L'ennui. L'un des visages de la mort. Le malheur des gens heureux. Depuis qu'il était rentré chez lui suite à un court séjour à Sainte-Mangouste, Clyde ne cessait de se tourner les pouces. Il n'était pas censé retourner travailler, pourtant, il en mourrait d'envie. Encore deux jours à tenir, deux jours qui lui sembleraient certainement interminables, deux jours durant lesquels il devrait rester seul chez lui à tourner en rond sans aucune distraction pendant que sa femme travaillait et son fils étudiait. Seule son elfe de maison était présente, mais que pouvait-il bien en faire ? Il l'avait suffisamment sollicitée et torturée par le passé, cela n'avait plus vraiment d'intérêt, d'autant que les elfes de maison étaient bien trop dociles et semblaient même aimer qu'on les maltraite. Quand les femmes agissaient ainsi avec lui, il adorait ça. Mais le elfes n'étaient évidemment pas là pour satisfaire sa libido. Il regrettait le temps des rebuts, là au moins il pouvait véritablement s'amuser et s'acharner avec un résultat à la clé. Pourquoi avait-il fallu les exterminer ?

Le directeur adjoint du département des mystères aurait très certainement préféré continuer sa convalescence à l'hôpital. En effet, il avait été mis entre les mains d'une jeune guérisseuse tout à fait ravissante qui ne s'était pas montrée insensible à ses charmes. S'il avait été en meilleure forme, il l'aurait certainement séduite avant même d'avoir eu besoin de l'inviter à dîner – mais il aurait quand même lancé l'invitation, car il était un gentleman avant tout. Les femmes étaient sa grande faiblesse, il était incapable de résister à la tentation de les charmer. Il se montrait enjôleur même avec les femmes qui ne lui plaisaient pas, juste pour le plaisir de les voir glousser et éventuellement les manipuler comme il le souhaitait. Bien sûr, beaucoup se montraient récalcitrantes, et selon l'intérêt qu'il y trouvait, il lâchait l'affaire ou au contraire se lançait le défi d'arriver à les séduire. Pour autant, il ne passait pas systématiquement à l'acte, loin de là. Il ne le faisait que s'il en avait réellement envie, que si la concernée lui inspirait vraiment quelque chose. Pour le moment, il ne savait pas encore quoi penser de la petite guérisseuse. Il connaissait tout juste son nom et n'avait hélas pas eu l'occasion de se renseigner sur elle comme il le faisait souvent lorsqu'une femme lui plaisait. Peut-être était-elle une jeune fille naïve et manipulable, peut-être était-elle une croqueuse d'hommes qui cachait bien son jeu, ou bien tout simplement une allumeuse. Il faudrait qu'il se penche sur la question.

Alors qu'il s'apprêtait à entamer la lecture de la Gazette pour la deuxième fois, il ordonna à son elfe de lui préparer du thé. Celle-ci s'exécuta, rapidement, lui servant une tasse dont le fumet était particulièrement odorant. Après avoir soufflé dessus, Clyde le porta à sa bouche pour en boire une gorgée… et la tasse se fracassa sur le sol tandis que l'homme portait la main à sa gorge, suffocant. « Va… me chercher… Miss Haugen ! » ordonna-t-il à l'elfe d'un air paniqué. Après avoir poussé un cri d'effroi, la créature transplana immédiatement. Quand elle revint, accompagnée de la jeune femme, son maître était tranquillement en train de lire le journal et les bris de tasse ainsi que la flaque de thé avaient été nettoyés. L'homme tenait une autre tasse de thé dans la main. Il se leva immédiatement pour aller saluer la guérisseuse. « Bonjour, Miss Haugen », dit-il avec un sourire charmeur tout en se saisissant délicatement de sa main et en déposant un baiser dessus. « Je vous prie de m'excuser, mon elfe s'est affolée pour rien, j'avais juste avalé de travers. »

En réalité, il avait fait exprès d'alerter l'elfe, car c'était de cette façon qu'il avait été empoisonné. Il avait acheté un thé spécial chez Borgin & Burke, qui avait le goût et l'odeur d'un véritable thé mais contenait un poison capable, au mieux, de vous envoyer à l'hôpital, au pire, de vous tuer. Il ne savait toujours pas comment son elfe avait pu mettre la main dessus, toujours était-il qu'elle lui en avait servi une tasse. Si Clyde n'avait pas aussi bien connu sa femme, il aurait pensé que c'était elle qu avait cherché à l'empoisonner. C'était par ailleurs cette dernière qui l'avait immédiatement emmené à Sainte-Mangouste. L'elfe avait été sévèrement punie, et se tenait à carreau dorénavant. « Elle a eu peur de revivre la même expérience », expliqua le sorcier. Puis il désigna un fauteuil vide. « Mais puisque vous êtes ici, que diriez-vous de partager ce thé avec moi ? Être enfermé ici ne me réussit pas, j'ai vraiment besoin d'un peu de compagnie. Me feriez-vous cet honneur ? Je vous couvrirai auprès de votre supérieure, bien entendu. » Supérieure qu'il connaissait pour être un peu trop proche de son frère par ailleurs. Il sourit, ravi d'avoir réussi son coup. Les conseils de l'ennui sont les conseils du diable.