Les festivités battent leur plein. Chacun redécouvre le bonheur, un court laps de temps. Chacun oublie ses problèmes, la fin, le froid, la misère et la dictature relayés à un douloureux hier, à un triste demain. Le présent n’est qu’ivresse. Tu n’as jamais apprécié ces effervescence, allergique sans doute à la bêtise et l’incontrôle inhérent à la notion de fête ; c’est trop éloigné de tes considérations, tu ne vois pas comment tu pourrais te laisser aller sachant la rude réalité à laquelle il faudrait, malgré tout, faire face. L’alcool faisait, de toutes façons, bien trop de dégâts sur ton esprit fragile, trop vite enclin à une intolérable recherche de contact, peut-être même de plaisir. Alors tu erres dans les rues, le regard bicolore scrutant la foule, tentant de retrouver la crinière blanche caractéristique de Sevastian. Ton frère. Mais tu n’as pas de frère. Tu ne comprends pas l’empressement qui t’enserre le coeur. Premier mai, tu devrais retrouver Fred, tu avais promis de rejoindre le rouquin, et malgré la violence de cette envie, tu ne peux t’empêcher de glisser vers les boutiques, fantôme blanc et éclat d’or à la ceinture.

Lorsque tu pousses la porte, c’est comme si tu étais guidée par un instinct lointain, heurtant avec vivacité ta conscience et ton désir impérieux de mettre la main sur un certain rouquin. Fred, Sevastian. La bague serpentine à ton annulaire gauche est paisible, résolument calme, n’indique aucun danger et apaise ainsi ton inquiétude : ton ami n’est pas en péril, tu peux continuer un peu, le faire attendre encore cinq minutes. « Quelqu'un est là ? Merill ? » La silhouette masculine te foudroie comme l’éclair. Le temps semble s’arrêter, te narguer, te tourner autour et se renverser, et tu ne sais par quel réflexe tu réponds : « Excusez-moi.. je crois que je me suis perdue. » Neva a pris le dessus sur le contrôle de ta bouche et pourtant, quelque chose coince. Tu as promis de rejoindre l’insurrection. Le conflit interne t’empêche d’aligner d’autres mots, tes yeux détaillant avec insistance ce garçon trop longtemps oublié.

« Fuis. » souffles-tu. Tu n’es pas sûre de la raison pour laquelle tu as choisi cette option. Est-ce Neva qui protège son frère ou toi, qui prend un insurgé en pitié ? Qu’importe ; tu vas laisser échapper celui après lequel tu cours, sans certitude de pouvoir lui remette la main dessus. Et Fred est sûrement si loin. Sentiment abrupte d’abandon.

« J'ai pas fini de prendre ce que j'avais besoin, Neva. » Neva. Une neige glaciale d’autrefois et pourtant une tendresse permanente, un paradoxe qui persiste et s’inverse dans cette existence. Tu as sacrifié.. tant pour arriver jusque là et tu te retrouves décontenancée par un inconnu trop familier, par un jeune homme en pleine illégalité assumée. « Tu veux venir avec moi ? » Il prend quelque chose sur l’étagère tandis que ta main se porte à tes tempes, que tu masses légèrement. Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu as encore l’image des cadavres de reptiles accrochée à la rétine, l’horreur de tes actes sur la conscience ; destruction, négation de toute une vie. Tu veux venir avec lui ? « Ou tu préfères retourner à la fête ? » Un pas en arrière. Tu laisses ton bras retomber le long de ton corps, les lèvres entrouvertes, sans que rien ne consente à en sortir. Les papiers brûlés, les recherches emportées, le canapé déchiqueté, la belle table rayée. Tu as essayé de goûter à la fête avec l’optimisme dans le coeur, te répétant que tu allais vers une nouvelle vie, plus difficile, plus compliquée mais auprès d’une personne aimée.. pourtant, là, la pilule a du mal à passer.

C’est comme s’arracher volontairement l’essence de toute une existence passée, sans anesthésiant. « Je.. » Conflit interne. Tes deux vies se bousculent pour prendre la parole et ton esprit bloque sur la cohérence des émotions qui s’alignent, s’entrechoquent. « Je dois trouver Fred.. j’ai promis.. » Tu passes outre cette autre, cette étrangère qui cherche à prendre le dessus sur tes décisions, sur ta personnalité. Tu sens le poison de la gentillesse se glisser dans tes veines, écartant la glace naturelle avec dédain ; tu te hérisses toi-même.

« Sevastian.. je ne connais pas le chemin. » Non. Tu ignores le chemin de ta promesse. La route pourrait être longue avant de mettre la main sur le rouquin, autant d’ailleurs que pour faire accepter ta volonté à te racheter. La peur se lit dans tes yeux clairs, une peur expressive, trop, quand on connait ton côté distant, impassible. Hors de ta zone de confort et, pire encore, hors de ta personnalité habituelle, tu hésites, tu tangues entre l’envie de céder à l’appel de ce frère perdu trop longtemps et la méfiance exacerbée. Les ongles qui rencontrent la manche blanche, grattent machinalement ; Draco avait déjà stoppé ce geste irrépressible, comme une culpabilité trop visible.. dont tu ne réalises jamais ni les impacts ni la présence. Tu angoisses. Et s’il change d’avis, si finalement il ne veut pas que tu viennes ? « Pourquoi es-tu parti si longtemps ? » Comment vous étiez-vous séparés, surtout ? Ca ne te revient pas. C’est un peu flou, un peu abstrait tout ça.

« Quel Fred ? » C’est compliqué. Il y a des souvenirs d’un autre monde, d’un autre temps, de ces baisers tendres qui font frissonner, de ces doigts qui se promènent sur ta peau. Non, sa peau. Fred et toi, ça n’est pas ça. Tu jettes en bloc ce que cette intruse tente de te faire croire. Promettre ta main. Sa main. Barrière floue entre elle et toi. Tu te mords la lèvre inférieure, comme Neva le faisait si bien quand elle était fautive. Tu penches un peu la tête, la cascade blonde suivant le mouvement. « Weasley. » conclus-tu, en dépit de l’autre, contre sa décision. Personne ne s’amuserait à te faire passer pour autre chose qu’une amie. Ca te hérissait. « J'étais toujours là.Je te manquais déjà ? » « Toujours. » Cette réponse s’est échappée d’entre tes lèvres, sans crier gare. Inutile de combattre, inutile de t’acharner. « T’es trop mignon, une damoiselle en détresse pourrait te voler. » C’était vraiment sorti de ta bouche ? Et ce sourire mutin, il vient d’où ? D’outre-tombe. Elle devrait être morte. Poignardée par un amant vaniteux.

« On reste ensemble » Et tu semble rayonner d’une nouvelle énergie, rassurée, contaminée par la petite soeur fragile et irresponsable, apaisée par la seule présence de Sevastian. Fred te fait pareil. Non, pas comme cela. Plus encore, lovée entre ses bras. Arrête avec tes souvenirs, tu m’étouffes, tu m’encombres, voudrais-tu siffler à cette russe dont seul le prénom est neige. Aussi stupide qu’une Snow White à la recherche du Prince Charmant. « Toujours ? »

« Je te protège. » Bien sûr qu’il te protège. Toi, tu détournes l’attention, et lui, il attrape, ou il frappe. Un peu le poing facile, quand un abruti trop possessif te tourne autour. Mais personne ne te tourne jamais autour. C’est parce que tu es moins jolie qu’elle, elle et son roux flamboyant. Le blond c’est surfait. Le blanc du jeune homme t’intrigue, te plaît. « J’ai des vêtements, et des vivres.. tu me montres la route ? » Une pause. Tu te sens très largement schizophrène. « Ou tu préfères encore conter fleurette ? » Tu te moques un peu. Mais il faut avouer qu’il fait ce qu’il reproche aux hommes de ta vie. Sauf qu’il ne demande pas le mariage, lui.