Tu regardes le plafond de la Salle sur Demande, soupirant régulièrement. Tu ne l'as pas quittée depuis deux jours et cela commence à te peser. Tu as beau pouvoir passer des heures et des heures à la bibliothèque, il faut avouer que renter enfermé dans une seule et même pièce plusieurs jours de suite ne t'aide pas à garder le moral. Tu n'aimes pas être enfermé, cela te donne l'impression d'être un fauve en cage. Tu ne fais que tourner en rond, à espérer que les autres membres de l'AD s'en sortent, à t'inquiéter pour Clarine, pour Naïs. Tu n'es plus avec cette dernière, vous avez rompu il y a quelques temps, à ta demande. Tu le regrette un peu, parce que tu l'aimais, la belle Poufsouffle... Tu y tiens encore énormément, à la belle demoiselle, mais tes sentiments pour elle ont changé, en même temps que tu comprenais autre chose. Ton cœur bat pour quelqu'un d'autre, ton cœur bat pour une personne que tu connais depuis que tu es tout petit. Tu as mis du temps pour t'en rendre compte, plus encore à te l'avouer. C'était tellement impossible à tes yeux, il y a encore quelques mois... Mais aujourd'hui, tu sais ce que tu ressens et pour qui. Alors, par respect pour Naïs, pour ne pas la blesser plus encore, pour vous éviter de nouvelles disputes inutiles, vous n'êtes plus ensembles. Mais vous vous entendez encore bien, tous les deux. C'était important pour toi, de rester amis malgré tout. Même si tu as toujours l'impression d'avoir été cruel avec elle...

Tu secoues la tête, soupires à nouveau, puis te lèves de ton hamac. Tu t'étires, fais craquer un peu ta nuque et grimaces de douleur, puis commence à slalomer entre les élèves encore endormis à cette heure. Toi, tu n'as pas fermé l’œil de la nuit, tu en es naturellement incapable. Ton organisme t'empêche de te reposer lorsque le soleil est couché. Tu y es habitué, tu as toujours fait avec, même si cela t'oblige à t'imposer des siestes en pleine journée. Tant pis, tu es ainsi fait, on ne pourra pas te changer. Tu te frottes les yeux, coiffes tes cheveux bruns en glissant tes doigts dedans, puis t'arrête devant la porte. Que comptes-tu faire, jeune Atkins ? Sortir d'ici. Quelque chose en toi te dit que la situation va bientôt bouger. Quand ? Tu n'en as pas la moindre idée. Peut-être dans une semaine, peut-être dans un mois. Tu ne sais pas quand il se passera quelque chose de grave, mais tu sais que c'est en préparation. Ton don n'est en rien responsable de cela, tu n'as qu'un pressentiment. Généralement, ceux-ci se révèlent exacts, après un temps plus ou moins long. Et si, encore une fois, c'est le cas, il faut que tu fasses quelque chose. Il faut que tu ailles voir Clarine, il faut que vous parliez de la situation, il faut que vous mettiez au point votre plan de bataille. Mais il y a encore une chose plus importante à tes yeux. Tu pousses la porte, avec la ferme intention de partir discrètement...

-Où est-ce que tu vas, Emrys ?

Tu sursautes et tournes le regard vers un de tes aînés, de Gryffondor. Les sourcils froncés, il n'a pourtant pas l'air énervé, juste étonné de te voir ici de si bonne heure. Mais tu baisses bien vite le regard, ne souhaitant pas risquer de croiser le sien.

-Je vais voir si j'arrive à voler un peu de petit-déjeuner dans la Grande Salle. Et puis... Il faut que je parle à un ami et que j'aille voir ma sœur...
-Ok. Sois prudent.

Tu lui souris doucement, rassurant, puis disparaît dans le couloir. Tu regardes à droite, à gauche... Personne. Tu files donc, marchant vite, te forçant à ne pas courir. Ce serait le meilleur moyen de te faire repérer. Maintenant que tu es de sortie, tu n'as pas spécialement envie de te retrouver enfermé dans les cachots. Nostalgique, tu traverses ces couloirs au milieu desquels tu te sentais en sécurité, avant, entre lesquels tu te sentais chez toi. Tu n'es certes pas à plaindre, tu n'as pas été obligé de prendre la fuite comme les nés-moldus, mais la situation actuelle n'est pas la meilleure existante. Autrefois, tu ne risquais rien de plus que quelques remarques. Tout a changé, tout se dégrade. Tu voudrais avoir le don de voir l'avenir et découvrir que votre bataille ne sera pas vaine, que l'Ordre du Phénix vaincra, que tout redeviendra comme avant. Mais tu n'as pas ce don, tu ne peux voir que le passé et tu détestes ce fait. Allez Emrys, inspire, expire, voilà, tu es devant la Grande Salle.

Un instant, tu observes ces impressionnantes portes, les souvenirs de ta première soirée ici te reviennent en mémoire, tels une vague destructrice. Tu étais loin d'imaginer que tout changerait à ce point, à peine quatre ans plus tard. Allez, cesse d'être nostalgique, tu ne pourras rien y changer. Une nouvelle fois, tu glisses une main dans tes cheveux puis tu entre, discrètement, essayant de passer inaperçu. Ce n'est pas gagné mais tu vas essayer. Instinctivement, ton regard se tourne vers la table des Serpentards. Tu as quelques amis là-bas mais il en est un que tu cherches plus particulièrement : Elijah Reed. Un doux sourire étire tes lèvres en le repérant bien facilement. Il est à sa table. C'est une bonne chose. Puis ton regard s'attarde que les autres tables. Clarine n'est pas à celle des Serdaigles, par contre Naïs est à celle des Poufsouffles. Tu te mordilles aussitôt la lèvre, un sentiment de malaise venant compresser ton petit cœur. Ton regard revient se poser sur le Serpentard que tu connais depuis l'âge de six ans. Tu prends ton courage à deux mains, fermes les yeux une petite seconde afin de calmer les palpitations un peu trop insistantes de ton cœur. Tu déglutis puis t'avances jusqu'à lui. Une secondes, tu hésites derrière lui. Tu sens tes joues se réchauffer à la vitesse de la lumière, alors que tu n'étais plus tellement sujet aux accès de timidité à une époque. Mais, une fois de plus, tu rassembles tout ton courage et prends la parole.

-Elijah ?

C'est court, simple, normalement suffisant pour qu'il se tourne vers toi. Et quand c'est fait, tu sens tes joues se réchauffer encore un peu plus. Tu gardes les yeux baissés, fixés sur la table et... Un petit pain qui te fait saliver. Comme pour le signaler à tout le monde, ton ventre se met à gargouiller bruyamment. Tu disparaîtrais volontiers, tu as l'impression que toute la Grande Salle te regarde. Tu ne te rends même pas comptes que tu te mordilles la lèvre, mal à l'aise, tandis que ton regard surveille les alentours. Tu ne peux pas te permettre de rester ici trop longtemps, mais tu refuses de partir sans avoir parlé à Elijah. Ce n'est pas négociable.

-Heu... Bonjour... Je... J'aimerais te parler mais... Pas ici, il y a trop de monde... Est-ce que... Est-ce que ça te déragerait si on allait un peu ailleurs, s'il te plaît ?

À voir combien ton regard est peu fixe, il est évident que tu es nerveux. Plus tu resteras longtemps ici, plus il y aura de risques de te faire repérer par les Carrow ou leurs "disciples". Très peu pour toi. Alors tu attends, nerveusement, qu'il se lève et te dise de le suivre ailleurs, ou qu'il veuille que tu parles ici. La première solution est la plus plausible, tu le connais. Mais tu attends tout de même, le cœur battant à tout rompre...

Il n'a pas l'air spécialement ravi de te revoir. Tu peux le comprendre, tu n'as rien à faire ici, en plein milieu de la Grande Salle. Et pourtant tu es là, tu attends qu'il daigne se lever de sa chaise, tu attends qu'il accepte de te parler, dans un coin un peu plus isolé. Ton cœur bat trop vite, trop fort, mais ce n'est pas uniquement parce que tu te trouves dans une situation dangereuse. Non, c'est parce qu'il est là, c'est parce qu'il te regarde, c'est parce que tu n'es que trop conscient de ce que tu ressens pour lui. Les joues en feu, tu patientes. Jusqu'à ce qu'il t'accorde un tête à tête. Instantanément, tu as l'impression de redevenir un petit garçon, un sourire heureux étirant tes lèvres. N'importe quoi. Tu devrais te désespérer mais ce n'est pas le cas. Tu ne perds cependant pas le nord. Tandis qu'il se lève et s'éloigne, tu voles plusieurs petits pains sur la table des Serpentards avant de lui emboîter le pas. Quoi ? Après tout, tu es aussi venu ici parce que tu avais faim. Alors, tout le le suivant docilement, tu avales un petit pain. Miam. Les petits déjeuners préparés par les elfes de Poudlard sont toujours les meilleurs. Quand Elijah s'arrête dans les escaliers, tu t'empresses d'avaler ce que tu as dans la bouche, l'écoutant avec attention. Tu n'es pas surpris de l'entendre râler après toi. Monsieur ronchon est de retour. Mais tu ne fais que sourire un peu plus lorsqu'il te qualifie d'inconscient.

-Grincheux. répliques-tu avec amusement.

C'est vrai quoi, tu viens le voir et lui, tout ce qu'il trouve à faire, c'est râler. Enfin, toujours est-il qu'il enchaîne bien vite avec un sujet un peu plus sérieux. Il veut savoir pourquoi tu es venu jusque dans la Grande Salle, pourquoi tu as pris des risques. Il est vrai que, si tu avais fait honneur à ta maison, tu aurais fait preuve de sagesse et serait resté en sécurité dans la Salle sur Demande. Ou dans ta salle commune. Mais non, tu es là, devant lui, complètement exposé. Parler de courage serait peut-être mal placé c'est ton cœur qui a dicté cette sortie, c'est lui qui guide tes actes, qu'ils soient sages ou, comme il le dit si bien, inconscients. Sa pseudo menace te fait sourire à nouveau. Si tu n'es venu que pour le voir, il t'étrangle ? C'est mignon, il se fait du soucis pour toi... Tu as bien envie de te blottir dans ses bras, de fermer les yeux et de ne pas bouger mais tu n'en fais rien. Tu en es incapable, à cause des caprices de ton cœur. Alors tu restes là, devant lui, les joues en feu et un sourire espiègle accroché aux lèvres.

-Bien sûr que je suis venu juste pour te voir.

L'emploi du mot "juste" fait de ta phrase un mensonge. Tu es en majeure partie venu pour lui mais pas uniquement. Il y a tellement de choses qui ne tournent plus rond depuis quelques temps. Ton monde s'écroule, les ténèbres s'emparent de l'Angleterre, les nés-moldus traqués, tués comme des bêtes sauvages... Oui, tout part en vrille et si l'espoir perdure, tu doutes que tout s'arrange sans batailles. Celles-ci font toujours des ravages, peu importe le camp des combattants. C'est pour cela que tu veux lui parler, avant qu'il ne soit trop tard.

-Plus sérieusement, je dois aller voir Clarine et comme j'avais faim, je suis passé prendre mon petit déjeuner. Et puis... Je me faisais du soucis pour toi aussi.

Oui, tu te faisais du soucis pour lui, pour ce Serpentard si cher à ton cœur. Tu le connais suffisamment bien pour savoir qu'il n'apprécie guère ce qu'il se passe ici. Mais il n'agit pas, il ne prend pas parti. Tu aimerais qu'il le fasse même si tu ne peux que respecter son choix. Tout le monde n'est pas prêt à se faire traquer, tout le monde n'est pas prêt à se battre pour une cause. Tu l'observes, lui, ton frère d'adoption... Et ton cœur rate un battement. Tu ouvres la bouche, le sang pulsant à tes tempes, espérant pouvoir lui expliquer pourquoi tu t'inquiètes tant, pourquoi tu tiens tant à lui... Mais tu te bloques, comme autrefois, comme tu le fais en présence de personnes que tu ne connais pas. Un accès de timidité te force à refermer la bouche et à baisser les yeux. Tu te mordilles la lèvre, maudissant ce grand défaut. Tu n'arrives pas à lui dire directement, alors il faut que tu la joues d'une manière plus subtile...

-Elijah... J'ai un mauvais pressentiment pour la suite... Je ne sais ni quand, ni comment, ni pourquoi mais je sens que les choses vont bientôt bouger, que tout va se précipiter. À ce moment là, il faudra choisir un camp, tu le sais n'est-ce ? Les Mangemorts, l'Ordre, ou la fuite... J'ai peur pour toi, Eli...

*Parce que je ne supporterais pas qu'il t'arrive quelque chose...* as-tu envie d'ajouter. Mais ces mots ne franchissent pas la barrière de tes lèvres. Ton inquiétude est sincère, elle fait vibrer ta voix. Que peut-il faire pour te rassurer ? Tu ne sais pas, mais il trouvera bien. Que ce soit volontaire ou non, il finit généralement par trouver. Mais par le caleçon de Merlin, qu'est-ce que tu voudrais qu'il te prenne dans ses bras !