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sujet; La marionnette est une parole qui agit. [Keziah Campbell]

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Long fut le chemin. Lourde fut la pénitence. Le jeu en valait-il la chandelle ? Oui, sans hésiter. Des amis devenus des ennemis, un auror devenu un nécromancien. C'était là le prix demandé par notre monde. La maison de Godric's Hollow, le ministère, Eleanor... Mon soleil s'était transformé en lune et désormais je hululais au crépuscule. Il y avait quelque chose de rassurant dans le fait de ne plus se préoccuper de la route à prendre ou de la justesse de certains choix. Je m'arrêtais dans un village, un peu, j'écoutais, beaucoup. Je visitais quelques cromlechs. Je continuais mon petit bonhomme de chemin.

Mes pieds m'avaient ramené à Londres sans que j'y prenne garde. Je ne craignais rien ; cette fois-ci j'y retournais la tête haute, quoique toujours encapuchonnée. Peu de sourires. Beaucoup de peur. Au Chaudron, personne ne s'était intéressé à mon cas et ça m'allait très bien. Trois petites tapes sur les briques et j'étais de retour au Chemin de Traverse. Enfin !

Un jeune sorcier aux cheveux gominés et au parfum aigre m'était tombé dessus dès que mon établi s'était dressé sur le trottoir. Monsieur voulait voir mon autorisation, monsieur voulait savoir mon nom, monsieur voulait trois gallions. Cinq et il accepta d'oublier le nom et l'autorisation ; pour cette fois. Je ne comptais pas m'attarder de toute façon. Je restais rarement plus d'une journée dans la même ville. Ça ne se voyait peut-être pas avec cette bure miteuse et ces vêtements déchirés, mais je m'astreignais à un emploi du temps très précis. C'est que j'avais affaire.

Un coup de baguette et le théâtre se dressa sur ses petites pattes délicates. Un moulinet de la main et les marionnettes prirent vie, attirant l’œil du passant. Moins de monde que dans mon souvenir, ce que l'on m'avait raconté était donc vrai... Cependant, il n'était pas encore midi ; le "coup de feu" du déjeuner n'allait pas tarder. Déjà, quelques enfants crasseux échappés des égouts s'étaient risqués dans l'allée, alertés par le tintamarre d'épées en bois s'entrechoquant sous mes yeux. "La Fontaine de la bonne fortune" était un compte connu de tous, un peu complexe a représenter, mais qui permettait de se faire la main assez rapidement lorsque l'on n'avait pas pratiqué depuis un certain temps.

Car il ne suffisait pas d'agiter sa baguette et de se contenter de réciter Beedle le Barde... Non. Il fallait se concentrer, ne pas perdre le fil de l'histoire et veiller à contrôler les pantins. Je savais d'expérience qu'il n'existait rien de plus pitoyable qu'un marionnettiste s’emmêlant les pinceaux, face à un public exaspéré levant les yeux au ciel. Mais à en juger par les petites mains que je voyais applaudir et les cris stridents, c'était un véritable succès.


-Encore ? Bon, très bien... Dis-je en posant mon regard sur un homme aux cheveux blonds comme les blés et au visage trop sympathique à mon goût. Ce sera donc une histoire sur l'amour et la désillusion. L'histoire d'un sorcier aussi intelligent qu'imbu de lui-même ; et donc aussi stupide que tous les autres. Ce sera l'histoire du "Sorcier au cœur velu."

Franchement, quel genre de rat psychotique avait eu l'idée de glisser un conte aussi morbide dans un livre pour enfant ? Cela dit, et c'était le plus paradoxal avec les enfants, ils gobaient sans hoqueter les tragédies les plus sinistres ; un goûter, une sieste et tout était oublié. Il me suffisait de regarder les quelques adultes qui assistaient au spectacle pour me délecter du malaise qui frappaient ceux qui ne s'y attendaient pas. Certains parents posèrent même leurs mains sur les oreilles de leur progéniture qui se fichait bien des paroles. Ce qui hypnotisait ces chères têtes-blondes c'étaient mes petites figurines et leurs cœurs en boule de peluche...

Il y en avait un dans l'assistance que je ne cessais de fixer.

Un homme aux cheveux blonds comme les blés et au visage trop sympathique à mon goût.
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Midi. Malgré le ciel de plomb recouvrant Londres et la morosité préoccupée qui s'était emparée des rues de la capitale depuis l'avènement du Lord, le Chemin de Traverse commençait à se remplir. Le flot des passants s'épaississait dans un mouvement de vas et viens à la fois anarchique et synchronisé, les gens allant et venant entre la grâce et le dédain, la tête rentrée dans les épaules, évitant de croiser les regards. On aurait presque dit une danse. Celle du quotidien. Keziah avait toujours aimé ce fourmillement de la ville qui ne semblait se préoccuper que de lui-même. Il était tellement facile de se fondre alors dans la masse, de se laisser avaler par la foule et d'y disparaître pour mieux en observer les vecteurs, les gestes anodins, les rencontres manquées, tout ces possibles et ces petits riens qui formaient l'existence. Lui marchait plus lentement, le menton relevé, ses yeux d'un bleu clair sondant chaque visage et s'attardant sur les détails. Sans ça, il n'aurait peut-être même pas remarqué le théâtre de marionnettes installé sur le trottoir.

Il se stoppa net, sans crier gare. Le petit homme en redingote qui trottinait derrière lui dut faire un écart pour ne pas lui rentrer dedans, manquant de peu d'échapper sa mallette dans l'entreprise. La remarque cinglante qu'il dirigea alors vers lui n'était guère très aimable, mais Keziah ne lui prêta pas la moindre attention. Le brouhaha de la rue n'avait soudain plus aucune importance à ses yeux. Des marionnettes. L'ancien aiglon se sentit happé des années en arrière, à une époque où il n'était encore qu'un petit garçon pas beaucoup plus haut qu'un gobelin. Il était assis en demi-cercle avec d'autres enfants du clan autour d'un feu de bois, un soir d'été où les étoiles brillaient de mille feux au-dessus de leurs têtes. Son père était là, avec Cesare. Les deux adultes se tenaient face à l'assistance, prenant de grosses voix tandis que sous leurs doigts dansaient des pantins de bois. Keziah ne se rappelait plus l'histoire qu'ils avaient racontée, mais il se souvenait des rires, ceux des autres, mais aussi les siens. Joie insouciante d'une époque révolue depuis longtemps.

L'ombre d'un sourire étira ses lèvres. Il n'avait aucune idée d'avoir conservé ce souvenir. Il n'y avait jamais repensé avant ce jour. L'image se dissipa pourtant presque aussi brusquement qu'elle avait refait surface, et Keziah avança alors d'un pas décidé vers les quelques curieux qui s'étaient rassemblés autour de l'artiste de rue. Il se plaça derrière la rangée d'enfants. Vu la manière dont il était élégamment vêtu – une chemise blanche sous un costume trois pièce d'un bleu marine profond, presque noir – il avait sûrement mieux à faire que de traîner dans les parages, pourtant il ne donna jamais l'impression de s'impatienter. Bon public, il resta jusqu'au bout pour entendre l'histoire du sorcier au cœur velu, et quand le bonimenteur sonna la fin du spectacle et que les gens commencèrent à se disperser, lui ne bougea pas. Il attendit que les derniers passants jettent leur maigre poignée de noises dans le chapeau de l'artiste, puis il s'approcha.

« Vous avez du talent. Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu quelqu'un manier aussi bien une marionnette, c'est impressionnant. » Il y avait dans son sourire quelque chose d'irrémédiablement désarmant malgré la lueur malicieuse de son regard qui laissait présager qu'il n'était sûrement pas aussi angélique qu'il en avait l'air. « J'allais déjeuner au Chaudron Baveur. Je peux vous inviter ? J'apprécierai votre compagnie, et je crois que votre prestation mérite mieux que des noises. » Son approche était directe. Il n'avait pas prit la peine de saluer son interlocuteur, de lui demander son nom ou même de se présenter lui même. Dans ce milieu, on s'encombrait rarement des civilités habituelles et il était bien placé pour le savoir. « À moins que vous ne trouviez cela déplacé, » ajouta-t-il sur un ton qui laissait clairement apparaître la plaisanterie.
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-Déplacé ? Répétais-je en ricanant. Non, au contraire. J'accepte avec joie votre proposition.

La pointe en acier de ma baguette dessina un huit harmonieux et les marionnettes se mirent à frétiller en poussant de petits cris stridents. Après une brève pagaille elles se mirent en rang et sautèrent sur mon avant bras. Les unes après les autres, elles grimpèrent sur mon épaule et se jetèrent dans le filet décrépis pendu dans mon dos où elles retrouvèrent leur immobilité naturelle.

Le petit théâtre en stuc se dégonfla à la manière de ces châteaux gonflables moldus, mais en produisant un son étrangement disgracieux. Lorsque je l'ai ramassé, il n'était pas plus épais qu'une plume de chouette. Il se roula sur lui même et glissa dans le filet au milieu des pupi.

Restait l'établi. Un petit coup sec sur le dessus et les tréteaux se rabattirent immédiatement sous les parois de bois. L'établi tomba sur le trottoir dans un bruit sec et se replia sur lui-même comme une feuille de parchemin, jusqu'à atteindre la taille d'une boite d'allumettes. Mes doigts se refermèrent sur lui et il fut caché au fond d'une poche.

Le rangement n'avait pas pris plus d'une poignée de secondes et s'était fait dans un silence relatif. La marque d'une pratique assidue de la chose. Pourtant, rien de tout cela n'était ma création ou ma propriété ; il aurait fallu remercier un obscur artiste de rue napolitain pour ces prouesses, mais il s'agissait d'une histoire peut-être trop sombre pour cette bonne âme qui me proposait de payer mon déjeuner.


-Me voilà fin prêt. Déclarais-je en rangeant le chapeau sous mon étoffe. Cela fait bien longtemps que je ne me suis pas assis sur les bancs du Chaudron mais je suis sûr qu'ils se souviendront de moi.

D'ordinaire, on ne réchauffe pas un serpent en son sein. Raison pour laquelle j'avais toujours marché dans les fossés et dormi sous la lune. Cependant, jamais je n'avais tenu à changer cet état de fait. Car c'en était un. Pas plus que l'abbé ne regrettait sa condition, je ne me plaignait de la mienne. Mais, force était de constater que rare furent ceux à m'avoir tendu la main au cours de mes voyages. Sans doute l'avais-je cherché, certes. Mais qui était-il ce sorcier beau et bien mis ? Apparemment un amateur de l'art théâtral, du moins il le laissait sous-entendre. Peut-être voulait-il se donner bonne conscience. Oh ! Si c'était le cas ça allait être une sacrée journée.

Chacun ses goûts, mais personnellement les bonnes âmes restaient mon pêché mignon. Du moins, certaines d’entre elles. Ceux qui se donnaient bonne conscience. Il suffisait de gratter le vernis avec l'ongle pour laisser surgir la crasse. Un petit coup de coude et les voilà partis dans une toute autre direction. Évidemment, les hommes véritablement bons, généreux ou tolérants existaient -ne tombons pas dans le cynisme primaire. En revanche, ils étaient bien plus rares que les précédents, mais aussi succulents à faire tomber.

Il me restait donc qu'à savoir de quel bois était fait ce sorcier charitable. Peut-être du mien qui sait...


-Ne croyez-pas que je suis contre la délicieuse perspective d'un ragoût de bœuf bien chaud... Mais je trouve étonnant de rencontrer de nos jours quelqu'un encore capable de perdre son temps avec un pauvre hère.
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Un grand sourire fleurit sur les lèvres du sorcier quand son interlocuteur accepta sa proposition, comme si l'inconnu ne pouvait pas lui faire de plus grand plaisir au monde. Les mains dans les poches, il le regarda alors plier son fourbi, ne perdant pas une miette du cérémonial qui se déroulait sous son regard amusé. On aurait presque dit un gosse s'il n'était pas aussi évident qu'il avait dépassé la trentaine depuis déjà bien des années. Keziah était un drôle de numéro. En apparence il avait tout du gendre idéal, plutôt bel homme, élégant, courtois, pourtant il était loin de rentrer dans les rails. La proposition qu'il avait faite au marionnettiste était déjà une preuve en soi. Les contes, les pantins, tout cela était bien joli mais, une fois le rideau tombé, personne ne voulait s'attarder près de l'homme en haillons. On jetait parfois une pièce, pour se donner bonne conscience, puis l'on attrapait son enfant par le bras et l'on rentrait chez soi sans un regard en arrière. Pourquoi aurait-on du avoir pitié ou se forcer à le considérer comme un égal ?

C'était visiblement une question que le premier concerné se posait également. Tandis qu'ils se mettaient en route, le marionnettiste l'interrogea sur les raisons de sa générosité. « Un pauvre hère ? Un rire clair et joyeux s'échappa de sa gorge. C'est vraiment comme cela que vous vous voyez ? » demanda-t-il en lui jetant un regard en biais plein de malice. Cela semblait peu probable. Keziah connaissait la fierté des gens du voyage. S'il est vrai que la société bien-pensante avait tendance à les considérer comme des va-nu-pieds peu fréquentables, voire des indésirables, ce n'était pas du tout l'opinion qu'ils avaient d'eux-mêmes. Pendant un moment, il sembla que ce serait la seule réponse que l'homme obtiendrait de lui. Keziah reporta son attention devant lui et continua à avancer en silence. Il s'écoula quelques secondes avant qu'il ne daigne ouvrir la bouche à nouveau. « J'ai grandi dans une communauté de forains, ceci explique sûrement cela. Le Thousand Splendid Suns Carnival, vous connaissez ? »

Il avait hésité à lui donner le nom. La réputation plusieurs fois centenaire des forains sorciers n'était plus à faire, même si le mythe avait parfois tendance à déformer la réalité. Si l'homme qui se tenait à ses côtés avait voyagé avec ses pantins à travers le Royaume-Uni, ou ailleurs en Europe, il était plausible qu'il ait même croisé leur route. Toujours est-il que le blondin ne donnait pas l'impression d'avoir appartenu à ce monde. Keziah ne parlait jamais de sa famille. À part les gens dont il était véritablement proche – et ils n'étaient guère nombreux – très peu de personnes savaient vraiment d'où il venait. Ils partaient du principe qu'il avait eu une enfance tout ce qu'il y a de plus ordinaire et il ne cherchait pas à les contredire. Il n'avait aucune envie qu'on lui pose des questions à ce sujet. Par loyauté avant tout – même si dix-huit années étaient passées, même s'ils l'avaient pour ainsi dire banni de leur vie – mais aussi car cela était aussi sûrement un peu douloureux pour lui.

« Qu'est-ce qui vous ramène à Londres ? Vous disiez ne pas vous être assis sur les bancs du Chaudron depuis des années, ça semble être un timing curieux pour revenir. Les rues n'ont plus vraiment l'attrait qu'elles avaient autrefois. »
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-Mais nous sommes tous de pauvres hères : vous, moi, même le Magister.

J'ai éclaté de rire, comme si j'avais raconté une blague particulièrement amusante. C'était le cas. De nos jours chaque sorcier se croyait supérieur à son voisin. Une vérité qui s'appliquait également aux insurgés. Au nom de quoi s'estimaient-ils meilleurs que les âmes serviles obéissant aux ordres de l'Usurpateur ? Eux aussi étaient des âmes serviles ; qu'ils défendent des valeurs plus humanistes que celles de leurs adversaires ne les exemptaient pas pour autant de cet état de fait. Personne n'était épargné. Tout le monde était semblable. Pas un seul de ces pitoyables vermisseaux arpentant ce monde crasseux n'avait la force d'âme nécessaire pour être épargnée par elle, la vraie déesse, celle qui méritait que l'on courbe l'échine. Une vénérable magie, si puissante, si redoutable, qu'elle échappait aux fades concepts de bien et de mal, de temps et d'espace.

Ces notions étaient bonnes pour les enfants et les vieillards ; à ceux qui n'avaient pas encore vécu ou au contraire, qui s'étaient trop attardés. Ceci dit, de par mes périples et mes rencontres les gens du monde du spectacle, particulièrement les comédiens, avaient attirés sinon ma sympathie, au moins mon respect. Pour ces gens là, Voldemort, Harry Potter, les Sangs Purs... Ils s'en fichaient complétement. Ils étaient au dessus de tout ça, comme moi.


-J'ai entendu parler du Thousand Splendid, évidemment. Mais je ne l'ai jamais vraiment côtoyé. Même si mes marionnettes laissent croire le contraire, je ne suis pas un saltimbanque. Ma vocation est bien moins terrestre et beaucoup plus spirituelle.

Une autre manière de dire que je ne me plaisais pas dans les grands ensembles ; et personne n'aurait pu nier que les Ruskin transcendaient le concept de troupe jusqu'à être une communauté à eux-seuls. Très fermés ces gens là. Les grands chapiteaux et les lumières dorées ne m'avaient jamais attiré. Je cherchais l'authenticité des estrades champêtres et des troupes minuscules, voyageant de villages en villages. Chez ces personnes, oui j'étais connu. Ils allaient et venaient, comme moi.

J'avais le sentiment que le passé de ce sorcier comprenait également quelques péripéties. On ne sort pas de ce genre communauté sur un simple coup de tête. Il s'agit d'une grave décision, qui ne permet aucun retour en arrière. Peu importe de quel côté elle est initiée, le bannissement n'est jamais loin. C'est aussi pour cela que la plupart des gens ne comprend pas l'aspect très replié de cette frange de la population. Le groupe est tout ce qu'ils ont, un moyen de subsistance, un moyen de défense et un mode de vie. Ôtez cela à l'un d'eux et projetez-le de force dans la société, il aura toute les chances d'être un paria des deux côtés.

Oui, grande douleur, terrible mal. Mais le bellâtre ne semblait pas vivre dans la rue ; plutôt propre et bien mis. Il ne ressemblait pas aux quelques rejetés que j'avais pu croiser durant mes voyages. Souvent des épaves imbibées d'hydromel.

Sa remarque quant à la situation me conforta sur son esprit, lucide et éclairé. Nombreux étaient ceux, faibles, qui préféraient ne pas en parler ou pire, le nier. Pour eux l'espoir était au bout du tunnel, il suffisait de s'enterrer, d'attendre, quelqu'un ferait sûrement quelque chose. Je crachais sur ces gens là, minuscules insectes sans une once de courage. Pour eux, il s'agissait d'un travail dangereux et salissant qui incombaient à d'autres, ils cachaient leur vaine ambition et leur peur derrière leur famille. Insidieuse excuse. Écœurant.


-Oh ! Mais c'est pour moi la période rêvée pour mon retour dans cette ville. Répliquais-je en souriant. Il m'a suffit d'écouter le frémissement du vent dans les arbres, le doux murmure de l'eau s'écoulant du ruisseau et puis au loin, la pie qui caquetait. Mon retour était nécessaire, tout comme votre présence dans cette rue à cet instant précis.
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La remarque du sorcier le fit sourire, mais Keziah ne s’essouffla pas à marquer son désaccord, à démentir ce que cette affirmation sous-entendait sur la condition humaine. Le monde était rempli d'arrivistes, de manipulateurs, de rapaces avides et de requins aux dents longues prêts à toutes les exactions pour parvenir à leurs fins ou préserver leurs intérêts, quitte à écraser tous ceux qui se tenaient en-travers de leur chemin. Il n'était pas naïf. Il savait, il avait vu de quoi l'homme était capable, jusqu'où la violence de ses désirs pouvait le guider. Malgré ça, Keziah ne voulait pas croire que c'était tout ce qu'il avait à offrir. L'humanité n'était pas qu'une mare d'eau saumâtre dans laquelle une flopée de miséreux était condamnée à barboter. Il y avait aussi de la beauté en ce monde. Lui la voyait dans ce qui pouvait sembler de petits riens, le sourire de sa fille, le corps nu de sa femme endormie emmêlé dans les draps, le rayon de soleil trouant le feuillage des arbres ou le grondement du tonnerre s'élançant de derrière l'éclair un soir d'été tourmenté. Et s'il ne releva pas la remarque du sorcier, c'était aussi car cela n'avait pas d'importance au final. C'était juste ce que les gens disaient. Une manière de parler.

L'ancien aiglon se permit néanmoins de rebondir sur les propos de son interlocuteur lorsque celui-ci fit allusion à une soi-disant vocation spirituelle. « Vous pensez que les forains en manquent ? Leur mode de vie est une philosophie en soi, en quelque sorte. Et une preuve de leur intolérance pour tout ce qu'ils considèrent comme banal, aussi. » Il le reconnaissait volontiers, sa voix trahissant même une légère pointe d'amertume que toutes les années passées n'avaient pas suffit à effacer. Ils l'avaient renié car il avait fait le choix de ne pas être exceptionnel, car il s'était détourné de leur extravagance pour vivre une vie simple, ordinaire, insignifiante. "Tu fera de grandes choses." La voix de Cesare résonnait encore à ses oreilles. "Si vous ne passiez pas votre temps à n'en faire qu'à votre tête, vos capacités vous emmèneraient loin, Mr Campbell." Celle de son directeur de maison, à Poudlard. Les gens n'avaient cessé de prétendre savoir ce qu'il se devait d'accomplir sans jamais se poser la question de savoir ce qu'il désirait lui. Il n'avait jamais voulu de leurs promesses de grandeur. La vérité, c'est qu'il en avait eu peur...

« Mon retour était nécessaire, tout comme votre présence dans cette rue à cet instant précis. C'était un hasard. Je ne crois pas que des forces supérieures guident nos pas, définissent qui nous sommes et encore moins qui nous devenons. » Il y avait quelque chose de catégorique dans le ton de ses paroles malgré le sourire amusé qui courbait légèrement ses lèvres depuis qu'il avait abordé le marionnettiste. Il avait toujours renâclé devant la moindre forme d'autorité, comme un gamin trop fier refusant de lâcher les rennes à qui que ce soit. Les paroles de son interlocuteur l'intriguaient néanmoins plus qu'il ne le laissait paraître. Ce murmure dont il parlait faisait naître une imperceptible sensation de malaise en lui, pour une raison qu'il ne parvenait pas à s'expliquer. Keziah chassa pourtant ce sentiment de ses pensées alors qu'ils atteignaient le Chaudron Baveur.

Les deux hommes se trouvèrent une table, près d'une fenêtre donnant sur la petite cour par laquelle on accédait au Chemin de Traverse. Un jeune serveur ne tarda pas à venir prendre leur commande et Keziah demanda un plat du jour avant d'encourager son invité à prendre ce qui lui ferait plaisir. Ces formalités accomplies, le blondin ne tarda pas à revenir à ce qui l'intéressait. « Tout à l'heure vous disiez ne pas être un saltimbanque, que vos raisons pour arpenter les routes étaient plus spirituelles. Je serais curieux de savoir ce que vous entendez par là. Un lien avec cette guerre qui s'éternise ? La pie qui caquète ressemble parfois de loin au corbeau. »
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-J'ai parlé de nécessité, pas de hasard et encore moins de prédestination. Précisais-je au sorcier.

Certes, les forces qui s'agitaient en ce bas monde étaient nombreuses, beaucoup étaient fantasmées et la plupart inopérantes. Il en existait cependant quelques unes qui surpassaient toutes les autres. En quoi était-ce plus fou de vénérer les arts sombres qu'une croix en bois ou une couronne de gui ? La force que je déifiais avait au moins le mérite d'être tangible. Crainte bien avant Voldemort, ses manifestations effrayaient les plus courageux et éreintaient les plus endurants.

Oui, mon retour était nécessaire. L'Usurpateur aurait dû tomber il y a de ça quatre ans, lors de cette terrible nuit de mai. Un ultime assaut, un combat épique, l’Élu terrassant le mage noir. Mais le loup n'était pas sorti du bois. La souillure avait persisté. Dire que l'histoire était écrite à l'avance était faux, mais nier l'existence d'une force capable d'orienter les circonstances l'était tout autant.

Pendant très longtemps j'avais adhéré au discours tenu par mon bienfaiteur. Mais ma chute, ma nouvelle naissance, la découverte des limbes furent à mes yeux autant de preuves que quelque chose de bien plus vénérable qu'un banal déterminisme humain planait au dessus de nos têtes. Le sorcier aurait tout le temps de s'en rendre compte...

Le Chaudron commençait à se remplir, il y avait de tout. Des employés du ministère, des sorciers crasseux, d'autres plus aisés à en juger par les rebuts penauds qui les accompagnaient. Un beau troupeau d'êtres fragiles et incapables de mesurer l'étendue de leur propre futilité. Ils n'étaient rien. Les fidèles représentations de cette époque insipide. J'ai pris la même chose que l'homme qui m'invitait, d'abord par politesse, mais surtout parce que cela faisait fort longtemps que je n'avais pu goûter au ragout de bœuf du Chaudron Baveur. Un ravissement pour les papilles, accompagné de pommes de terre sautées qui me faisaient déjà saliver.

Le parallèle que fit le blondin entre la pie et le corbeau eut le mérite de me faire sourire. Il était loin d'être sot, tant mieux. Converser avec un esprit agile était également un passe-temps rare dans ma position. J'ai donc retiré ma capuche avant de lui répondre, pianotant sur le bois de la table du bout des doigts.


-Je n'ai aucun lien avec cette guerre, de près ou de loin. Dis-je très sérieusement. Du moins pour l'instant... Quant à mes "activités professionnelles" je dois vous avouer que je suis plus souvent guide que marionnettiste. Vous seriez surpris d'apprendre combien sont nombreux ceux qui arpentent les chemins broussailleux en quête d'un refuge.

Un petit ricanement. Les rafleurs ne sont pas un très bon sujet de conversation. Et les marcheurs en forêt ne sont pas si nombreux, en revanche ils sont jeunes, trop jeunes parfois -dans leur esprit. Les chiens du Magister sont une plaie pour l'homme libre qui espèrent avancer où son désir le porte.

J'ai refermé ma main sur une miche pain. J'ai mordu avidement dans sa mie.


-Vous avez cependant raison de vous méfier de la pie qui caquète. Non pas qu'elle vous menace, mais elle apporte le changement. Lui peut être menaçant.
J'ai regardé certains clients, les yeux dans le vague tout en manchonnant mon pain.
-Que croyez-vous qu'il restera d'eux lorsque tout implosera ? Combien se sauveront ? Combien ramperont ? Qui se dressera avec le pied conquérant sur de somptueux trésors de guerre ?
Mes yeux revinrent sur le blondin.
-Où serez-vous lorsque l’État et la société s’effondreront ?

La crainte de tout bon citoyen. Voir sa maison mise à sac, ses enfants enlevés, sa femmes traînée dehors par les cheveux. L'homme juste ne peut rien faire, ceinturé par les bras fort d'un régime impitoyable.
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Le grand et noir corbeau. Il était l'oiseau de mauvais augures qui se repaissait des cadavres, le bec affûté qui arrachait l’œil des pendus, ne laissant derrière lui qu'un orbite vide et béant, celui dont même par temps de famine les estomacs affamés osaient à peine se nourrir tant sa chaire était dure, avariée, immangeable. L'oiseau des harpies, avec son cousin le vautour. Le symbole même de l'intelligence pernicieuse. Keziah ne croyait pas vraiment à ces superstitions de grands-mères. Il avait grandi au sein d'une communauté, d'un peuple presque, habitée par ces légendes et ces croyances folkloriques, fantasmagoriques même, même pour des sorciers, mais il avait toujours été un rationnel. Quelque-chose pourtant chez son mystérieux interlocuteur lui rappelait les récits d'autrefois que sa mère lui contait à la lumière tremblotante d'une bougie dans leur caravane, une fois la nuit venue. Le corbeau n'était pas nécessairement un être maléfique, comme l'on aurait pu le croire, mais comme la pie moqueuse il était annonciateur et porteur d'un message que l'on ne pouvait prévoir.

« Vous seriez surpris d'apprendre combien sont nombreux ceux qui arpentent les chemins broussailleux en quête d'un refuge. Aaah, laissa-t-il échapper d'une manière peu explicite, avant de poser ses coudes sur la table et de se pencher en avant. Vous parlez métaphoriquement ou c'est à prendre au pied de la lettre ? Je vous imagine assez mal en guide touristique cela dit. » Il sourit à nouveau, toujours avec ce même soupçon de malice. Il avait du mal à cacher à quel point il prenait un certain plaisir dans le ton sagace de leur conversation, dans les non-dits et les sous-entendus qu'ils échangeaient tout les deux. Pas qu'il ait cherché à prétendre le contraire, mais il était rarement aussi sincère dans l'attention qu'il prêtait à ses interlocuteurs. Il aimait observer les gens vivre, scruter leurs mimiques et leurs comportements. La complexité des rapports sociaux avait quelque-chose de fascinant à ses yeux, mais même s'il était doué pour sembler toujours intéressé par ses semblables il se lassait en vérité assez facilement de leur compagnie. Les challenges intellectuels qu'ils pouvaient lui offrir étaient rares, quoi qu'il ne l'avait jamais reproché à qui que ce soit. Ce n'était pas leur faute.

Le marionnettiste revint à ses oiseaux, à sa pie et son message potentiellement menaçant. Cela, Keziah en savait quelque-chose. Machinalement, il se mit à triturer l'anneau à sa main gauche, le faisant tourner autour de son doigt tandis que l'image de Victoria apparaissait brièvement dans son esprit. Elle va bien. Davius ne s'était pas éternisé sur la question. Trois mots seulement, mais ces trois mots là avaient suffit à effacer près de six mois d'angoisse silencieuse chez le blondin. Il ne pouvait pas imaginer ce que sa vie serait si l'irlandaise devait en disparaître du jour au lendemain. C'était déjà plus ou moins le cas pourtant, mais le simple faire de savoir qu'elle était bien vivante, quelque part, là, dehors, suffisait pour le moment. Elle était en vie. Elle continuait de respirer le même air que lui et de regarder le même ciel. Le menace de sa disparition planait néanmoins au-dessus de sa tête comme un couperet qui n'attendait qu'une erreur, aussi infime soit elle, pour s'abattre sur lui.

Keziah ne s'attarda pas sur ces pensées pourtant. Son regard suivit celui de son interlocuteur et embrassa une à une les silhouettes des clients du Chaudron Baveur. Une fois encore, les propos de son invité fleuraient bon le pessimisme, mais il ne l'interrompit pas. Il attendit qu'il eut fini sa diatribe pour rebondir. « Et combien d'entre eux vous surprendront ? Combien d'entre eux se redresseront et trouveront en eux un courage qu'eux-mêmes n'auraient pas soupçonné avant cette heure ? Je vous l'accorde, ce ne sera certainement pas une majorité, mais vous devez rester ouvert à cette possibilité également. Où serez-vous lorsque l’État et la société s’effondreront ? Avec un peu de chance, dans les bras d'une jolie femme, histoire de mourir le sourire aux bords des lèvres au moins, » rétorqua-t-il du tact-au-tac avec un large sourire. Il n'était pas sérieux, évidemment, mais il avait toujours eu tendance à se protéger de dire le fond de sa pensée grâce à de jolies pirouettes. Cela fonctionnait avec la plupart des gens en général. Ils riaient puis passaient à autre chose. Il se doutait que cela ne suffirait pas à berner son interlocuteur du jour ceci dit, c'est pourquoi il prit le temps de boire une gorgée d'eau avant de poursuivre. « Je ne sais pas. Je n'ai pas la prétention de croire à l'avance la réaction que j'aurais face à l'effondrement de la civilisation, même si j'aime à penser que je ferais ce qu'il est bien de faire. Pour peu que ce mot ait une quelconque signification tangible. Vous en parlez bien librement en tout cas. »

Ce n'était pas la peine de lui demander s'il ne craignait pas les répercussions que ses paroles pourraient lui attirer si elles venaient à tomber dans les oreilles d'un des sbires du Magister. Cela paraissaient assez évident qu'il s'en fichait éperdument. Cet homme ne faisait pas partie de ce monde, de cette société dans laquelle lui avait fait le choix de vivre. Il s'y tenait à l'écart. Il observait. Comme le corbeau perché sur sa branche.
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-J'en parle sans crainte. C'est ce qui est libérateur.
Ma main droite se referma avec force sur son poignet. Elle avait jailli comme un serpent hors de son trou. Implacable. La table trembla sous le choc.
-Je vais vous montrer.

Ma baguette pointa le bout de son nez métallique. J'ai fermé les yeux, laissant les sons du Chaudron s'évaporer de mon esprit. Je courrais de souvenirs en souvenirs, cherchant à me rappeler la saveur d'une émotion bien particulière. C'était loin d'être de la haine ou de la colère, ouvrir un chemin vers les limbes requérait quelque chose de bien plus singulier. Il s'agissait d'une froide détermination. Dehors les jeunes sorciers enragés et les mages noirs ratés ! Il fallait disposer de la volonté pernicieuse à diffuser le mal, certes, d'outre-passer toutes les règles fixées par la nature, mais d'une manière bien précise. Mis à part les Sortilèges Impardonnables, je connaissais peu d'autres formes de magie prêtant autant importance aux émotions humaines. Il fallait l'attirer, il fallait chanter pour lui et l'appeler. Alors, si on le faisait correctement, il nous écoutait et venait susurrer à notre oreille.

On en entendait parler presque tous les jours. Ce pauvre type qui s'était arraché les yeux, ou l'histoire de cette mère qui avait eu la brillante idée de passer son enfant de six mois au micro-onde... Et, plus qu'à toute autre époque, il devait se sentir à son aise aujourd'hui. La peur réciproque de ses voisins, des règlements de compte sordides, des êtres humains réduis en esclavage...

Pas étonnant qu'il ait répondu si vite à mes prières. Le sortilège nous enveloppa dès que les premières syllabes s'échappèrent de ma bouche. Un œil extérieur ne saurait jamais retranscrire l'effet du passage. Si l'un des autres clients de l'établissement nous avait regardé, il n'y aurait pas cru. Deux hommes disparaissant subitement de leur chaise, l'espace d'un clignement de paupière ; si rapide qu'on serait en droit de se demander si l'on n'avait pas rêvé...

En revanche, pour celui qui prononce l'incantation, comme pour celui qui la subit, c'est un déchirement. Il n'y a pas d'autre mot. C'est d'abord physique. On croit avoir manqué un transplanage, on se sent nauséeux, l'oreille interne fait même parfois des siennes... Fort heureusement, les autres sens prennent le relais, rassurant l'esprit sur un point : c'est au delà de n'importe quelle erreur de transplanage. Le monde n'est ni semblable ni différent. Il est juste gris, triste à en crever.

Le Chaudron Baveur n'est plus qu'un amas de formes sombres balayées par un vent surnaturel qui leur arrache continuellement des lambeaux d'ombres. Pourtant on ne perçoit aucune bourrasque, juste quelques silhouettes affairées au dessus de tables et d'assiettes indistinctes, elles se consument avec autant de fureur que des torches perdues dans le blizzard. On comprend alors que l'on se trouve dans un lieu où les vivants n'ont aucun droit.

Unique touche de lumière argentée dans un univers frappé par la damnation dantesque, les morts glissent entre les tables, jetant sur tout et sur rien un regard blasé. A quoi pensent-ils ? Que se disent-ils ? Ont-ils au moins conscience de leur état ? Les Limbes. C'est le nom donné par le premier sorcier à avoir posé le pied dans cet endroit. On comprend pourquoi.


-Comprenez-moi bien, les affaires du monde que vous connaissez ne sont rien, absolument rien, comparées à celles de cette dimension. Ici, ni le bien, ni le mal n'ont de poids. Vous foulez une terre impie reniée par le temps lui-même.

Je me suis levé, prenant solidement appui sur la table. Le passage avait entamé mon endurance plus que je ne l'aurais cru, la présence du blondin y était pour quelque chose. J'ai laissé les morts me transpercer, pour eux nous étions aussi inintéressants que l'étaient pour nous les silhouettes des autres clients.

-Non, mon bon monsieur, le moment venu vous ne serez pas entre les cuisses de votre épouse à vous la donner grave. Non... Vous serez affalé dans votre sang pendant qu'ils s'empareront de ce qu'il y a de plus cher à vos yeux et vous les regarderez faire !

Avec la même fougue qui animait mes mots, je lui ai lancé l'alliance que je lui avais dérobé à notre entrée dans les Limbes, pendant que mes doigts reposaient sur les siens.

-Croyez-vous réellement avoir une chance de reprendre votre vie d'avant ? Si vous me dites oui, alors vous êtes aussi stupide que les âmes que vous voyez flotter dans cet endroit...
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Il agit par réflexe, comme si une petite voix dans sa tête avait tiré la sonnette d'alarme avant même qu'il ne comprenne vraiment ce qui était en train de se passer. Quand la main du marionnettiste se referma autour de son poignet, Keziah tira sèchement sur son bras pour se dégager mais il ne parvint pas à le faire bouger d'un iota. La poigne de l'homme assis en face de lui était semblable à celle d'un rapace les serres profondément enlacées à leur proie. Et la baguette qu'il pointa sur lui eut le même effet qu'un puissant faisceau de lumière surprenant la biche au beau milieu d'une nuit sans lune. Keziah n'eut pas le temps d'éprouver la moindre émotion particulière pourtant, pas même de la peur ou ne serait-ce qu'une légère appréhension. Ce fut comme si une main invisible, glaciale, l'avait agrippé de l'intérieur et l'avait arraché à son propre corps, court-circuitant tout le reste. C'était une sensation au-delà de la douleur, au-delà de ce qu'il avait jamais ressenti. L'espace d'une seconde, il eut même l'idée absurde de se dire que ce devait ressembler à ça mourir. Être dépossédé de soi, disparaître dans un néant inconnu.

L'étourdissement ne vint qu'après, comme un mauvais transplanage. Le tournis le saisit si brusquement qu'il dut clore les paupières et s'accrocher des deux mains à la table pour ne pas s'effondrer par terre. Un sifflement désagréable lui vrillait les oreilles, de telle manière que les premières paroles de son interlocuteur lui parvinrent difficilement. Il s'y accrocha fermement cependant, pour se donner la force de revenir à la réalité présente, mais ce qu'il découvrit en rouvrant les yeux le laissa sans voix. C'était comme s'ils venaient de passer dans une dimension parallèle. Ils se trouvaient toujours au Chaudron Baveur, il pouvait reconnaître les murs, la disposition des clients et du mobilier, mais tout y était différent malgré tout. Il était face à un monde décharné balayé par un vent terrible qui ne cessait de lui arracher des lambeaux. Un monde en noir et blanc, triste, où aucun espoir ne semblait possible malgré les silhouettes lumineuses traversant parfois les murs avant d'errer sans but au milieu de ce qui avait été le monde des vivants. Il le comprit instantanément, sans même prêter grande attention à ce que lui racontait son bien étrange invité.

S'il s'était relevé avec précipitation en découvrant son nouvel environnement – ce qui était bien normal compte tenu de l'effet de surprise – c'est avec un calme presque emprunt de fascination que Keziah tendit la main vers l'un des spectres passant près de lui. Il l'effleura à peine mais sentit déjà un courant glacé passer au travers de ses doigts. « C'est... Horrifiant ? Terrible ? Triste à en mourir ? N'importe lequel de ces mots auraient fait l'affaire pour décrire ce qu'il voyait, mais c'est un autre qui franchit ses lèvres. Époustouflant. » Il savait qu'il aurait probablement du avoir une autre réaction, mais c'était plus fort que lui. Il ne pouvait pas s'indigner, se mettre en colère ou se mettre à trembler comme une feuille quand il avait sous les yeux un phénomène aussi surprenant et unique. Il avait presque de nouveau le vertige tant son cerveau était rentré en ébullition.

Le sorcier qui l'accompagnait parvint à le tirer de sa contemplation quand il envoya un objet dans sa direction. Keziah le rattrapa maladroitement avant de poser les yeux dessus. Son alliance. Il n'avait pas remarqué que son interlocuteur s'en était emparé et fronça légèrement les sourcils. « Croyez-vous réellement avoir une chance de reprendre votre vie d'avant ? Si vous me dites oui, alors vous êtes aussi stupide que les âmes que vous voyez flotter dans cet endroit... Pour qui est-ce que vous me prenez ? Un clown du dimanche ? Vous êtes de plus en plus surprenant, je dois le reconnaître, mais vous commencez aussi à devenir insultant. » Il ne souriait plus mais sa voix resta calme. Il n'était pas énervé. Impressionnée par la situation ? Assurément, qui ne l'aurait pas été, mais il ne voyait pas en quoi paniquer lui serait d'aucune utilité. « Qui êtes-vous ? Vraiment, je veux dire. Quelque soit l'effet que vous ayez chercher à produire en me montrant... ceci, c'est réussi, alors arrêtez de tourner autour du pot et venez-en au fait. Qu'est-ce que vous voulez m'entendre dire ? Que l'on finit tous comme l'on est venu, dans les cris, le sang et les larmes ? Vous n'apprenez rien à personne avec ça. »
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