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Le 29 août 2002 Sa pratique vient de se terminer. Les événements qui secouent le Royaume-Uni, sans jamais sembler se calmer, n'empêchent pas l'orchestre national de se produire et ils ont une série de concerts à venir. En sa qualité de premier violon, il se doit donc d'être irréprochable. Ce qu'il est, bien évidemment. Il n'a jamais rien à se reprocher, de toute manière. Il n'empêche qu'il est un élément stressant de l'orchestre, rigide, et que les pratiques, de plus en plus nombreuses ces jours-ci, de plus en plus exigeantes, le fatiguent. Pas autant que les autres musiciens le sont, mais assez pour que son humeur s'en ressentent envers ses collègues. L'après-midi est donc bien avancé, ne laissant pas encore place à la soirée, et lui est venue l'idée d'aller rejoindre sa fiancée à l'endroit où elle passe bien du temps, soit le Blue Velvet. Ce qui en reste, surtout, et qui reprend forme, sous les ordres de Melusine et de Mark.
Dans son étui, son violon. Soigneusement rangé. Il refuse de le laisser à la salle de l'orchestre. Il n'a pas confiance en eux. En personne. Presque. À sa main, une seule fleur. Une pivoine blanche, délicatement entourée de papier transparent, ses pétales si clairs que le pelage d'une licorne en semblerait presque terne. Une variété rare, magique. Une fleur soigneusement choisie, pour la plus belle de toutes.
Son pas assuré le mène jusqu'au Chemin de Traverse, qu'il parcourt sans s'attarder sur les boutiques moins léchées, celles encore en construction, celles détruites. Seule celle du cabaret de jazz l'intéresse. Il en pousse la porte avec discrétion, arrivant au milieu d'une discussion entre les deux propriétaires de l'établissement et quelques ouvriers encore présents, alors que la journée s'achève bientôt. Il en profite pour détailler les lieux, ses lunettes reprenant leur totale transparence. Il doit le dire... il est impressionné. Agréablement, même. Il ne doit pas rester trop de travaux à faire, mais il sait bien que Melusine est aussi perfectionniste que lui-même peut l'être. Le Blue Velvet ne rouvrira pas avant qu'elle soit entièrement satisfaite des rénovations. Il observe les tables, les murs, la poussière de bois qui parsème le plancher. Plus loin, debout sur ce plancher poussiéreux, impérieuse, splendide, statue de marbre, divinité à vénérer, se dresse Melusine. Se dresse est bien le verbe : ses talons la rendent si grande, vertigineuse, il y a de quoi perdre la tête. Perdre tous ses moyens. Comme ce pauvre Mark, qui est le premier à remarquer le Mangemort dans la boutique. L'homme lui adresse un signe de tête et vient à sa rencontre, lui tendant une main raide, protocolaire. Tous deux savent ce que l'autre est. Tous deux savent que la visite de Louis dans le cabaret de jazz est tout sauf fortuite et n'est certainement pas uniquement pour s'assurer du bon avancement des travaux. Pas uniquement pour venir soutenir sa tendre et chère dans son entreprise, jouer à l'homme épris, transis de bonheur et d'admiration. Tous deux savent qu'ils ne sont que des animaux. Tellement primaires.
« Mark. M. Werner. L'étui de violon est posé sur une table et les deux mains se serrent, toujours avec raideur et une force surprenante, d'un côté comme de l'autre. Jamais Louis. Toujours M. Werner. C'est bien pour le satisfaire. Je viens vous interrompre à peine quelques minutes... si ma fiancée désire bien de ma compagnie. Doux amusement, auquel seul un visage sérieux lui répond. Mark a déjà été jovial, plus sympathique, envers lui. Chose oubliée, depuis ses fiançailles avec Melusine. Pensez-vous rouvrir bientôt ? » Qu'il puisse revenir ici admirer celle qui porte sa bague à son doigt, qu'il puisse marquer, encore et toujours, chaque soir s'il le faut, son territoire.
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