Le hibou était arrivé, comme d’habitude, quelques jours auparavant. Il ne ressemblait pas à celui de la fois précédente (en même temps, Âqen n’était probablement pas foutu de reconnaître son hibou d’un autre) mais il n’y avait que ce sorcier pour lui envoyer des missives par la voie des airs. L’Anglais avait débarqué sur le sol américain et il avait une nouvelle fois besoin des services de la Miss Anderson. Ils avaient été mis en contact la première fois par un sorcier à qui Harper avait rendu de menus services pas tout à fait légaux, notamment grâce à son autre forme et cela avait tout de suite collé entre eux. Enfin, si on voulait. Ils pouvaient se montrer aussi immature l’un que l’autre, donc c’était une collaboration qui faisait toujours des étincelles … mais également couronnée de succès à chaque fois. Il ne posait pas de questions sur ses méthodes, elle ne voulait rien savoir de ses motivations et tout le monde était content. Il payait extrêmement bien et en plus elle avait le loisir de se payer sa tête ce qui était, il fallait bien l’avouer, un bonus non négligeable. Ils avaient rendez-vous dans le même bar que d’habitude (des fois qu’il ne soit pas physionomiste des bâtiments non plus, comme elle aimait à le charrier), trois jours après l’arrivée de la missive, ce qui lui laissait largement le temps de prendre ses dispositions.

A savoir quitter son emploi actuel (faire la vaisselle dans un restaurant moldu n’avait rien de glorieux, mais on lui avait appris quelques trucs en cuisine qui pouvaient se révéler utiles), et surtout, surtout … trouver l’accoutrement parfait pour accueillir Âqen comme il se devait. Et le jour dit elle se trouvait donc accoudé au bar. Transformée en sulfureuse blonde à la coupe d’Uma Turman (il ne connaissait sans doute pas la référence, mais tant pis), blouson en cuir noir, bottes assorties et slim en jean, elle ne se ressemblait absolument pas … et peut-être serait-ce ce qui mettrait la puce à l’oreille du cretinos. Et en même temps, il y avait de fortes chances qu’elle ait le bonheur de le voir aborder la sorcière au chapeau orné d’une orchidée violette à paillettes, un peu plus loin. Il lui avait demandé de porter un couvre-chef ridicule pour l’aider. Evidemment qu’elle n’allait pas lui faire ce plaisir. Accoudée négligemment au bar, à côté de sa pinte de brune irlandaise (qui détonnait un peu avec son costume de croqueuse d’hommes), elle attendait qu’il fasse son entrée. Elle n’était pas sûre de faire durer le suspens très longtemps, même si c’était toujours fort drôle : elle était intriguée et avait hâte de savoir dans quelle aventure abracadabrantesque il l’entraînait cette fois-là … Pourvu que ce soit avant que le gros porc attablé un peu plus loin, qui lui jetait des regards graveleux et insistants, ne trouve le courage dans son verre de whisky pur feu de venir l’aborder (et sans doute la tripoter, vu l’énergumène… ).

❝  Les Aventuriers du Faciès Perdu ❞ Flashback
 Âqen n’a jamais vraiment aimé les rats. Tout d’abord parce qu’il y en a plein les tombeaux et ensuite parce qu’ils sont particulièrement moches. Mais s’il y a bien un rat qu’il avait accepté d’adopter de façon plus ou moins tacite, c’était Harper. Et comme d’habitude, lorsqu’il a besoin d’une bestiole rampante, c’est à elle qu’il envoie le premier hibou qui lui passe sous la main. Et comme d’habitude, il est légèrement en retard. Problème de temps, éternel lapin d’Alice, cette blonde droguée dont Hazel lui avait vaguement parlé une fois, avec des chenilles fumant du narguilé et des cartes à jouer avec des bras… Somme toute une bien belle hérésie à la moldue, pas si éloignée des contes de Beedle, quand on y pensait. Le dossier sous le bras, il avait traversé la moitié de la ville au pas de course après avoir apporté les dernières retouches au projet qu’il comptait proposer à son amerloque préférée, aussi stupide puisse-t-elle être. Le lieu de rendez-vous était un bar classique, toujours le même que les fois précédentes et il n’était déterminé à en changer que si certains trafiquants d’artefacts venaient à remonter leur trace. Ce qui n’était probablement pas encore le cas considérant l’extrême prudence dont il s’avait faire preuve.

La clochette de l’entrée tinta légèrement lorsqu’il passa la porte du lieu de rendez-vous et Âqen fit quelques pas avant de se figer pour scanner les lieux. Evidemment, il avait demandé à ce qu’elle porte un chapeau particulièrement hideux et évidemment elle n’avait probablement pas écouté. De toute façon, il devrait certainement revoir cette modalité de reconnaissance puisque tous les sorciers avaient cette désagréable habitude de s’habiller n’importe comment. Il nota la présence d’une prostituée slave et blonde, toute de cuir (moustache) vêtue accoudée au bar, d’une autre jeune femme ornée d’un chapeau à paillettes et, un peu plus loin, d’un chapeau verdâtre orné d’une dinde parfaitement bien animée surmontant une tignasse brune.
Entre l’orchidée et la dinde, il opta pour le gallinacé et se jeta littéralement sur le porteur du chapeau… avant d’être accueilli par un fort accent redneck. Masculin. Et marmottant quelque chose comme « veuillez-vous sortir de ma zone de confort, monsieur, avant que je ne vous fasse passer ce dossier et cette choppe de bière par le séant, le tout sans beurre ni lubrifiant » (probablement de façon moins polie mais Âqen a toujours eu un filtre à redneck).
Se confondant en excuses plus ou moins gloussantes « Pardon monsieur, très joli chapeau. Joli brushing aussi, ma sœur serait jalouse. », l’Anglais battit en retraite pour tenter de repérer toute silhouette agitée de gloussement incontrôlables (parce qu’évidemment, Harper devait se délecter de la scène).
L’air de rien, il se dirigea vers la péripatéticienne slave avec la conviction d’avoir la bonne personne. « Excusez-moi, mademoiselle, je cherche une jeune femme brune, probablement plus moche que vous, l’air un peu débile. Vous l’auriez vue ? » Question innocente tandis qu’il fait flotter l’épais dossier sous le nez de la fausse blonde.

Ok, ça devenait vraiment lourd, les regards du vieux pervers. Et Âqen qui se faisait désirer … Heureusement qu’il payait bien et qu’en plus le boulot était toujours intéressant, parce que sinon elle serait déjà rentrée chez elle. Sa pinte était déjà à moitié vide (ou à moitié pleine, selon comment on décidait de voir les choses) et elle commençait à perdre patience quand soudain, la clochette de la porte d’entrée tinta … et c’était lui. Elle ne bougea pas, et du réprimer un sourire narquois en le surveillant. Il scanna effectivement du regard les personnes portant des couvre-chefs les plus excentriques. Comment pouvait-il s’imaginer deux secondes qu’elle allait s’affubler de ce genre de choses ? Portant sa chope à ses lèvres, elle manqua de s’étouffer en le voyant agresser la personne portant un couvre-chef surmonté d’une superbe dinde. Cela aurait été un beau pied de nez ironique, mais elle n’y était pour rien pour le coup. Et c’était beaucoup trop jouissif de le voir se répandre en excuses auprès du nouveau génie de la mode. Ça lui apprendrait, à ne pas mémoriser les visages !

Mais cela ne dura pas aussi longtemps que prévu. Elle avait pourtant essayé de rester discrète dans son hilarité, mais pas assez, apparemment. Excusez-moi, mademoiselle, je cherche une jeune femme brune, probablement plus moche que vous, l’air un peu débile. Vous l’auriez vue ? Et un dossier lui passa sous le nez. Ravalant un soupir, elle attrapa la liasse et le frappa sur le nez avec : Et comment tu le saurais, crétin, tu ne te souviens même pas de quoi j’ai l’air ? Ce qui, en langage Harper, voulait dire « salut, ça fait plaisir de te revoir, bon maintenant on y va ? ». Elle en profita pour lancer un regard narquois au phacochère qui venait de se dégonfler de déception derrière avant de faire signer au barman : La même chose pour lui, Anton, il paraît que c’est bon pour la mémoire ! S’éventant avec le dossier, elle finit par le poser négligemment sur le comptoir. Bon, allez, Sherlock, maintenant que tu t’es mis bien avec la gent masculine aimant la mode de ce bar, explique moi ce qu’on va faire. Elle finit par enlever sa perruque, qui la grattait terriblement pour la poser par-dessus la paperasse. Elle n’avait aucune intention de lire le tout, ce serait un, beaucoup trop long et deux, il fallait bien le faire travailler un peu. Et il ajoutait toujours deux-trois détails croustillants qui ajoutaient au charme de l’affaire, donc … pourquoi se priver ? Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule pour voir le sorcier offensé en grande conversation avec la dame au chapeau à orchidée qui hochait la tête en regardant Âqen d’un air mauvais. Etouffant un rire dans une toux, elle se permit d’ajouter : Et plus vite que ça, avant que le comité des sorciers aux chapeaux animés ne vienne te casser les dents. Enfin autant dire qu’ils auraient le dessus tous les deux sans souci, mais elle n’était pas du genre à se battre dans les bars … enfin en tous cas pas pour une histoire de sexe mal défini ou de dinde dansante. Il fallait une première fois à tout mais celle-là, elle s’en passerait bien …

❝  Les Aventuriers du Faciès Perdu ❞ Flashback
  Le coup qu’il prend sur le nez lui arrache un glapissement outré de fillette. S’il n’était pas pris par le temps et les obligations, il se mettrait à hurler à l’agression physique et ils finiraient tous les deux en cellule de dégrisement. Sauf qu’il n’a pas le temps. Et c’est fort dommage. « Et comment tu le saurais, crétin, tu ne te souviens même pas de quoi j’ai l’air ? » Il s’esclaffe ouvertement, tapotant le comptoir du bout des doigts, parfaitement hilare. « J’ai pas besoin de voir ton visage pour savoir que t’as l’air d’une fichue redneck ! Tu transpires la sauce barbecue et le grill. » Le clin d’œil qu’il lui décoche en dit long tandis qu’il s’étire longuement, laissant Harper prendre commande des boissons pour eux. « Bon, allez, Sherlock, maintenant que tu t’es mis bien avec la gent masculine aimant la mode de ce bar, explique moi ce qu’on va faire. » En silence, il l’observe retirer la perruque blonde recouvrant les boucles brunes qu’il reconnaît au premier coup d’œil. Un fin sourire se dessine sur ses lèvres et il obtempère avec un haussement d’épaules détaché pour son ultime remarque. « Qu’ils viennent, on pourrait s’marrer non ? T’en penses quoi ? » Les rixes de bar ne sont pas pour le discret Egyptien mais il doit bien avouer que distribuer quelques coups de poings et tessons de bouteilles avait un charme certain. Limite amusant.
Il jette un regard aux deux sorciers outrés agitant leurs chapeaux dans une conversation agitée et leur adresse son sourire le plus étincelant, légèrement provocateur. « Breeeeeef ! » s’exclame-t-il en claquant de nouveau le dossier sur le comptoir, manquant de renverser leurs verres tout juste servis.
D’un geste fluide de la main, il étale quelques photos devant les yeux d’Harper, prenant soin de ne rien dévoiler de compromettant.
« Trois dagues et un coffre. » Tour à tour, il indique les clichés désignés. La voix est basse, mesurée et sur le ton de la conversation. « Quatre éléments d’une relique magique importante aux yeux du gouvernement egyptien qui a demandé l’appui des britanniques.» Il fixe Harper du regard quelques secondes pour s’assurer qu’elle suit, anticipant les questions éventuelles. « Pourquoi ? J’en ai aucune idée. Je pense qu’ils ne veulent pas dévoiler que ça les intéresse et qu’ils n’aimeraient pas que ça leur retombe dessus. Sans compter qu’entre les USA et l’Angleterre, les rapports sont plus simples en cas de souci. » Haussement d’épaules léger. « Jusque-là, avec mes collègues, on a récupéré le coffre et deux dagues sans souci. Mais impossible de mettre la main sur la dernière. » Il laisse échapper un soupir légèrement agacé avant de s’agiter sur son siège. « On a même infiltré un musée moldu en pensant qu’elle y serait mais… pas du tout. Le chien de garde m’a mordu les fesses ! Tu veux voir ? » Du bout du doigt, il abaisse légèrement son pantalon, esquissant un sourire narquois avant de se reprendre et de poursuivre ses explications. « Ma supposition est que l’artefact est encore dans le monde sorcier mais dans une collection privée, le genre de truc intraçable. La bonne nouvelle c’est qu’on va pouvoir le récupérer en se marrant, le gars ne portera sûrement aucune plainte vu que c’est un artefact volé. La maaaauvaaaaiiiise c’est que pour le récupérer, on va sûrement devoir serrer les fesses. »
L’Anglais boit une longue gorgée de whisky avant de reposer bruyamment son verre sur le comptoir. « T’en penses quoi, ça t’intéresse ? »