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sujet; How did we come to this ? (Draco) |
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Victoire. Putain de victoire. Le cœur qui palpite, le souffle court, ils saluent, comme le font les joueurs de Quidditch : vissés sur leur balais, ils fendent l’air, hurlant et riant à la fois. Ils se croisent, se saluent, se tapent dans la main. Pas de victoire modeste sur ce terrain ; déjà, on entend les fans des autres, des perdants, gronder. Ca les stimule encore plus, ils font un tour supplémentaire. Ils narguent. Évidemment. Greg, en particulier, s’amuse à aller flirter du côté des gradins de l’adversaire, suivi de près par l’un ou l’autre de ses coéquipiers. Manque de se faire attraper par une main vengeresse, mais trop rapide, il s’éloigne en quelques fractions de seconde, alors que résonne son rire tonitruant. Il les mérite, ces quelques secondes de gloire. C’est le seul moment qu’il aime vraiment. Qu’on le reconnaisse dans la rue, qu’on crie son nom, ça lui fait ni chaud ni froid, à force. Déjà blasé de la célébrité, qu’il sait pourtant éphémère. Mais ça, ce moment-là, cette puissance au creux de l’estomac, il la savoure, il la dévore, sans restriction ni limite. C’est son putain de moment. Les autres, ils profiteront des filles, ce soir. Lui, il ira à la fête, bien sûr, il se fera payer des verres, évidemment. Se battra sûrement, avec son adversaire ou sa propre équipe, sans distinction de rang. Mais rien ne surpassera le moment de grâce de la victoire, après des heures de lutte, les yeux dans les yeux, le cœur au bord des lèvres, le bras qui fatigue mais toutefois ne cède pas. Oui, c’est son putain de moment. Moment qui s’achève, alors que ses pieds touchent terre. Une dernière embrassade générale, le symbole de leur équipe qui s’élève dans le ciel, et ils se dirigent vers les vestiaires sous les acclamations de leurs supporters et les huées de ceux qui sont venus pour perdre.
L’ambiance ne se refroidit pas une fois à l’intérieur ; ils chantent à tue-tête, ils se félicitent, des étoiles plein les yeux. En bonne place pour le classement, ils sont en train de se démarquer pour de bon. Ils voient déjà les prochaines victoires, qui s’enchaînent, ils se voient déjà tout en haut. Ils n’imaginent pas les choses à moitié. Greg grimace un peu, en se changeant - son corps vibre, épuisé, demande grâce. Il n’a toutefois pas fini de le malmener, ne retrouvera la chaleur réconfortante de son lit que lorsqu’on l’aura mis dehors, à l’aube certainement, à moitié conscient. C’est sa définition d’une bonne soirée. A déjà prévu d’annuler tous ses rendez-vous demain, ça tombe bien, il n’en a aucun. ‘Faut dire qu’à part les entraînements, il fait pas grand-chose, et ne voit pas grand monde. Loup solitaire, reclus dans sa tanière, une habitude bien ancrée dont il a du mal à se défaire. Il termine rapidement de se changer, se dirige vers la sortie, où, il le sait, l’attend Draco. Quelque part. Sûrement. En tout cas, c’était ce qui était prévu. Il ne vient pas souvent le voir, mais quand il vient, c’est pour rester. Il pose ses fesses à ses côtés, et ils profitent de la soirée ensemble. Jusqu’à ce que ça dérape. Mais ça, ‘vaut mieux pas y penser maintenant, ça sert à rien, à part raviver les souvenirs qui sont bien mieux tapis à l’intérieur. Dehors, c’est la folie, pour le retrouver, il peut y aller. Des prémices de bagarre semblent déjà pointer le bout de leur nez, et il y jette un coup d’œil intéressé. Pas d’inquiétude, bien sûr : si baston il y a, ce sera son camp qui gagnera. Surtout s’il s’en mêle. Une main sur son épaule, il sursaute, un peu. Pas vraiment l’habitude des contacts, n’est pas sûr d’aimer ça. C’est Rosenbach qui lui adresse un large sourire. « T’as fait du bon boulot, Gargoyle, du putain de bon boulot ! » D’une légère secousse, il déloge son épaule de l’emprise du jeune homme, hoche la tête en retour. Batteur lui aussi, ils travaillent assez bien ensemble : Rosenbach est plus vif, plus léger, dans la rapidité et la subtilité, tandis que lui, eh bien… Lui, c’est le bourrin, la force brute, la barbarie, selon certains. Sûrement qu’ils ont raison, il n’y prête pas vraiment attention. Son coéquipier continue à parler, mais il n’écoute déjà plus, alors que la foule semble avancer d’un même pas vers le bar le plus proche. Il a repéré, un peu en retrait – à se demander comment il a fait pour ne pas être englouti dans la masse –, une petite touffe de cheveux blonds. Il tapote le torse de Rosenbach d’un air distrait, avant de s’éloigner d’un pas rapide, se frayant un passage dans le tumulte. « Je croyais que t’étais pas venu, finalement. » C’est la première chose qu’il lui dit, à peine arrivé. Puis il sourit. Ravi que Malfoy l’ait vu sur le terrain, lui, la vedette de la soirée. Comme un vague relent de ce foutu besoin de reconnaissance qui avait pavé sa scolarité – sa chienne de vie, plutôt, ouais.
Le bar est tout proche, quelques enjambées, quelques bousculades et ils y sont arrivés. Les proprios doivent se faire des couilles en or. Quelqu’un commande, tournée générale pour les héros du jour. L’ambiance est électrique, l’endroit est bondé, bien que la foule se soit sacrément réduite maintenant, et plusieurs altercations résonnent ici et là. Il y coule une nouvelle fois un regard, cette excitation qu’il connait si bien, ça le fait rire, d’être à l’origine des conflits. Ses coéquipiers sont là aussi, quelque part, il les retrouvera bien plus tard. Pour l’heure, il est acculé, plutôt que posé confortablement, un miraculeux verre à la main – il en a sans doute saisi un en entrant. « Alors, c’était pas mal, hein ? Pas la même chose qu’à Poudlard. Pas tout à fait comme la Coupe du Monde non plus, mais quand même, c’était pas mal. » Pas mal, dans sa voix, ça sonne vachement comme un euphémisme. Du mal à cacher sa fierté : il irradie d’orgueil. Si quelqu’un décidait de lui demander un autographe, là, maintenant, p’tête même qu’il dirait pas non.
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PRISONERS • bloodstains on the carpet Draco Malfoy | How did we come to this ?
We've gone too far from pride to shame, we're trying so hard, dying in vain 28 OCTOBRE 2002 & DRAGORY Il n’a pas prévu de venir. A vrai dire, il a même prévenu qu’il ne viendrait probablement pas. C’était pas facile à expliquer – il a préféré éluder. Ne pas mentionner la débâcle de la mission au musée, sa jambe blessée. Son ossature en miettes. Ne pas parler de faiblesses. D’une part, il n’est pas en droit d’en dire la moitié ; de l’autre, il n’est pas certain… de la réaction que pourrait avoir Greg. Pas certain de vouloir lui donner une occasion de jubiler en l’imaginant à terre. Pas certain de vouloir lui donner une occasion de le mettre à terre. A bien y repenser, c’est peut-être étrange, comme amitié. D’autres hausseraient les sourcils très haut, sans doute. Pour d’anciens Serpentards pourtant, ce n’est pas si étonnant. Il y a une solidarité indéniable, que les autres ne savent reconnaitre à sa juste valeur. Mais il y a une hiérarchie, flagrante, elle. Et Draco a tant voulu asseoir son autorité que le challenge est devenu, des années durant, de ne laisser transparaître aucune faille. D’être toujours à la hauteur, toujours au-dessus. Pour ne pas chuter de son piédestal. Au final, si la guerre a tout bouleversé, les stigmates de leur relation de l’époque entachent incontestablement celle qui les lie aujourd’hui. Le rapport de force est récurrent, d’autant plus présent lorsque l’alcool arrose leurs échanges – soit souvent. Il y a une appréhension, parfois, et des mots pesés, des actions méticuleusement calculées. Mais ce serait mentir que de prétendre qu’il s’y rend à reculons. Ce serait se tromper lourdement que de songer qu’au cœur de la masse qui rugit les surnoms des joueurs, noyant les beuglements acharnés des supporters de l’équipe adverse, Draco ne se sent pas à sa place. Assister au match a été l’une des priorités dès lors qu’il a retrouvé sa mobilité et compris qu’il serait en mesure de s’y rendre. La foule se déchaîne et il y mêle sa voix, sans retenue, parce que les sports sorciers sont les rares occasions durant lesquelles il est permis de rayer ce terme de son vocabulaire. C’est de l’énergie brute, tissée de dextérité peut-être – mais la foule est tant là pour le jeu que pour le sang. C’est son cas, en tout cas, et il n’a jamais été le dernier à conseiller à la paire que formaient Crabbe et Goyle, autrefois, de viser la tête. Alors que les spectateurs s’éparpillent en fin de match, commentant à tout va le moindre élément palpitant, il se faufile jusqu’à la loge occupée par les bookmakers, avant de rejoindre les irréductibles qui font le pied de grue à la sortie des vestiaires. Un peu à l’écart, parce que la plèbe est en sueur et qu’évidemment, il s’est fourni une cape autorégulatrice de chaleur, pour éviter ce genre de désagréments, lui. Un coup d’œil impatient à sa montre à gousset, un regard déplaisant adressé à un sorcier qui le dévisage de trop près – c’est incessant depuis qu’il se montre de nouveau et ça l’agace. Les gens tendent à oublier trop rapidement à qui ils ont affaire, clairement. Il s’occupe les mains en sortant sa pipe, qu’il bourre avec l’efficacité que confère l’habitude, bien que l’Excess à cette heure ne soit pas forcément une brillante idée. Ou peut-être que si, mine de rien, pour tenir la nuit entière, comme les Falcons aiment tant le faire pour finir par cuver leur alcool en roulant sous les tables (enfin, Draco ne roule pas sous les tables, pour sa part). Finalement, les joueurs émergent au compte-goutte, leurs visages radieux fendus de sourires. Signent des autographes au passage, embarquent quelques veinards dans la foulée. Dans le lot se découpe la silhouette baraquée de Greg, fier comme un paon albinos et Malfoy sort une main de ses poches pour lui balancer une tape vigoureuse à l’épaule lorsqu’il arrive à sa hauteur. « Et manquer la prestation de l’homme du match ? » L’homme du match. Il est fier, lui aussi ; il a toujours aimé se pavaner aux côtés des gens qu’on remarque. Il n’a jamais soupçonné que Greg ferait partie de ces gens, un jour ; et pourtant. Ça se bouscule, autour d’eux. L’avancée est relativement difficile, même si les gens n’osent pas trop s’imposer sur le chemin de Gargoyle, parce qu’il n’est pas de ceux qui distribuent les autographes à tout va. Ou les baisers de victoire. Une main agrippe le bras de Malfoy et sa baguette est rapidement dégainée, avant même qu’il n’ait le temps d’y songer. Brève seconde de flottement, puis le photographe le lâche, déglutit, s’insurge. « C’était juste pour une photo de groupe – » « Quel journal ? » S’il mentionne la Gazette, Draco a un sort douloureux, sur le bout de la langue, tout prêt à sortir. « Quidditch Mag ! » Dur de s’entendre à travers tout ce brouhaha. Bien sûr, ce n’est pas le blond que veut ce type ; il espère simplement le pousser à convaincre Gargoyle de se laisser mitrailler. Sauf que Greg serait du genre à refuser précisément parce qu’ il le lui propose. Malfoy hausse les épaules. « Demande-lui toi-même », lâche-t-il en désignant le joueur du pouce, avant de tourner les talons pour continuer sa route. Ils débouchent sur le bar habituel, celui qui porte ouvertement les bannières gris foncé et blanc ornées de tête de faucons. Comme à chaque victoire, les quidditch players sont acclamés comme des héros lorsqu’ils entrent les uns après les autres, et la première tournée est vite distribuée tandis qu’ils se dispersent, profitant de leur quart d’heure de gloire avant de se rassembler pour célébrer en fanfare. Pas mal, questionne Greg en mentionnant la rencontre, tandis qu’ils parviennent enfin à débusquer une table libre à laquelle se poser. Le bois est collant de la bière malencontreusement versée par les précédents clients et Draco grimace de dégoût, avant de claquer des doigts en direction de la serveuse – surmenée mais en joie. « Pas mal ? » Il pèche la bourse qui lui alourdit la poche et la lâche sur la table, se régalant d’entendre clinquer les gallions. « Je me suis fait un pactole sur ton dos alors oui, je suppose que c’était pas mal », réplique-t-il, goguenard. C’est sa façon à lui de dire qu’il ne doutait pas de l’issue du match. Pourquoi faire simple quand on peut faire détourner ? « Cela dit, tu m’aurais rapporté quelques dizaines de gallions de plus si tu avais fait Craft et sa grande gueule chuter de leur balai », lance-t-il, curieux que l’évènement tant attendu par les supporters n’ait pas eu lieu. « Enfin, peu importe. » Mouvement de menton en direction d’un groupe de jeunes femmes qui ne cessent de jeter des coups d’œil au batteur. « Je suis certain qu’elles ne t’en veulent pas pour ce détail. » Depuis un moment déjà, Goyle nie avec acharnement la présence des groupies qui lui tournent autour, mais si Draco se plait à l’asticoter à ce sujet, ce n’est pas tout à fait pour le pousser dans leurs bras. Il tâte le terrain, plutôt, parce qu’il a des plans en tête. Il cale une épaule contre le mur, porte la pipe à ses lèvres, et souffle un cercle de fumée, suivi d’un autre qui le traverse, et d’un autre encore. Après quoi, il tend l’objet à son vis-à-vis. L’attention attirée vers l’entrée. Des supporters de l’équipe adverse viennent de la franchir, l’air morose – rageur. Ils sont hués à l’instant même où ils sont remarqués, mais le patron marmonne des mise en garde et ils se dirigent vers le fond de la salle, mâchoires et poings serrés. « Ça va mal tourner. » Evidemment qu’il vont tenter de noyer leur frustration dans le whisky. Et que les fans en surnombre ne se gêneront pas pour les narguer à la première occasion. Bien sûr que ça se finira à la baguette et aux poings. Ils ont une heure de répit, à tout casser, avant que les choses ne dégénèrent et que quelques dents ne heurtent le plancher. Malfoy se détourne d’eux. De son mollet cicatrisé à son genou, le froid ambiant et l’agitation accentuent l’élancement qui ne le lâche toujours pas depuis sa guérison et il étend la jambe pour la soulager un peu. « Toujours pas intéressé par les conquêtes faciles, alors ? » Il a eu sa phase, au départ. Ça n’a pas duré longtemps. Tant mieux : ce n’étaient pas les meilleures circonstances pour mentionner Hestia. Mais il est tombé depuis dans l’autre extrême, si bien que le moment ne s’est toujours pas présenté. |
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| L’homme du match. Étrange, venant de sa bouche à lui. Comme s’il validait quelque chose que Goyle n’aurait jamais osé lancer de lui-même. Pourtant, modeste, il ne l’est pas vraiment. N’a pas vraiment eu l’occasion de se montrer humble auparavant, ça doit être pour ça. Il n’a pas eu le temps de développer cette habitude qu’il juge agaçante, n’a pas pris l’habitude de hausser les épaules en marmonnant un vague bah, t’exagères. Au contraire, c’est le torse bombé et le sourire victorieux qu’il se déplace désormais, fanfaronnant sur les quelques secondes de gloire qu’il a pu glaner. Insupportable et provocant devant les perdants de la journée, jusqu’à déclencher une guérilla finalement bien méritée. Devant Malfoy, toutefois, il se fait plus petit, tout naturellement. C’est imperceptible pour ceux qui ne regardent pas vraiment, mais c’est là, latent. Épaules qui rentrent, dos qui se courbe légèrement. À l’époque, il n’aimait pas l’idée que son larbin soit plus grand. Alors il rétrécit, sans disparaître néanmoins, parce que ce n’est plus tout à fait comme avant, n’est-ce pas ? Mais même si c’est plus pareil, il reste quand même là, à attendre l’entérinement divin et tous les autres encouragements qu’il peut bien entendre ne valent rien, rien de plus qu’un brouhaha incertain. Hiérarchie bien ancrée dans son esprit, malgré le temps qui s’est écoulé depuis. Il aimerait bien se débarrasser de ces vieux réflexes, mais quand il essaie, c’est toute leur dynamique qu’il bouleverse et ça ne se termine jamais bien. De sous-fifre à bourreau, il n’y a qu’un pas, fine limite qu’il ne parvient toujours pas à appréhender de loin. L’équilibre est précaire, entre eux. Pourtant, c’est bien à deux qu’ils progressent, Gargoyle endosse un instant son ancien rôle pour créer une brèche jusqu’à leur destination, sans spécialement le vouloir néanmoins : les gens s’écartent naturellement de son passage. C’est l’effet gorille, sans doute. Ça tient les fans et les détracteurs à distance, jusqu’à un certain point, jusqu’à un certain taux d’alcool dans le sang, surtout. « Demande-lui toi-même. » Il jette un coup d’œil en arrière, n’ayant pas entendu le début de l’échange à travers le vacarme ambiant. Un homme à l’air de fouine le fixe, avec cette lueur avide au fond de l’œil qui le dégoûte. Journaliste. Il renifle, dédaigneux. Il méprise les journalistes, et celui-ci doit bien le savoir, vu qu’il n’a même pas pris la peine de le lui demander. « Si t’avais demandé correctement, p’tête que j’aurais dit oui. » Il lance d’une voix moqueuse tout en continuant à avancer, sans s’inquiéter d’être entendu. Mensonge, bien sûr. Il ne pose sur les photos que quand il est vraiment obligé de le faire – ça nécessite de longs pourparlers où l’on lui explique clairement ce qu’il pourra en retirer, concrètement. Envoyer du cognard, c’est son boulot. Sourire pour la caméra, il laisse ça aux rentiers.
Heureusement, pas de foutu journaliste dans le bar. Le gérant sait pertinemment que les Falcons, certains d’entre eux en tout cas, n’apprécient pas beaucoup l’idée de retrouver des clichés d’eux dans des positions légèrement compromettantes. À son arrivée en tant que remplaçant, un scandale venait d’éclater sur l’un de leur poursuiveur, immortalisé en compagnie de la femme d’un membre influent de l’Elite. Et puisque ça fonctionne comme ça, bien qu’il ne comprenne rien aux jeux de politique, c’était l’image de l’équipe entière qui en avait pâti. Depuis, plus aucun membre de la presse n’est autorisé à leurs petites réunions. Et le poursuiveur en question avait appris à être plus discret. Lui, ça le concerne pas trop, évidemment – et sa réputation d’ivrogne invétéré est déjà faite. N’empêche qu’il en est heureux aussi. Parce que journaliste, tout simplement. Celles que le gérant ne recale pas, cependant, ce sont ces filles qui semblent s’agglutiner autour de lui et de son équipe comme le ferait une hyène sur son repas. Il tente tant bien que mal de les ignorer, comme à chaque putain de soirée, se disant qu’elles finiraient bien par se lasser et trouver un joueur plus intéressé. Verre à la main, il hausse un sourcil en voyant la bourse que laisse tomber Draco, un sourire goguenard aux lèvres. « D’où ton air de bienheureux de ‘taleur. J’pensais que t’étais content pour moi, mais j’aurais dû m’douter que c’était pas ça. », lance-t-il d’un air outré, seulement démenti par ses yeux pétillants. Pince-sans-rire, ça pourrait lui ressembler, si ses yeux ne le trahissaient pas en permanence. Il se saisit de la sacoche, qu’il soupèse avant de relâcher, presque à regret. « Quand on y pense, j’devrais toucher une commission là-dessus. » Un léger ricanement. Malfoy devait avoir parié pas mal pour toucher un tel pactole, preuve qu’il était sûr de lui – ou plutôt sûr de l’issue du match. Si Greg pouvait parier sur lui-même, il l’aurait déjà fait, ceci dit. Comprend pas trop pourquoi on ne le laisse pas faire, exactement. C’est pas comme si ça pouvait être considéré comme de la triche. « Cela dit, tu m’aurais rapporté quelques dizaines de gallions de plus si tu avais fait Craft et sa grande gueule chuter de leur balai » Craft. Au nom de l’ennemi, Goyle émet un son qui ressemble à s’y méprendre à un grognement animal. Saloperie de Craft. S’il avait pu l’avoir, il l’aurait fait. Il se renfrogne, boit une gorgée de son Pur Feu, tandis que l’autre ajoute que ça importe peu. Il balaie ses mots d’un secouement de tête. « J’ai pas pu, grommelle-t-il, la rancœur au fond de la voix. Selwyn m’a dit que j’avais pas intérêt à être suspendu, cette fois-ci. » Il hausse les épaules, le regard sombre. Paris et lui s’entendent bien, et son capitaine le laisse habituellement vaquer à ses accès de brutalité sans moucheter. Sauf qu’ils rentrent dans une période où les matchs importants se succèdent, et dans ces cas-là, il peut se montrer intransigeant sur la conduite à tenir. Il avale une longue gorgée de whisky, avant de reposer le verre avec hargne. « J’aurai Craft la prochaine fois. » Il cherche Selwyn des yeux, comme pour le défier d’y rétorquer quelque chose, mais celui-ci est perdu dans la masse ou n’est jamais arrivé jusqu’au bar.
À la mention des espèces de groupie qui le lorgnent, il se rembrunit davantage. Il leur jette un coup d’œil par-dessus son épaule, comme un voleur, espérant ne croiser aucun regard – c’est quand il rencontre leur regard que les choses se compliquent. « J’attends toujours qu’elles se lassent. » Aurait cru que l’affaire de la fausse compagne les aurait refroidi. Mais non. Bien sûr que non. Qu’on s’entende, ce n’est pas non plus insupportable. Elles sont là, c’est tout. Souvent. Tout le temps. « Tu peux te servir, si l’une d’entre elles t’intéresse. » ajoute-t-il, tendant la main pour saisir la pipe que lui propose Draco, sans trop réfléchir à ce qu'elle contient - confiance aveugle, peut-être pas trop recommandée. Franchement limite, comme remarque. L’agacement, sans doute. Pas sûr que son comparse l’ait entendu, de toute façon : son regard est focalisé sur l’entrée, d’où déboulent des supporters de l’autre équipe. Un sourire de serpent se dessine sur les lèvres de Gargoyle. Ça, ça l’intéresse déjà plus. Ça va mal tourner, il n’en doute pas – mais contrairement à la plupart, il s’en réjouit. Rien de mieux qu’une bonne bagarre pour égayer sa soirée. Il est sur le point de partager son excitation avec son ami, mais celui-ci embraye une nouvelle fois sur le sujet des conquêtes. Pour toute réponse, il joue avec son verre de whisky en silence. Ça le met pas franchement à l’aise, c’est pas son sujet de prédilection. Il porte la pipe, qu’il tient sans en faire grand-chose depuis quelques secondes, à ses lèvres pour se donner une contenance. Tout est bon pour noyer le poisson. Finalement, parce qu’il peut pas repousser l’échéance indéfiniment et qu’il n’a jamais été bon pour créer une diversion, il hausse les épaules. « Nope. Ça m’intéresse pas. » Il jette un nouveau coup d’œil à la ronde, l’objet calé dans sa bouche, l’air pensif. Il en est presque venu à les mépriser, à force. « Si j’étais pas Gargoyle, aucune d’entre elles seraient là. » C’est presque de l’amertume qui paraît dans sa voix, alors qu’il se cale plus confortablement, coude posé sur la table. Puis il hausse les épaules et lance un sourire goguenard à Malfoy. « Mais qu’est-ce que ça peut te foutre, de toute façon ? T’as peur de la concurrence ? » Il ricane ensuite en lui rendant la pipe, trouvant lui-même l’idée complètement saugrenue. S’écarte légèrement de la table lorsque la serveuse que Draco avait sonnée – c’était presque ça – débarque pour nettoyer la table, un large sourire aux lèvres. Lui, il avait même pas remarqué qu’elle était sale.
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PRISONERS • bloodstains on the carpet Draco Malfoy | How did we come to this ?
We've gone too far from pride to shame, we're trying so hard, dying in vain 28 OCTOBRE 2002 & DRAGORY « Quand on y pense, j’devrais toucher une commission là-dessus. » A ça, Malfoy éclate de rire sans la moindre compassion. « Je dois te plaindre peut-être ? T’es gratifié pour chaque coup de batte balancé dans l’un des cognards et vu ta prestation, la soirée a été bien assez prolifique. » Il fronce les sourcils cependant, ruminant ses mots avant de décréter – « Quoique, y’a jamais assez de gallions. » Combien en a-t-il brassé du temps de son adolescence, narguant constamment les pouilleux de la trempe de Weasley ? Quant à Greg et ses relations complexes avec ses parents, c’est une autre affaire ; mais il suppose que la rentabilité du brun constitue une revanche, puisque le destin glorieux qui lui a souri était inespéré. De fait, il se penche par-dessus la table (sans la toucher, c’est que cette serveuse n’est pas un modèle d’efficacité et traine à répondre à l’appel), rictus calculateur bien en place. « On s’en tape des règles, si tu veux parier passe-moi ta mise la prochaine fois. » Les règles, ils n’ont toujours été bons qu’à les contourner après tout ; le fantôme des bases de leur amitié flotte quelque part entre ses mots : à l’époque, Draco s’est assuré sa loyauté en lui promettant des passe-droit dont ils ont plus qu’abusé. « Mais pour les matchs à venir les risques seront plus conséquents. Pas de pari hasardeux, donc, concernant les résultats des mi-temps et les issus des rencontres. Tout sera caculé. » Question de cote et d’arithmancie visant à assurer des bénéfices. Cela dit, l’œil de Draco pétille nettement plus lorsqu’il aborde la suite, d’une voix si basse que Greg doit probablement lire la moitié des mots sur ses lèvres : « Pour ce qui est des autres paris cela dit, ceux concernant les blessures, les frappes, les évènements… je pourrai toujours te prévenir à l’avance des statistiques, pour qu’on les prenne à contre-pied. J’ai un contact intéressant et en l’utilisant correctement, on peut déterminer quelles probabilités sont sous-estimées par les parieurs et miser gros dessus. Ton rôle à toi serait alors de t’arranger pour qu’elles se réalisent. » Oui, il parle bien de truquer le jeu, et il est à peu près certain que la perspective peut intéresser son comparse : il y a là un moyen de rendre les matchs nettement plus palpitants pour eux deux, l’idée ayant l’arrière-goût des défis qu’ils s’amusaient à relever ado, à Serpentard. « Enfin, je ne te force à rien bien sûr », ajoute-t-il pour la forme, alors même qu’il a volontairement adopté une tonalité et une attitude vouées à l’appâter. « J’aurai Craft la prochaine fois. » Ça sonne comme un serment, comme les t’en fais pas Draco, on choppera Potter la prochaine fois d’un autre temps, et un frisson lui court le long de l’échine. Une part de lui aime l’idée d’être encore capable d’influencer son vis-à-vis. Il sait (sans pour autant le relever comme par le passé) l’influence de ses compliments, de ses commentaires, vieilles séquelles profondément ancrées. Une autre en frémit de crainte, à présent qu’il pèse les conséquences potentielles. Cette part-là a été éveillée par la perte de Vince – elle lui mord encore l’âme comme un serpent venimeux, des années après. « Hey », lance-t-il d’une voix ferme pour ramener à lui l’attention d’un Goyle dont les pupilles luisent d’une détermination destructrice, d'une ampleur qui le dépasse ; la suite, cependant, est formulée d’un ton léger, qui ne peut en aucun cas s’apparenter à un ordre : « ne vas pas te faire suspendre ou amocher pour ce con, il ne pèse pas une noise en comparaison à la finale qui tend les bras aux Falcons. » Un coup d’œil par-dessus son épaule et il ajoute : « Tu peux toujours l’éclater en dehors du terrain, non ? » Et pour ça, ce ne sont pas les occasions qui manquent. Il embraye sur un sujet qui renfrogne Gregory et fait naître sur ses lèvres des marmonnements difficiles à distinguer dans ce brouhaha, mais il perçoit clairement le « Si j’étais pas Gargoyle, aucune d’entre elles seraient là » qui laisse Malfoy perplexe. « Et alors ? » demande-t-il de but en blanc. « Tu es Gargoyle et tu l’as gagnée, leur adulation. Alors qu’est-ce qui cloche ? » Il y a là, de toute façon, une subtilité qui ne peut que lui échapper : globalement, Draco n’a jamais cherché à être aimé pour lui-même, cette seule notion lui passe même complètement au-dessus. Pas par la masse, du moins. Bien au contraire, il s’applique à attirer l’attention de façon calculée, en s’appliquant autant que possible à masquer ce qu’il est derrière les attitudes qu’il endosse. Il y a des exceptions – his people– mais dans l’ensemble, il a toujours eu des rêves de gloire inassouvis. Alors non, il ne peut pas cerner l’aspect négatif que semble y voir son vieil ami, et c’est avec un amusement non feint qu’il se moque : « Ne me dis pas que tu es vraiment la brute au grand cœur qu’imaginent les fans, le… c’était quoi déjà, le terme ? Ah oui : sensible qui se cache ? » Bon sang, cette idée est ridicule. Les courriers de fans regorgent de théories du genre cela dit, et il se fend toujours autant la poire sur ces psychanalyses vaseuses. « Ma Gargoyle fleur bleue », ajoute-t-il en faisant fi, sur le coup, de la raillerie à propos d’une potentielle crainte de la concurrence – non non, il ne se laissera pas détourner du sujet. Combien de femmes se sont vantées de l’avoir percé à jour depuis Poudlard, estimé à sa juste valeur lorsque tous les autres se laissaient aveugler par les apparences ? Elles pullulent depuis que Gregory crève les écrans des appareils photo, Draco ne les compte plus. Pas plus que celles qui suggère que Malfoy lui-même puisse être une bonne âme insoupçonnée, mal guidée – il en a connu quelques-unes, dont la pseudo compréhension lui a juste filé la gerbe. Il n’y avait rien à percer à jour : Crabbe et Goyle étaient des brutes de nature, Malfoy un tyran, et par Merlin, ça a peut-être mal tourné mais ils étaient faits pour se trouver, parce qu’ils aimaient ça. Cela dit, là où Greg se contente d’ignorer hargneusement, Draco abuse sans honte de ce genre de suppositions faciles, hasardeuses, erronées, pratiques. « Aux viles emmerdeurs que nous sommes », trinque le blond en levant la chope que la serveuse vient de poser devant lui. Et fiers de l’être. l’employée récure enfin la table, sous l’œil attentif de Malfoy qui ne manque pas de lui pointer les zones oubliées en adoptant le ton de celui-qui-estime-son-travail-minable. Elle part, légèrement agacée, tandis qu’il boit une gorgée sans se soucier de ses états d’âme. « Tu sais bien que je ne suis plus dans la course, mon vieux. » Ça y’est : il revient à la question posée précédemment. La concurrence. « Je te l’ai dit, Lucius manigance une alliance avec les Rowle. » Il fronce les sourcils, repensant à son dernier tête à tête avec Bonnie. Inattendu, c’est le terme : elle lui a révélé une facette d’elle qu’il n’avait absolument pas soupçonnée jusqu’alors. « En parlant de ça, j’en ai une bonne. Sous ses airs sages la Bonnie est une allumeuse, tu y crois toi ? » Il a clairement une mine perplexe. Bien sûr, le fait la rend nettement plus intéressante qu’il ne le pensait à l’origine ; mais il n’a pas encore déterminé si ça lui plait vraiment : il y a encore ces questions qui lui tournent en boucle dans l’esprit, sans discontinuer, depuis ( qui, quand, où, comment). Tout le temps. « Mais pour en revenir à ton cas, n’oublie pas que je suis une bonne âme insoupçonnée », mime-t-il en ricanant. « Je n’ai que tes intérêts à cœur. Et figure-toi que je la connais, ta perle rare. Tu sais, 'une femme qui a su voir Goyle avant que toutes les autres ne se pâment devant Gargoyle'. Bon sang, il me faut plus que quelques gorgées pour assumer d’avoir sorti cette réplique so very Gryffindor. » Trop de bons sentiments, ça lui file des allergies. Et peut-être sa pause est-elle calculée, oui. Peut-être attend-il impatiemment de voir s’il est parvenu à piquer la curiosité de sa brute épaisse ; si c’est le cas, Greg fera le détaché, comme toujours, mais ne pourra s’empêcher d’essayer de le pousser à continuer de parler, l’air de rien – et là, jackpot : il n’aura plus qu’à mentionner Hestia pour semer les graines d’une curiosité potentiellement prometteuse. |
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| « Je dois te plaindre peut-être ? T’es gratifié pour chaque coup de batte balancé dans l’un des cognards et vu ta prestation, la soirée a été bien assez prolifique. » Ouais, pas faux. Il hausse les épaules, souriant quand même – mais hoche la tête quand l’autre enchaîne. Jamais assez de gallions, that’s the point. Surtout que c’est assez nouveau pour lui, finalement. Malfoy, lui, il a baigné dans l’argent. Depuis toujours. Lui, c’était différent. Les gallions ont souvent été remplacés par des noises que ses parents devaient compter minutieusement, à l’affut de la moindre pièce qui pourrait peut-être les sauver. C’était pas toujours comme ça, évidemment, ça fonctionnait par période, de sorte à ce qu’ils ne sachent jamais à quoi s’attendre. C’est plus drôle comme ça, hein ? Ca dépendait de beaucoup de choses – non, en fait, ça dépendait juste de la quantité d’alcool que son père ingurgitait sur la semaine. Et du fait qu’il se fasse virer ou pas, ce mois-là. Il n’en était clairement pas au niveau des Weasley, bien sûr, mais il n’avait jamais pu prétendre à l’aisance décomplexée du blond. D’autant plus que même si l’argent était présent, on ne laissait pas y toucher. Forcément. Alors maintenant qu’il en a pour de bon, il sait pas trop quoi en faire, à vrai dire. Mais l’idée lui plaît, et ça suffit. Elle plait bien sûr aussi à Malfoy, mais ça c’est pas une surprise. Celui-ci semble d’ailleurs avoir l’une de ses brillantes idées, de celles qui finissaient toujours par Crabbe et lui, dans la merde jusqu’au cou, tentant vainement de fuir une quelconque sanction particulièrement déplaisante. Il devrait être rôdé, secouer la tête en lui signalant que non, il ne plongera pas là-dedans, mais il n’a malheureusement jamais appris à se méfier – au contraire, c’est avec un air particulièrement intéressé qu’il se penche à son tour par-dessus la table. « (…) Ton rôle à toi serait alors de t’arranger pour qu’elles se réalisent. » Les dernières phrases sont à peine murmurées, tant et si bien qu’il doit se concentrer pour les comprendre. Il se redresse un peu, fait mine d’y réfléchir. Il pourrait risquer gros, bien plus qu’une simple suspension, s’ils se faisaient prendre. Son comparse ajoute, sans doute plus pour la forme qu’autre chose, qu’il ne le force à rien, et ça résonne dans sa tête avec une certaine redondance. Il ne le force jamais à rien. Qu’importe – Goyle s’est déjà décidé. Pas besoin d’envelopper la bouse dans quelque chose de reluisant. « Un contact, hein ? » répète-t-il, faisant rouler l’idée sur sa langue, comme si elle n’était pas déjà digérée. Puis il éclate de rire, un peu trop fort probablement, ravi. « Comme si j’allais refuser de démolir de la vermine pour encore plus d’argent. » La discrétion, ça n’a jamais été son fort non plus. Il lève son verre pour sceller le contrat, bien qu’il soit le seul, Malfoy n’ayant pas encore reçu le sien. Ce qui ne l’empêche pas d’en engloutir une bonne partie, tout à sa satisfaction.
« Ne vas pas te faire suspendre ou amocher pour ce con, il ne pèse pas une noise en comparaison à la finale qui tend les bras aux Falcons. » Gargoyle émet un autre grognement, pas franchement convaincu. Il y a la rage de vaincre, et puis il y a la soif d’écraser ses adversaires. Les deux ne se concilient pas toujours, et parfois il peine à distinguer ce qui importe vraiment : ça se mélange dans son crâne, ça s’emmêle et ça l’obsède, finalement. Comme toujours, l’autre simplifie la chose pour lui. Ça aussi, ça ressemble à bien d’autres discussions. Parfois, c’est comme s’ils rejouaient toujours les mêmes scènes. Sauf qu’il manque quelqu’un, l’autre tête brûlée, celle qui lui ressemble tellement mais parvenait à se différencier suffisamment pour que les trois fonctionnent en harmonie – enfin, ce qui pouvait être pris pour de l’harmonie. Vaut mieux pas trop penser à cette partie manquante toutefois, au risque de plomber la soirée. Il s’étire, croise le regard de Draco et lui adresse un sourire un peu plus serein. « J’compte pas être suspendu pour Craft, lâche-t-il avec mépris, comme s’il n’y songeait pas quelques secondes plus tôt. Et il pourrait pas m'amocher même s'il le voulait. Comme t’as dit, suffit que je le croise ailleurs. » Et ça donne presque l’impression que l’idée vient de lui.
Et alors ? Il ne sait pas quoi répondre, à ça. N’aime pas forcément parler de ce qui se passe dans son crâne, parce que c’est toujours compliqué à faire comprendre aux autres. Surtout à lui, dans ce cas-ci. « Tu es Gargoyle et tu l’as gagnée, leur adulation. Alors qu’est-ce qui cloche ? » C’est la perplexité dans le regard de son comparse, et il ne sait toujours pas comment s’y prendre pour lui expliquer. Il hausse les épaules, tenté de ne pas répondre – il n’est déjà pas bavard, alors quand on s’aventure sur des terrains glissants, il a tendance à tout simplement abandonner l’idée de devoir s’exprimer. Ce qui l’arrange bien, ‘faut dire, chaque phrase se rapprochant bien souvent d’un effort insurmontable. Il se racle la gorge, clairement mal à l’aise à présent. « C’qui cloche, c’est que j’ai dû la gagner, justement, leur putain – » Il a réagi trop tard, Malfoy enchaîne déjà, moqueur. Tant pis. De toute façon, il ne savait pas vraiment quoi y répondre, à sa foutue question. Qu’est-ce qui cloche ? Comme s’il le savait, au fond. Tout ce qu’il sait, c’est que ça lui plaît pas. Que la moitié d’entre eux lui crachaient à la gueule quelques années plus tôt. Mais ça, il veut pas en parler, ça lui donnerait envie de gerber. Et puis l’autre ne peut pas le comprendre, c’est trop loin de ses propres considérations. Irrité, il avale la dernière gorgée de son whisky, mais ne tarde pas à se dérider en entendant la suite de ses paroles. « Ma Gargoyle fleur bleue » Connard. Vicieux, en plus de ça : il sait qu’il déteste ça. « Ta gueule, Draco » lance-t-il, un large sourire aux lèvres. Bien sûr que ça colle pas. Et toutes celles qui pensent avoir eu là une idée révolutionnaire, avoir percé le secret de son âme soi-disant tourmentée se foutent le doigt dans l’œil. Et Merlin ce que ça peut l’emmerder. Surtout qu’évidemment, il est souvent bien trop mortifié par la situation pour pouvoir les détromper. Elles prennent son silence pour un accord tacite, et la boucle est bouclée. Au moins, ça en amuse certains. Pas lui, malheureusement.
« Aux viles emmerdeurs que nous sommes », qu’il lâche, en levant son verre pour trinquer. Celui de Goyle est vide, déjà, mais il le lève aussi, pour la forme, tout en faisant signe à la serveuse à présent mécontente – ce que Malfoy pouvait être précieux, parfois – de lui en ramener un autre. Elle s’éloigne sans plus de cérémonie, et il espère qu’elle ne crachera pas dans sa boisson pour se venger de l’autre. « Tu sais bien que je ne suis plus dans la course, mon vieux. » Il hausse les sourcils, mettant quelques secondes à comprendre, suffisamment pour qu’il enchaîne sur un sujet qu’il n’avait pas non plus l’intention d’aborder ce soir. Bonnie. Il s’en est récemment quelque peu rapproché, au cours d’une soirée arrosée dont il ne se souvient d’ailleurs plus tellement (comme énormément de ses soirées, rien d’étonnant là-dedans). Quelque peu, c’est un euphémisme, évidemment. Il se souvient par contre avec vivacité de sa bouche collée contre la sienne. Il gigote un peu sur ses pieds, comme il fait toujours quand il est nerveux, et son regard se fait fuyant. Goyle ne sait pas mentir. C’est même une calamité. Alors évidemment, quand son comparse lui parle de l’air soi-disant sage de Bonnie Rowle, c’est limite s’il s’étouffe pas sur place. Où est son putain de verre quand il en a le plus besoin ? Il cherche la serveuse pour la fusiller du regard, mais cette dernière est introuvable. Évidemment. « Ben tiens, en parlant d’elle, rebondit-il avec un air enjoué qui est tout sauf naturel. Il s’trouve que bah j’ai passé une soirée avec elle et les autres membres de l’équipe l’autre soir, y’a pas longtemps tiens… » Il fait mine de réfléchir, prend son temps, s’anime et devient bavard. Totalement out of character, et il ne doute pas que Malfoy verra clair dans son jeu. Il ne peut plus compter le nombre de fois où il s'est ramassé un coup sur la nuque, Malfoy tentant en vain de le faire cracher le morceau. Les mots ne voulaient simplement pas sortir, parfois. Du coup, se rendant compte que ça sert à rien de tenter de noyer le poisson face à quelqu’un qui le connait probablement mieux que lui-même, il soupire, vaincu avant même d’avoir combattu. « Quand tu parlais de conquête, j’suppose qu’on peut dire qu’elle rentre dans cette catégorie. » Il ricane alors que la serveuse revient avec sa boisson – il pourrait lui baiser les pieds, là tout de suite. Peut-être que Draco ne trouvera pas ça grave, mais à ses yeux, il a commis une terrible trahison. On vole pas la future fiancée du chef. Non pas que ce soit encore son chef. Ni qu’il l’ait jamais été, d’un point de vue strictement factuel. N’empêche que c’est comme ça qu’il le voit. Et il en est vraiment pas fier. Il boit une gorgée de son second whisky, restant le nez dedans pendant un trop long moment pour que cela soit innocent. Et Malfoy de continuer sur sa lancée, lui parlant soudainement d’une soi-disant perle rare. Il rit un peu à ses dernières paroles, plus pour se donner un genre qu’autre chose ; il est resté coincé deux phrases plus tôt. « Te fous pas de ma gueule, Malfoy. Tu vas me sortir le violon bientôt, c’est ça ? » Voilà qu’il se met à lui vendre la même foutue rengaine qu’on lui sert par courrier toutes les semaines. Sûrement pour se payer sa tronche en rebondissant sur le fleur-bleue qu’il lui a servi un peu plus tôt. Il porte une nouvelle fois son verre à ses lèvres, mais s’interrompt au dernier moment, lui coulant un regard pour juger de son sérieux. « 'Faudrait qu’elle soit dingue » ricane-t-il finalement, laissant s’insinuer le doute. Une putain de barjo, ouais.
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PRISONERS • bloodstains on the carpet Draco Malfoy | How did we come to this ?
We've gone too far from pride to shame, we're trying so hard, dying in vain 28 OCTOBRE 2002 & DRAGORY Malfoy n’est pas un type bavard – c’est, du moins, l’illusion qu’il offre au commun des mortels. La vérité, c’est qu’il adore s’écouter parler, et que quelques rares choisis en font les frais. Greg a été de ceux-là dès leur alliance durant le premier trajet en train. A l’origine, il était surtout questions de discours pompeux et vantards, show permanent que tous s’accordaient à prétendre passionnants – je, je, moi, je. Expression d’un besoin constant d’être au centre de l’attention, d’attiser l’admiration. Ils ont grandi depuis, changé, se sont rapprochés, et le ton est devenu plus léger. Mais force est de constater que Draco s’anime encore face à l’autre, vieille manie tenace tranchant avec les airs ternes et silencieux assortis d’un regard empreint de jugement dont il se pare lorsqu’il veut mettre ses interlocuteurs mal à l’aise, imposer une distance. De fait, il jase, jacasse, avec un entrain moins pompeux et égocentrique, plus similaires à ses anciens échanges avec Blaise. Et au lieu de se contenter de le fixer attentivement en attendant d’avoir la parole, Gregory ponctue le tout de commentaires. Parfois entendus, d’autres fois étouffés par la foule ou emportés dans le tourbillon des mots du blond. Un peu des deux, sinon, comme c’est le cas lorsque Draco mentionne brièvement Bonnie avant de reprendre, presque aussitôt, le fil de sa pensée dans le but d’évoquer Hestia. C’est alors qu’il prend le temps de tremper ses lèvres dans l’alcool pour ménager son effet, que les mots de Goyle – perçus un peu en vrac, tant par manque d’attention qu’à cause du brouhaha ambiant – prennent réellement forme dans son esprit. Il se fige une seconde, pose lentement la chope en levant un regard suspicieux sur le brun. « Wait a minute… » Soirée avec le reste de l’équipe, ok. Peu importe. Mais – « Catégorie conquêtes, c’est bien ce que tu as dit ? » Il n’est pas certain, ça sonne comme une hallucination auditive. C’est qu’il faut encore qu’il s’habitue à cette nouvelle image de Bonnie, et qu’il la concilie aussi au nouveau Goyle – exercice doublement perturbant. La serveuse pose un peu brusquement la boisson de Gregory ; suffisamment pour qu’ils entendent claquer le fond sur la table malgré le désordre, et pour que le liquide valse sur les rebords et déborde. De quoi rompre l’échange de regards qui commençait à devenir pesant, tendu : Draco se détourne avec une moue exaspérée et c’est la pauvre femme qui en écope. « Décidément, quelle bonne à rien ! Laissez-nous la bouteille et allez voir ailleurs. » Il la congédie d’un mouvement de main dédaigneux et impatient, et le comble pour elle est sans doute le fait de ne pouvoir remettre à sa place un client plus jeune qu’elle et fichtrement désagréable, sous prétexte qu’il est mangemort et a des gallions à dépenser. Politique de la maison – et du monde injuste dans lequel elle évolue. « Alors comme ça tu en pinces pour ma future fiancée ? » susurre-t-il en direction de Greg, les yeux plissés avec circonspection. « Elle te fait balbutier », qu’il ajoute pour enfoncer le clou ; « Elle te rend nerveux. » Qu’il soit empotée face aux donzelles, d’accord. Mais en général, quand il ne fait que parler d’elles en leur absence, il est détaché et méprisant, un peu mal à l’aise parfois – mais pas à ce point. Non, tout ça, ce sont les signes d’un malaise évident, ceux qui résonnent comme une alarme : Gregory essaye de lui cacher quelque chose. « Et tu ne comptais pas m’en parler. » Cette fois, il arque un sourcil dubitatif, se découvrant plus agacé par la cachoterie que par le fait. Greg se dénonce parce qu’il est trop maladroit pour jongler avec un mensonge alors que le sujet est abordé. Il ne sait pas encore quoi en penser. Bonnie a juré n’être intime avec aucun membre de son entourage – et voilà qu’il découvre qu’il se trame quelque chose entre elle et l’un de ses plus vieux amis. Ce n’est pas comme s’il était de notoriété publique que Malfoy et Goyle sont souvent flanqués l’un de l’autre depuis leurs onze mais… justement, si. Il fronce les sourcils, pensif ; elle a plutôt dit ne coucher avec personne de son entourage. Mais si elle considère que flirter avec ses proches n’entre pas dans le domaine du dérangeant, alors il a de quoi s’en faire. Que ses amis lui donnent des raisons de s’enorgueillir du physique de sa potentielle compagne en se retournant sur son passage serait une chose ; qu’elle les encourage à aller plus loin sonne bien moins plaisant. Cela dit, il la connait encore trop peu pour être possessif… réellement touché, outre les questions d’égo et de principes. « Explique. » Le temps du récit, il s’applique à retenir le rictus moqueur qui menace de se dessiner à la coupe de ses lèvres, amusé de voir Greg si mortifié. Mais ils ne sont plus à Poudlard et il connait trop bien les limites du brun pour pousser la sournoiserie au-delà en maintenant l’attitude froide et dédaigneuse au point de le mettre rogne. Raison pour laquelle il pose finalement les coudes sur la table (aussi propre que faire se peut) et se fend d’un demi-sourire en coin. « Détends-toi, je ne suis pas énervé. » D’une main, il attrape la bouteille réquisitionnée un peu plus tôt et ressert Greg. Attend de le voir boire une lampée pour ajouter d’un air dégagé : « J’étais juste curieux de savoir si tu y avais goûté et à quel point elle t’avait plu. » Ça, c’est pour le plaisir de le faire s’étrangler sur sa gorgée. Il lève les yeux au ciel, mi narquois mi agacé. « Et moi qui t’avais trouvé la femme parfaite. Si je me doutais que tu convoitais déjà la mienne… » Ça lui rappelle les conquêtes partagées avec Blaise. C’est étrange. Il n’y a jamais eu ce genre de complicité entre Greg et lui, pas dans ce domaine. Et en même temps, il était question d’adolescentes utilisées pour les fins de paris sans importance, pas de la femme supposée partager sa vie. Là il est... indécis. « Elle te fait tant d'effet que ça ? » Merlin sait que cet homme est difficile, et si Bonnie est son genre de femmes, le prénom qu'il a en tête n'aura pas lieu d'être formulé. |
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Un instant, il croit avoir évité la merde, et ça lui fait l’effet que ça lui faisait quand, sur le champ de bataille, il réussissait à détourner un sort potentiellement mortel. Instant bref, mais de pur bonheur, comme un miracle inespéré envoyé par Merlin lui-même. Sauf que non. Malfoy se fige, et pose sur lui un regard lourd de sens. Là, pour le coup, c’est plus imperceptible du tout : il se fait le plus petit possible. Les colères de l’autre, il ne les connait que trop bien. Souvent elles débarquent, comme ça, sans raison. Cette fois-ci, des raisons, y’en a. Une en particulier, qu’il ne comptait pas vraiment lui dévoiler. Non pas qu’il ait voulu lui mentir, jamais il ne ferait ça. Mais au fond, y’avait rien de mal à simplement fermer sa gueule. « Catégorie conquêtes, c’est bien ce que tu as dit ? » Il ne semble pas être du même avis, cela dit. Ça peut se comprendre. Après réflexion, la stratégie pure et simple de l’omission n’était pas la meilleure de ses idées. Il y a même pas pensé, d’un autre côté. Il a rien dit, et c’est tout. N’a pas passé des heures à triturer l’affaire dans tous les sens pour adopter le meilleur angle d’attaque. Pas de plan machiavélique là-derrière. Les plans, c’est trop compliqué pour lui, ils le savent tous les deux très bien. ‘Faudrait p’tête lui rappeler quand même, parce qu’il n’a pas l’air ravi, comme en témoigne son acharnement sur la serveuse. Goyle marmonne un ouais, c’est ça à peine audible, que l’autre ne doit d’ailleurs pas avoir entendu, puisqu’il se met à l’interroger dans ce qui se rapproche péniblement d’une attitude passive-agressive. « Alors comme ça tu en pinces pour ma future fiancée ? » Verre en main, c’est à son tour de se figer. S’il sentait pas la tension dans l’air, il éclaterait de rire tant l’idée lui paraît ridicule. Clairement, Bonnie Rowle lui plait – à quoi bon le nier ? –, mais ’faudrait voir à pas exagérer. Il préfère cependant faire profil bas, et fait du mieux qu’il peut pour éviter son regard mordant. Peut-être pas la meilleure idée du siècle non plus ça, s’il veut avoir l’air innocent. Son comparse continue à l’enchaîner, clairement moqueur, et il se renfrogne de plus en plus. Si son but est de le provoquer, il s’y prend extrêmement bien. Restant silencieux pour ne pas envenimer les choses, il se contente de boire son whisky, à présent clairement irrité. « J’y ai pas pensé », répond-il platement quand le fait qu’il n’en ait pas parlé plus tôt surgit dans la conversation. Et c’est vrai. Cette fois-ci, il le regarde bien en face, le défiant de remettre en doute ses paroles. C’est là où la hiérarchie se fissure, et révèle le bordel sans nom qui règne dans ses entrailles. Avant, il n’aurait sans doute jamais osé lui faire face de cette manière-là. Pas avant quelques rounds de plus, en tout cas.
« Explique. » Pas envie, scande la voix du gosse coupable qui sommeille en lui. Ca l’emmerde, d’être toujours là-dessus, et il regrette soudain de pas avoir su mentir, lui qui se targue d’habitude de son honnêteté démesurée. Le drame, c’est pas son délire. Surtout pas pour une fille. Par Salazar, à quoi en sont-ils réduits ? Évidemment, p’tête que si il avait su garder sa langue dans sa bouche, littéralement, ils en seraient pas là. Bref rappel de sa conscience, qui suffit à faire tomber le masque revêche qu’il revêtait depuis quelques secondes. Il se racle la gorge, cherche l’inspiration au fond de son verre, puis hausse les épaules. « J’étais bourré, marmonne-t-il, comme si ça expliquait tout. Et concrètement, j’ai rien fait pour que ça arrive. » Au contraire, il était plutôt prêt à se sauver par la première porte tout au long de la soirée. Enfin, presque. Il gigote un peu, à nouveau mal à l’aise, et évite de le regarder – tant mieux, il peut pas remarquer le sourire moqueur que Draco tente tant bien que mal de retenir, au moins. « C’est elle qui est v’nue me trouver, d’ailleurs, ajoute-t-il, essayant sans aucune subtilité de rejeter la faute sur Rowle. Après tout, c’est pas lui qui allait l’épouser, le Malfoy. Et quand elle m’a dit pour votre espèce d’arrangement, là, j’ai tout arrêté. » Ca ressemble de plus en plus à un foutu plaidoyer, avec la désagréable impression d’être une proie bien trop vulnérable. Il aime pas s’excuser, et ça commence un peu trop à sonner comme une pitoyable justification.
Entre colère et culpabilité, il sait pas trop où se placer. Si la culpabilité coule de source, c’est la colère qui dénote, surgissant par éclairs incertains – Greg n’a jamais su s’en vouloir à lui-même quand les autres le faisaient déjà, et il lui en faut souvent bien peu pour sortir les griffes. Mécanisme de défense un peu ridicule, un peu éculé, mué par la mauvaise foi et un refus borné de se remettre en question. C’est plus simple de charger sans prendre de recul, n’est-ce pas ? « Détends-toi, je ne suis pas énervé. » Un peu de mal à le croire, pour le coup ; il lui lance un regard suspicieux, encore sur la défensive. Prêt à bondir à la moindre attaque, corps tendu, alerte. Saisit quand même son verre quand l’autre le ressert (méfiant peut-être, mais quand même pas jusqu’à refuser de l’alcool, ‘faut pas déconner). Il en siffle une bonne partie lorsque Draco assène un dernier coup. Bien sûr, il manque de crever en s’étranglant sur sa lampée – et c’était sûrement son objectif. Connard. Il le fusille du regard tout en tentant de reprendre sa respiration ; putain de coup bas. Il aurait dû s’en douter. Son comparse n’était peut-être pas énervé, mais vicieux, il le resterait toujours. Ne jamais oublier qu’il a en face de lui un serpent. C’est une situation étrange, qui tranche de façon drastique avec les conversations qu’ils ont l’habitude d’avoir. Jamais été confronté à cette partie-là d’une amitié, même pas avec Vince. Ils avaient mieux à faire. Il a toujours mieux à faire, d’ailleurs, pour ce que ça vaut. Il prend le parti d’ignorer son tacle, se réfugiant pour la deuxième fois dans son petit coin de paradis : un silence buté. Il ne s’y tient pas longtemps, toutefois, l’intérêt venant éclairer ses pupilles sombres quand il mentionne une nouvelle fois cette mystérieuse femme parfaite. « Elle me plait pas tant que ça, rétorque-t-il. Elle est… » Il s’interrompt, cherchant le terme adéquat – celui qui serait suffisamment honnête sans heurter l’ego de son ami. Ne le trouvant pas, il hausse les épaules. « T’es bien tombé » achève-t-il finalement, encore un peu sur la défensive, mais déjà occupé par une toute autre idée. « Pas mon style, en tout cas. » Son style, il l’a pas encore trouvé. Sait pourtant bien que si Bonnie lui a plu, ce soir-là, elle n’en fait pas partie. Si Malfoy lui avait posé les bonnes questions, il l’aurait deviné. Rowle est certainement intéressante, mais il ne se voit pas se réveiller avec elle chaque matin – ni même aucun matin, for that matter. Et selon Goyle, c’est tout ce qui importe. Le problème, c’est qu’il n’a pas encore trouvé qui que ce soit qui corresponde à cette idée un peu vieux-jeu du sacro-saint réveil matinal. « C’est bon, on peut passer à autre chose ? » lance-t-il ensuite, d’un air clairement ennuyé en s’appuyant sur le mur derrière lui. Ça lui a pris toute son énergie pour rien, par Salazar. « On va pas se crêper l’chignon pour des conneries pareilles, quand même » renifle-t-il avec mépris, oubliant, parce que c’est plus commode comme ça, qu’il ne s’est toujours pas excusé. Le moment est passé, sa conscience est à présent vide de toute culpabilité : c’est réglé, move on. Qu’il lui parle plutôt de cette fille qu’il lui a apparemment dégotée. Si elle existe, bien sûr.
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PRISONERS • bloodstains on the carpet Draco Malfoy | How did we come to this ?
We've gone too far from pride to shame, we're trying so hard, dying in vain 28 OCTOBRE 2002 & DRAGORY Il se fait presque un devoir d’enfoncer la baguette dans la plaie : tourmenter Gregory est tout un art, en plus d’être le seul moyen de lui arracher des détails. C’est un bon moyen également de pallier le fait qu’il soit terriblement mitigé : il y a de l’agacement, de la curiosité, de l’indifférence, de l’égo révolté – le dernier est d’autant plus titillé par le « C’est elle qui est v’nue me trouver, d’ailleurs », que lâche Goyle pour se dédouaner. Malfoy reste stoïque, mais sa mâchoire se crispe. « Et quand elle m’a dit pour votre espèce d’arrangement, là, j’ai tout arrêté. » Ah, c’était même après leur tête-à-tête au bureau. De mieux en mieux, vraiment ; comme quoi, mettre son vis-à-vis au pied du mur, sur la défensive, fait son effet : il en tire des informations pour le moins intéressantes (mais guère plaisantes) sur cette affaire. Franchement, ça vaut bien un coup-bas, et autant dire que Draco ne se prive ni de le faire ni d’en ricaner, mauvais. Greg oscille entre se renfrogner ou montre les crocs, mais finit par répondre. Non pas à l’une des questions, comme par esprit de contradiction, mais à une remarque. « T’es bien tombé », offre-t-il finalement en une tentative d’apaisement, qui fonctionne. Du moins, jusqu'à ce que le batteur demande s’ils peuvent passer à autre chose à présent, plutôt que se crêper le chignon pour une telle connerie. Est-ce que Goyle le traite de midinette ? Malfoy se demande brièvement s’il est conscient de mettre l’icendio à la baguette en laissant fuser cette dernière phrase ; et comme de fait, cette fois, l’exaspération qui crépite dans ses veines est bien réelle, parce que fuck, il a le droit d’en faire un plat s’il le veut, non ? Il est quand même supposé lui passer la bague au doigt, à cette femme, et les deux précédents échecs ont été à l’origine de cicatrices qui le laissent à fleur de peau. Il a le droit, il a tous les putains de droits, et pourquoi Goyle ne s’excuse pas ? (Il le sait bien, au fond : c’est parce que les dernières excuses qui aient fusé entre eux datent précisément du 31 décembre 1998 et que depuis, tout se règle à la baguette et au poing, avant d’être définitivement passé sous silence). Le blond ne pourrait nier que l’interrogatoire ait été truffé de pièges – tout autant que sa réplique, susurrée : « Non bien sûr, ne nous attardons pas sur la question, le fait que tu roules des galoches à ma promise n’est jamais qu’un détail sans importance. » Il avale d’une traite la moitié de sa boisson, se délectant de la brûlure de l’alcool le long de son œsophage. « Et puisque tu l’as repoussée, je ne devrais pas me plaindre du fait qu’elle ait tenté sa chance avec toi dans mon dos. Après tout on est potes, pourquoi ne pas tout partager, de la pipe aux gallions en passant par les femmes ? » Et il se rend bien compte qu’il envenime la discussion parce qu’il n’est rien d’autre qu’un emmerdeur qui balance des reproches sans accepter la réciproque ; même pas pour une question de sentiments bafoués. Au final, s’il ne savait pas encore il y a cinq minutes s’il se fichait ou non de cette histoire, c’est le fait de s’entendre dire qu’il devrait arrêter d’en parler qui le met plus en verve que jamais, le rend plus acide que moqueur, le fait rugir d’indignation. C’est aussi pour faire mariner son interlocuteur qu’il ajoute : « Je peux même expérimenter l’autre, si tu veux ? Te dire si en plus d’éprouver des sentiments tenaces à ton égard elle a l’avantage d’être un bon plan ? » Il parle d'Hestia alors ça n’arrivera bien sûr jamais, mais ça, Gregory n’en a pas encore l’assurance. Il se demande si ça lui tirera une réaction. Une réaction violente. Mine de rien, ce ne serait pas plus mal : ça indiquerait clairement qu’il est déjà intrigué, intéressé, ce qui serait somme toute déjà énorme venant de lui. Draco lève son verre vide, l’air solennel. « Ce n’est qu’une femme, elle ne se mettrait pas entre nous. » Il repose bruyamment la chope, un rire jaune au fond de la gorge. Cette fois cependant, il ne boit pas immédiatement. A la place il s’humecte les lèvres, ferme les paupières un instant, sentant pointer dans son esprit une autre de ces lumineuses idées foireuses dans lesquelles il entraîne trop souvent Gregory. « Et si… » Il penche la tête de côté, soupèse la lubie. « Et si tu testais Bonnie ? » Ses paupières sont plissées, le défiant de refuser. « Elle m’a assuré qu’elle ne couchait avec personne de mon entourage », révèle-t-il avec un froid sourire en coin, puis il y ajoute un mouvement de main négligeant, comme si ce n’était rien : « Avant de flirter avec toi, s’entend. Alors tu pourrais, je ne sais pas, l’encourager, histoire qu’on soit fixés. Que je sache jusqu’où elle serait capable d’aller avec l’un de mes plus vieux amis après m’avoir donné sa parole. » C’est définitivement un plan foireux, et la conversation est incroyablement perturbante tant elle ressemble à un échange qu’il aurait pu avoir s’il avait eu Blaise et non Gregory en face de lui. Blaise qui, sans hésitation, aurait accepté sans état d’âme ; Blaise qui n’aurait pas culpabilisé un seul instant, qui se serait même moqué en affirmant qu’il n’y pouvait rien si les femmes le préféraient. Blaise qui, désormais, est un sujet, un nom tabou. Blaise qui, surtout, n’est pas Greg. « Promis, y'aura pas de risque de crêpage de chignon » – sa lèvre supérieure se courbe avec dédain sur ses dents trop parfaitement alignées, tandis qu’il prononce ces mots. « Pas si tu me donnes des détails. » |
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| Apparemment, non, ils peuvent pas passer à autre chose. Pas avant que Malfoy ait fini de cracher sa verve. Il réalise, trop tard, qu’il aurait dû fermer sa gueule quant au crêpage de chignon – sans demi-mesure, les mots qu’il emploie sont souvent mal reçus. Mais Merlin, il dit les choses comme il les voit ; et l’attitude de son comparse commence légèrement à l’irriter. Ses doigts viennent pianoter sur le rebord de la table, premier signe véritable de son impatience. Quand il se met à s’agiter, c’est qu’il est sur le point de craquer. Fixant avec obstination son verre de whisky déjà bien entamé, il s’applique à ignorer l’ironie acerbe dégoulinant des paroles de son ami. Pourquoi il peut pas lâcher l’affaire ? Ça n’a aucune putain d’importance, c’est fait – terminé, il ne retournera pas vers elle. Il pensait que c’était clair, vu ses dernières paroles, mais apparemment non. Ou p’tête que l’autre a très bien compris, mais qu’il veut juste le faire chier. Et ça fonctionne à la perfection. « Et puisque tu l’as repoussée, je ne devrais pas me plaindre du fait qu’elle ait tenté sa chance avec toi dans mon dos. Après tout on est potes, pourquoi ne pas tout partager, de la pipe aux gallions en passant par les femmes ? » En théorie, il est plutôt d’accord avec l’idée – d’autant plus qu’il n’a aucune femme à partager, il s’en branle donc pas mal. En pratique, il a bien capté que Draco n’en pensait pas un mot. Saisissant la bouteille, il remplit son verre, bien qu’il ne soit pas encore vide, sans en faire de même pour son vis-à-vis. Qu’il aille au diable. S’il avait pu lui balancer ladite bouteille à la gueule, il l’aurait peut-être fait. Mais elle est pas encore vide, ce serait du gâchis. « Plains-toi si tu veux, mais tu t’plains à la mauvaise personne » glisse-t-il entre deux de ses simagrées, ne cherchant plus à contenir son agacement. Comprendre : va donc pleurnicher chez ta future fiancée, et fous-moi la paix, bordel. Après tout, plus il y pense, moins il est en tort. Elle savait très bien qu’elle était sa future femme. Lui ne l’a appris qu’au dernier moment, quand c’était déjà trop tard. Il a été manipulé, et maintenant, c’est lui qui s’en prend plein la gueule. Où est la putain de justice dans cette histoire ? Il avale d’un cul sec le contenu de son verre, et se ressert aussitôt. Il suspend néanmoins son geste alors que Draco le provoque une énième – et dernière, s’il a son mot à dire – fois. Redressant la tête, c’est un regard noir qui rencontre celui de l’autre, alors que sa main se resserre dangereusement sur le goulot. « Ta gueule, Malfoy » crache-t-il, furieux. Pour la deuxième fois de la soirée, il l’enjoint au silence. Le ton a changé, toutefois. Alors que quelques minutes plus tôt, il plaisantait légèrement, il se fait menaçant, et Gargoyle se redresse quelque peu, n’ayant toujours pas reposé l’objet. Si Malfoy veut en venir aux mains, il va être servi. Une instant de latence, comme une hésitation à frapper, maintenant, puis il se ressaisit. À moitié, en tout cas. C’est le mur que son poing vient heurter, pas si loin de la tête du blond. Encore assez lucide pour choisir, c’est déjà ça. Pas assez pour savoir doser, par contre. Il grimace de douleur, et fait jouer ses phalanges endolories. Ça l’a pas calmé, au contraire. Il dépose la bouteille, qu’il tenait toujours dans l’autre main, avec hargne. Ça n’en a pas valu la peine – constatation tardive, qui lui aurait évité de s’exploser les doigts. Il ne la connait même pas, et c’est presque comme si le blond voulait qu’il explose. Il a réussi. Accumulation ridicule, des heures qu'il a l'impression de l'entendre le provoquer. C’est limite s’il ne tremble pas alors qu’il essaie toujours de se calmer. La colère de Draco passe souvent par les mots, avec lui ; mots vicieux et provocants, jusqu’à ce qu’il craque. Ses colères à lui sont physiques : il ressent l’adrénaline jusqu’au creux de sa gorge, avec une vague nausée. Un poing dans la gueule, ça a le mérite d’être honnête, direct. Ça ne tergiverse pas, ça part sans réfléchir. Les mots mentent et blessent autrement, plus en profondeur. Ils sont recherchés, savamment maniés, pour toucher là où ça fait mal. C’est pas son truc, à lui. Foutu serpent. Il sent quelques regards se darder sur eux, sur lui surtout, toujours occupé à se masser la main dans un silence glacial – hors de question qu’il verbalise le fait d’avoir mal, il serait bien trop ravi. Personne ne semble néanmoins trouver à y redire quoique ce soit ; l'endroit est le lieu de nombreuses querelles intestines, et les murs du bar ont été témoins de bien pire qu'un coup dévié. Et si quelqu'un avait voulu ouvrir sa grande gueule, le regard de Goyle, toujours noir, suffit à calmer les plus téméraires.
Il rumine un long moment, ne parvenant pas vraiment à se défaire de sa colère. Ça lui colle à la peau, ce sentiment-là, ça l’enveloppe et il ne s’en débarrasse qu’au prix de trop grands efforts. Il rumine tant et si bien qu’il en oublie de demander qui est cette fille dont l’autre n’arrête pas de lui parler à demi-mots, tant et si bien qu’il est pris de court lorsque Draco retourne subitement et totalement la situation. « Et si tu testais Bonnie ? » Goyle laisse échapper un rire bruyant, l’incrédulité coupant presque totalement court à sa hargne. Son rire s’interrompt cependant brusquement, quand il croise le regard de son comparse. Tu me dois bien ça, croit-il y lire. Il fronce les sourcils, ne sachant pas s’il doit y croire. Il se rappelle vaguement que l’autre est coutumier de la chose, avec ces défis ridicules qu’ils s’échangeaient, Zabini et lui. Il n’y a jamais pris part, et se retrouver là, à la place d’un fantôme, ça le met pas franchement à l’aise. Mais il a l’air sérieux. Sérieux alors que cinq secondes plus tôt, c’était limite s’il ne le fustigeait pas d’avoir flirté avec sa fiancée. Le putain de monde à l’envers. Alors qu’il continue à exposer ses arguments, pourtant, l’idée se met à germer dans son esprit, un peu par surprise. Son premier réflexe, c’est de dire non. Pas par soucis de conscience – il n’en a pas grand-chose à foutre –, simplement parce que c’est complètement tordu, comme idée. Surtout quand on la lui propose à lui. Deux raisons de dire oui, toutefois, se mettent à danser dans son crâne. La première, évidente, est juste devant lui : p’tête que s’il fait ça, ils seront quittes. Il lui foutra la paix une bonne fois pour toutes. La deuxième, plus insidieuse, c’est la vengeance. Rowle et lui ne se sont pas quittés en bons termes, bien au contraire. Floué, c’est ce qu’il a été. Elle s’est foutu de sa gueule. Vulgaire pion pour emmerder son vis-à-vis. Et ça, il a pas apprécié. Du tout. « (...) Pas si tu me donnes des détails. » conclut finalement Malfoy. Greg reste silencieux, un moment, pesant encore le pour et le contre. Ça lui arrive jamais, de réfléchir autant avant de prendre une décision. Finalement, il s’étire, et un fin sourire vient étirer ses lèvres. « Pas de crêpage de chignon, hein ? » répond-il, vaguement narquois – il a bien compris que le terme était définitivement mal passé. Il lève la bouteille qu’il tenait un peu plus tôt en tant qu’arme, pour venir verser la fin de son contenu dans leur verre à tous les deux. « Si après ça tu m’fous la paix, j’suis d’accord. » Presque solennel, dans sa manière de lui faire savoir que c’est un service qu’il lui rend – coucher avec Rowle, un service – et non une obligation. Il en est pas trop sûr, finalement. L’aurait pas fait si la demande venait de quelqu’un d’autre, bien sûr. Il se serait contenté de lui rire au nez, chassant l’idée d’un secouement de tête. Mais est-ce pour ça qu’il accepte ? Se sent-il vraiment obligé de lui obéir ? Les limites sont trop floues pour qu’il s’y retrouve, parfois. « J’pense pas que ça fonctionnera, par contre, lance-t-il. Du coup, tu risques d’être déçu pour les détails. » Ou peut-être pas. Si le but est de s’assurer de sa fidélité, Greg a tout intérêt à revenir en ayant échoué. Parce que finalement, il est pas trop certain d’éviter une autre dispute ridicule, si Rowle cède, quand bien même l’autre lui assure que ce ne sera pas le cas. Toujours se méfier. « Est-ce que maintenant, tu vas me dire de qui tu parles, ou tu préfères continuer à me foutre le nez dedans sans rien lâcher ? ajoute-t-il quelques secondes plus tard, passif-agressif. Je la connais ? » Faire comme s’il s’en foutait, ça l’emmerde, finalement (et c’est plus trop crédible, comme sa main à présent quelque peu gonflée le lui rappelle douloureusement). Ça fait trois fois que l’autre le nargue avec le sujet, sans cracher le morceau, et ça devient lassant. Maintenant que l’affaire Bonnie est réglée – il l’espère, en tout cas, parce qu’il a assez entendu parler d’elle pour un moment –, il entend bien obtenir sa putain de réponse.
Se saisissant de son verre, il s'immobilise avant de lâcher un autre rire, aussi bref que sonore. « T’es conscient qu’ça fait bien cinq minutes qu’on est en train de s’entretuer pour des filles ? » relance-t-il, goguenard. Le ridicule de la situation, dont il a conscience depuis un moment – mais qu’il avait légèrement oublié, tout à son énervement – le percute une nouvelle fois, et cette fois-ci, c'est de lui-même qu'il se moque. Si on lui avait dit qu’il se prendrait la tête avec Malfoy sur ce genre de sujets, il se serait foutu de la gueule du menteur en face de lui. Un peu honteux, quand même. Son sourire s’efface quelque peu : « D’habitude, au moins, on s'tape sur la gueule pour des trucs plus sérieux. » Et c’est un autre fantôme qui flotte autour de lui. Pas longtemps, heureusement ; il n’a pas la tête à ça. Situation déjà assez tendue comme ça, et l’alcool n’a même pas encore fini de lui réchauffer l’estomac. D’un geste de la main, il fait signe à son vis-à-vis d’oublier. Comme s’il avait rien dit. Ça vaut mieux. Et il lève le bras pour commander une autre bouteille. L’autre n’est pas encore totalement vide, mais il préfère prendre les devants. La soirée va être longue, il le sent.
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PRISONERS • bloodstains on the carpet Draco Malfoy | How did we come to this ?
We've gone too far from pride to shame, we're trying so hard, dying in vain 28 OCTOBRE 2002 & DRAGORY « Ta gueule, Malfoy », ça sonne comme une menace, résonne comme un affront, et il ne la ferme pas. Il ne se tait pas, bien au contraire – il en rajoute, encore, encore, jusqu’à ce que la corde rompe, que les phalanges éclatent contre les pierres, à une ridicule distance de son visage. Juste là, contre le mur auquel il est presque accoté, suffisamment près pour que le craquement glauque résonne à son oreille. Les traits de Gregory se froissent sous le coup de l’impact, ceux de Draco sont figés, lèvres serrées à en blêmir, yeux légèrement écarquillés. Il ne sous-estime pas ce à côté de quoi il vient de passer – ce poing là a déjà heurté une balle de fer, un jour où le cognard a surgi hors de l’angle de la batte qu’il tenait de l’autre main. Pendant quelques secondes le blond retient son souffle sans même en avoir conscience, dévisage celui qui lui fait face, alors que le fond de la bouteille claque contre la table et que quelques-uns osent les darder de leur attention déplacée. Vite rembarrés par un coup d’œil menaçant de Gargoyle et, le choc passé, l’œil fixé sur la main amochée, Malfoy formule l’idée qui a germé dans son esprit. Les sourcils froncés de Greg semblent l’accuser d’être un putain de lunatique, et l’incrédulité qu’il y lit lui arrache un simi-sourire. C’est le cas, ça l’a toujours été. D’ailleurs, il s’attend à moitié à se heurter à un refus, et l’agacement luit déjà à l’orée de ses iris gris, annonçant qu’il ne lâchera pas l’affaire si facilement. Mais le brun accepte, et il en reste un instant bouche-bée, avant de laisser filtrer un rictus satisfait et de récupérer son verre, rempli à l’instant. « Marché conclu », scelle-t-il, les paupières plissées par une satisfaction malsaine. Il a un coup dans le nez, c’est certain ; assez pour nourrir ses travers, mais définitivement pas assez pour l’empêcher de marcher droit, ou le rendre scrupuleux à l’idée de continuer de boire. Il a déjà fait pire, bu à s’en rendre malade, plus d’une fois, plus soir, plus d’un mois. Il s’est juré de freiner, s’y tient tant bien que mal, mais Gregory est un appel à la rechute. Ils ne se retrouvent jamais seul à seul, jamais, il y a toujours une bouteille entre eux au départ, puis plusieurs, puis des éclats de verre, puis des baguettes, et des trainées carmines. Et toute cette rage contenue, contre l’autre, contre eux-mêmes, cette haine à exprimer pour retrouver une dynamique étrangement amicale au lever du jour. Ils ne sont jamais seuls, l’alcool personnifie le fantôme de Vince depuis deux paires d’années. « Du coup, tu risques d’être déçu pour les détails. » Il secoue la tête en signe de négation, précise : « Je veux tout savoir, pas que tu me serves l’un de tes résumés bâclés qui condensent le tout en deux phrases floues. Ses réactions, ses réponses, le temps qu’elle met à te céder ou à te repousser, ses hésitations ou son absence de scrupules. » Le verre est vide. Quand ? Il n’a pas conscience de l’avoir bu, doute tout à coup qu’il ait vraiment été rempli à nouveau. Il se redresse pour tenter d’apercevoir la serveuse, s’aperçoit qu’elle a été remplacée par une autre, et lève le récipient pour lui faire savoir qu’ils attendent d’être resservis. « Mais pas de sabotage, je compte sur toi pour bien t’y prendre. » Mais Goyle balaye ses recommandations, visiblement pressé de passer enfin à autre chose. Draco s’attend à moitié à ce qu’il lui parle de Quidditch, ou de tout autre sujet, mais pas à ce qu’il revienne sur la mystérieuse femme qu’il a pris soin d’évoquer à demi-mot. « Est-ce que maintenant, tu vas me dire de qui tu parles, ou tu préfères continuer à me foutre le nez dedans sans rien lâcher ? Je la connais ? » Cette fois, le sourire de Draco lui mange le visage, et il est carnassier. « Oui », qu’il réplique, sans préciser à quelle question il acquiesce. Gregory semble s’apercevoir qu’ils relancent sur la gent féminine au lieu d’éluder pour passer à autre chose. Il hèle la serveuse à son tour, mais ce qui suit change considérablement l’atmosphère. « D’habitude, au moins, on s'tape sur la gueule pour des trucs plus sérieux. » Ça lui glace le sang. Il y a eu bien d’autres corps sans vie depuis, bien d’autres fautes à expier, mais celle-ci s’agglutine à son âme avec acharnement, étreinte malsaine digne d’un détraqueur. « Ce qui me fait penser que – » (il rebondit difficilement, peu enclin à évoquer Vince, si tôt, alors qu’il n’est pas prêt, ne l’est même jamais) « cette femme parfaite, elle serait à même de te remettre sur pieds toutes les fois où tu finis amoché. » Pensif, pour brider ses réflexions et les empêcher de dériver vers un terrain trop sensible, il s’attarde sur des détails auxquels il n’avait pas prêté attention jusque-là. « Bien sûr que tu la connais – » confirmation à retardement, un index levé et le ton docte, comme si c’était élémentaire – « c’est la raison pour laquelle elle est idéale. S'il s'agissait d'une illustre inconnue se prétendant amoureuse sans le moindre fondement, elle ne serait qu'une groupie de plus dans ta vaste collection de bécasses. » Il a parlé un peu fort, suffisamment pour être entendu par la table à côté et vexer les femmes qui s’y trouvent et qui, depuis le coup de poing rageur, tentent sans subtilité aucune de gratter quelques bribes de conversation. « No offense », lâche-t-il, volontairement ironique, en s’adressant cette fois directement à elles. L’une est rouge pivoine, l’autre furieuse, la dernière lève le nez avec humeur, et peu importe qu’elles soient vexées ou honteuses – l’essentiel étant qu’ils aient de nouveau la paix maintenant qu’elles s’appliquent à montrer qu’elles ont autre chose à faire que stalker un quidditch player. Leur bouteille arrive enfin, au passage. Son attention revient à Greg, et Draco incline la tête, lorgne son interlocuteur. « Ça dure depuis des années alors à force, j’avoue avoir du mal à t’imaginer avec une autre. » A ce stade, Goyle a sans doute compris que le oui de tout à l’heure était pour la deuxième question. « J’en reviens pas, que tu n’aies rien remarqué depuis le temps. Et qu’elle n’ait pas fini par tout t’avouer… quoique, il y a bien une soirée où elle a semblé vouloir tenter sa chance. » Il se tait, laisse s'écouler plusieurs secondes, comme s'il tentait de se remémorer ladite soirée. « Mais si mes souvenirs sont bons, une fan t’a mis le grappin dessus, juste sous son nez. » Il se plait à tourner autour du pot. De toute façon, Hestia a bien attendu des années, alors que sont quelques minutes ou heures ? Il se fend d’une moue faussement hésitante. « J’ai des scrupules à dénoncer son secret. Quand je l’ai découvert à Poudlard, j’ai promis de ne rien en dire. » Et il a ri, surtout. Merlin, qu’il a ri. C’était le bon temps, il lui en a fait baver à ce sujet, à la gamine. Il lève les yeux au ciel, ajoute – « Mais Merlin m’est témoin qu’au rythme où ça va, vous ne serez plus que des loques décrépies, le temps qu’Hestia se décide à faire un nouvel essai. » La voilà, son info. |
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| | | | | How did we come to this ? (Draco) | |
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