Elle ne put s'empêcher d'esquisser un sourire amusé à sa remarque. Peut-être en effet ne s'agissait-il pas de courage mais d'inconscience de sa part. Peut-être était-il un peu trop sûr de lui et ne pensait-il pas suffisamment aux conséquences qu'un tel acte impliquait. Mais c'était aussi ce qu'elle aimait chez lui, son audace, son assurance, son culot. Et elle devait reconnaître que cette soudaine prise de risque de sa part, cette volonté de s'engager pour une cause aussi dangereuse éveillait en elle une certaine admiration, admiration qui se transforma en tentation quand il évoqua la mort du Lord. L'idée qu'Alec pût participer à l'assassinat de l'homme le plus puissant du royaume magique faisait naître en elle une certaine excitation, et ce même si cet éventualité risquait de la mener à sa perte. Le jeune homme ne pourrait que la protéger n'est-ce pas ? Même s'il ne voulait visiblement pas d'elle à ses côtés…

Elle ne pouvait nier que les arguments de son ami tenaient la route. Si elle se présentait maintenant aux insurgés, elle risquait, au mieux, d'être méfiée de tous, au pire, d'être lynchée. Ce n'était vraisemblablement pas une bonne idée. D'un autre côté, son cœur se brisait quand elle songeait qu'elle ne pourrait plus jamais avoir de contact avec Alec de quelque façon que ce soit. Il avait beau lui dire qu'elle était en sécurité ici, elle serait incapable de l'aider, et surtout, quelle preuve pourrait-elle donner qu'elle avait toujours été de son côté ? Elle serait pour toujours une mangemort, complice de leurs actes. Bien sûr, elle l'avait véritablement été, mais les choses étaient différentes aujourd'hui. Elle ne se sentait plus complètement en sécurité dans sa cage dorée. Si les insurgés gagnaient, s'ils tuaient le Magister, elle serait immédiatement considérée comme complice et punie. Elle risquait la mort, et elle le savait.

« Alec... », commença-t-elle alors. « Je te souhaite de réussir, mais je ne serai pas en sécurité si c'est le cas, et tu le sais... » Elle s'empara à son tour de la main du jeune homme et lui lança un regard ardent. « Tu es bien loin d'être un con, je sais très bien que si tu te lances là-dedans, c'est que tu as déjà tout prévu. Tu n'es pas du genre à laisser les choses au hasard, n'est-ce pas ? » Elle se rapprocha de lui, le regard concupiscent, et posa sa main sur sa nuque. « J'aime ta détermination… et tu me connais bien, je fais ce que je veux, et non ce qu'on attend de moi... » Elle l'attira à elle pour lui offrir un baiser langoureux. Il ne s'agissait pas d'une quelconque tentative de manipulation de sa part, d'autant qu'elle savait très bien que le jeune homme n'était pas vraiment dans l'optique de s'envoyer en l'air ce jour-là. C'était elle qui en avait soudain envie, parce qu'elle le trouvait extrêmement attirant quand il jouait ainsi les héros. Elle vint déposer quelques baisers dans son cou avant de murmurer à son oreille. « Laisse-moi rester un peu à tes côtés avant ton départ... » Puis elle s'écarta de lui et le gratifia d'un regard résolu, presque acéré. « Je veux qu'on reste en contact. Je veux être certaine que tu ne m'oublieras pas et que je ne ferai pas partie de tes victimes si tu l'emportes. »

« Je te souhaite de réussir, mais je ne serai pas en sécurité si c'est le cas, et tu le sais... »

Il s'apprêtait à répondre, mais l'intensité de son regard le coupa. Les mots étaient là, mais il la voyait surtout se rapprocher, se faire plus lascive, tactile à mesure que les secondes s'enchaînaient. Il aurait voulu l'interrompre, avait commencé un « Qu'est-ce qu... » Mais elle le fit taire d'un baiser qui lui en fit pratiquement oublier le sujet. Sa proximité, sa chaleur, le parfum qu'elle dégageait, toutes les douceurs et voluptés que sans les formuler, elle lui promettait. Il aurait pu s'y perdre, ce ne serait pas la première fois qu'il le faisait, la laisser prendre le contrôle des détails, ne plus rien penser... Mais une part de lui, et non des moindres dans ce genre d'affaire, refusait de se laisser influencer. Elle s'écarta, enfin, et ses mots parvinrent, cette fois, à l'atteindre.

« Je veux qu'on reste en contact. Je veux être certaine que tu ne m'oublieras pas et que je ne ferai pas partie de tes victimes si tu l'emportes. »

Il secoua la tête de droite à gauche et la repoussa un peu plus, comme s'il émergeait d'un long sommeil. Encore groggy de l'enchantement des plus naturels dans lequel elle aurait pu, n'importe quel autre jour, le capturer. Un mot passa ses lèvres, sans réflexion.

« Non... »

C'était un faible son, à peine perceptible, mais leur proximité le rendait parfaitement audible. Il précisa, encore un peu confus :

« Pas pour te protéger ou rester en contact. Pour cette autre chose que tu envisages là, maintenant. »

Pas maintenant, pas comme ça. Il n'en avait pas vraiment envie et, lorsque la motivation n'y était pas, on y perdait en qualité. Quant au véritable sujet, elle semblait ne pas comprendre que même si ses projets fonctionnaient, la victoire ne serait pas la sienne. Ce serait celle des insurgés. Il n'aurait été qu'un rouage, peut-être le premier, mais un rouage tout de même dans la machine du succès. S'il les rejoignait, c'était parce qu'il avait autant besoin d'eux qu'ils avaient besoin de lui. Et la gloire ne l'intéressait pas plus que ça. Même s'il ne dirait pas non à une carte de chocogrenouille à son effigie, pour ce projet-là, il aurait toute sa vie.

« Je ne suis pas seul dans cette affaire, mais je tâcherai de plaider en ta faveur. Essaye de garder les mains propres, ça devrait compter lors du procès. »

Il y aurait un procès, bien évidemment. Eux n'étaient pas des monstres, ils n’exécutaient pas au nom d'un tyran. S'ils voulaient reconstruire une société sur des bases saines, ce serait une obligation. Quant à maintenir leurs liens, c'était compliqué.

« Et je ne sais pas si je pourrai garder le contact, là-bas. Désolé. Tu sais que les hiboux sont surveillés. »

Il ferait son possible, essaierait. Aucune promesse qu'il ne pourrait pas tenir, c'était une chose qu'il abhorrait.

Elle s’était attendu à ce qu’il la repousse, voyant bien qu’il était véritablement sérieux dans ses propos et sans doute peu enclin à s’épancher dans la luxure. Mais elle avait tout de même espéré qu’il soit réceptif, qu’il flanche un peu, qu’il regrette de devoir ainsi la quitter. Il n’en fut rien. Il la rejeta comme si elle n’était qu’une succube qui tentait de le pervertir, voire de le tuer, et elle en fut non seulement frustrée, mais extrêmement humiliée. Son visage s’assombrit, perdant le peu d’éclat qu’il lui restait encore après cette entrevue. Elle gardait toutefois l’espoir qu’il accepte de garder contact, puisque c’était ce qu’il venait de sous-entendre. Ce n’était certes pas le bon moment, mais ils auraient l’occasion de se revoir.

Elle déchanta hélas bien vite. Elle n’aimait pas du tout la tournure de ses propos, qui semblaient signifier qu’il voulait bien lui accorder une faveur sous certaines conditions, quand il aurait dû être évident qu’il serait toujours là pour la défendre. Elle avait soudain l’impression de n’être qu’une étrangère à ses yeux. Mais au fond, c’était peut-être ce qu’elle était à présent, une femme qui ne valait pas la peine que l’on s’intéresse à elle puisqu’elle n’était pas dans le bon camp. Elle accusa le coup avec difficulté, et les derniers mots du jeune homme vinrent finalement l’achever. Cette fois, il était on ne peut plus clair. Mais à bien y réfléchir, il l’avait été depuis le début. En se remémorant les faits, Bonnie comprit qu’il n’avait jamais eu l’intention de la faire entrer dans une quelconque équation. C’était elle qui était venue ici, si elle ne l’avait pas fait, il ne l’aurait sans doute jamais avertie de son départ. Il avait essayé d’y mettre des formes, sans doute pour ne pas la vexer, mais il n’avait jamais montré une once de regret. En outre, il avait tout fait pour la dissuader de s’en mêler d’une quelconque façon. La conclusion était évidente : il ne voulait plus d’elle.

Elle lui lança un regard lourd de reproches. « J’avais raison finalement, je te dégoûte vraiment. » Son visage était fermé à présent. « J’ai bien compris que je n’avais plus aucun intérêt à tes yeux », lança-t-elle d’un ton amer. « Est-ce que j’en ai déjà eu un d’ailleurs, à part celui de pouvoir t’envoyer en l’air ? Mais même pour ça je ne trouve plus grâce à tes yeux maintenant. » Elle se leva et le toisa de toute sa faible hauteur. « Je pensais que depuis le temps qu’on se connaissait, tu me faisais confiance, mais je constate que ce n’est pas le cas. Eh bien pars ! », siffla-t-elle d’un ton sec, furieuse. Elle voulut se diriger vers la porte mais elle n’en avait pas complètement fini. « J’avais un plan, moi aussi », révéla-t-elle. « J’aurais pu apporter ma contribution. Mais tant pis. » Sa voix se brisa. Elle songea à tous les moments qu’elle avait pu passer aux côtés du jeune homme et en eut le cœur lourd. « Alors, tu vas vraiment me laisser tomber sans aucun regret ? » s’enquit-elle une dernière fois avec mélancolie, la voix légèrement tremblante, estimant qu’elle n’avait à présent plus rien à perdre.

Pourquoi réagissait-elle ainsi ? Il avait fait un effort pour elle, n'avait pas menti. Préférait-elle des promesses creuses à la vérité qu'il lui offrait ? Il n'avait rien dit de tel, mais elle s'emballait, prêtait à ses propos un sens qu'ils n'avaient pas. Que pouvait-il donc faire contre ça ? C'était tout un film qu'elle se faisait et il était bien en peine de savoir comment l'arrêter. Même si ça ne l'empêcherait pas d'essayer !

Il fit quelques pas dans sa direction. Sans un mot, traversa son espace personnel sans réellement s'en soucier et la pris dans ses bras. L'étreignant dans un silence seulement ponctué d'un mot, murmuré au creux de l'oreille :  « Idiote. » Sur ce coup là, elle l'était. Elle avait besoin d'étendre son horizon, enlever ses œillères et admettre que sa vie à lui ne tournait pas autour d'elle. Cependant, on ne pouvait pas vraiment dire que ce soit le moment pour lui faire comprendre qu'être importante ne signifiait pas qu'elle était la seule personne importante.
Bien sûr que leur relation ne se limitait pas à faire grincer les ressorts des matelas. À une époque, il l'avait aimée. Peut-être pas autant qu'elle le méritait, mais il l'avait fait avec sincérité. Il lui avait donné ce qu'il pouvait. Et lorsque cela s'était terminé, il lui avait même accordé son amitié et l'occasion de poursuivre leurs ébats endiablés. Que les ébats cessent ne signifiait pas qu'il rejetait d'emblée tout le reste.

« Ce n'est pas parce que je pars que tu cesses d'être importante pour moi. »

Il existait une possibilité, pourtant, pour que ce soit le cas. Trop infime pour être mentionnée. De toute façon, si cela advenait, elle ne serait pas la seule personne qu'il oublierait. Tout, sans exception, serait effacé. Alec Donovan disparaîtrait à jamais. Un bien faible sacrifice, s'il permettait d'obtenir un monde en paix.

Lentement, il recula, la libérant de l'étau que formaient ses bras.

« Reste donc un peu, à moins que ton intérêt pour moi ne soit lié qu'à ce que nous faisons sous les draps ? »

Un rictus moqueur apparut brièvement, disparaissant presque entièrement ensuite. Il avait le droit de la taquiner un peu. Après tout, elle avait employé le même genre de phrase à son égard et ils avaient tous deux largement besoin de dédramatiser.
Puis, si elle avait vraiment un plan, il était quelque peu curieux de l'écouter. Honnêtement, il doutait que ce soit très élaboré, mais peut-être bien qu'il la sous-estimait. Elle était une manipulatrice plutôt habile, c'était un fait qu'il pouvait encore constater aujourd'hui. Peut-être même qu'elle ne s'en rendait même pas compte, mais lui le voyait. Il jouait le jeu. Parce qu'il l'aimait bien, parce que ça l'amusait, lui tenait l'esprit occupé.
Il en avait besoin. Ne jamais s'ennuyer était le mot d'ordre, et c'était difficile tant la plupart des gens étaient limités, décevants. Ils étaient lents à comprendre ce qui lui paraissait évident, suivaient des schémas de pensée étriqués et semblaient incapables de voir les connexions pourtant simples entre des choses clairement reliées. Enfin ! La stupidité était une maladie incurable et fort répandue chez les représentants de l'humanité. Et lui était probablement un merveilleux exemple de Serdaigle raté. Pratiquant avec bonheur le snobisme intellectuel plutôt qu'aristocratique. Il en aurait presque ri, se serait moqué de son arrogance une fois de plus révélée, mais Bonnie était là et la politesse exigeait qu'il ne se remette pas à dériver.

Bonnie ne voulait pas sortir de cette pièce. Elle ne voulait pas obéir à ses pulsions et partir en colère en sachant qu’elle ne le reverrait peut-être jamais. Mais sa fierté était très forte et la poussait vers la sortie. Elle était donc en proie à une véritable lutte intestine pour savoir si oui ou non elle devait évacuer les lieux. Heureusement, Alec décida à sa place en venait subitement l’enlacer. Pendant une fraction de seconde, elle songea à se débattre, par orgueil, mais abandonna immédiatement cette idée, trop heureuse et soulagée qu’il ait fait cet effort pour elle, pour lui faire comprendre qu’elle n’était pas insignifiante à ses yeux. Même l’insulte qu’il lui glissa à l’oreille sonna pour elle comme un compliment, parce qu’il la traitait certainement d’idiote pour avoir eu ce genre de pensée. Elle lui rendit son étreinte avec ferveur, s’abandonnant un instant dans ses bras, sachant que cela ne durerait hélas pas. Et il lui confirma par les mots ce qu’elle avait espéré. Ce n’était pas grand-chose à côté de son départ, bien sûr, mais ça avait son importance pour elle. Elle ne voulait pas être balayée du jour au lendemain.

Il s’écarta alors, et elle eut soudain, à nouveau, une boule dans la gorge. Elle allait peut-être devoir partir. Mais ce n’était pas encore tout à fait fini. Les paroles du jeune homme la firent rire, un rire un peu nerveux, un peu amer, mais un rire tout de même, et elle en avait bien besoin. « En grande partie », répondit-elle, taquine, saisissant là une opportunité de relâcher la pression. « Je vais peut-être être encore plus frustrée si je reste », ajouta-t-elle d’un ton mutin. Elle déposa un baiser sur sa joue. [color=#009966]« Merci », souffla-t-elle. Puis, désignant les débris de verre et de whisky sur le sol : « Assieds-toi, je vais nettoyer ça. » En deux ou trois coups de baguette le sol fut comme neuf. « Bon, du coup, tu permets que je me resserve ? » demanda-t-elle en souriant. « J’en ai bien besoin. » Et sans attendre de réponse, elle leur servit un verre de whisky à tous deux et tendit le sien devant elle pour trinquer avec lui. « À ton départ pour sauver le monde », dit-elle avec un sourire triste.

Elle but son verre d’une traite et se réinstalla sur le lit en soupirant. Elle devait respecter son choix, elle le savait, mais elle avait encore du mal à le digérer. Elle ne s’était pas du tout attendue à ça. Elle avait toujours été persuadée qu’Alec était un opportuniste – ce qui pour Bonnie était évidemment un compliment – et qu’il serait donc toujours du côté du gouvernement, quel que soit son bord et ses idées, tant qu’il pouvait continuer ses petits trafics. Il ne semblait pas avoir de difficultés pour bien vivre, même s’il manquait sans doute de stabilité, alors pourquoi ce revirement subit ? Sans doute pour les mêmes raisons qui faisaient qu’elle commençait elle-même à douter du bienfondé de ce gouvernement. Mais pour le moment, elle était encore en phase d’interrogation. Elle sentait, au fond d’elle, qu’il fallait qu’elle creuse un peu dans cette voie, et leva les yeux sur son ami. « Tu sais, j’étais sérieuse pour les hiboux. Ça devrait peut-être pouvoir s’arranger. Les hiboux, ou un autre moyen de pouvoir communiquer. »

« En grande partie »

Il aurait pu répliquer par un « Je le savais ! » faussement choqué, mais elle poursuivit et il fit de son mieux pour ne pas l'interrompre. Une résolution qui le retint de réagir lorsqu'elle s'occupa de nettoyer les débris. Il n'aimait pas qu'elle fasse le ménage chez lui, c'était à lui de le faire, question de principe. Il le toléra tout de même, si cela pouvait l'aider... Puis, c'était elle qui l'avait renversé. Il alla donc s'asseoir sagement comme elle le lui avait ordonné et patienta jusqu'à ce qu'elle se soit resservie. Ce n'était pas vraiment comme s'il avait son mot à dire à ce sujet non plus. Ça n'avait pas eu d'importance les deux premières fois, ce n'était pas maintenant que ça en aurait. Quoiqu'elle en était déjà à son troisième et, d'une certaine manière, cela se ressentait à sa manière de trinquer. « À ton départ pour sauver le monde ». Il prit son verre et répondit tout de même, malicieux, « A ce qui n'est jamais aussi perdu qu'on le croit. » C'était quelque peu cryptique, certes, mais cela pouvait tout aussi bien s'appliquer à eux qu'à d'autres surprises que l'avenir réserverait à tous les sorciers de Londres. Et puis, il fallait s'amuser, dans la vie.

« Tu sais, j’étais sérieuse pour les hiboux. Ça devrait peut-être pouvoir s’arranger. Les hiboux, ou un autre moyen de pouvoir communiquer. »

C'était mort pour les hiboux, pour les patronus aussi. Savait-elle produire un patronus corporel ? Un patronus messager, qui plus est ? Il n'en savait rien. Ce n'était pas vraiment le genre de choses dont ils discutaient. La poste moldue aurait pu fonctionner, mais pour elle, ç'aurait sûrement été s'abaisser. Et puis, il imaginait déjà la tête du facteur qui lirait l'adresse sur l'enveloppe :

Alec Donovan
Quelque part au fond des bois.
Troisième tente à droite du grand chêne.
Grande-Bretagne

Ce qu'il leur fallait, c'était un moyen de communiquer qui ne révèle pas sa position et ne puisse pas être utilisé contre eux. Un lieu de dépôt était également exclu, leurs allées et venues ne passeraient pas inaperçues. Il y avait ça aussi, c'était un peu vieillot, mais...

« Il y a les tomes jumeaux. Mais encore faut-il en trouver. »

Les tomes jumeaux étaient très en vogue au dix-neuvième siècle, parmi les sorciers. Désormais, il n'y avait plus que chez les antiquaires et dans les vieux greniers qu'on avait une chance d'en trouver. Deux livres identiques et enchantés pour que tout ce qui était noté sur l'un apparaisse sur celui qui lui était lié. Et vice-versa. Les romantiques, ceux qui étaient allergiques aux hiboux et les étourdis chroniques les appréciaient. En cherchant bien parmi ses contacts, il devrait bien en trouver un qui saurait lui en refourguer.

« Et, si on en trouve, il faudra se mettre d'accord sur des règles. Ne jamais signer, par exemple. Et peut-être employer une phrase codée. »

On ne sait jamais que les livres soient dérobés. Puis, ça avait un côté 'histoire d'espions' qui avait tout pour le contenter. Difficile de sortir des rêves d'enfant dans lesquels on avait baigné. Avant de foncer, toutefois, il fallait être sûr de n'avoir rien oublié.

« Sauf si tu as une meilleure idée ? »

Au fur et à mesure de ses échanges avec Alec, Bonnie commençait à se demandait quelle serait la meilleure solution concernant la suite. Il était évident à présent qu'elle allait devoir suivre, de près ou non, ce qui se passait dans son supposé camp, dans les hautes instances en particulier, mais également du côté des insurgés. Jusqu'à présent, elle ne s'en était jamais vraiment soucié, mais les récents événements la faisait changer d'avis. Elle tenait à garder contact avec Alec. C'était le seul qui pouvait la tenir au courant de l'évolution de la situation. Concernant les hiboux, elle savait pertinemment qu'ils étaient surveillés, mais elle avait pensé tenter d'obtenir une nouvelle faveur auprès de Lazarus, qui ne lui refusait pour ainsi dire rien. Toutefois, elle n'ignorait pas que c'était délicat. Le mangemort était certes obsédé par l'idée de l'épouser, mais il ne perdait pas la raison pour autant. Il était encore assez lucide pour déceler quelque chose de suspect dans le fait de vouloir envoyer des hiboux non surveillés.

Mais Alec, à qui les idées ne faisaient jamais défaut, lui proposa une alternative intéressante. Les tomes jumeaux étaient certes des objets très difficile à se procurer. Toutefois, le Département de la Justice Magique regorgeait d'objets confisqués en tout genre, et il ne serait pas étonnant d'y trouver ces fameux tomes. Encore fallait-il chercher au bon endroit, et en toute discrétion. Mais elle commençait à avoir l'habitude de fouiller dans les archives et autres dossiers délicats voire interdit. Jusqu'à présent, on lui faisait confiance, il n'y avait pas de raison que cela change subitement. « Les tomes jumeaux, je m'en occupe », annonça-t-elle en acquiesçant d'un signe de tête déterminé. « Quant à toi », ajouta-t-elle avec un sourire malicieux, « tu peux t'occuper de nous trouver un code, je suis sûre que c'est le genre de chose que tu adores faire. » Depuis qu'elle le connaissait, il s'était toujours montré rusé, débrouillard et imaginatif, il pouvait donc bien faire honneur à ces qualités pour inventer le parfait langage crypté.

« Il va donc falloir qu'on se voie une dernière fois avant ton départ », fit-elle justement remarquer, « si tu veux que je te donne ton tome et qu'on établisse une stratégie. » Elle se mordit la lèvre. Elle savait qu'elle s'engageait dès à présent dans quelque chose d'extrêmement délicat. Si elle venait à être découverte, elle risquait sa vie. Mais cette perspective avait le mérite de lui apporter une certaine dose d'adrénaline. Elle avait toujours adorer jouer les espionnes, et c'était assez grisant pour elle de se dire qu'elle allait cette fois le faire à bien plus haute échelle. Restait que si elle se mettait elle-même en danger, il fallait qu'elle évite d'embarquer ses proches dans la même galère. Elle se fit la promesse de ne jamais parler à personne de tout ça, pas même à Anita. Surtout pas à Anita d'ailleurs, car son obsession pour Aramis Lestrange était un peu trop forte. « Pour te prouver que tu peux me faire confiance », reprit-elle, car il était évident que ce sujet viendrait sur le tapis puisqu'elle était tout de même une mangemort, « je ne te demanderai jamais où tu te trouves, ni même la moindre information sur les insurgés, si ce n'est concernant leur santé. C'est moi qui te fournirai des renseignements sur le gouvernement. » Elle était loin d'être au courant de tout, évidemment, mais elle apporterai ce qu'elle pourrait.

Apparemment non, pas d'autre idée, puisqu'elle affirmait pouvoir s'en occuper. À lui de trouver un code à employer. Ce ne serait pas bien difficile, certaines de ses anciennes activités reposaient sur des messages codés. C'était même l'un d'eux qui avait amené le jeune Ronald à se dévoiler. 'Jeune', avec le temps, les années de différence s'effaçaient. Ils n'étaient plus des adolescents, ni l'un, ni l'autre. C'était ce message qui avait tout déclenché, mis en route une machine qui n'attendait qu'une opportunité. Des années que, consciencieusement, il s'y préparait. À son rôle dans cette guerre, à la place qu'il tiendrait.

« Il va donc falloir qu'on se voie une dernière fois avant ton départ, si tu veux que je te donne ton tome et qu'on établisse une stratégie. »

Il acquiesça. Quelques consignes, recommandations, la clé du code, une dernière étreinte, peut-être ? Un dernier témoignage des liens qu'ils avaient partagés. La suite de ses paroles, pourtant, le fit tiquer.

« Pour te prouver que tu peux me faire confiance, je ne te demanderai jamais où tu te trouves, ni même la moindre information sur les insurgés, si ce n'est concernant leur santé. C'est moi qui te fournirai des renseignements sur le gouvernement. »

Avait-il bien entendu ? Venait-elle sérieusement de lui proposer de faire ça ? Elle n'était pas sérieuse, si ? Son premier réflexe fut, bien sûr, de s'y opposer. C'était trop risqué. Il ne voulait pas qu'elle se mette en danger. Il renonça.
Pour la même raison qu'il avait refusé plus tôt de la décourager. Elle n'en ferait qu'à sa tête. À quoi bon perdre son temps à l'en empêcher ? Bonnie était libre, amoureuse de sa liberté, trop pour se laisser emprisonner, ne serait-ce que par des idées.
La part pragmatique de son être approuvait la proposition. Même de là où il se tenait, il avait pu constater le manque de renseignements qui affligeait les insurgés. Une source d'une telle qualité, aussi bien placée... En leur nom à tous, il se devait d'accepter. Même s'il se sentait mal, avait l'impression de l'exploiter. Le temps filait. Elle attendait une réponse, une réaction.

« Promets moi d'être prudente. »

Devait-il lui demander de prêter un serment inviolable ? Se livrer à un pacte de sang ? Il voulait juste qu'elle s'en sorte. Au-delà de ça, n'oubliait-il pas le plus important ? La chose que tous ceux que ses renseignements pourraient contribuer à sauver ? Ceux qui ne sauraient jamais que c'était à elle qu'ils devaient d'exister ? Même s'il ne pouvait parler en leur nom ou même en celui des insurgés, il y avait une personne pour qui il avait pleinement le droit de s'exprimer. Au nom d'Alec Donovan, ou quel que soit celui qu'il utiliserait, il pouvait le lui dire, sans honte. Rien qu'un petit mot, pourtant d'une grande valeur.

« Merci. »

Ce n'était pas grand-chose, au regard de ce qu'elle lui offrait, mais c'était réellement tout ce qu'il pouvait lui donner. Ça et l'assurance que, s'ils gagnaient, elle s'en sortirait.

Peut-être était-elle folle. Peut-être agissait-elle un peu trop en suivant son instinct et pas assez sa raison. Se rendait-elle vraiment compte de ce dans quoi elle s'engageait, des dangers auxquels elle se confrontait ? Sans doute pas vraiment, pas encore. Cela lui semblait facile. Après tout, elle n'aurait qu'à écrire dans un simple livre les informations qu'elle apprendrait de la bouche de Rabastan, de Draco ou d'autres. Cela n'avait pas d'importance. Qui irait fouiller dans les affaires d'une simple secrétaire, qui plus était si dévouée à son patron ? Peut-être prenait-elle les choses un peu trop à la légère, excitée à l'idée de devenir une intrigante, de participer à un jeu d'espionnage. Mais tout cela n'avait rien d'un jeu, ou alors, il était extrêmement dangereux. Était-ce l'affection qu'elle portait pour le jeune homme qui la faisait agir ainsi ou bien parce qu'elle commençait à avoir l'intuition qu'elle n'était pas dans le bon camp ? Une chose était certaine, elle avait encore besoin de preuves avant de se lancer véritablement dans cette cause.

Elle l'observa. Il semblait sceptique. Était-ce parce qu'il ne la croyait pas capable d'un tel geste ? Il n'avait peut-être pas tort. Jusqu'à présent, elle n'avait jamais vraiment fait preuve d'altruisme et était encore moins un modèle d'abnégation. Elle ne l'était pas devenu d'un seul coup par ailleurs. Si elle faisait ça, ce n'était pas pour aider les personnes en difficultés, c'était parce qu'elle commençait à prendre conscience que le vent allait tourner. Opportunisme ? Peut-être bien. Mais elle aurait au moins la conscience plus sereine en sachant qu'elle œuvrait pour un monde plus agréable.

Il lui demanda simplement d'agir avec précaution, et elle fut soulagée de constater qu'il lui faisait confiance. Elle hocha la tête en signe d'approbation. Bien que ce fût évidemment plus facile à dire qu'à faire. Elle ne savait pas encore comment tout cela allait se passer, et pour le moment, elle ne se sentait pas en danger, mais tout risquait rapidement de changer. La gratitude du jeune homme la toucha, et ce fut à son tour de le serrer dans ses bras. « Ne me remercie pas encore », précisa-t-elle, « je n'ai encore rien fait, et je ne sais pas si je pourrai faire grand-chose, mais j'essaierai en tout cas. » Elle abandonna un baiser sur sa joue et s'écarta de lui. « Je ferai peut-être mieux d'y aller », admit-elle en se tordant les lèvres dans un moue dépitée. Puis, se levant, l'air déterminé : « J'imagine que tu ne veux pas traîner, alors donnons-nous 24h pour faire nos recherches. Je reviens ici demain à la même heure, d'accord ? Mais je transplanerai directement ici pour ne pas me faire remarquer, alors ne prends pas peur si tu me vois apparaître subitement », ajouta-t-elle avec un sourire amusé. Une journée, c'était extrêmement court, mais cela devait suffire pour se rendre aux archives et aux objets confisqués. Elle avait la chance de posséder un pass pour y pénétrer, autant en profiter, pendant les audiences de Rabastan de préférence. « Merci à toi, Alec », conclut-elle finalement, « et à demain. » Elle déposa un baiser sur ses lèvres, puis transplana.

RP terminé