« Avoir peur, ce n'est pas une vie, Rolf. Je suis triste d'apprendre que tu ne vis pas ta vie. » Classique. Du pur Luna Lovegood.
Rolf ne relève pas. Enterre la phrase pour la ressortir plus tard, la décortiquer, l'analyser. Elle a toujours le don de lui faire se poser des questions, Luna, de le remettre en question, de le faire réfléchir. C'est un don plutôt exaspérant mais Rolf sait que ce genre de personnes sont indispensables dans la vie de chacun. Elle sembla surprise quand il lui lança la fiole sur les genoux, mais un peu contente aussi. « Il vit vraiment ? — Tant que quelqu'un se souviendra de lui, oui ” dit-il avant de reprendre ses explications. Rolf était quelqu'un de plutôt supersitieux. De carrément superstitieux. Quand il disait que quelque chose portait chance, ça voulait dire qu'il avait consulté tous les livres de l'existence sur le sujet. « Mais Rolf... et toi ? » Il ne dit rien. Et lui? Et lui rien. Il ne vit pas sa vie. Il n'a pas besoin de chance.
C'est en se terrant dans un silence résolu qu'il se remet à ranger la chambre, avec un peu moins d'entrain peut-être. Alors il fut un peu surpris en sentant Luna s'approcher, se pencher et lui mettre quelque chose dans la main. « Pour les Nargles. Merci pour le troisième œil. » Il déplie les doigts. Son collier. Rolf répriea à grand mal un sourire amusé, attendri et un rien incertain. Il fait tourner les perles bleues entre ses doigts, appuie son pouce sur le rebord ciselé de la capsule et puis l'item disparait dans sa manche, gardé précieusement. Il oubliera peut-être la babiole avec le temps, mais pas le sentiment de réconfort qu'il ressent en cet instant précis.

« Comment vont Lolly, Floppy et Mundy ? » lui demande Luna, après s'être approchée de la fenêtre. Il continue, méthodique, de ranger, suivant des yeux l'évolution de l'entreprise qui est loin d'être terminée. “ Milly, Hoppy et Mordy, corrige-t-il d'un ton absent, machinalement. Ils vont bien. Tu devrais venir à The Ark, un jour, je crois qu'ils t'aiment bien. Et ça ferait plaisir à Porpentina. ” Il y a une certaine distance dans sa voix, maintenant, dont il ne se rend compte que trop tard. Il fronce les sourcils mais ne tourne pas la tête vers elle, continue de ranger minutieusement la chambre, l'ordonnant plus qu'elle ne l'a sans doute jamais été de toute sa vie. “ Tu sais... ” Il se mord la lèvre. D'habitude, Rolf ne relève pas les phrases cryptiques et incendiaires qu'elle lui lance; il les garde précieusement, les analyse plus tard, parce qu'il sait que le moindre débat avec Luna est perdu d'avance. “ Ce n'est pas parce que j'ai peur que je ne vis pas pleinement ma vie, Luna. Cette peur ne me définit pas. Elle fait partie de moi mais elle ne me définit pas. Parfois (il se rend compte qu'il s'est arrêté de ranger et reprend, continuant à parler d'une voix faussement détachée), il est bon d'avoir peur. ” Il se sent un rien condescendant et grimace. Finalement, il repose les objets qui lévitent, puis sa baguette, pour se tourner vers elle. “ Parfois, la peur nous rend forts. ”
Ah. Si seulement il avait su ce que l'avenir leur réservait, peut-être que Rolf aurait changé son propos. Ils étaient beaux, et jeunes, sans peur. La faille noire que la guerre allait ouvrir était encore loin.
Mais en attendant, Rolf sourit.

Spoiler:

« Milly, Hoppy et Mordy. Ils vont bien. Tu devrais venir à The Ark, un jour, je crois qu'ils t'aiment bien. Et ça ferait plaisir à Porpentina. » Le ton était si froid que Luna perdit tout intérêt pour l’œil de Bandimon, le posa contre le rebord de sa fenêtre avant d'aller perdre son regard à-travers cette dernière, fixant son attention sur les collines et les plaines qui entouraient sa Tour. Ce n'était pas la première fois que Rolf usait d'un tel ton avec elle, ni le seul. Elle ne s'offusquait pas, jamais, parce qu'elle avait une arme imparable pour oublier ce genre de désagréments : son esprit allait juste se perdre ailleurs. La technique était imparable ; un point dans l'espace et ses pensées prenaient le relais, l'emmenaient le plus loin possible des tempéraments les plus amers et des remarques les plus acerbes. Imparable sauf maintenant : elle pensait… quoi, d'ailleurs ? Que Rolf s'ouvrirait à elle, deviendrait son ami à elle aussi ? Parce qu'ils avaient juste échangés leurs plus précieuses possessions comme le font des amis ? Il l'avait juste empêchée de se tordre de le cou. Il essayait peut-être aussi de faire comme les autres, de savoir ce qu'il s'était passé au ministère. Il n'était pas son ami. Les amis s'excusaient lorsqu'ils s'apercevaient des infimes changements d'ambiance, les replis inopinés au beau milieu d'une conversation. Rolf rangeait tout le fatras qui s'était éparpillé au sol, c'était tout. « Ce n'est pas parce que j'ai peur que je ne vis pas pleinement ma vie, Luna. Cette peur ne me définit pas. Elle fait partie de moi mais elle ne me définit pas. Parfois... » Les amis ne devaient pas justifier leurs états d'âme et leurs actes, automatiquement. Ils riaient, ils boudaient, ils passaient à autre chose ; seulement après ils se retrouvaient et en parlaient. « … il est bon d'avoir peur. » Luna remarqua que plus aucun bruit ne lui parvenait. Il ne rangeait plus rien et se livrait. Elle avait remarqué pourtant qu'il n'avait jamais fait ça avant. Lui parler aussi ouvertement – entre quasiment et rien, avec Rolf, il ne semblait n'y avoir qu'un pas. Mais même là, en sachant qu'il lui confiait une partie de lui-même, elle ne réussissait pas vraiment à s'ôter de l'esprit que les amis ne se justifiaient pas, entre eux. Bruits assourdis, plus rien ne tenait en équilibre dans les airs : il avait fini. « Parfois, la peur nous rend forts. » Lovegood se retourna lentement pour l'observer, remarqua même son sourire, de son air habituel, rêveur, ailleurs. Elle, elle avait plutôt l'étrange – et furieuse – impression que la peur ne pouvait pas la rendre forte. Elle avait la désagréable impression que la peur pouvait la détruire, la garder recroquevillée et prostrée sur le sol, l'empêcher de bouger et de n'attendre qu'une seule chose : que tout s'arrête pour de bon. La peur ne ferait rien d'autre pour elle que de la garder tétanisée pour toujours. La Serdaigle baissa le regard, se contenta d'acquiescer légèrement. La peur pouvait rendre Scamander fort. La peur rendrait Lovegood faible, alors. « Tu veux du thé ? », lâcha-t-elle alors subitement avant de se retourner pour fermer les battants de sa fenêtre. « Un ami de Daddy est allé en Chine, le mois dernier. Il nous a ramené le thé que Mama aimait tant. Je crois me souvenir que tu l'aimais bien, ce thé. », sans rien ajouter, Luna lui passa devant et ouvrit la porte de sa chambre, passa le petit corridor de son étage avant de descendre une nouvelle fois les escaliers en colimaçon de la Tour. L'étage du dessous était celui de Daddy, et celui du-dessous encore, la cuisine et leur pièce à vivre. Déambulant presque à l'aveugle (sans faire attention à ce qu'elle faisait), elle s'empara de la théière en cuivre, la remplit d'eau avant de la mettre sur le feu. En attendant l'ébullition, Luna débarrassa un coin de la table pour y déposer le thé empaqueté, une tasse propre et le sucre afin que Scamander puisse s'y installer. Elle ne l'entendit pas descendre : elle s'attelait à déposer sa tasse sur une pile de livre qui se trouvait là.

Spoiler:

« Tu veux du thé ? » Dialogue de sourds. Comme toujours. Rolf a envie de lui demander à quoi elle pense. Il a toujours envie de lui demander à quoi elle pense. Avec son air rêveur, ses yeux perdus dans le vague, ses expressions curieuses... Luna Lovegood est un satané mystère. L'a toujours été. « Un ami de Daddy est allé en Chine, le mois dernier. Il nous a ramené le thé que Mama aimait tant. Je crois me souvenir que tu l'aimais bien, ce thé. » Ah, Pandora. L'évocation de la mère de Luna plongea Rolf dans une humeur morose. Les garçons ne pleurent pas, disait Newt avec un malin plaisir quand il voyait les yeux de son petit-fils se remplir d'eau. Rolf se souvenait avoir férocement mordu son oreiller pour étouffer ses sanglots le lendemain des funérailles de Pandora Lovegood, pourtant, et il se souvenait aussi que Newt n'en avait jamais rien dit. “ Je veux bien, oui, ” dit-il lentement, tout souvenir s'évanouissant de son visage. Elle quitte la pièce après avoir fermé les battants de la fenêtre et il se relève lentement, difficilement en se frottant l'arrière du crâne. Un peu de sang mais il est déjà coagulé, il ne lui tombera pas dans la nuque. Il demandera à Porpentina d'inspecter ça plus tard.
Juste avant de fermer la porte de la chambre, suivant Luna dans le dédale Lovegood, il jette un dernier sortilège et les derniers meubles râclent le sol, les dernières étagères se remplissent, les derniers tiroirs se remettent en place. Il jette un regard vers le plafond, où le Trio d'Or et consort lui renvoient des paires d'yeux esquissés curieux. Rolf se demande ce que ça fait, d'avoir des amis.

Il dévale les escaliers quelques instants après Luna.
Il ne sait plus trop si il aimait ce thé ou non. Il sait juste qu'il observe longuement Luna avant de ramener vers la table délaissée deux chaises dépareillées qui traînent près des escaliers — il a depuis longtemps abandonné l'idée de comprendre l'agencement de la maison Lovegood — déposant une près du thé empaqueté et l'autre près de la pile de livres. Il ouvre le thé, le met dans la théière avant qu'elle n'y verse l'eau chaude; c'est lui qui sert Luna, puis sa propre tasse avant d'y rajouter deux sucres. Il les observe se désintégrer dans l'eau d'un air maussade. Ça fait des années qu'il n'a pas parlé à Luna et des années qu'il n'a eu aucune envie de lui parler. Ils sont plutôt bons pour s'ignorer en silence et laisser durer le calme. Après tout, ils n'ont rien à partager, n'est-ce pas? Ils sont complètement différents. Elle est naïve et crédule, il est méfiant et cartésien. Elle est idéaliste, il est pessimiste. Ils trouvent pourtant, tous les deux, refuge dans le silence. Le silence de Rolf est froid et cruel, il s'en drape avec arrogance et peur, c'est une arme bien plus qu'un bouclier; celui de Luna est indolent et factice, rêveur et lisse, il ne laisse rien passer.
C'est paradoxal, qu'ils s'entendent mal. Non: difficilement. C'est paradoxal, aussi, que Rolf s'entende si bien avec Xenophilius et ait été si proche de Pandora de son vivant.
Leur amitié a un goût d'inachevé. Une oeuvre en plan, un bâtiment en construction que Rolf a décidé d'abandonner en décrétant qu'en plus d'être trop naïve, Luna était aussi trop jeune pour jamais s'entendre avec lui.

Non, Rolf et Luna n'ont définitivement rien à partager.

Rolf se brûle les lèvres en y apportant la tasse. “ T'as envie de faire quoi, après Poudlard? Tu veux passer quelles BUSES? ” laisse-t-il platement tomber, laissant ses yeux s'évader sur la décoration intérieure Lovegoodienne qui manque, trouve-t-il, terriblement de goût et de charme.
Il s'en veut terriblement, et préférerait partir d'ici immédiatement, courir jusqu'à chez lui, traverser la mer à la nage plutôt que de souffrir une conversation awkward avec Luna Lovegood. Mais surtout, il s'en veut terriblement de ne pas savoir la traiter autrement.

Spoiler:

Elle n'avait pas remarqué son arrivée silencieuse, ni le fait qu'il soit resté complètement immobile sur le palier de la cuisine une bonne minute, au moins. Elle n'avait pas non plus jugé utile de le remercier lorsqu'il avait amené les chaises autour de la table, se contentant seulement de s'asseoir en tailleur sur la sienne, cultivant leur silence sans en ressentir une quelconque gêne. Lorsqu'il versa le thé dans les tasses et rajouta du sucre dans le sienne, Luna se mit soudainement à l'observer très attentivement, frappée par un détail qu'elle n'avait jamais remarqué auparavant. Un fait qui lui avait toujours échappé jusqu'alors, et qui, malgré tout son bon-vouloir, restait complètement hors de sa portée. Oui, pendant plusieurs minutes, elle tenta de deviner ce que c'était mais elle avait beau se concentrer, elle ne parvenait pas à mettre le doigt dessus. Ce n'était pas comme si elle le rencontrait pour la première fois depuis longtemps, pourtant : d'aussi loin qu'elle se souvienne, Luna avait toujours aperçu la silhouette de Scamander chez elle, à The Ark ou dans les couloirs de Poudlard plusieurs fois par an. Il restait toujours silencieux, comme aujourd'hui, ne passait jamais plus de temps que nécessaire avec elle mais c'était suffisant pour qu'elle ne le considère pas comme un total inconnu. Il n'était pas son ami, il était l'ami de Daddy : c'était une raison suffisante pour qu'elle puisse se dépeindre une image de Rolf Scamander dans un coin de sa tête. Cheveux, yeux, nez, bouche, carrure : rien ne semblait avoir changé chez lui depuis leur dernière rencontre (sauf peut-être le sang qui coagulait à l'arrière de son crâne) mais plus elle le regardait, plus était persuadée que quelque chose lui échappait totalement. Son visage resta de marbre lorsqu'elle le vit grimacer après bu son thé brûlant, plus encore lorsqu'il lui adressa la parole. « T'as envie de faire quoi, après Poudlard? Tu veux passer quelles BUSES? », battant rapidement des cils, elle le fixa soudainement avec des yeux emplis de surprise, comme si elle était étonnée de le voir ici ou d'apprendre qu'il venait en réalité d'une autre planète. Elle n'avait pas vraiment l'habitude de parler de ses études. Sans vantardise aucune, le simple fait qu'elle soit à Ravenclaw lui avait souvent évité les désagréments qui incombaient aux conversations ayant attrait sa scolarité à Poudlard. Parler des cours en dehors des cours ne faisait pas parti de ses centres d'intérêts privilégiés. Planifier son avenir scolaire comme elle développerait un devoir pour le cours de métamorphose ou de potions, encore moins. N'avait-elle pas choisi ses options un peu au hasard, après tout ? « J'ai pris runes et divination en option., qu'elle lui répond par pur automatisme, les mots s'échappant de ses lèvres comme si ce n'était pas elle qui les prononçait, trouvant la situation complètement invraisemblable elle allait vraiment parler de ses cours avec lui? « Mais après Poudlard, je... », sa phrase se perdit dans les airs lorsque la porte d'entrée s'ouvrit à la volée, Xenophilius réapparaissant à Luna et Rolf les bras chargés de paquets et un sourire mystérieux aux lèvres. « Ah ! Rolf, tu es déjà là ? Bien, bien : c'est parfait ! Luna, sweetie, tiens, je t'ai rapporté de la peinture pour la fresque... Où est-ce que... », Luna décroisa ses jambes et se leva, s'approchant de Xenophilius tandis qu'il fouillait frénétiquement dans les sacs à la recherche du paquet égaré au hasard. Quelques secondes de plus et il ressortit d'un sac bleu roi une énorme boîte en bois sculpté. « Merci, Daddy ! », un baiser sur la joue mal rasée de Xenophilius et Luna retourna vers la table de cuisine pour récupérer sa tasse de thé. Mais en relevant la tête vers Rolf, elle sursauta brusquement, plongeant dans son regard presque translucide deux iris troublées. Là, elle avait trouvé le détail qui l'avait tant ennuyé quelques minutes plus tôt. « Amusez-vous bien ! – A tout à l'heure, Sweetie. » lança Xenophilius d'une voix survoltée en comparaison de celle, éthérée, de sa fille. Luna grimpait déjà les marches de l'escalier en colimaçon deux par deux, la boîte de peinture sous le bras et le thé fumant dans la main opposée. Ce n'était pas quelque chose de passé qu'elle venait de voir, plus quelque chose qui n'était pas encore vraiment là, un genre de pressentiment qui prenait aux tripes sans véritablement savoir pourquoi. Ça n'avait pas duré longtemps, juste assez pour qu'elle puisse deviner de quoi il s'agissait maintenant. Elle était certaine d'avoir vu autre chose que la tolérance pure et simple qui se reflétait toujours dans les yeux de Scamander lorsqu'il était en compagnie de Luna Lovegood. En revanche, elle ne savait pas si elle réussirait un jour à déterminer la forme véritable que revêtirait le regard de Rolf à son égard : s'il la regardait en bien... ou en mal.

Spoiler:

Le soleil est en train de se coucher quand Rolf parvient à se faire congédier par Xenophilius. Celui-ci ne semble pas très disposé à le laisser partir, pourtant, relançant toujours la conversation avec passion et verve. Rolf l'adore pour ça, mais il sait aussi qu'il a beaucoup de trajet pour rentrer chez lui et qu'il n'a aucune envie de se retrouver coincé à Loutry Ste Chaspoule en pleine nuit sans aucune possibilité de rentrer à The Ark. Il s'excuse, il sourit, il promet de repasser dès que possible, il serre la main de monsieur Lovegood et s'empresse de refuser le thé qu'il essaie de lui offrir comme à chaque fois (Rolf en a des paquets et des paquets chez lui, déjà, qu'il consomme plutôt régulièrement parce que ce thé lui rappelle des bons souvenirs partagés avec cette famille délurée), lui serre la main une nouvelle fois et finit par remettre son sac à dos sur ses épaules et par grimper quatre à quatre les escaliers jusqu'à la chambre de Luna, sur la porte de laquelle il frappe trois fois avant de glisser la tête à l'intérieur.

En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, elle a reconstitué son escalier de tous les possibles avec tous les meubles de sa chambre, dans une équilibre encore plus douteux qu'avant. Les portraits se dessinent de plus en plus au plafond et, comme souvent, Luna Lovegood semble complètement dans son univers, ne s'était apparemment pas rendue compte de la tête de l'intrus dans la pièce.
Rolf l'observe en silence, et s'étonne du fait qu'elle ait tant grandi, et le fait qu'elle soit tant restée la même. Il n'a jamais remarqué qu'il y avait cette innocence, sur le visage de Luna Lovegood, qui existait même quand personne ne la regardait ou quand elle pensait que personne ne la regardait. Quand il était jeune et con (d'accord: quand il était plus jeune et plus con), Rolf pensait que Luna n'était qu'une exubérante, une excentrique qui se ‘donnait un genre’. Une pensée grostesque et insultante, vraiment, parce qu'il avait appris à connaître Luna, qui était tout le temps sincère, entière et honnête. Si il y avait bien une chose qu'on ne pouvait pas reprocher à Luna Lovegood, c'était le fait qu'elle était toujours honnête et qu'elle ne mâchait pas ses mots. Ou du moins, c'est l'impression qu'elle renvoyait.
Elle semblait toujours indolente et entière et calme, composée et indifférente à ce qui se tramait autour d'elle. Elle avait construit son propre monde dans celui des autres et Rolf la respectait pour ça: c'était comme une bulle protectrice, tout aussi efficace que les murs mentaux et émotionnels qu'il érigeait lui-même autour de son coeur comme des remparts, qui ne laissait personne à l'intérieur.
Sauf ceux dont elle traçait le portrait sur le plafond.

Il s'éclaircit la gorge mais elle ne l'entendit pas. Il le refit une seconde fois et elle sursauta, manquant de s'écraser parterre en perdant l'équilibre, mais parvint à rester stable au dernier moment. Rolf n'avait pas bougé, l'observait de ses yeux bleus comme si il gravait cette image dans son esprit: la surprise, d'abord, sur les traits de Luna, puis de nouveau le calme plat de ses émotions habituelles. Elle était comme une étendue d'eau sereine dont la surface était parfois perturbée par un caillou jeté négligemment, et cette surface finissait toujours pas redevenir calme, quoiqu'il advenait.
“ Je... m'en vais. Je voulais juste te dire au revoir. ” Au moment où il le dit à voix haute, Rolf se rend compte que c'est embarrassant et stupide. Elle portait toujours les mêmes prunelles opalescentes sur elle, différentes d'il y a quelques heures peut-être: elle semblait avoir compris quelque chose qui lui échappait, comme si elle avait la clef d'une énigme dont Rolf ignorait même l'existence. “ Donc... au revoir. Bon courage pour tes BUSES. L'examen d'Arithmancie n'est pas si terrible qu'il en a l'air, il paraît. Et- voilà. Bonne soirée, Luna. ”

Elle ne répond pas, pendant un petit moment, et il ne prend pas offense: il s'est habitué à son comportement parfois incompréhensible. Alors il hoche la tête légèrement, sentant les yeux bleus de Luna vissés sur lui comme un regard de rapace, marmonne quelque chose sous sa respiration qui se perd dans sa gorge et va pour fermer la porte. “ Au revoir, Rolf, ” entend-t-il avant que le battant ne se referme et pendant un instant terrible, Rolf a un mauvais pressentiment, le genre de pressentiment desquels on vous dit de vous méfier en cours de Divination et le genre de pressentiment qui vous prend par les tripes. Il y a quelque chose de définitif dans la voix de Luna, et Rolf a envie d'insister auprès de Xenophilius pour rester pour la nuit et passer la soirée à aider Luna à ranger sa chambre et peindre ses portraits et lui arracher plein de petits détails, enregistrer plein de petits détails et, peut-être, se faire pardonner pour son comportement stupide de ces dernières années.
Mais le pressentiment va et vient et ne laisse derrière lui qu'une impression vague de malaise, à laquelle il s'est habituée avec le temps en présence de Luna Lovegood.

Il ferme doucement la porte derrière lui et sort de la maison sans se retourner.

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