☇ Avis sur la situation actuelle ; Voilà maintenant longtemps qu’on ne connaît plus que les conflits et la peur. Le chaos et la destruction. Étrangement, ça ne la dérange pas vraiment. Elle garde au fond de son cœur une certaine satisfaction. Détruire pour tout reconstruire. Reconstruire parfaitement. Elle se focalise sur cette idée pour passer au-dessus de la violence et des menaces quotidiennes. Oh, bien sûr, quand sa famille a été soupçonnée de trahir le régime, elle a eu une sacrée prise de conscience, car elle a vu que son rang ne la mettait pas totalement à l’abri comme on a voulu lui faire croire. Mais au lieu de s’agenouiller, elle a juste fermé les yeux, n’a rien dit pour ne pas faire de vagues. C’est toujours plus facile de se faire oublier.

❝ Come upstairs and I'll show you where all my demons hide from you. ❞1990 & Domaine familial des Rowle
“Tu vois bien que ce n’était pas si difficile.”
Son père lui tape maladroitement l’épaule. Imogene reste plantée au milieu des feuilles, ses yeux écarquillés passant de la baguette au bout de son bras tendu au corps gisant par terre, sans vie.
“C’était un Sang-de-Bourbe, Imogene. Tu comprends ?”
Elle hoche la tête sans conviction.
“Je suis fier de toi.”
Elle tremble comme une feuille. Elle a envie de vomir. Ou plutôt envie de pleurer. Les deux. Tout à la fois. Quand il s’approche doucement du cadavre, elle sursaute et s’enfuit à toutes jambes, ignorant les appels de ce père qui lui a apprit le pire. Elle trébuche, s’écorche les genoux, mais continue de courir à perdre haleine, luttant contre la bile qui lui brûle les entrailles.
Ses jambes la guident devant la grande bâtisse qui lui sert de maison. Elle entre en trombe, croisant le regard épouvanté de sa mère devant son allure débraillée. Il faut dire que ce n’est pas beau à voir. Ses cheveux sont en désordre, ses genoux saignent, et elle est couverte de feuilles et de boue.
Avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit, Imogene monte les escalier quatre à quatre et se rue dans la salle de bain. Elle n’ose pas regarder son reflet. Elle se contente de frotter à s’en faire saigner la peau tout ce qui pourrait la trahir. Elle a tué. Elle est impure, sale, et pourtant elle fait la fierté de son père pour la première fois de sa vie.
Quand elle ferme la porte de sa chambre, elle éclate en sanglots. Elle regarde les grosses larmes salées couler le long de ses joues. Imogene a onze ans et elle vient de tuer pour la première fois. Une petite voix lui souffle que ce ne serait pas la dernière.
Elle se gifle. Non, elle n’a pas le droit de pleurer. Elle ne doit pas être si faible. Encore une gifle. Les coups partent comme des fusées. Elle se tire les cheveux, se griffe, elle fait tout pour se détruire.
Quand sa peau ne lui suffit plus, elle balance les chaises à travers la pièce, renverse son bureau en bousculant au passage les encriers qui se brisent au sol. Elle essaie d’arracher les rideaux, en vain, alors déchire ses draps, mord son oreiller et jette ses vêtements rageusement par terre. Elle ne se reconnaît plus. Elle crie comme une furie, gueule sa souffrance au monde entier, mais personne ne l’entend. Personne ne vient. Elle est toute seule.
Quand elle ne trouve plus rien à détruire, elle reste immobile par terre comme une poupée désarticulée, exténuée, dégoûtée. Elle regarde autour d’elle et ne voit que le désordre, l’ombre de sa peur et de sa faiblesse. Elle sèche ses larmes et se relève avec peine. Doucement, encore tremblante, elle efface les preuves de son élan de folie en laissant échapper quelques sanglots. Elle relève les meubles, ramasse les parchemins tâchés d’encre, et change les draps pour que tout soit comme avant. Non, mieux qu’avant. Tout doit être parfait, rien ne doit laisser paraître son trouble.
Quand elle finit son œuvre, la fillette balaye la chambre d’un regard. Ne voyant rien à refaire, elle s’assoit sur le lit, les mains posées sur les genoux, et elle attend.
Avec un peu de chance, personne ne verra rien.

❝ Loneliness kills all the thrill from standing alone ❞1995 & Poudlard
Encore une année “normale” à Poudlard. Comme tous les ans, Potter et sa bande défient le règlement et attendrissent ce vieux shnock de Dumbledore qui leur ajoute des points au hasard. Un dénommé Malfoy a du mal à s’en remettre d’ailleurs. Le reste de l’école n’a plus grand chose à dire, ils savent tous que c’est peine perdue pour l’instant. Imogene préfère compter le nombre de jours qui la sépare des vacances. Quoique, elle s’ennuie tout autant ici que chez ses parents.
“16 ans, c’est l’âge”, ils disent. L’âge de quoi ? Elle passe plus de temps à réfléchir pour trouver la réponse qu’à vivre l’instant.  Résultat, elle se sent tout à fait invisible.
Quelques filles de son dortoir, faute de pouvoir trouver mieux, se confient sur les idylles, les rancunes et les peines de l’adolescence. Tandis que le récit s’étire et que les langues se délient, elle mime la surprise, la confusion, la gêne parfois, parce que c’est son rôle. Quelque part, elle vit un peu à travers leurs regards.
Avec les confidences, un semblant d’amitié se crée. Imogene se sent privilégiée. On la fait sortir, on la déride un peu, parfois même elle pense qu’elle le mérite. Et puis tout change au moment où les crises arrivent. On évite un peu son regard, on lui parle un peu moins, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien. Juste un sourire gêné et quelques souvenirs flous laissés dans un coin de la classe.
Et ça se répète. Encore et encore. Confidences. Amitié. Crises. Fuite. Solitude. Et malgré tout, Imogene les laisse s’approcher en sachant très bien comment tout cela va se terminer.
Elle n’a pas grand chose à perdre.

❝ A paper town, for a paper girl ❞1998 & Manoir des Rowle
Imogene sirote son thé en ouvrant la Gazette du Sorcier. Comme d’habitude, les nouvelles ne sont pas bonnes à Poudlard. “Bientôt, les Sang-de-Bourbe paieront et tout rentrera dans l’ordre”, répète son père, plus pour se rassurer lui que pour elle. Ses yeux parcourent en diagonale la liste des disparus qui s’accumulent de jour en jour. Elle reconnaît quelques noms, des camarades de classe, de vagues connaissances, rien de plus. Elle reprend une gorgée de thé.
La voilà donc, la guerre qu’ils avaient tant espérée. Ou redoutée. Au fond, la situation ne profite à personne. La peur envahit les rues de Londres qui lui paraissent beaucoup plus étroites que dans son enfance. Imogene pense aux visages qui affichent un sourire forcé pour combler la place de l’espoir. Mais l’espoir de quoi ? Tout est déjà à moitié en ruines, la situation empire et presque personne n’est à l’abri.
Elle est déjà lasse alors que ce n’est que le début. Quand elle lève les yeux vers ses parents, quand elle regarde la grande pièce sombre et étouffante, elle a le curieux sentiment que tout cela n’est qu’une façade trop fragile, une armure de papier qui ne pliera pas tant qu’on la laissera debout. Pour l’heure.
Imogene tourne une page du journal en serrant la mâchoire. Elle tiendra. Elle ne tombera pas. Elle se l’est promis.

❝ They have nothing honest to say, my patience is floating away ❞2003 & Manoir des Rowle
Avant de s’asseoir, Imogene bouge imperceptiblement sa fourchette de droite pour qu’elle soit parfaitement symétrique à l’autre. C’est comme ça, elle a deux paires de couverts et deux serviettes, de chaque côté de son assiette en porcelaine. Elle mange seule, comme d’habitude. De toute façon, ce n’est pas comme si ses parents mettaient l’ambiance à table. Ils sont tous les trois plus silencieux que des fantômes dans cette immense maison.
Plusieurs fois, ils ont essayé de lui poser des questions auxquelles elle n’a toujours pas de réponses. Qu’est-ce que tu veux faire ? Tu es de quel côté, d’abord ? Pourquoi tu ne dis jamais rien ? Pourquoi tu ne nous parles plus, Imogene ? Pourquoi ?
Elle aimerait tant les faire taire. Elle aimerait tant leur répondre. Elle est tellement lasse, et ils sont ennuyeux. Ils essaient de l’attirer dans leurs filets, mais elle préfère suivre son propre chemin. L’indifférence. C’est sa manière d’oublier que tout ça est important.
Mais parfois, elle se demande. Au fond, qu’est-ce qu’elle veut ?