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sujet; La marionnette est une parole qui agit. [Keziah Campbell]

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La marionnette est une parole qui agit. [Keziah Campbell] - Page 2 Empty
-Qui je suis n'a aucune importance. Déclarais-je d'une voix sourde. Qu'est-ce que je suis ? Ça en revanche, c'est la bonne question. Dans le monde des vivants on m'appelle le Nécromancien.

C'était affreusement présomptueux, mais en même temps terriblement prosaïque. Contrairement à "Gwydion", mon surnom usuel, je ne me suis pas affublé moi-même de ce titre. Car à mes yeux il s'agissait bien d'un titre, d'une honorable distinction, de même "qu'alchimiste" ou "voyant" en étaient d'autres. On me l'avait attribué.

La nécromancie recouvrait un champ de connaissances particulières, une science magique qui avait mauvaise presse. Ça n'avait pas toujours été ainsi. Quelques traditions subsistaient encore dans certaines régions d'Europe de l'Est. Loin d'être un despote, loin d'être un duelliste sanguinaire courant derrière je ne sais quelle baguette de sureau, le nécromancien faisait partie de la société, au même titre que l’équarrisseur ou le tanneur de peau. Cela dit, j'avais plus souvent été payé avec une assiette de shkembe tchorba qu'en monnaie sonnante et trébuchante.

Humilité et fascination, toujours.

"Époustouflant." C'est ce que le blondin avait réussi à articuler en entrant dans les limbes. Cette réaction m'avait fait sourire. J'avais eu la même lors de mon premier voyage. Comment ne pas être subjugué par le ballet ininterrompu des âmes damnées ? Il m'arrivait parfois de rester de longues heures à les regarder, à attendre désespérément qu'elles me remarquent et me parlent. Les papillons timides de la nuit éternelle.


-Vous vous trouvez ici dans les limbes. Une dimension où sont condamnés à errer ceux ayant usé des Arts sombres jusqu'à altérer leurs âmes. Ni fantômes, ni en paix, ils subsistent jusqu'à s'oublier eux-mêmes.

Ma main se posa sur l'avant bras du sorcier, je l'attirais vers moi tandis qu'une des silhouettes sombres du Chaudron se pencha sur notre table. Elle déposa ce qui ressemblait à deux récipients. Ils s'agissait de la serveuse qui nous apportait nos commandes.

Doucement, je relâchais mon étreinte.


-Peu sont les vivants ayant déjà foulé ce sol, repris-je en surveillant la silhouette de la serveuse en train de s'éloigner. Une prouesse magique réservé à un petit nombre de sorciers aujourd'hui disparus.

Qu'allais-je faire de lui ? Que pouvais-je faire de lui ? Que voulais-je faire de lui ? Sombres sont les ténèbres, impénétrables sont leurs desseins. Une promesse. Un serment. L'Ordre des manzazuu devait renaître. L'Ordre des manzazuu n'était jamais vraiment mort. Rien ne mourrait dans les limbes, tout n'était qu'éternité.

Je me suis mis à tourner autour du blondin, une manière certes un peu cavalière pour juger du potentiel de quelqu'un, mais je n'en connaissais pas de moins sûre. Notre conversation précédente ne comptait pas. J'avais rencontré l’homme qu'il laissait voir aux inconnus, peut-être même à ses amis. Mais maintenant, dans mon domaine, face à l'imprévu et à l'incompréhensible c'était une toute autre histoire.

Trop vieux. Trop rêveur. Ce que pourtant j'avais été à l'époque de mon initiation. Elle n'était pourtant pas un exemple. Celle de mon élève se devait d'être exemplaire, la base solide sur laquelle méritaient de reposer des traditions millénaires.


-Vous avez peur. Déclarais-je en arrêtant mon petit manège. D'abord, j'ai cru qu'elle était morte, que vous étiez un de ces veufs capables de relativiser les pires horreurs de la vie. Mais ce n'est pas ça : elle est partie. Non pas pour un autre homme, mais pour des idées.
Je me suis permis un petit ricanement.
-Enfin, je ne crois pas me tromper en disant que vous avez au moins un enfant. Et que vous avez peur.

Qui aurait pu le blâmer ? Certainement pas Herpo Coffin. Je m'étais renseigné lors de mon retour en Angleterre : l'ordre d'arrestation était toujours en vigueur. Cependant, selon l'état civil j'étais porté disparu. Porté disparu. Rarement l'administration n'avait été autant dans le vrai. Herpo Coffin avait disparu de cette terre en même temps que sa femme.

Au début, moi aussi j'avais eu peur. Puis elle était morte. Alors la peur s'était consumée. Lui, il en était encore là. Il avait certainement dû subir deux ou trois descentes de la Brigade magique, mais quelques tiroirs renversés ça il pouvait gérer. Ça se sentait à son regard. Non, ce qu'il craignait par dessus tout c'était de rentrer chez lui, un soir, et de trouver son meilleur ami assis devant la porte avec une mine de déterré. Une mauvaise nouvelle à annoncer.

Le coup de tonnerre.


-Je peux vous libérer de cette peur. Je peux vous apprendre des choses sur la magie, des choses secrètes qui ne se révèlent pas. Je peux vous permettre de mettre fin à ce cauchemar et de la retrouver à vos côtés.

Un élève, peut-être pas. Mais un outil, ça oui. Il suffisait de le tordre un peu.
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Keziah haussa les sourcil, soulignant par un hochement de tête appuyé l'expression mitigée de son visage. Le nécromancien, rien que ça. C'est sûr que, dit comme ça, ça avait de la gueule, le décors environnant se chargeant d'illustrer le propos d'une manière qui laissait peu de place à l'interprétation. Qui ou quoi que son interlocuteur est pu être, il n'était pas en train de l'endormir avec de belles histoires. Ce n'était pas un jeu. Il ne s'agissait plus d'une illusion dans un théâtre de marionnettes. Ce qu'il lui montrait était bel et bien réel, à la frontière entre le monde des morts et des vivants, dans cet infime interstice où tout ce que l'on croyait connaître n'avait plus lieu d'être. Cela semblait pourtant si invraisemblable, si présomptueusement grotesque, comme être sur le point de toucher l'un des plus grands mystères de l'existence et n'attraper que du vent entre ses doigts.

Les limbes. Dans la religion catholique, chez les moldus, elles désignaient un endroit incertain et flou, aux portes de l'Enfer, où les âmes errantes ne subissaient ni les tourments des damnés ni ne pouvaient prétendre à la béatitude du Paradis. Elles étaient condamnées à rester là, dans le néant, jusqu'au bout des temps. Keziah n'avait qu'à jeter un regard autour de lui pour constater à quel point cela était triste. Ils subsistent jusqu'à s'oublier eux-même. La phrase de son curieux compagnon d'infortune résonna en lui d'une drôle de manière, douloureusement presque, comme si au lieu de scruter les silhouettes fantomatiques des morts, il avait lu au plus profond de son cœur et y avait vu la superbe mascarade qu'il jouait depuis des mois, voire des années, se perdant chaque jour un peu plus dans le dédale de ses propres mensonges. Il vendait aux autres – et à lui-même – l''image de ce charmant séducteur facétieux, un peu imbu de sa personne, que rien ne semblait pouvoir atteindre, mais la vérité c'est qu'il était terrifié, oui, et que cette peur grouillant sous sa peau comme des vers dans un cadavre le paralysait. La peur de perdre ce qu'il avait de plus précieux au monde, certes, mais aussi de réaliser ce dont il était capable. Pour le meilleur comme pour le pire. Tu fera de grandes choses. Encore, toujours, la voix de Cesare dans son esprit, comme un avertissement, une menace.

Keziah se crispa lorsque le nécromancien commença à tourner autour de lui, adoptant une raideur de circonstance qui, il le savait, ne le protégerai de rien s'il devait lui faire une nouvelle démonstration de ses pouvoirs. Il avait la désagréable impression d'être un morceau de viande sur un étale. Il n'aimait pas cela, qu'on le jauge, que l'on puisse se permettre de prétendre avoir la moindre idée de ce qu'il avait dans la tête. L'inconnu décochait pourtant des flèches qui visaient étonnamment juste mais cela ne fit que le braquer d'avantage. « Impressionnant, fut sa seule réponse quand l'autre eut fini de lui exposer ses quatre vérités. Il avait parlé d'une voix froide mais plus calme qu'on aurait pu s'y attendre. C'est ce qui vous est arrivé ? Perdre quelqu'un, je veux dire ; la femme que vous aimiez, un frère ou un enfant ? Je parierai sur la première. Vous savez ce que c'est, c'est pour cela que vous avez facilement fait le rapprochement avec moi. Vous n'en êtes pas arrivé où vous en êtes parce que vous l'avez décidé. Personne ne plonge dans les ténèbres sans avoir une bonne raison, ni sans en payer le prix. Vous êtes très habile avec vos mots et vous avez un certain talent pour la mise-en-scène, c'est indéniable, mais contrairement à ce que vous aimeriez faire croire vous n'êtes pas tellement au-dessus de tout ça. Vous trouvez cela trivial, n'est-ce pas ? Cette guerre, ça vous dérange. Ça vous agace même. Vous êtes un puriste, ce n'est pas difficile à voir, la nécromancie est un art si compliqué et si ancien. C'est un savoir ancestral, et le Seigneur des Ténèbres est si avide de pouvoir qu'il en oublie d'avoir le moindre respect pour les valeurs qui vous sont chères. C'est pour ça que vous êtes revenu. C'était ça le frémissement du vent dans les arbres et l'avertissement de la pie qui caquette. »

Il n'avait pas bougé d'une semelle. Il avait dit tout cela d'une traite, en prenant son temps, sans jamais détourner son regard de celui de son interlocuteur. Il n'était pas le seul à savoir faire de beau discours. Pas le seul non plus à savoir additionner un plus un et à mettre quelqu'un face à son propre reflet. Keziah savait pourtant qu'il n'avait fait que répondre à la provocation, que si le sorcier n'avait jamais mentionner sa femme il n'aurait pas dévoilé si vite sa capacité à montrer les crocs. Mais il était trop tard pour faire marche arrière et un sourire mauvais courba le coin de ses lèvres malgré lui. « Qu'avez-vous à apprendre au juste, si ce n'est à répéter vos erreurs et à finir comme l'un de ces fantômes du passé que tout le monde a fini par oublier ? »
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-Ah ! Ah ! Ah ! Croassais-je. Les morts s'enfuirent. À peine un murmure pour les vivants. Vous pensiez réellement me faire sortir de mes gonds ? Une bien piètre stratégie, si elle avait fonctionné. J'ai transcendé tout cela depuis bien longtemps.

La haine est utile, au début. Après, arrive le moment où on la laisse se nourrir de nous. Après, arrive le moment où l'on s'en repait. Herpo Coffin était mort depuis longtemps, poignardé et enterré dans un trou en pleine forêt, recouvert de chaux vive. Ce nom ne signifiait plus rien pour moi. Ni son souvenir. Ni elle.

J'avais donné un coup de pied dans le tibia au blondin. Il venait de me le rendre. Malheureusement pour lui, je portais une prothèse.

Ses réflexions sur Voldemort m'avait bien plus touché que ses allusions sur Eleanor. Oui, le blasphémateur avait projeté une lumière blafarde sur les Arts sombres. Il n'avait pas le droit, et pour ça il allait couiner. Salopard.


-Certains fantômes du passé, à défaut d'être oubliés, sont toujours craints...
J'ai levé ma baguette à la hauteur de mon visage. Je la tenais à deux mains. La prière d'un nécromancien.
-< Revenez... Revenez... Frères et sœurs... Maîtres et apprentis... Entendez l'appel du dernier manzazuu et rejoignez-le. >

Je les sentis avant même de les voir. Ils imprégnaient l’atmosphère déjà méphitique d'une déliquescence qui leur était propre. L'approche de détraqueurs en maraude remuait l'âme, au point que l'on soit envahi par les instants les plus pénibles d'une vie humaine. Un fantôme qui nous traverse laisse en nous l'étrange sensation d'être sous un sceau d'eau glaciale. Mais eux, c'était une toute autre affaire.

Ma tête pivota de quelques degrés, un simple coup d’œil me confirma qu'ils étaient bien là. Silhouettes vaporeuses hautes de neufs pieds. Coiffées de couronnes finement ciselées ; faites d'or et d'argent. Une peau parcheminée recouvrant des visages sévères. Des orbites vides jetant des regards austères. Leurs lèvres fines restaient closes, pourtant on pouvait les entendre chuchoter une langue obscure, grave et gutturale. Une langue inconnue aux oreilles de ceux qui n'étaient pas destinés à l'entendre.

Ils étaient les manzazuu. Les rois babyloniens de jadis. Les premiers nécromanciens que cette terre ait porté. Condamnés à une dimension bien plus pénible que les limbes, ils avaient pourtant survécu.

Les détraqueurs répandaient la peur et le désespoir, eux dispensaient la haine et le mal. Une détestation de soi allant au delà du réel. Il ne s'agissait pas de quelques souvenirs, mais d'un condensé de ce que chaque homme savait honteux et profondément inavouable. La conscience n'était plus qu'une vision biaisée de son être, nous amenant à nous voir dans le miroir comme une créature grotesque et déformée. Un gnome au visage renfrogné et au regard insidieux.

Un index argenté à l'ongle démesurément long traversa mon sternum. Je crus mourir. Il pointait le blondin d'une manière accusatrice. Le murmure du manzazuu était assourdissant.

Avant de définitivement basculer dans l'inconscience, ma main agrippa l'épaule du sorcier. Ma baguette s'illumina et les limbes nous vomirent instantanément. L'univers effaça la morbide assemblée vaporeuse pour nous ramener au cœur du Chaudron Baveur, comme si nous ne l'avions jamais quitté.

Notre réapparition auraient pu en surprendre plus d'un, si l'attention des clients n'avait pas été focalisée sur le quadragénaire ventripotent qui vomissait son repas dans un coin de la salle, à mi-chemin des commodités. Les manzazuu produisaient ce genre de réaction. Leur présence englobait tout, d'une dimension à une autre.


-Mangeons. Réussis-je à articuler, le front recouvert de sueurs froides.

Je me suis laissé tomber sur la banquette, avant de me jeter sur la nourriture.

Je mourrais de faim.
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On ne jouait pas impunément avec les morts, à vouloir les tirer de leur sommeil éternel, là-bas, dans leur tombeaux. Pas plus qu'on ne venait titiller avec le bout d'un bâton celui qui aurait pu passer pour leur représentant sur Terre. Cela, Keziah allait l'apprendre à ses dépends. Il eut un mouvement de recul lorsque le nécromancien leva sa baguette, craignant qu'un mauvais sort ne s'en échappe, mais il ne se détendit pas pour autant une fois le danger écarté. Une menace plus grande encore se dressait dans son sillage. Il les sentit approcher lui aussi, avant même de voir leurs silhouettes décharnées fendre les brumes des limbes. L'atmosphère se chargea d'électricité. L'air devint dense et difficile à respirer. Le monstre avait finit par darder sa langue rose et visqueuse entre ses dents noires. Keziah pouvait presque humer la puanteur de sa gueule hérissée de crocs, l’odeur âcre de sa sueur animale perlant sous le pelage ras, les relents fétides de l’adrénaline giclant dans ses artères. À travers leurs yeux caves qui le fixaient de toute leur hauteur, il voyait le roulement des muscles de la Bête sous le poil rugueux. Elle était prête à bondir.
Prête à le dévorer sur place.

« Le cœur des hommes est traître et leur langue menteuse, tu sais cela mieux que personne petit prince des voleurs. » Leurs voix caverneuses n'en formaient qu'une. Elle semblait provenir de partout et nulle part à la fois, résonnant au plus profond de ses entrailles. Le doigt tendu que l'un d'entre eux pointait sur lui était comme un clou le punaisant où il se tenait. Il n'y avait aucune issue. Aucune échappatoire. « Tu vis une vie qui n'est pas la tienne, qui n'aurait jamais dû l'être. Un jour, un autre te la reprendra. Tu portes en toi la malédiction du sang nomade. Cours, cours autant que tu veux, autant que tu le peux, ils finiront par te voir pour ce que tu as toujours été. Usurpateur. Menteur. Voleur. Tu entends ce bruit qui claque sous tes pieds ? C'est celui des os de leurs morts qui craquent à chacun de tes pas. Tu piétines leur territoire. L'audace a un prix et, toi, tu en paiera le prix fort. Pauvre, pauvre petit prince, si loin de chez lui, continue à garder tes sourires pour masquer tes grimaces. Tu ne sais vivre que dans la peur. Tu n'es qu'un lâche, tu es faible et, bientôt, tu détruira toi-même ce que tu as de plus beau. Tu ne vaux pas mieux que les misérables qui t'ont vu naître.»

Le crochet à viande qui l'avait entraîné dans les limbes s'accrocha à nouveau sous ses côtes. La voix des Manzazuu résonnait encore entre les parois de son crâne, déversant son fiel brûlant, quand il se sentit happé dans un tourbillon qui le ramena brutalement sur sa chaise au Chaudron Baveur. En un battement de paupières il était de retour dans le monde des vivants, face à un ragoût de bœuf duquel s'échappait un délicieux fumet. Personne ne semblait avoir remarqué leur retour. Le brouhaha dans la taverne était le même qu'à leur départ et l'invitation du nécromancien sonna comme une formalité. « Mangeons. » Keziah ne bougea pas. Son teint était livide. Lentement, il finit pourtant par attraper ses couverts et coupa un morceau de viande qu'il porta à sa bouche. Petit prince des voleurs. Ses dents se refermèrent sur la chair. Usurpateur. Ses mâchoires craquèrent. Menteur. Commença alors le travail de mastication. Voleur. La viande avait un goût de cendres sur sa langue. Lâche. Il avait l'impression de mâcher de la gomme ou du caoutchouc. Un jour, un autre te la reprendra. Il avala et le morceau compact qui glissa dans sa gorge lui fit aussi mal que si on l'avait forcé à avaler du bris de verre.

« Je... » Il ne finit jamais sa phrase, peu importe ce qu'il s'apprêtait à dire. Il se redressa si brusquement que sa chaise manqua de tomber par terre. La vieille sorcière en train de tricoter un bonnet à côté d'eux lui lança un regard courroucé quand il bouscula sa table, mais il ne lui prêta pas la moindre intention. De l'air. Il lui fallait de l'air. Il n'arrivait plus à respirer. Son cœur battait la chamade quand il déboula dans la petite cour de l'établissement, celle qui donnait sur l'entrée du Chemin de Traverse. Il allait vomir. L'idée lui avait à peine effleuré l'esprit qu'un spasme le força à se plier en deux et qu'il rendit tripes et boyaux sur le pavé. Cela n'avait rien d'élégant mais c'était bien le cadet de ses soucis à cet instant. Appuyé des deux mains sur ses genoux, il laissa son corps se vider jusqu'à le laisser exsangue et tremblant.

Quand il parvint enfin à se redresser, il ne fut même pas surpris de voir que son curieux compagnon l'avait suivi. « C'est une promenade de santé que vous proposez à tout ceux qui croisent votre route ou je suis un heureux privilégié ? » L'humour, encore. Toujours. Les habitudes avaient la vie dure, mais le ton employé était plus acide qu'il ne l'aurait voulu. Keziah s'essuya alors la bouche d'un revers de la main avant de cracher par terre un reste de bile. « La prochaine fois il faudra que je réfléchisse à deux fois avant de vous inviter à manger. Vous n'êtes pas la meilleure compagnie qui soit, et vos amis non plus. »

Surtout ne pas penser à ce qui venait de se passer. Pas une seconde.
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J'ai rompu le pain. J'ai taché la nappe. Je me bâfrais goulument, comme si je n'avais pas mangé depuis des jours. Ce qui était vrai. Mais l'effet de ma diète venait d'être démultiplié par mon passage dans les limbes, et par mon retour. Je ripaillais comme le dernier des mendiants à qui l'on venait de servir un coq au vin ; avec éclaboussures et succions. Je savais que je ne digérerais pas la moitié de ce que j'ingurgitais, l'important étant d'en avaler la plus grande partie ; les détails seraient pour plus tard.

Je notais évidemment la mine contrite de mon hôte. Mais j'étais trop affamé pour réagir. J'avais été comme lui après mes voyages au tout début. Le premier était le pire. Le contrecoup entre le Monde des morts et celui des vivants était atroce, cataclysmique. Le vin perdait de sa saveur, la viande semblait fade, même la brise d'été avait le parfum de la poussière. Et puis surtout, il y avait
eux. Ni vivants, ni morts. Ils se contentaient d'exister grâce aux Arts Sombres. Un pur condensé de leurs sagesses. Aujourd'hui, malgré leurs effets dévastateurs sur ma personne, je ne pouvais cesser de les admirer ; non pas pour leur pouvoir mais pour leur grande magnificence. Aucun "Magister" n'aurait pu les égaler.

J'ai dressé un œil lorsque le sorcier voulu dire quelque chose. Allait-il vomir ? Sa sortie précipitée confirma mes soupçons. Je me contentais de lécher avidement la sauce figée au fond de l'assiette avant de me lever, retenant un bref renvoi gazeux. Il y eut quelques regards intrigués, des clients qui avaient assisté à la sortie du blondin. Ceux qui étaient proches de la sortie penchèrent même la tête, intrigués par le bruit des vomissements lorsque j'ouvris la porte. J'en aperçu quelques uns renifler soupçonneusement leur plat.


-Vous avez du cran. Après mon premier passage j'ai claqué des dents pendant une semaine, couvert de sueur.
J'ai farfouillé dans ma cape. J'en sortis une tablette de chocolat à moitié entamée, conservée dans du papier kraft.
-Ça vous fera du bien, croyez-moi, assurais-je en la lui donnant. Je me suis ensuite installé sur une caisse de bièraubeurres vides, faisant courir distraitement un galion sur mes phalanges.

-J'imagine que je ne vous apprends rien, si je vous dit que je ne suis pas vraiment marionnettiste. Ni même guide. Un petit sourire. Quoique... Ceux qui se sont adressés à vous ont guidé des gens. Ils en ont guidé plus que je ne saurais le faire en dix existences humaines. Ils étaient de grands sorciers, des virtuoses des Arts Sombres comme on en fait plus. Certains subissent les Limbes, eux les habitent.
Le galion s'envola, tournoyant dans la lumière d'un soleil fugace, puis redescendit dans ma paume.
-Je ne m'inquiète pas pour la guerre. Je sais qu'elle va finir. Je sais aussi qui va gagner (ce n'est pas très dur, cela dit). Non, je m'inquiète pour après. C'est pour ça que j'arpente les routes en solitaire et que je parle aux gens. Je cherche des... chiens de berger. Des sorciers et des sorcières qui seront là, salvateurs et reposés, lorsque les loups sortiront du bois.

Le galion disparut. Je me suis laissé tomber sur les pavés. Plus de sourire, rien qu'un regard froid et désabusé sur un homme éreinté par l'une des pires expériences qui soit. Je me suis approché de lui, la main tendue. Elle saignait, le galion était désormais aussi noir que de l'obsidienne. Entre mes autres doigts, disparaissant sous la longue manche de ma bure, se cachait ma baguette.

-Je sais que vous allez prendre cette pièce. Nous le savons tous les deux. Car, lorsque vous écouterez ma voix, lorsque vous suivrez mes instructions, vous ramènerez votre femme près de vous, vous agirez activement sur un monde que vous léguerez à vos enfants. Vous réussirez même un exploit rare : prouver à ces esprits qu'ils se sont trompés sur votre compte.

Oui, tout allait changer.
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Keziah attrapa l'enveloppe de papier kraft dans un geste lourd, sans un mot, sans un merci. Ce fut à peine s'il hocha légèrement la tête sur le côté avant de reculer vers le mur et de s'y laisser glisser jusqu'à ce que ses fesses heurtent le sol. C'était plus sûr ainsi. Il se sentait faible, flageolant ; il n'était pas certain que ses jambes continuent à le porter bien longtemps s'il restait debout une minute de plus. Merlin merci, quelqu'un avait un jour inventer le chocolat ! Il eut un grognement appréciatif en dévoilant le contenu du papier kraft, et il croqua dedans avidement, mais au lieu de l'habituelle sensation de chaleur que la confiserie avait le curieux pouvoir de produire en temps normal, Keziah ne sentit qu'une affreuse amertume glisser le long de sa gorge. Comme une brûlure. La même que celle que la voix des Manzazuu avait laissé dans son esprit. Il ne devait pas y penser. Il se refusait à le faire mais elle grattait frénétiquement contre les parois de son crâne, s'y remuant comme un vers blanchâtre dans un cadavre. Ses entrailles n'étaient plus que de l'eau et il avait l'impression de s'y noyer bordel.

Keziah ne s'était jamais considéré comme quelqu'un de bien. Il était trop malicieux pour être honnête, trop intelligent pour avoir beaucoup de compassion pour ses semblables. Il n'était pas seulement menteur et manipulateur. Il était aussi égoïste et arrogant, et c'était vrai, il ne valait pas mieux que ceux qui l'avait vu naître. Il valait même certainement moins, car il ne les avait pas fui pour le simple plaisir de partir vivre d'amour et d'eau fraîche, comme cela avait été commode de le faire croire à l'époque. Il avait fui la honte, leur crasse, leur sourire édenté, les regards méprisants que les autres posaient sur eux. Il n'avait pas voulu qu'on le regarde comme ça lui aussi, comme le dernier des clébards sans collier, parce qu'il ne le méritait pas, parce qu'il avait toujours pensé au plus profond de lui-même qu'il valait mieux que ça. Elle se cachait là sa honte, sa culpabilité, dans les replis de ses pensées les plus enfouies et les plus inavouables. Des pensées que seule Victoria parvenait à apaiser. Pour elle il était devenu quelqu'un de meilleur. Pour la mériter.

Le blondin se passa une main sur la nuque. Il avait mal à la tête et les élucubrations de son interlocuteur n'arrangeaient pas les choses. Cet homme était fou. Il parlait trop, et à tort et à travers selon lui. Personne ne pouvait prédire l'avenir avec tant de certitude, pas même les rares voyants qui existaient en ce bas-monde – et encore, Keziah demandait à voir ! Pourtant il ne put s'empêcher de tendre la main lorsque le nécromancien lui tendit le galion qu'il s'amusait à faire passer entre ses doigts depuis tout à l'heure. Quelque-chose l'attirait irrémédiablement vers lui, mais il stoppa son geste au dernier moment. Il fronça brièvement les sourcils puis, sans crier gare, il attrapa fermement la main de son interlocuteur. Il s'en servit pour se remettre debout et, dans le même élan, il en profita pour attirer l'homme contre lui. Ils étaient si près qu'il pouvait sentir son odeur. Un mélange de souffre et de terre humide.

« Je n'ai pas besoin de vous pour ramener qui que ce soit auprès de moi, et je n'ai rien à prouver à personne. Gardez vos prédictions bancales pour d'autres. Vous êtes un marionnettiste, mais je n'ai pas l'intention de devenir l'une de vos marionnettes. Vous êtes doué, je vous accorde ça, c'était un joli tour, mais des jolis tous j'en ai vu d'autres. » Keziah rompit sèchement le contact, arrachant à moitié le galion des mains du nécromancien avant de le secouer doucement à la hauteur de son visage. « Ça, c'est pour m'avoir rendu malade. » Et parce qu'il valait mieux garder ses ennemis près de soi plutôt que de ne pas savoir ce qu'ils tramaient dans leur coin. Keziah n'avait aucune foutue idée de ce qu'était cet homme ceci dit. Pas un ennemi, non, mais pas un ami non plus, de cela il était assez certain. Pour le moment il n'avait guère envie de le découvrir en tout cas.
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