goutte du Mort Vivant . Remerciement mourant à la coupe de ses lèvres, prunelles exorbitées roulant dans leurs orbites. Corps secoué de soubresauts. Doigts crispés dans le vide pour se raccrocher vainement à la vie. « Chuuut… » Nettement plus apaisant à présent qu’elle était inconsciente et incapable de l’entendre, le blond la retint avant qu’elle ne s’écroule lourdement en arrière. « Tu es saine et sauve, à présent. » Constat soufflé, murmuré, accompagné d’un sentiment étrange pulsant dans ses veines à en épuiser son palpitant peu habitué à s’inquiéter tant pour lui-même que pour une autre. Ce n’était pas terminé, non. Ce n’était que le début. Granger, de nouveau. Hystérique, face à un Malfoy aux cernes prononcés et au visage dur. « Tu as rompu les clauses du contrat ! Espèce de monstre, comment as-tu pu… ? » Rage, sanglots contenus, elle était plus enragée qu’une harpie dans ses pires jours. « Wiggenweld, Granger. » « Si nos routes se croisent je te jure de… qu'est-ce que tu dis ? » « Wiggenweld. » Le nom de l’antidote fut craché avec humeur et il interrompit la discussion sans autre forme de procès, éteignant la cheminée pour s'assurer qu'elle ne le contacte pas de nouveau. « Un deal et tu ne peux déjà plus te lasser de moi. » Il n’y avait rien de satisfait dans la remarque, qui couvait seulement un agacement ne demandant qu’à éclater ouvertement. « Il nous faut du polynectar. Crois-moi, je ne me donnerais pas tant de peine si Luna n’avait pas tes intérêts à cœur. » Ses lèvres pincées disaient clairement ce qu’elle en pensait, pour sa part. La mine de Malfoy s’assombrit. « Combien ? » « Enormément. Toutes les doses que tu peux rassembler. » Bien sûr, Loufoca devait jouer les mortes à présent, ce qui impliquait une fausse identité assumée en permanence… « Je verrai ce que je peux faire. » La scène suivante, visiblement, s’était déroulée au cœur d’une forêt. Lovegood lui adressait une sourire tranquille, comme si lui faire face n’était pas un risque en soi, tandis que ses doigts à lui faisaient tourner le bout de miroir qu’elle lui avait confié avec une joie déroutante. Les rebords coupants avaient été enrobés d’un matériau jaune fluo qui lui heurtait la rétine. « Un miroir », commenta-t-il platement. Ce n’était pas comme s’il n’en avait pas en quantité au Manoir, et de plus beaux. « En quel honneur ? » « C’est le symbole de notre amitié, bien sûr. Et de ma confiance. » Le tout déclamé avec le plus grand naturel alors qu’il secouait la tête, dépité, et soufflait : « Tu es complètement dérangée, Lovegood. » Et elle de sourire faiblement. « Sans doute, oui. J’ai cru remarquer un nid de Joncheruines tout près de ma tente, ils me tournent autour depuis… » S’il se contentait habituellement d’afficher le dédain que lui inspiraient ses non-sens, il comprenait sans peine, cette fois, les mots en suspend qui se répercutaient dans son regard hanté. Depuis son arrestation. L’assassinat de son père. Ses mois d’esclavage, soumise au bon vouloir d’un Lucius dont l’imaginaire avait dépassé des records de cruauté. Malfoy se racla la gorge, rompant volontairement le malaise qui flottait entre eux. « Merci, je suppose. Je le… regarderai, de temps à autres. » Soit, il ne pouvait entièrement masquer le mépris que lui inspirait l’objet ; toutefois, elle se contenta d’égrainer un rire cristallin, visiblement satisfaite. « Oh pour l’amour de Merlin, Malfoy ! Je ne peux pas m'éclipser pour chercher une cheminée à chaque fois que tu le réclames, ce serait nettement plus simple si tu utilisais ce stupide miroir. » Il savait que Granger avait été plus qu’un peu agacée de découvrir que Loufoca lui avait offert ledit objet, plus encore lorsqu’ils avaient constaté que les moitiés du miroir brisé permettaient de faire appel à la réplique qu’elle possédait. Lovegood avait baragouiné une explication à propos de « miroirs jumeaux » que Draco n’avait absolument pas comprise, et à laquelle Granger s’était empressée de couper court. Son mécontentement s’était accru lorsqu’il s’était mis à poser des questions — qu’étaient ces objets ? Combien d’exemplaires existaient ? Communiquaient-ils tous entre eux ? Une nouvelle close était venue s’ajouter au contrat qui liait leur trio mal accordé : ni questions ni recherches n’étaient permises concernant ce sujet délicat. « Parce que tu penses que ta chère Loufoca a pris la peine d’en expliquer le fonctionnement, en me le remettant ? » Draco traversa les souvenirs suivants sans s’y arrêter, son empressement croissant au même rythme que sa panique. Il y en avait d’autres, il en existait des dizaines. Comment avait-il pu… ? Par Salazar, ces extraits de vie étaient passibles d’une accusation de trahison. Le voile se levait et, le cœur au bord des lèvres, il s’en voulait déjà d’en avoir saisi le pan pour découvrir ce qu’il masquait, à mesure que la mémoire et les émotions qui en découlaient lui revenaient. Il freina en atteignant les plus récents. « Il faut que tous les souvenirs vous concernant, elle et toi, disparaissent de ma mémoire. » La tension était palpable, mais L’esprit de Granger était ailleurs. « Voyons-nous demain à la première heure. (…) Je ne te laisserai pas tomber Malfoy, pour une raison qui m’échappe Luna tient vraiment à toi. Et moi à elle. » Elle avait été au rendez-vous le lendemain, comme promis ; Malfoy reconnaissait vaguement le décor, mais sa réplique passée était trop préoccupée pour s’en soucier. Debout à côté d’une table bancale sur laquelle pesait un ouvrage à propos des formes de magie liées à l’esprit, il extirpait quelques-uns de ses propres souvenirs pour les stocker dans une fiole familière : celle retrouvée le matin même sur son bureau. « Bien. Tu peux… tu peux commencer à les effacer. » La sueur perlait à ses tempes ; était-ce vraiment une bonne idée ? « Attends ! Seulement les souvenirs dont on a parlé Granger, n’essaye pas de – » « Notre entente m'interdit d'abuser de la situation », remarqua-t-elle d'un ton docte. « Et tu sais bien que ce n'est pas mon genre. » « Quoi donc, forcer les autres à agir contre leur gré ? » Le sarcasme était clair : après tout, elle l'avait contraint à faire affaire avec elle au départ, usant pour l'occasion d'un chantage qu'il ne digérait toujours pas. Il s’affrontèrent longuement du regard avant qu’il ne batte en retraite, conscient de la menace qui pesait sur ses épaules : les interrogatoires prévus par le Ministère. D’un hochement de tête, il lui confirma qu’il était prêt et elle éleva sa baguette, concentrée à l’extrême. « Obliviate ! » « Granger… » Le nom avait été prononcé d’une voix rauque, suintant l’hésitation et la méfiance qui s’étaient épaissies à mesure qu’il s’était laissé défaire des moments ayant consolidé leur entente complexe. Restaient encore les réflexions qui l’avaient poussé à considérer que cette solution était la seule valable, et il s’y raccrochait fermement pour ne pas vaciller avant l’heure. Face à lui, l’Insurgée se voulait calme et apaisante, esquissant des gestes peu familiers supposés le mettre en confiance. Mais la panique menaçait de l’engloutir : damn, qu'était-il en train de faire ? « Il y a autre chose… » Elle fronça les sourcils et il ouvrit les lèvres à deux reprises sans qu’un mot n’en sorte. Pouvait-il… ? Oui. Il le fallait. « J’ai d’autres… d-des personnes à protéger. » « Qui ? » Elle était curieuse, comme perturbée par l'idée qu'il puisse se soucier de quelqu'un qui n'était pas lui-même, et il ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel, agacé. Ses idées s’embrouillaient du fait des assauts magiques répétés, des bribes de souvenirs arrachés ; il secoua nerveusement la tête. Une paume se posa sur le dos de sa main crispée à l’extrême sur le bord de la table et Draco bondit en arrière pour fuir le contact, tel un Vivet doré pris entre les doigts d’un Attrapeur. Reprends-toi ! « Lucrezia Rowle… Hestia Carrow… » Le gouvernement ne devait découvrir sous aucun prétexte les failles de la première, la collaboration incriminante de la seconde avec l'ennemi… les images compromettantes furent ôtées de ses pensées, versées dans la Pensine pour que Granger en prenne connaissance et sache précisément sur quoi diriger ses sortilèges corrosifs. Puis, de nouveau, les lettres fatidiques furent alignées, le sort d’oubli prononcé. A ce stade de la soirée, elle était épuisée elle aussi, drainée par les efforts et l’infaillible concentration requise. « Je vais effacer notre rencontre d’aujourd’hui, cette fois, puis te faire sombrer dans l’inconscience et te renvoyer au Manoir. Tu es certain qu’il n’y a rien d’autre ? » Sa propre agitation le fit hésiter. Il y avait quelque chose, oui. L’évènement de la veille au soir, celui qui avait suivi sa visite tardive chez les Rowle, durant laquelle il avait offert à Lucrezia de la priver des souvenirs qui risquaient de lui coûter la vie – précisément de la façon dont Granger s’y prenait actuellement avec lui. Le Lord l’avait convoqué, extatique, en pleine nuit ; et les conséquences le laissaient encore pantelant, ébranlé et vulnérable au terme d'une nuit sans sommeil, d’une façon qui pouvait tout à fait le faire s’effondrer en plein interrogatoire. Il se doutait que telle était, d’ailleurs, la volonté de son Maître. « Ne fais aucun commentaire. Aucun », prévint-il. Les yeux baissés sur ses phalanges croisées, il hésita longuement avant de se mettre en mouvement, pointant sa baguette contre sa tempe pour y prélever un ultime échantillon : les dernières heures de torture qu’avait endurées Narcissa sous ses yeux. Intriguée mais muette, Granger le regarda faire et l’interrogea silencieusement avant de consulter le souvenir qu’il venait de lui confier. Cela dura trop, bien trop longtemps, et elle eut un hoquet d’horreur en s’y arrachant. « Malfoy… » « Aucun commentaire », persiffla-t-il d’un ton qui refusait toute discussion, la vrillant d’un oeil assassin. Elle savait à présent ; elle savait par quel moyen le Lord le soumettait, et il exécrait cette idée. « Finissons-en. » La baguette de Granger se pointa dans sa direction, un éclat triste faisait briller sa rétine. Pitié ? Malfoy lui jeta ce qu'il avait de plus méprisant en terme de regard, avant que le dernier Obliviate ne le percute de plein fouet, suivi d'un sortilège qui lui fit perdre connaissance. Lorsqu'il se réveillerait quelques heures plus tard, l'esprit quelque peu apaisé par le repos forcé, il n'aurait plus le moins du monde conscience de ce rendez-vous fixé à trois heures du matin ; moins encore des mois durant lesquels les chemins de Granger, Lovegood et lui s'étaient joints. (+ suite) |
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