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sujet; les fantômes (1994, Elli)
MessageSujet: les fantômes (1994, Elli)   les fantômes (1994, Elli) EmptyJeu 6 Aoû 2015 - 16:01

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Encouragé par l’humidité du début du jour, un épais brouillard montait lentement des terres. Des terres aussi accueillantes qu'une gueule de Magyar parsemée des restes de chasseurs trop téméraires. Joseph, la mine en accord avec cette météo peu accueillante, se secoua mollement pour chasser ces remarques moribondes. Car pour l’heure, ce Magyar prévalait sur les quenottes acérées des cerbères qui lui couraient après au pays.

Les pieds coincés dans ses souliers crottés, enroulé dans un trench aussi épais qu’un Solokoff en pleine diète, Joseph subissait difficilement la morsure de fin d'automne. Ce qui rendait l’épreuve d’autant plus épuisante, ce n’était pas le manque criant de bottes en poil de Boursouf, ni la finesse de cette veste dont le chic semblait fuir le corps poisseux –il n’était que jeans et Sud profond de l’Amérique, et le style londonien lui seyait ainsi particulièrement mal, même sous les traits pincés du grand échalas dont il avait emprunté l’apparence ; c’était le gris statue du ciel, et la fraîcheur familière du climat britannique qui faisaient bourdonner son crâne de souvenirs pénibles. Un temps de fin Décembre idéal pour rappeler au terroriste son inconscience mortelle.

Il devait d’abord se rendre chez Bones. Le plan avait été travaillé au corps du temps de l’activité florissante du groupuscule : une des portes de secours en terre étrangère si les choses tournaient au vinaigre. Et en l’occurrence, elles avaient tourné au jus de vinaigre d’aisselles de Trolls des Rocheuses ; Joseph avait impérativement besoin d’un refuge, tout temporaire fût-il, pour récupérer de son interminable poursuite. Et chasser cette amertume tenace, profonde, qui lui mordait le ventre depuis qu’il avait dû tourner le dos aux siens. Il aurait pu choisir de se réfugier en République Tchèque ou au Danemark, deux autres points de chute qu’il avait également contactés pour mieux brouiller les pistes. Il aurait pu se convaincre, dans sa paranoïa presque démente, de la sûreté notoire du domicile de Bones, parfaite justification à son départ pour l’Angleterre. Mais le froid perçant de Londres, soutenu par le détour qu’il empruntait désormais, empalait sans ménagement tout embryon d'excuse. Il était maintenant loin de son point de rendez-vous, et dangereusement proche de Damoclès.

Damoclès qui lui scinderait le plexus en deux dès qu’elle poserait les yeux sur lui.

Car Joe, plutôt que de se remettre aux bons soins d’Adele qui l’aurait vraisemblablement nourri et caché sans démontrer la moindre animosité envers lui, avait choisi de s’enfoncer loin dans la gueule du dragon. Si loin que la bête n’aurait pas besoin de se fatiguer à lui briser les os d'un mouvement de mâchoire : brûlant les étapes, il se jetait de lui-même dans le bain acide de son estomac.

Les premières vagues de ce suc gastrique lui chatouillèrent les pieds dès qu’il franchit le portail de l’immeuble. Une connerie, une très grosse connerie ; il se l’était répété avec une régularité alarmante, jusqu’à ce que les mots se transforment en litanie. Une énorme connerie qu’il crevait d’envie de faire depuis beaucoup trop longtemps, rajouta-t-il en inspirant plus profondément. S’invectiver de la sorte lui permettait étrangement d’assumer la formidable bêtise et Joe, malgré ses mains moites d’angoisse et la terreur aux senteurs de paranoïa qui lui trempait le dos, sentit son cœur s’emballer dans l’expectative. Plus que de peur, derrière les espoirs réduits en poussière, il s’agissait là d’impatience. Une impatience, et il le comprit sur l’instant, la réflexion dopée à l’adrénaline, qui l’avait suivi depuis qu’il avait pris la décision de fuir. Dernière lueur dans la nuit, il s’était agrippé à Elli comme on s’agrippait à une bouée en pleine mer.

Après un dernier coup d’œil autour de lui, Fitch appuya sur la sonnette de Llewellyn.

« Elli. » Sa voix ressemblait au crissement d’une plume sur un parchemin ; le grand brun dont il avait emprunté le teint jaunâtre n’avait visiblement pas été gâté par les grands mages. Joe, l’échine courbée, guettait le moindre mouvement derrière la porte. « Elli, c’est moi. » D’ordinaire, Fitch aurait toqué, rieur, en revendiquant vouvoiement et appartenance au service d’inspection des cheminées -il l'avait fait des années durant, improvisant avec une maestria dictée par ses hormones. Il n’y avait désormais que la supplique, hantée par le possible, l’impensable refus de la sorcière ; les plaisanteries grivoises n’avaient plus leur place entre eux. « Ouvre s’il-te-plaît. » Et il se força à  se taire, avant de piétiner de son impatience les maigres chances qu'elle avait d'accéder à sa requête.

Ou, en tout cas, d'y accéder sans lui arracher les yeux.
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MessageSujet: Re: les fantômes (1994, Elli)   les fantômes (1994, Elli) EmptyJeu 6 Aoû 2015 - 18:37

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« Elli. » Elle ferme les yeux, la mâchoire crispée, la main agrippée à sa baguette à s'en faire blanchir les jointures. « Elli, c’est moi.Ouvre s’il-te-plaît. » La porte s'ouvre, la dévoilant enfin. Elle ferme à nouveau les yeux après avoir croisé son regard misérable, et tente de faire le vide en elle. Il n'en faut pas plus pour torpiller sa volonté, tordre ses entrailles. Ce n'est pas sa voix, ce n'est pas son corps, mais c'est bel et bien lui, tout en elle le hurle.

Et ça la déchire, quelque part dans sa poitrine alors qu'elle peine à maintenir sa volonté de lui fracasser sa tronche, maintenant, tout de suite. D'abord ça lui ferait du bien, elle en a rêvé longtemps, après leur rupture. Lui fracasser la mâchoire tout en gueulant pour le ramener à la raison. Mais elle savait déjà que ça ne servirait à rien. S'il avait voulu changer, s'il avait voulu comprendre, il aurait écouté son ultimatum. Il aurait pris en compte ce qu'elle s'acharnait à lui répéter de toutes les façons possibles ; à moitié en pleur, ce jour là. Elle se demandait comment ils avaient pu en arriver là, alors qu'elle tentait de recoller les morceaux brisés de leur relation qui volait en éclat depuis des semaines. C'est qu'elle s'y accrochait, mine de rien, parce que ça la tuait d'en imaginer la fin. Elle n'en dormait plus la nuit, nuit qu'elle passait à contempler le plafond de la chambre de son appartement londonien, ruminant sa colère et son désespoir. Il la laissait injustement pantelante, alors qu'il préférait continuer ses coups d'éclats ridicules. Elle avait découvert, peu à peu, les activités auxquelles se livrait Joe, ce qu'il s'évertuait à lui cacher depuis si longtemps. Elle avait découvert le plan de l'explosion de cette église. Ca les avait brisé.


    Mai 1990
    Les yeux rougit d'avoir trop pleuré, la gorge nouée et un poids dans l'estomac, elle l'attendait assise trop droite dans le fauteuil du petit appartement qu'occupait Joe. A ses côtés, sa valise, posée bien droit. Elle observait chaque détail de cette pièce, se forçant à se rappeler des bons souvenirs. Les fous rires près de la cuisine, les échanges de sourires et d’œillades (ce qu'ils étaient alors niais…), les mains de Joe qui se glisse sur elle, son souffle dans son cou, son odeur qui l'enivre et sa voix… Ses mains se crispèrent contre l'accoudoir, tandis qu'elle attendait. Et puis le bruit caractéristique de quelqu'un qui transplane lui fit lever les yeux et sortir de sa torpeur. Il était là, en face d'elle… Elle attendit qu'il la remarque, et quand enfin leur regard se croisèrent, l'émotion la submergea. Un mélange de colère, contre lui, contre elle – elle, incapable de le détester vraiment, toujours stupidement amoureuse. Alors, elle s'accrocha à sa volonté comme à une bouée de sauvetage. Et sans lui laisser le temps de placer le moindre mot, elle attrape le journal moldu posé sur la table basse et brandit la une devant le visage de l'homme qui lui fait face. « Comment as-tu pu... » lâcha-t-elle d'une voix éteinte, encore chargée de sanglots. A cet instant, les pensées et les émotions se mêlaient de façon trop confuse, elle ne savait départager sa peine de sa déception. « TU ES A CE POINT DEBILE ? » se mit-elle alors à hurler en lui balançant le journal en pleine figure, sans même prendre la peine de contrôler le geste – elle l'envoie comme elle enverrait un cognard dans la tronche de l'attrapeur de l'équipe adverse. « JOSEPH ! COMMENT AS-TU OSE ? COMMENT AS-TU PU FAIRE CA ? » Et enfin, la colère – à peine libératrice, prend possession d'elle. Elle était folle de rage et de chagrin, et son corps fin et musclé en tremblait violemment. Elle s’enivrait d'ire pour se donner la force et le courage. « Je ne te pensais pas si con », siffla-t-elle. « Je ne te pensais pas si con et si buté… Est-ce que je me suis trompée tout ce temps ? ». Elle attaquait, bassement et volontairement les points sensibles, certaine que chacun de ses mots le blesserait, elle espérait au centuple de ce qu'elle ressentait à cet instant précis. Elle avait envie de griffer la chair, de cogner de ses poings, de sentir les os qui se brisent sous ses phalanges. Mais Elli se contenait comme elle le pouvait. Elle espérait qu'il ait une bonne raison, elle le voulait. Parce que sinon… Sinon, c'était fini, et ça la tuerait.

Elle rouvre les yeux, il lui fait toujours face, sous son apparence d'emprunt, l'air misérable. Et cette fois, elle ne se retient pas, elle ne se retient plus. « REPULSO », qu'elle gueule en braquant sa baguette contre lui. Ca le percute sûrement trop violemment, mais elle ne peut pas se retenir, elle ne peut plus. « Qu'est-ce que tu branles ici, crevure ? », demande-t-elle froidement, en le toisant.


Dernière édition par Elli Llewellyn le Lun 10 Aoû 2015 - 1:03, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: les fantômes (1994, Elli)   les fantômes (1994, Elli) EmptyLun 10 Aoû 2015 - 0:32

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Tous les mots du monde moururent dans sa gorge, avalant avec eux les beaux discours, les plaisanteries complices, les salutations amères. Seul persista un sourire à mi-chemin entre franc bonheur et profonde nervosité. Fitch avait beau avoir manipulé de sensibles explosifs, subi la tension anxieuse accompagnant chacune de leurs actions, se retrouver en face d’Elli Llewellyn après leurs violents accrocs restait un des moments les plus éprouvants de son existence. Elle lui avait fait le même effet, la première fois qu’il l’avait vue ; il n’était alors qu’un  gamin, déjà subjugué par la beauté conquérante de la Galloise. Et quelque chose chez elle avait entretenu cette tension légère, qui n’avait jamais totalement disparu. Ce n’était pas un sentiment désagréable, bien au contraire ; il n’avait jamais autant savouré la sensation nageant au fond de son ventre que lorsqu’il se retrouvait, au détour d’un regard, accroché par un geste, fasciné par Elli.

Même lorsqu’elle s’en était violemment prise à lui, lors de leur ultime dispute, il avait manqué un battement en la voyant enfler sous la colère.

Mai 1990
Majestueuse. C’était tout ce qui lui avait traversé l’esprit avant que ne s’abatte sur lui la fureur de la sorcière. Joseph, alors encore enivré de victoire, de chaos et de ce sentiment de parfaite justice enfin abattue sur la Terre, ne pouvait être atteint autant qu’il l’aurait fallu par son explosion de tristesse. Il supportait difficilement de voir les larmes gonfler au coin de ses yeux, et son visage déchiré par une colère douloureuse, essuyant les invectives en la regardant de deux yeux miroirs. Il souffrait avec elle. Profondément, et avec toute la sincérité qu’elle lui connaissait ; une sincérité qui leur avait coûté leurs premières disputes, quand il avait commencé à lui parler de son futur projet. Un monde nouveau, lui avait-il dit. Un monde nouveau où toutes les injustices seraient levées et l’ordre du chaos rétabli.

Il s’était pris ses exploits en pleine figure, littéralement ; le journal échouait tout juste à ses pieds qu’il approchait déjà, comme on approche une bête sauvage. Avec précaution, alerte, et le regard couinant encore de douleur. Il ne pouvait pas la voir ainsi. « JOSEPH ! COMMENT AS-TU OSE ? COMMENT AS-TU PU FAIRE CA ? » « Elli », commença-t-il de sa voix grave, la projetant comme un orateur qui se savait sur le fil du rasoir. Il se pencha pour ramasser le journal avec lequel elle avait manqué de le défigurer, et lut rapidement les gros titres. EXPLOSION MORTELLE A FLAGSTAFF. « Je ne te pensais pas si con et si buté… Est-ce que je me suis trompée tout ce temps ? » Il releva les yeux vers elle, manquant un soupir.  Il ne pouvait décemment pas lui demander de s’asseoir, ni de se calmer le temps des explications : il la connaissait assez pour savoir que Llewellyn ne lâchait jamais de lest dans ses colères. Il allait devoir affronter l’agression debout, et à mains nues. « Tu crois vraiment ce qu’ils disent ? » Il agita légèrement le journal, fronçant à peine les sourcils. « Ces journalistes moldus, ils cherchent un gros poisson depuis des mois, ils se nourrissent de suspicion de terrorisme et de frayeur ; comment tu veux faire confiance à des rats pareils ? » Il se délesta du sac qu’il avait sur l’épaule, sans lâcher des pupilles la sorcière. « Est-ce que tu penses qu’ils avaient intérêt de dire que dans cette église, y’avait un rassemblement d’évangélistes aussi cinglés que dangereux ? » Il lui avait expliqué les principes des religions moldues, et, surtout, ces extrêmes qui dérangeaient tant Joseph ; ces extrêmes qui avaient coûté la vie à son père, et celle de millions d’autres. « Non, bien sûr que non, on oublie toujours ces détails quand on veut vendre et continuer de faire flipper la populace avec des ramassis de conneries. » Il serra les mâchoires, contenant sa propre colère ; elle ferait tout foirer avant la fin de leur entrevue.

Joseph alla s’écraser avec violence sur l’allée qui menait à l’extérieur, juste au pied du perron. Son corps amaigri accusa difficilement le choc et il reprit difficilement sa respiration, le squelette encore vibrant de douleur. « Bordel, Elli », fit-il sans immédiatement redresser la tête, ouvrant difficilement les grands yeux globuleux de son visage d’emprunt. Il geignit encore brièvement, et fit l’effort de se redresser sur un coude, relevant le nez vers Elli, grande impératrice de la colère qu’il se devait encore d’implorer. « T’aurais au moins pu me proposer un thé avant de me fracasser sur le pas de ta porte »,  grinça-t-il entre ses dents serrées, la respiration courte. Il avait su qu’elle l’enverrait au tapis dès les premières minutes ; il ne s’était pas imaginé qu’elle le ferait littéralement. « Juste un thé. Et cinq minutes de ton temps. » Il était sérieux, cette fois, et décida de se redresser progressivement, avec lenteur, par respect pour sa carcasse secouée et par crainte de devoir essuyer un autre sort s’il s’exécutait trop vite. Il la regardait toujours, et sans ciller. « S’il-te-plaît. » La deuxième supplication en une poignée de minutes ; elle saurait immédiatement que quelque chose clochait.
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MessageSujet: Re: les fantômes (1994, Elli)   les fantômes (1994, Elli) EmptyMer 12 Aoû 2015 - 22:11

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    Mai 1990
    Ça remuait dans son estomac, ça s'accrochait dans sa poitrine, ça tordait sa gorge… Ça pulsait dans ses veines pour se répandre lentement dans son corps : un mélange de chagrin, de déception, de colère et d'amertume. En réalité, ça la rongeait sans qu'elle ne s'en rende vraiment compte. C'était un monstre qui grandissait en se nourrissant de ces sensations et qui devenait chaque fois plus fort, jusqu'à ce que ça devienne intolérable, impossible à supporter. Quelques larmes dévalèrent le long de ses joues alors qu'un sanglot restait bloqué dans sa trachée. « Elli ». Et déjà, sa volonté faiblissait quelque peu juste en entendant son prénom, prononcé avec cette voix, cette voix là… Il n'avait pas le droit ! Il ne pouvait pas s'arroger le droit de tout remettre en cause, comme ça ! « Tu crois vraiment ce qu’ils disent ? » « Oses me dire que tu n'es pas derrière ça... » menaça-t-elle dans un souffle.  « Ces journalistes moldus, ils cherchent un gros poisson depuis des mois, ils se nourrissent de suspicion de terrorisme et de frayeur ; comment tu veux faire confiance à des rats pareils ?  Est-ce que tu penses qu’ils avaient intérêt de dire que dans cette église, y’avait un rassemblement d’évangélistes aussi cinglés que dangereux ?  Non, bien sûr que non, on oublie toujours ces détails quand on veut vendre et continuer de faire flipper la populace avec des ramassis de conneries. » Et puis, sa réaction… Encore une fois, il justifiait ses actes atroces par un semblant de raison.

    Elle comprenait sa colère, elle comprenait parfaitement qu'il souhaite venger son père et sa mort atroce. Mais qu'importe les discussions qu'ils pouvaient avoir, posées ou vives, il ne voulait pas entendre autre chose que ses discours dangereux et violents, et ne voulait pas imaginer une autre façon de faire et d'agir. Pour lui, terrifier la population moldue et regarder leur sang couler de ses mains était la seule solution envisageable – elle ne pouvait pas le cautionner. « Ce n'est pas ton combat ! » assena-t-elle froidement. « Laisse-les se démerder avec leurs merdes, ils n'ont pas besoin d'un justicier comme toi pour faire le ménage dans leur bordel. Putain, Joe… Et quand ce sera de notre côté, qu'il y a aura des fous fanatiques, tu feras quoi ? Tu iras faire exploser une école ? Et toi ? Quand quelqu'un trouvera enfin que ta fine et équipe et toi êtes aussi dangereux que ceux dont vous prétendez vous défendre. Et le jour où on décidera que c'est vous, qu'il faut exploser, hein ? Le jour, où on viendra sonner chez moi, et m'annoncer ta mort. Ca ne compte pas, tout ? » Elle avait vécu un moment dans cette crainte irraisonnée et disproportionnée qui lui grignotait l'esprit. Qu'on vienne en plein nuit pour lui annoncer la mort tragique de Joseph Fitch, qu'on essayait d'empêcher de commettre l'irréparable. «  Et quand c'était Tu-Sais-Qui, hein ? Tu ne l'as pas vécu, toi, mais j'ai vu à quoi ça ressemble quand ce sont des sorciers qui en traquent d'autres ! » Son discours était brouillon, incohérent, à l'image des pensées qui s'entrechoquaient de façon chaotique dans son esprit. « Qu'est-ce que tu cherches à prouver ? Tu penses que ça va ramener ton père ou réconforter ta mère ? Rassurer ton frère ? J'te comprends pas… j'te comprends plus, c'est à se demander si on a jamais pu se comprendre un jour. » acheva Elli d'une voix rauque.

    Elle se laissa tomber dans le fauteuil derrière elle, attrapant sa tête entre ses mains pour souffler un peu. Elle se rendait bien compte que cette discussion ne mènerait à rien, qu'il ne s'excuserait pas, pire, qu'il ne regretterait pas son geste. Et malgré tout l'amour qu'Elli lui portait, sincère et vibrant, elle ne pouvait pas, elle, lui pardonner – et elle ne pourrait jamais prétendre. La craquelure était devenue fissure pour finalement briser à jamais un pan entier de leur relation ; et ce n'était pas des morceaux qu'on recollait en faisant chacun efforts et concessions. La colère refluait, pour laisser place au chagrin, et, enfin, le sanglot la secoua. Elle resta un bref instant, ainsi prostrée avant de relever la tête. « Tu es seul dans ton combat, maintenant. J'aurai pu t'épauler, j'aurai pu t'aider. Mais pas comme ça… ». Elli le dévisagea un moment, avant d'attraper ses affaires, et de transplaner sans plus rien ajouter, directement chez Davius. Les filles n'étaient pas là, mais Jillian ne poserait pas de question.

Elli le regarde se relever avec difficulté, sans esquisser ne serait-ce qu'un geste pour l'aider. Son visage n'exprime rien, ni colère ni rancœur ni tristesse. « T’aurais au moins pu me proposer un thé avant de me fracasser sur le pas de ta porte » « J'ai rêvé de ce moment plus d'une fois, crois-moi », rétorque-t-elle, d'un ton clinique. « Estime toi heureux de pouvoir encore marcher. » Mais il insiste, et c'est ce qui interpelle la batteuse. Il insiste et réitère sa demande. Alors elle l'observe et fixe l'homme dont il a pris l'apparence. Elle ne s'est pas vraiment intéressée aux informations, ces derniers temps, mais sûrement que ça avait un rapport avec ces rumeurs d'attentats avortés aux Etats-Unis. Elle le scrute, comme si elle pouvait deviner la raison de sa venue pour lui refuser directement sa requête, avant de s'effacer et de le laisser à nouveau pénétrer dans l'immeuble. Elle s'imagine qu'il la suit, mais ne prend pas la peine de vérifier quand elle se faufile dans son appartement. D'un coup de baguette vers la gazinière, la théière s'agite, deux tasses s'envolent pour se poser sur la table de la cuisine – il n'aura pas le luxe du salon. Tandis que le thé se prépare, elle s'appuie contre la fenêtre, croise les bras sur sa poitrine et le fixe à nouveau. « Arrange-toi pour être toi. J'ai pas envie de parler avec un gars que je ne connais pas. Tu as un thé, et cinq minutes devant toi. Fais-en bon usage et ne me fais pas regretter d'avoir accepté de t'écouter. » C'est un passé vieux de quatre ans qui faisait à nouveau irruption dans sa vie, et rien ne l'a jamais préparé à ça. A cet instant, pourtant, envolée la colère des premiers instants, cette rage qu'elle ruminait depuis ce mois de mai 1990, où elle était partie, laissant planer la menace silencieuse de plus qu'une mâchoire brisée si jamais il revenait, il lui courrait après. Elle avait renvoyé les affaires qu'il laissait chez elle quelques jours après, n'avait jamais ouvert les courriers qu'il lui avait envoyé (ils sont tous rangés au fond d'un tiroir de son bureau). Et elle avait fait son deuil. Le revoir à nouveau installé dans cette cuisine, à la place qu'il occupait tous les matins quand il prenait un café, c'était comme si un fantôme venait de surgir devant elle.
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MessageSujet: Re: les fantômes (1994, Elli)   les fantômes (1994, Elli) EmptyVen 14 Aoû 2015 - 21:14

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Il esquissa une grimace de sourire sous le cynisme grinçant d’Elli. Elle continuait de lui répondre là où elle aurait pu se contenter d’un fatal Silencio, d’un regard de mépris glacial et d’une porte claquée au nez ; alors il aurait essuyé les remarques les plus cinglantes, les insultes les plus infâmes pour alimenter cette vague d’hostilité qui lui permettait le dialogue. Qui permettait de la voir, après cette ultime séparation quatre ans plus tôt. Suite à leur entrevue, il s’était bien expliqué sur des rouleaux de parchemin entiers mais Elli n’avait étrangement jamais pris la peine de lui répondre.
Encouragé par son silence, Joseph se redressa graduellement, comme on se relève devant un prédateur au comportement encore incertain. Il jeta un coup d’œil alentour, s’arrachant sous un bref relent d’angoisse, et à contrecœur, aux yeux translucides de la sorcière, la main sur l’étui de sa baguette.

La paranoïa était encore là. Et elle le pressait expressément de rentrer à couvert.

« Cinq min… », commença-t-il à réclamer de nouveau ; mais Elli venait de disparaître à l’intérieur et Joseph, sentant une déferlante de soulagement lui chavirer le torse, pressa ses toutes nouvelles jambes de sauterelle à sa suite. Ce n’était pas cinq malheureuses minutes qu’elle lui accordait là : c’était l’occasion de se faire entendre, de se pelotonner un bref instant dans cet appartement qu’il ne connaissait que trop bien. Il la savait parfaitement capable de le mettre à la porte à la fin du temps imparti s’il ne se montrait pas convaincant, mais, malgré son affaiblissement visible, malgré sa récente, et cuisante déconvenue outre-Atlantique qui en était d’ailleurs entièrement responsable, Fitch possédait encore quelque part cette confiance incongrue, intrinsèque, qui lui soufflait qu’il était à même d’accomplir l’impossible. Et convaincre Elli Llewellyn, en l’occurrence, n’en était pas si éloigné que ça.

Elle le conduisit à la cuisine. Il s’arrêta dans l’encadrement de la porte, et embrassa la pièce familière du regard : c’était comme s’il retrouvait un foyer après en avoir été privé des années, repérant les différences évidentes, savourant les détails immobiles. La cuisine lui convenait aussi bien qu’ailleurs : tout ici embaumait l’heureux souvenir.  « Arrange-toi pour être toi. J'ai pas envie de parler avec un gars que je ne connais pas. Tu as un thé, et cinq minutes devant toi. Fais-en bon usage et ne me fais pas regretter d'avoir accepté de t'écouter. » Il lui jeta un regard, immobile, en silence ; puis, comme s’il reprenait vie, sorti de cette torpeur qui prenait maintenant de vagues airs de béatitude, il se défit de son trench impeccable, pour dévoiler un pull en laine qui l’était tout autant, et posa la veste sans hâte sur le dossier d’une chaise avant de s’y asseoir. « Je vais déjà en prendre deux pour aller pisser. » Pas de sourire mutin, pas de pétillement annonçant l’ânerie : comme en attestaient les cernes creusées, et les deux yeux sombres dénués de malice braqués sur Elli, Joseph était là parfaitement sérieux. « Me regarde pas comme ça, c’est ce qu’il faut pour que je sois moi. Sinon, j’en serais déjà à laper mon Earl Grey », ajouta-t-il pour parer à toute autre remarque ; en passant devant le miroir de l’entrée, il avait vu la pointe de ses cheveux s’éclaircir. Il interrompit le mouvement en direction du couloir ; ses prunelles étaient restées accrochées aux siennes, et il eut ce mouvement des lèvres qu’il avait juste avant de dire quelque chose de crucial. « Merci. » Une esquisse de sourire naquit sur sa bouche, et, peu désireux de perdre dix secondes supplémentaires –surtout enclin à vider sa vessie soigneusement compressée depuis la veille, il s’arracha à la clarté de son regard.

C’en était douloureux de bonheur.


Début 1988

Joseph affichait un sourire magnifiquement goguenard. Il était d’ordinaire le témoin d’un événement particulièrement hilarant –qu’il soit réel ou prenne simplement place dans le crâne aliéné du sorcier-, mais sans la moindre source de plaisanterie à l’horizon, et le regard embrumé de Fitch braqué sur Elli, le crâne renversé contre la porte encore close, on pouvait sans risque conclure à une descente trop importante de Whisky Pur-Feu. « T’es complètement bourrée », fit-il alors que ses fossettes semblaient vouloir chatouiller ses tempes, la distrayant de sa mauvaise foi hallucinante en tripatouillant les hanches de la batteuse des Chauve-Souris. Ils avaient allègrement fêté la dernière victoire de l’équipe ; Joseph fêta bientôt ses retrouvailles avec le lit outrageusement confortable de sa petite amie. Un nouveau sourire de nigaud en la voyant le rejoindre dans la chambre –il la regardait comme s’il venait d’apercevoir, en plein désert, la plus belle des oasis. « J’te jure de pas m’endormir tout de suite. J’ai encore assez de sang dans l’alcool pour t’envoyer au septième ciel, chérie. » Il étendit un bras vers elle sans la lâcher des mirettes ; le reste du corps suivit lorsqu'il rampa dans sa direction avec la grâce d'un ver de terre. « D’ailleurs, j’pourrais te contenter tous les soirs si t’y mettais un peu du tien. » Sourire de requin une fois arrivé contre elle ; il glissa une main sur sa joue. « Si tu ramenais toutes tes affaires chez moi la semaine prochaine, par exemple. » Ses quenottes perdirent du terrain, rapatriées derrière une grimace moins stupide. Il guettait ostensiblement sa réaction. Ce n'était, après tout, qu'un simple exemple.
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MessageSujet: Re: les fantômes (1994, Elli)   les fantômes (1994, Elli) EmptyMar 18 Aoû 2015 - 17:56

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    1988
    Elli riait bêtement, complètement acquise aux mains que Joe promenait sur son corps. Son esprit, au ralenti à cause de l'alcool, peinait à se concentrer sur l'ouverture de la porte quand l'essentiel de son attention allait à son imagination débordante alors qu'elle sentait ainsi l'américain à ses côtés. Alors elle riait, quand il lui faisait remarquer son état, quand son sourire trahissait un état d'ébriété au moins tout aussi avancé que le sien. Elle posa un instant son regard sur Joe, avant de s'approcher doucement et de capturer ses lèvres pour un baiser rapide, et l'attirer dans l'appartement enfin ouvert. Ils avaient définitivement trop bu… Du reste, la victoire écrasante de son équipe contre l'équipe lituanienne des Gorodok Gargoyles valait bien d'avoir vidé les réserves de whisky Pur-Feu du pub qui servait aussi de repère aux Chauve-Souris. Une victoire dont ils se souviendraient longtemps, un score de 400 à 150, après que deux des membres de l'équipe adverse aient été envoyés au tapis par les cognards violents des batteurs des Chauves-Souris – dont l'attrapeur, ce qui leur assurait dans le plus probable des cas, la victoire. Le pari avait donc été de revivre ce match, au travers de shooters des alcools les plus forts que la Gorgone, le pub (privatisé pour l'occasion)  pouvait leur servir. Elli avançait péniblement dans l'appartement, tandis que Joe rejoignait directement la chambre, ce traître. L'idée de boire de l'eau lui traversa vaguement l'esprit, rapidement remplacée par un autre pensée fugaces qui s'envola tout aussi vite. Alors, Elli se traîna à son tour dans la chambre, ravie à l'idée de pouvoir se prélasser dans son lit ; et dans les bras de Joe. Il était là, et il lui souriait, et ce sourire lui mangeait encore une fois tout le visage, l'illuminait véritablement, et, le cœur d'Elli fit un bond dans sa poitrine, comme à chaque fois. «  J’te jure de pas m’endormir tout de suite. J’ai encore assez de sang dans l’alcool pour t’envoyer au septième ciel, chérie.  » Elle lui répondit par un sourire mutin, s'approchant à son tour du lit et se lovant tout contre Joe quand il lui attrapa le bras pour la tirer à lui. « D’ailleurs, j’pourrais te contenter tous les soirs si t’y mettais un peu du tien. » Elli ronronna de plaisir, sans rien répondre, se contentant de laisser sa main de ça, de là -et tenter de le prendre au mot. « Si tu ramenais toutes tes affaires chez moi la semaine prochaine, par exemple. » Elle suspend à peine son geste et se contente d'un bref silence de réflexion. « Je pourrais commencer par juste une partie qu'est ce que tu en penses ? ». Ce n'était pas oui, mais ce n'était pas non, ni même un peut-être. C'était juste un début. Ils n'en avaient jamais vraiment parlé, mais sûrement que pour Joe, Elli serait capable de laisser tomber sa vie ici, démarcher les équipes américaines et partir d'installer avec lui aux Etats-Unis. En réalité, il y peu de choses, qu'elle ne ferait pas, pour lui… Leur relation, si étroite et d'une rare complicité, facile et fluide, sans jamais rien pour les opposer – jamais vraiment, jamais sérieusement – lui apportait tout ce dont elle aurait pu jamais rêver. Il lui en avait fallu, du temps, pour admettre dans un premier temps, et puis assumer, son attachement à Joseph. Le meilleur restait probablement les tabloïds sorciers qui ne savaient plus à quel mage se vouer, quand on les voyait ensemble, visiblement très amoureux, et qu'une semaine plus tard, Elli se montrait avec un autre à son bras. Ca avait été l'un des premiers suets qu'ils avaient abordé, au début, et jamais ça n'avait été une source de conflit entre eux. Parce que, quand ils se retrouvaient, ils étaient chaque fois plus amoureux, encore. Ses doigts jouent avec les boutons de la chemise, qu'elle défait lentement, l'air de rien mais les sens échaudés par ce qu'il a commencé. « Et le reste, petit à petit », continue-t-elle dans un murmure « ça te donnera de raison de continuer à m'inviter chez toi... ».

Elle finit par s'asseoir… Ça fait bien trop d'émotions en peu de temps. Et elle fait bien, car sûrement qu'elle se serait effondrée quand Joseph passe à nouveau le pas de la porte de la cuisine, enfin-lui même. Le vertige la prend en même temps que ses entrailles se tordent tant l'émotion de le revoir est violent. Ses mains se crispent autour de sa tasse sans qu'elle ne s'en rende compte, alors qu'elle le fixe, son visage devenu pâle. Elle le dévisage, même, silencieuse à présent. Ses yeux restent un moment accrochés aux siens, aux pattes d'oie d’ordinaires rieuses qu'il autour des yeux (qui restent rieurs, malgré son évidente fatigue), ses cheveux blonds en batailles. Elle s'arrête un instant sur sa mâchoire et sa bouche. Et, finalement, elle baisse les yeux, parce que c'est trop douloureux. Elli se souvient avec une rare précision de sa peau contre la sienne, de son odeur, de son souffle quand il dort, de sa sale habitude de tirer la couverture à lui. Elle se souvient de sa présence dans les vestiaires avant ses matchs importants, des cadeaux ridicules à une noise dont il la couvrait. « Je t'écoute », fait-elle d'une petite voix en lui faisant signe de s'installer en face d'elle. Plus de raillerie, plus de cynisme dans la voix. En réalité, elle est à bout de souffle, tant la précisions des émotions et des souvenirs qui refont surface est violent.
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MessageSujet: Re: les fantômes (1994, Elli)   les fantômes (1994, Elli) EmptyMer 26 Aoû 2015 - 4:56

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Joe avait beau être endormi par une profonde lassitude, les émotions s’agitaient encore, comme possédées par les dernières miettes de son énergie, devant la pile bringuebalante de souvenirs. Il n’y avait pas un bibelot, pas une odeur, pas une lumière qui ne lui rappelait les jours heureux en la compagnie d’Elli ; sa traversée du couloir, aller-retour, fut comme un insupportable voyage au cœur de leur histoire commune. Il ne détourna pourtant pas les yeux, et savoura avec amertume les sensations multiples qui s’associaient à chaque image imprimée sur sa rétine. C’était à la fois douleur et profond apaisement.

Mai 1990

« Je pourrais commencer par juste une partie qu'est ce que tu en penses ? » Les caresses s’interrompirent et Joe conserva aux lèvres ce même sourire, celui qu’il avait lors des discussions sérieuses, attendant son heure, jaugeant les mots et les expressions d’Elli –un challenge de taille, car il était aussi ivre que distrait par l’éclat des yeux verts. Quelque part en lui, on s’insurgea : une partie, ça n’était pas assez, une partie, ça n’était qu’un petit morceau d’elle quand il la voulait tout entière. Un comble pour qui tolérait le partage charnel de la joueuse ; mais Fitch, serein, confiant en elle et en lui, n’avait jamais rien trouvé à y redire –la jalousie n’avait jamais fait foncièrement partie de son caractère, et il s’était pris au jeu de lui demander des nouvelles des autres que lui. Il la connaissait assez pour savoir que lui, Joseph, occupait dans sa vie une place particulière ; c’était d’ailleurs cette certitude qui l’avait poussé à lui demander de s’installer chez lui. Et une partie d’elle dans ses quartiers, c’était certainement beaucoup plus que ce à quoi quiconque aurait pu prétendre. Mais Joe l’extrémiste ne pouvait pas se contenter d’une demi-mesure ; aussi un sourire éclatant naquit-il sur sa bouche à la suite. « Et le reste, petit à petit, ça te donnera de raison de continuer à m'inviter chez toi... » « C’est ça que je voulais entendre, je pourrai pas me contenter éternellement d’un seul tiroir de petites culottes », fit-il en plongeant lentement dans son cou, allant l’y embrasser pendant que ses doigts se faufilaient sur sa peau. « Des culottes propres, qui plus est. » Un rire léger le secoua avant qu’il ne revienne à hauteur de ses lèvres, ses paumes épousant parfaitement les côtes de la Galloise sous le tissu. « J’ai envie d’être avec toi. J’ai envie qu’on partage ce qu’on continue à garder chacun de notre côté », lui souffla-t-il sur un ton de confession ; il ne lui dirait pas qu’il voulait être avec elle, tout le temps. Il ne lui dirait pas non plus qu’elle lui donnait des envies de concrétiser ses idéaux de mariage, qu’il se trimbalait depuis son enfance texane. Il lui dirait plus tard, quand le moment serait venu ; pour cette fois, il se contenta de saisir ses lèvres ourlées.



Comment rester stoïque face à ce regard ?
Joseph, se forçant au mouvement, avait tiré la chasse pour s’installer en face de son thé –en face d’elle, vers qui il releva les yeux sans immédiatement amorcer le dialogue, comme pour leur laisser le temps, à elle comme à lui, de se reconnaître enfin comme ils se devaient. « Je t'écoute. » Fitch effaça l’imperceptible sourire qui était né malgré lui sur ses lèvres –elle n’avait pas changé, et, maintenant qu’il se sentait en sécurité au sein de leurs souvenirs, il pouvait sentir à loisir des picotements d’affection lui parsemer le coeur- et s’assit dans un raclement de gorge et de chaise. Il posa ses coudes sur la table, les bras mollement repliés devant la tasse. Il observait encore Elli, mais son regard s’était cette fois voilé d’une peine injuste ; ses épaules semblaient s’être affaissées sous le poids des événements. « C’est fini. » Les traits, brièvement détendus depuis qu’il avait trouvé refuge chez elle, se contractèrent tout juste de nouveau ; il cherchait dans ses yeux à elle un point d’attache auquel se raccrocher. Perdu, Joseph, perdu pour la première fois de sa vie. « Matt est mort, Toli est en fuite, les autres ont tous disparu d’une façon ou d’une autre... Si je remets ne serait-ce qu’un orteil aux Etats-Unis, je suis mort aussi. » Il ravala sa salive, et continua malgré l’envie terrible de se pelotonner tout contre Elli, et de respirer à nouveau son odeur ; il n’avait plus que quelques deux minutes pour faire valoir son droit à la parole. «  T’avais raison, on a fini par vouloir nous exploser, nous aussi. Et putain, ces connards, ils y sont pas allés de main morte… » Il se passa une main sur le visage, comme pour le laver de sa peine, et rouvrit les yeux pour confronter encore le regard. Une brève seconde de flottement, interrompant le fil de pensée pour mieux se recentrer sur celui qu’il n’aurait pas dû perdre de vue. L’instant et l’avenir, plutôt que l’apitoiement et les regrets ; c’était dans cette direction que le poussait la force tranquille d’Elli. Comme avant. Un frisson le saisit. « J’ai flippé. J’ai flippé comme un chiard en face de son premier Epouvantard, quand j’ai cru que c’était la fin. » Il s’humecta les lèvres, le reste du corps immobile ; seules ses pupilles allaient et venaient entre celles d’Elli, le visage mué en une impressionnante mosaïque d’émotions. « J’ai flippé pour ma mère, j’ai flippé pour Jimmy, mais j’ai surtout flippé quand je me suis dit que je te reverrais même pas une dernière fois. J’aurais préféré me faire griller d’un Incendio avant d'avoir eu le temps de dire Hippogriffe, plutôt que de passer le restant de mes jours à survivre sans toi. » Il se tut, parce qu’il n’y avait plus rien à lui dire ; il avait mis les mots sur la raison de sa présence ici, dont il avait annoncé la couleur sitôt qu’il avait mis les pieds sur le perron de l’immeuble. Il ne lui fallait pas la sécurité d’un toit, ni le réconfort d’un repas chaud ; il lui fallait tout simplement Elli.
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