| ❝Bien plus qu'une reine je suis la plus belle❞ Claire Keim.night & Lestrange ManorBellatrix Lestrange se regarda dans un large miroir patiné par le temps. Jamais elle n’aurait cru réaliser ce qu’elle était devenue. C’était une sorcière qui conservait son visage de détenue, émaciée par les années de prison, achevée par l’humidité et le désespoir ambiant, et perdu dans les Ténèbres. Elle renifla grassement un nez encombré par la pluie trônant encore sur ses épaules. Le temps avait passé depuis qu’elle marchait, sans but, en se laissant guidée par le hasard, la providence sans doute. Ses pensées s’étaient envolées dans les pleurs du ciel ; elle conservait l’arrogance des Black qui soulignait sa mâchoire carrée. La chaleur du hall d’entrée ne lui accordait aucun réconfort. Son regard avait tout d’un animal qui échappait à sa sauvagerie pour être cloitré dans une captivité forcée. Chassé ou être chassé, voilà qui avait été son dogme toute sa vie. Une illusion sans doute lui offrit le sourire sévère de son père qui se tenait là, dressé devant l’escalier. Elle voyait son reflet dans le miroir. Ce n’était ni la magie ni un cadeau. La démence la rattrapait même quand elle semblait calme. Bella sourit et se ravisa presque immédiatement. D’abord, elle eu envie de rire en voyant ses dents jaunies, son air de chien fou et ses paupières fatiguées. Un écho la rattrapa et sortit des lèvres imaginaires de son père. Peux-tu plaire au Maitre dans ton état, ma fille ? Peux-tu sauver les apparences de notre sang ? Tu me déçois. D’entre ses lèvres fut projeté un crachat tiède qui dégoulina sur le miroir. Il avait la teinte jaunissante des poumons de fumeur sans avoir jamais rencontré que la fumée de la destruction. Un air d’étonnement simiesque la fit observer la marque qui ornait son bras gauche. Elle vénérait ce tatouage avec autant d’intensité qu’elle adorait le Seigneur des Ténèbres. Son orgueil fut blessé par son délire. Qu’était-elle devenu cette mante religieuse aux attaques redoutées et aux réceptions spectaculaires ? Bellatrix Lestrange fit un effort pénible pour se souvenir des règles d’antan. S’exorciser soi-même était plus que douloureux, pour quelqu’un qui n’avait plus aucune barrière, plus aucun sens de la limite. Son regard croisa son regard et elle se plongea dans ses propres pensées. Une robe noire, suivant une silhouette solide mais emprunte de fluidité, descendait les marches recouvertes de somptueux tapis. Un chignon inspiré des terres septentrionales – sans doute la tendance mode de l’élite à l’époque - venait discipliner difficilement des cheveux rebelles qui s’échappaient en mèches folles. Ce négligé capillaire lui allait tellement bien à cette femme longue, dont la puissante jeunesse rendait ses traits tranchants. Les souvenirs se nourrissaient du danger. La cruelle sylphide qui se présentait à son délire n’était autre qu’elle-même. Azkaban n’avait pas encore fait son œuvre. Il marchait dans le passé en suivant les empruntes effacées d’une adulte au sourire convenable. Elle qui était encore mouillée par sa longue marche observait des scènes d’outre-tombe. Cygnus tendit la main à la jeune personne, rigide mais heureux en bas des marches. Sa fille ainée, la prunelle de ses yeux, il l’avait aimée comme on aimait un fils. Elle comprenait désormais sa sévérité et ce qu’elle avait toujours compris comme du désintérêt. Bellatrix n’avait jamais été comme ses sœurs. Elle était l’héritier. Quelque chose tira sur le bas de sa cape lourdement imbibée. Cela la ramena à la réalité, à son reflet altéré par l’antique glace. La vue était désobligeante, loin du prestige d’autrefois. Elle déglutit de rage en regardant le présent. Jamais elle n’aurait pu croire en sa déchéance physique si elle n’avait pas été aussi démente. Maintenant, comme le premier homme arrivait à la conscience, Bellatrix Lestrange comprenait pourquoi sa place n’était pas au gouvernement, pourquoi elle demeurait cette marginale de la magie noire. Elle n’était pas fréquentable, dangereuse mais de plus en plus isolée par le conformisme et la vie d’après guerre. Sévèrement, la sorcière porta un regard pesant sur son elfe de maison, encore agrippé à sa cape. Il n’eut pas l’occasion de couiner qu’elle lui ordonna de disparaître dans un aboiement. La créature s’était exécutée instantanément dans un craquement sonore. De la manche de Bella glissa sa baguette de noyer, sa fidèle compagne qui l’avait entrainé dans les abîmes depuis si longtemps. Ce bâton avait rempli un exemplaire parcours au service de la destruction, de l’incendie et de la mort. Il n’avait sans doute rien de la baguette de Sureau mais sa propriétaire y tenait de façon malsaine. Pouvait-il remplir d’autres desseins, plus esthétiques ? La question ne valait même pas la peine d’être posée. D’un geste circonspect, en jetant un regard prudent alentour, Bellatrix s’ensorcela sans conviction. Jadis, elle avait ouï ces sortilèges des centaines de fois. Sa mère, modèle d’un raffinement sombre, en raffolait sans doute trop. Du bout de sa baguette coula un liquide couleur d’encre, luisant et trop noir, qui la recouvra totalement. Il était froid sur sa peau, glissant sur elle sans l’étouffer mais en lui arrachant des frissons, avant de disparaître à ses pieds. La métamorphose avait eu lieu. Une robe noire aux épaulettes renforcées lui donnait un élégant aspect militaire et féminin. Le tissu portait la même noirceur que l’encre du sortilège. Ses cheveux, en un carré aérien, surplombaient un visage retrouvé, raffiné par la magie tel sorti d’une forge de gobelin. Bellatrix Lestrange retrouvait son aspect premier, ce qu’elle aurait du être sans la prison. Seule une dentition abîmée témoignait encore de l’artifice. Elle s’en occuperait plus tard. Pour l’instant, seul son rire résonnait dans le hall d’entrée, comme la caricature de la méchante reine des contes, sauf que celui-ci n’avait rien de surjoué. L’infante se prenait désormais pour une femme, une vraie.
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