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Elle. C'était elle. Il avait reconnu sa silhouette à l'instant où son regard l'avait devinée, à moitié dissimulée par l'étagère en bois. Évidemment, Lorcàn avait d'abord entendu la petite mélodie magique qui se déclenchait à l'entrée d'un ou d'une cliente. Mais sa première pensée avait été pour Ardal et son père, partis à la recherche de matières premières. Merlin savait à quel point il était difficile de trouver bois et coeur de baguettes à des prix raisonnables en ces temps. La faute des insurgés et de leur pagaille, évidemment... C'était à cause d'eux que le monde magique se portait de plus en plus mal, que le commerce vacillait et que des fournisseurs autrefois fiables leur vendaient maintenant de la camelote, soigneusement glissée entre plusieurs pièces de qualité. Au fond, c'était naturel : tout le monde essayait de tirer la meilleure épingle du jeu avec ses propres moyens. Mais les Ollivanders devaient aussi jouer leurs cartes et leur père avait bien l'intention d'abattre les meilleures de sa main. Leur réputation et leur commerce ne subirait pas les conséquences de ces temps troublés, même si cela signifiait écumer toute l'Angleterre à la recherche des meilleures ressources. Et naturellement, c'était Ardal qui avait été choisis pour l'accompagner.... ou plutôt qui s'était porté volontaire. Même si dans cette situation, cela revenait au même.

L'aîné des jumeaux avait été le premier à qui leur père s'était adressé pour cette mission et il avait dignement accepté, non sans interroger du regard son frère, dont le visage laissait transparaître tout le soulagement. Il n'éprouvait plus aucun intérêt pour ce genre d'expéditions depuis... depuis le décès de son grand-père. Et puis avec tout ce qu'il se passait dernièrement, il préférait rester tranquillement au fond de la boutique. Ranger les baguettes n'était peut être pas l'occupation la plus passionnante qui soit mais au moins cela ne craignait rien... enfin, moins que dehors. Il essayait d'ailleurs de ne pas penser à ce qu'il pouvait arriver à son paternel et son autre moitié lorsqu'ils s'absentaient toute la journée. Mais parfois, son imagination le poussait brutalement et sans préavis sur le chevalet de torture. Et cet après-midi, elle ne se priva pas de le tourmenter à nouveau lorsque la mélodie s'éleva dans la petite boutique.

Pendant cinq secondes, il les imagina revenir plus tôt que prévu à cause d'un accident, d'une attaque, d'une tragédie ou de n'importe quel autre évènement imprévisible et dramatique. Juste le temps pour lui de poser brutalement la baguette qu'il tenait dans les mains et de pencher la tête pour apercevoir la réception. Et elle.  

Si elle n'était peut être pas la dernière personne qu'il imaginait ici, elle n'était certainement pas très haut dans le classement. Et.... il n'était pas certain d'avoir envie de la voir là. Bonnie n'avait jamais été son amie et il ne se souvenait pas qu'elle lui ait déjà adressé la parole les rares fois où ils s'étaient croisés lors de soirées réservées aux sang-purs. Ils n'avaient ni le même âge, ni les mêmes centres d'intérêts et n'avaient aucune raison de se côtoyer. Pourtant.... elle était là. Aussi fière et aussi séduisante que d'habitude. Sûrement pour lui parler de sa nouvelle adhésion dans les rangs du Lord, puisque c'était la seule chose qui les liait et l'unique raison pour laquelle la jeune femme l'avait regardé la première fois.

Avec un sourire crispé, il se dissimula de nouveau derrière l'étagère, passa une main nerveuse dans ses cheveux et réajusta son gilet pour être présentable. Oui, uniquement pour cette raison ! Une inspiration plus tard, il sortit de sa cachette et s'avança tête basse vers la réception. Non, tête haute. En souriant.... mais pas trop. Dire bonjour.

 « Mademoiselle Rowle » la salua-t-il avec un signe de tête respectueux.

Il ne pouvait se résoudre à l'appeler Bonnie. Pas encore. Il baissa de nouveau la tête en se glissant derrière le comptoir. La releva. Esquissa un sourire cordial puis  écarta la boîte qui traînait sur le comptoir, la dernière création qu'il n'avait pas encore eu le temps de ranger. Juste pour que ce soit un peu plus propre.

« C'est une.... agréable surprise de vous voir ici.... et un soulagement. », avoua-t-il à mi-mots en laissant échapper un sourire plus naturel.

Peut être qu'elle lui avait déjà demandé de la tutoyer mais si c'était le cas, il ne s'en souvenait déjà plus. Et puis, il avait trop peur de la froisser. De lui manquer de respect.

« Je peux vous être utile ? » , demanda-t-il avec enthousiasme, le regard brillant.
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En pénétrant dans la boutique, Bonnie n'avait pas vraiment d'idée précise en tête. Elle n'avait pas prévu de venir ici au départ. Elle avait simplement des achats à faire chez l'apothicaire et c'était la raison de sa présence sur le Chemin de Traverse. Puis elle avait vu Ollivander's, et avait pensé à Lorcàn. Elle ne savait pas encore précisément quoi faire de lui, mais elle avait déjà une petite idée. Elle n'était pas aveugle, elle avait bien remarqué le regard qu'il posait sur elle. Elle avait bien vu l'attitude qu'il adoptait face à elle. Au départ, elle n'y avait pas vraiment prêté attention. C'était certes toujours flatteur, d'autant que Lorcàn était très beau garçon, mais ce n'était pas vraiment son genre d'homme. Elle les préférait plus âgés, plus sûrs d'eux et plus ténébreux. Mais ils avaient été amenés à échanger ensemble car le jeune homme voulait rejoindre les rangs du Lord, et elle avait décidé de rester dans ses petits papiers. Tout d'abord, la famille Ollivander était très connue dans le monde magique et compter l'un d'entre eux parmi les mangemorts était stratégiquement pertinent, encore fallait-il qu'il soit compétent. Bonnie n'avait que très peu d'expérience encore, mais elle pouvait d'ores-et-déjà le conseiller. Ensuite, c'était également intéressant pour elle de pouvoir se rapprocher de cette famille. Elle se devait de multiplier les relations si elle voulait pouvoir gravir les échelons.

Mais peut-être tout cela n'était-ce que des excuses, au fond. Peut-être avait-elle tout simplement envie de s'amuser un peu et de profiter du pouvoir éphémère qu'elle avait sur ce garçon. Car elle n'avait pas vraiment de stratégie précise ni même de véritable but dans tout ça. C’était juste un jeu, pour passer le temps. Pour profiter un peu de cette faiblesse et voir jusqu'où il serait capable d'aller pour elle. La boutique était là, elle l'appelait. Bonnie s’était dirigée vers elle instinctivement, comme si ses pieds l’avaient portée tous seuls. Elle n’avait même pas songé au fait que Lorcàn ait pu tout simplement ne pas y travailler ce jour-là. Elle avait poussé la porte, et attendu, se préparant à être accueillie par Ollivander père et à demander à voir Lorcàn. Mais ce fut le jeune homme lui-même qui apparut. Il semblait nerveux. Il était toujours nerveux en sa présence. Elle ne sourit pas, pas tout de suite, se contentant de le transpercer de son regard de glace. Elle s’était toujours montrée relativement froide avec lui. Relativement, car en réalité, elle l’était sans doute moins qu’avec d’autres personnes, mais il ne pouvait certainement pas se rendre compte de ce détail. Peut-être était-il temps de se montrer un peu plus bienveillante à son égard. Souffler le chaud et le froid, voilà quelque chose qui marchait toujours dans la manipulation.

« Bonjour Lorcàn », répondit-elle quand il la salua. Elle prenait un malin plaisir à le tutoyer et à l’appeler par son prénom alors qu’il faisait preuve de déférence envers elle en retour. Elle avait ainsi l’impression d’être son professeur, ce qui éveillait en elle une sorte de fantasme. Les gestes du jeune homme étaient toujours empressés, signe de son trouble. Cette maladresse associée à son sourire le rendait adorable. Tellement adorable qu’elle avait envie de le maltraiter. Il bredouilla quelques mots, et ce fut à son tour d’être surprise. Un soulagement, vraiment ? Avait-il craint de ne jamais la revoir ? C’était mal la connaître, mais il était vrai qu’il ignorait tout d’elle, au fond. Et ce fut suite à sa question qu’elle se décida enfin à lui adresser un sourire, sans doute le premier qu’elle lui offrait. Il n’imaginait pas à quel point, en effet, il pouvait lui être utile.

« En réalité », commença-t-elle, « je passais simplement par là, et j’ai eu envie de te voir. » Une fois n’étant pas coutume, elle était sincère. Et elle savait qu’il apprécierait. Elle s’accouda au comptoir pour se pencher vers lui et son sourire s’effaça, laissant place à une moue un peu boudeuse. « Je m’inquiétais de ne plus avoir de tes nouvelles », expliqua-t-elle. « Tu sais », ajouta-t-elle en reprenant son habituel ton austère, « tu n’avais pas besoin d’attendre que je te recontacte, tu peux m’envoyer un hibou quand tu veux si tu as besoin de me parler. C’est normal, je suis là pour t’aider. » Et elle ne comptait certainement pas laisser cette opportunité à quelqu’un d’autre. Elle se redressa alors puis décida sans y être invitée de faire le tour du comptoir pour se retrouver véritablement face à lui, sans obstacle. Puis, sans crier gare, elle lui prit la main et la leva délicatement vers elle, sans lâcher le jeune homme du regard. « J’ai besoin que tu sois prêt… » Elle releva sa manche jusqu’à son coude. « …pour ça. » Et avec une extrême douceur, elle dessina une marque des ténèbres virtuelle à l’intérieur de son avant-bras en l’effleurant de ses doigts fins. Un silence religieux s’installa. Elle pouvait entendre le cœur de Lorcàn battre et ce son résonnait comme une douce mélodie à ses oreilles. Même elle devait se reconnaître quelque peu troublée par cet échange.

Elle finit par cesser ses caresses, presque à contrecœur, mais ne lâcha pas sa main pour autant. « Et si tu veux en plus de mon aide celle de quelqu’un de plus expérimenté », reprit-elle, plongeant à nouveau son regard céruléen dans les prunelles tout aussi azurées du jeune homme, « je peux te présenter à Rodolphus Lestrange, nous sommes très proches tous les deux. » Elle ponctua sa phrase d’un regard ardent et d’un sourire malicieux, laissant planer un doute sur la nature de sa relation avec Rodolphus uniquement pour le titiller un peu. Puis elle jeta un coup d’œil inquiet à la porte d’entrée de la boutique, faussement inquiet, car en réalité elle se moquait bien d’être surprise dans cette posture. « Y a-t-il un endroit où nous pourrions parler plus tranquillement… à l’abri des regards ? » s’enquit-elle auprès du jeune homme, consciente du caractère équivoque de sa demande. La proie était pour ainsi dire ferrée, elle n’avait plus qu’à la cuisiner et à la grignoter, lentement.
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