Salle Commune de Gryffondor, 4e année de scolarité, mois de novembre.

La Divination était devenue une des matières préférées de Mira et de Boom depuis l'année dernière. Pourquoi ? Assez simple : les devoirs étaient la parfaite occasion de déchaîner leur imagination débordante. Il fallait réaliser des prédictions toujours improbables et le duo Brisbane-Martillo s'en donnait à cœur joie, réalisant souvent lesdits devoirs la veille pour le lendemain au chaud dans la salle commune, une fois que la plupart des Gryffondors étaient partis se coucher. Ne restaient plus que certains de leurs camarades qui finissaient d'autres devoirs pour le lendemain, et certains qui disputaient des parties d'échecs sorciers ou de bataille explosive. En clair, l'ambiance frôlait la dissipation intellectuelle et ça n'était que grâce à un sortilège d'insonorisation que les gens partis se coucher pouvaient dormir paisiblement.

Enroulée dans une couverture aux couleurs rouge et marron, la née-Moldue était enfoncée dans un des vieux canapés de la salle commune, les jambes étalées sur le reste du canapé… et notamment son compère de méfaits et de devoirs en binôme. C'était elle qui se chargeait d'écrire leur devoir sur un parchemin recourbé, et les cheveux bouclés de la brune tombaient par dessus l'accoudoir, vu sa position affalée. « Attends, attends, tu vas trop vite. Tu disais quoi après "démembré" ? C'est "pendu par" quoi ? » Ricanements depuis le fauteuil à côté d'eux : un couple faisant partie de leurs amis de maison suivaient avec intérêt leurs inventions splendides tout en visionnant des caricatures de la décennie précédente. « Ça manque un peu de tripes et de sang, hein. La dernière fois, vous avez été plus inspirés… - C'est la troisième fois en un an et quelques mois qu'elle veut qu'on raconte nos visions de fin de vie. Je suis désolée, mais normalement, si on est conséquents, ce qu'on lit dans les feuilles de thé, ça doit coller à nos rêves prémonitoires. Boom, c'était quoi donc ? Pendu par quoi ? »

« Pendu par les oreilles. » Tommy, avachi de l’autre côté du canapé, dépassait à peine de l’édition du jour de la Gazette du Sorcier, le nez dans les faits divers. Il s’agissait apparemment d’une excellente source d’inspiration, mais la réalité faisait pâle figure à côté des inventions morbides des deux comparses. Dans le journal, pas de sorciers à moitié dévorés par des gobelins enragés, pas de tripes déroulées sur toute leur longueur, pas de baguette enfoncée jusqu’à l’arrière de la cervelle –en passant par les narines, une image qui les avait fait ricaner pendant cinq bonnes minutes au fond de la Salle de Divination.

« Démembré, pendu par les oreilles et donné en pâture à des hippogriffes affamés… » « Les hippogriffes, c’est d’un classique… » « Vraiment, on va finir par croire que vous perdez la main. » « Donné en pâture à des B-b-b-b-b-b-b… » « Des Botrucs ? » « Des Billywigs ? » « Des Boursoufs affamés. » Des rires éclatèrent du côté du fauteuil, tandis qu’une multitude de ridules se creusait entre les deux sourcils mécontents de Brisbane ; rouge honte, seule teinte qu’il arborait lorsque le bégaiement refaisait surface, il abaissa le journal et accepta les Patacitrouilles qu’on lui tendait en guise de gage de paix. On ne l’ennuyait que peu avec son tic, encore trop frais, trop présent. « Des tripes… Y’a bien sorcier du Yorshire qui s’est fait écraser par son chaudron de Pimentine… Mais moi j’penche qu’on tient quelque chose avec les Bourchoufs », fit-il en tournant la page de la Gazette, la bouche pleine de bonbons, avant d'attraper le paquet pour en proposer à Mira : « Des Bourchoufs vampires... Des Bourchoufs loup-garous... Des Bourchoufs... » Et les sourcils froncés de revenir, cherchant l'inspiration crétine dans les yeux sombres de Martillo.

Hochant la tête, Mira note avec application l'endroit par lequel Tommy allait être pendu selon leurs prédictions splendides. Elle relève la tête au niveau des hippogriffes, fusillant du regard les deux qui les raillent et qui ne peuvent profiter de leurs prédictions que dans la salle commune vu que ni l'un ni l'autre n'a pris l'option Divination. « Les hippogriffes, c’est d’un classique… » « Vraiment, on va finir par croire que vous perdez la main. » « Donné en pâture à des B-b-b-b-b-b-b… » « Des Botrucs ? » « Des Billywigs ? » « Des Boursoufs affamés. » « Mais foutez-lui la paix, les Boursoufs, ça peut être dangereux, hein. » Des trucs qui ont l'air "trop mignons" peuvent être mortels : il suffit de demander à Ines de lui raconter ses histoires de poneys et ainsi de suite, ça peut devenir terrible. Depuis l'année dernière, Tommy a trouvé de l'utilité à ses poings et il n'hésite plus à casser la figure des personnes qui se moquent de son bégaiement, quitte à finir en retenue (souvent accompagné de Mira qui aura participé à l'empoignade). Mais Leslie et Donovan sont des amis et des camarades de maison, et s'ils charrient, c'est qu'ils aiment bien. Alors ils échapperont au duo Brisbane-Martillo et à leur vengeance terrible.

« Des Bourchoufs vampires... Des Bourchoufs loup-garous... Des Bourchoufs… » Ils se fixent tandis qu'elle prend le paquet qu'il lui tend, se sert et le renvoie dans les mains de Leslie. « On a déjà fait des inferis, la dernière fois, donc pas de Boursoufs zombies… C'est con, hein. Et puis les loups-garous, c'est pas impossible, déjà, ça ? Qu'un animal devienne garou ? - Sérieux, Mira, t'as retenu quelque chose du cours de DCFM ? Une première ! - Toi, ta gueule si tu veux continuer à pouvoir pomper les Soins aux Créatures Magiques sur moi. » Et de se redresser un peu tout en se contorsionnant sans enlever ses jambes de sur Boom, et de se plier en deux pour relire leur devoir en silence, avant de proposer : « Si on veut rester dans le principe du pont entre monde moldu et monde sorcier qu'on a déjà tiré avec ma mort » (noyée dans la Tamise, enfermée dans un sarcophage empêchant d'utiliser de la magie par des Moldus furieux) « je pense qu'on devrait dire que t'es mort et que les boursoufs charognards affamés dévorent ton cadavre. Ou bien tu deviens un Boursouf garou ? »

Crottés jusqu'aux oreilles, les cheveux trempés, d'une humeur massacrante, les joueurs de l'équipe de Gryffondor rentraient un à un dans la salle commune après une séance particulièrement catastrophique. Matteo esquissa un vague sourire à l'attention de June, qui s'éloignait en direction du dortoir des filles en traînant les pieds. Aucun n'avait beaucoup parlé sur le trajet du retour ; le souvenir du coup de batte que l'une de poursuiveuse avait reçu par erreur lui fit pousser un profond soupir de dépit. Le capitaine avait été sur le point de s'arracher les cheveux en descendant de son balais. Il avait craint un instant de le voir exploser de rage, avant que ce dernier ne baisse finalement les bras et se passe de commentaire et quitte le terrain d'un air maussade. Sage décision. Le nouveau batteur -une jeune recrue de deuxième année- était bien moins performant que le précédant et chaque séance était plus déprimante d'une fois sur l'autre. La chaleur de la salle commune cessa les frissons glacés qui agitaient ses membres, et Matteo retira sa cape et ses bottes en songeant à la montagne de devoirs en retard qu'il avait à rendre pour la semaine prochaine. Un petit groupe d'élèves étaient assis au coin du feu, plumes et parchemins en main, et des éclats de rire ponctuaient la discussion. Donovan leva la main et le héla en l'apercevant ; un vague sourire étira ses lèvres et Matteo s'approcha d'eux. Leslie était assise à côté de lui, et sur le canapé défoncé gisaient les deux carcasses de Kashmira et Tommy. Il évita leur regard, délibérément boudeur. Il leur en voulait encore terriblement pour la bourde de l'année dernière. L'un sans l'autre était tout à fait fréquentable. Les deux ensembles étaient juste invivables. Le duo ne devait plus compter le nombre de bêtises à leur actif, mais de toutes, celle qui réussissait encore à l'agacer des mois après était bien celle-ci : se faire virer de l'équipe de Quidditch après s'être battu à mains nues. Comme de vulgaires moldus ! « Alors ça a été ? » demanda Leslie d'un air inquiet, toisant le Grimaldi d'un air dubitatif. Matteo s'écroula sur le seul fauteuil restant en poussant un soupir désespéré. « Terrible. Patch a assommé Debbie par erreur, heureusement qu'il y avait quelqu'un pour la rattraper avant qu'elle ne tombe... » fit-il d'un air sombre, en massant sa nuque raide. « J'commence à me dire que le poste est maudit et qu'il n'y a que des crétins qui l'occupent. » et le silence accueillit sa remarque bougonne. Il n'avait pas jeté un regard en direction de Brisbane et Martillo, et Leslie eut une expression amusée qu'elle masqua à grand peine en regardant le duo.

Ils sont bien vautrés, au calme, à travailler vaguement et l'interrogation de Mira est coupée pourtant par le son de l'arrivée de l'équipe de Quidditch de Gryffondor, dont certains vont se coucher directement, apparemment trop crevés. Donovan indique à l'un des arrivés de les rejoindre, et c'est bientôt Matteo qui vient s'effondrer dans le fauteuil restant, de l'autre côté du canapé, face à Leslie & Donovan, après une question de la jeune femme : « Alors ça a été ? » Mira tourne la tête pour regarder son ancien coéquipier, tout crotté qu'il est, et tout assombri. « Terrible. Patch a assommé Debbie par erreur, heureusement qu'il y avait quelqu'un pour la rattraper avant qu'elle ne tombe... J'commence à me dire que le poste est maudit et qu'il n'y a que des crétins qui l'occupent. » Mira ricane doucement, la plume posée sur le parchemin qui attendra un peu. Il continue de leur faire la gueule depuis l'année dernière, depuis que Tommy a été viré de l'équipe pour avoir frappé l'attrapeur de Serpentard, et qu'elle-même a démissionné pour bien montrer sa désapprobation. Elle commente, à l'adresse de son voisin : « Je crois que notre gardien t'insulte. » Rien de bien méchant, bien sûr, mais une petite pique tout de même, logique de la part de Matteo.

Elle se redresse pourtant tandis que Leslie tente de les tempérer, sachant très bien que la soirée calme et marrante peut très vite partir en fumée si les deux trublions s'en mêlent : « Mais non. C'est juste que Patch est nul. Mais après, c'est sûr que ç'aurait été mieux si vous étiez restés dans l'équipe, hein, vous deux, là. » La trahison est dissimulée par un sourire amical et la jeune femme rousse lance le paquet de Patacitrouilles au gardien. Hoquet du côté de Mira, qui monte au créneau presqu'immédiatement, encore vexée que l'équipe ne les ait pas soutenus dans cette affaire : « Ben figure-toi qu'on aurait bien voulu y rester dans l'équipe. Mais si les Serpentards peuvent être des trous du cul, y a pas de raison qu'on puisse par leur apprendre les bonnes manières. - Je comprends les poings de Tommy. Mais t'étais pas obligée de démissionner en plus, Mira, c'est ça qu'on dit. » Et sentant que ça allait finir par devenir houleux, il ajoute avec prudence : « Et pour en revenir à votre devoir, je vote pour que Tommy soit piétiné par des licornes enragées. Les Boursoufs, sérieusement, c'est ridicule. »

« Je crois que notre gardien t'insulte. » Un peu mon n'veu. Renfrogné, il s'obstine encore à ne pas les regarder, à les haïr en silence pour leur maudit manque de sang-froid. « Mais non. C'est juste que Patch est nul. Mais après, c'est sûr que ç'aurait été mieux si vous étiez restés dans l'équipe, hein, vous deux, là. » Leslie sent venir l'orage, lui aussi, impossible de s'y tromper en voyant le demi sourire (moqueur?) de Kash et l'expression peu amène de Thomas. Patch est nul, certes. Mais eux deux, ils sont justes cons cons cons d'avoir quitté l'équipe, voilà bien le fond de sa pensée ! S'il pouvait le leur cracher au visage une fois de plus, quitte à se prendre le poing mal dégrossi de Tommy sur le coin du nez. Leslie lance le paquet de patacitrouilles, et il s'empresse d'en enfourner plusieurs d'un coup dans sa bouche, histoire de bien la remplir avant qu'il n'ait envie de déverser sa bile haineuse à l'adresse de Kash. Kash qui ne perd pas de temps, fidèle à elle-même, pour s'insurger et détourner le véritable fond du problème. Son culot manque de lui faire sortir les yeux de la tête et tous ses efforts pour se taire son réduits à néant en deux secondes à peine. « Ben figure-toi qu'on aurait bien voulu y rester dans l'équipe. Mais si les Serpentards peuvent être des trous du cul, y a pas de raison qu'on puisse par leur apprendre les bonnes manières. - Je comprends les poings de Tommy. Mais t'étais pas obligée de démissionner en plus, Mira, c'est ça qu'on dit. » « Tu t'fif' de moi, Kaff ? » Il avale précipitamment -et avec bien des difficultés- les patacitrouilles à peine mâchées, penché en avant, sans équivoque : voilà la colère qui revient. « Vous auriez voulu y rester ? Mais qu'est-ce qui t'en a empêché, toi ? Personne ne t'a virée à ce que je sache ! Tu nous as bien mis dans la merde, voilà ce que t'as fait, et t’ose t'en plaindre en plus, je rêve. » Donovan tente de calmer le jeu, ramène la conversation à un sujet moins sensible. « Et pour en revenir à votre devoir, je vote pour que Tommy soit piétiné par des licornes enragées. Les Boursoufs, sérieusement, c'est ridicule. » Ouais, que Tommy se fasse bien piétiner par ses licornes enragées. Et digérer par des Boursoufs, tiens, ça lui fera les pieds. « Accio sac. »[/color] grogne-t-il. Un instant plus tard, le sac de cours se précipite vers lui depuis le dortoir ; il l'attrape au vol et en sort rageusement ses livres d'astronomie, encre et parchemin. Sa carte est loin d'être remplie, il va encore y passer la nuit. « Quelqu'un a fait sa carte du ciel pour demain ? » demande-t-il du ton le plus léger possible (personne n'est dupe, évidemment). Donovan hoche la tête, pousse vers lui un parchemin à l'écriture serrée et aux planètes animées. Toutes légendées, un véritable cadeau. Merlin merci.

La nuque de Tommy se raidit quand Matteo ouvre la bouche : pas que l’adolescent soit doté d’une intelligence sociale exceptionnelle –ça se saurait, chez Brisbane-, mais des années de moquerie lui ont appris à reconnaître le sarcasme au premier battement d’oreille. Et le sarcasme du Capitaine, en l’occurrence, est aussi grinçant que sa cape est crottée. « Je crois que notre gardien t'insulte. » Le Gryffondor serre le poing, mais se tait en fusillant l’autre sorcier du regard, par-dessus sa Gazette. Les phalanges fourmillent déjà de colère, et le rôle tampon du couple les agite plus qu’il ne les calme. Mira, pas obligée de démissionner ?

On essaie de rediriger la conversation sur les devoirs en cours, mais Brisbane ne lit déjà plus les lignes qu’il parcourt des yeux, la caboche pleine d’une colère qui bouillonne à feu doux. Il abandonne en chiffonnant plus qu’il ne plie le journal –ça vaut toujours mieux que la petite tête bien dure de Matteo-, et conserve son expression de Boursouf renfrogné alors qu’il se redresse pour s’asseoir. Peut-être est-ce la chaleur du foyer, le confortable du vieux canapé, la proximité d’une Mira encore relativement calme, mais Tommy, au moins, n’a pas encore été saisi par ce sursaut de fureur si caractéristique, si irrésistible, qui le précipite sur autrui.

De là à se taire sans remuer le fond du chaudron alors que la situation s’apaisait, par contre, ça n’est pas encore gagné.

«  Ça va être de la faute de Mira si les Gryffondor ont une équipe de merde. Peut-être que le charisme d’huître du Capitaine ou, tiens, j’sais pas, la passoire qui sert de gardien y est aussi pour quelque chose. »

C’est bas, c’est injuste, mais ça n’empêche pas Tommy de le dire d'une voix démesurément forte. Il fusille Grimaldi du regard avant d’enfourner d'un geste furibond une moitié de Chocogrenouille dans sa grande gueule d’imbécile. Un imbécile prêt à se mettre à dos un ami et la partie encore éveillée de l'équipe, bien entendu.