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sujet; i'll worship like a dog at the shrine of your lies - bastus |
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On avait beau te considérer comme un boulet, t’avais jamais eu l’intention d’être un poids pour qui que ce soit. Pourtant, à ce moment-là, t’avais été trop lourd pour les secours qui t’avaient arraché Imogene des mains et traîné un peu en dehors des décombres. T’étais resté un moment à genoux dans un coin, dans le passage, genre la victime traumatisée, avec tes yeux grand ouverts. Sauf que t’étais pragmatique dans ta détresse, t’attendais juste que l’engourdissement du sortilège pour te calmer et des gaz toxiques passe. Et, au moment où y’en a eu un qui revenait vers toi pour te demander de le suivre pour te soigner, tu t’étais relevé et avais fait demi-tour en direction des décombres. « J’ai perdu ma baguette » que t’avais susurré, comme pour toi-même, sauf qu’il t’entendait déjà plus le secours, il avait autre chose à faire. C’est ce genre d’instant si ironique où, à cause de la fumée, on voit presque rien autour de soi. Et alors tu t’es dit que le spectre de parfum qui t’était monté à la tête comme de la colère, c’était seulement dans ta tête… et en aucun cas, il ne s’agirait de Rookwood qui se rendait à son tour à l’équipe médicale, genre à quelques pas de toi. Si près et pourtant si loin. T’étais vraiment pas doué comme chien de garde quand tu t’y mettais.
T’as erré un moment sur les lieux du drame, inhalant dans ton souffle saccadé les vapeurs toxiques, que tu te demandais si c’était normal que ça fasse si mal dans ta tête alors que t’as juste une oreille de cramée ; y’a p’t’être un bout de plafond qui est rentré par ton oreille et qui s’est posé près du cerveau, ou peut-être même dans le cerveau, par Merlin, j’espère pas, ça doit faire mal. Vous vous êtes fait mal, patron ? Tu sais pas vraiment c’que tu fous là, à part marcher sur des bouts de bâtiment et de gens. T’as pas envie d’être là, et t’as surtout pas envie de découvrir qu’il est là lui aussi. Et puis là. Et un bout là-bas. T’es terrorisé à l’idée de tomber sur lui mais sans vie ; tu sais, avec les membres qui forment des angles bizarres pas possibles. Ou avec les yeux révulsés, et la bouche un peu ouverte comme s’il avait pas eu le temps de pousser un dernier cri. Ce serait ingrat, voire laid, et tu voudrais pas le voir comme ça, tu veux pas que ce soit la dernière image que tu emporterais de lui, tu veux pas le voir homme, ni mort, ni mortel. Pour toi, il est au-dessus de tout ça. Oui mais voilà, Bacchus, les choses sont pas si simples.
Bien entendu, tu n’avais aucune chance de retrouver ta baguette. C’est limite de toi-même, dans un état second, que tu t’es rendu dans la partie encore debout de l’hôpital, comme si ton corps prenait la relève sur ta tête de piaf, et qu’il en pouvait plus. De même que dans les ruines, tu te débattais vaguement dans les vapes de fumée, t’essayes même pas de le chercher, parce que tu veux pas le voir mourant dans un lit, avec des tuyaux qui sortent de sa peau, même si y’a genre deux jours, t’aurais vendu père et mère pour voir la marque des ténèbres sur son avant-bras. Tu veux pas le voir allongé, inactif, qui veut bouger mais qui peut pas, qu’il n’a pas le droit parce que les médicomages ils veulent pas, ils sont chiants quand ils veulent ils t’ont collé un énorme pansement sur la tête que t’as l’air d’une gueule cassée. Et comme ça fait maintenant plusieurs jours que t’as pas dormi, prostré au chevet d’Imogene, ta gueule est en effet pas loin d’être cassée. Ah, mon ami, y’a pas qu’ça qui est cassé à mon avis.
Imogene, de son côté, était maintenue régulièrement dans un état de somnolence ; ce qui rendait la conversation passablement compliquée puisque totalement décousue. Et que des fois, elle gémit, parce que ça fait mal des os qui se réparent par magie. C’était bien beau de tuer des Vélanes en direct, mais soigner sans faire mal, ça, on savait pas encore le faire. Mais que fait le niveau 9 ? C’est là où il travaille d’ailleurs, tu te souviens ? Il aura fallu que l’infirmière t’intime une fois de plus de décamper, alors qu’elle doit se charger de la toilette de la jeune fille. T’as eu cet air outré, si bien qu’à peu de choses près on t’aurait cru prêt à rétorquer qu’elle avait rien à te cacher, que c’était comme si tu l’avais conçue… Passons. Tu restes un moment le front contre la porte, jusqu’à ce qu’on te vire comme une mouche, craignant que tu ne sois un voyeur, ou pire encore, un sans-abri, à voir ta dégaine douteuse, parce que c’est pas la maison de la charité ici, allez oust, on s’est occupé de vous, sortez d’ici maintenant, laissez la place aux honnêtes gens. T’as pas voulu prendre de chambre, ça en valait pas la peine, alors on t’avait laissé dans les couloirs, dans un coin de la chambre d’Imogene ; si bien que t’étais encore rouge, noir et blanc de crasse, de gravats, de sang et de douleur. Tache dans ce milieu aseptisé. « Excusez-moi, j’ai un dossier à faire parvenir à l’un de vos patients » « Bien sûr, de qui s’agit-il » « Rookwood Augustus, on vous l’a amené après ce qu’il s’est pass » « Oui, je me doute bien, monsieur, plus de la moitié de nos patients sont des victimes du drame ; chambre 602 » « Merci madam- et vous là, rendez-moi ce dossier ! Il est pour M. Rookwood ! » Je sais pour qui il est ce dossier. J’étais même là quand il lui a été remis pour la première fois. Il avait son complet qui fait des reflets verts quand la lumière est tamisée. J’m’en souviens comme si c’était hier ; même si c’était plus genre avant-avant-avant ?-hier.
Tu cours jusqu’à la chambre 602, forçant un peu sur tes faibles réserves d’énergie, quitte à tirer sur tes jambes en compote –mais pas en compote d’Imogene, cette fois, en compote de chien abandonné. Il allait très certainement garder un silence, puis te faire une simple remarque sur ton allure pitoyable. Ou demander si tu lui amenais le dossier qu’il avait demandé, un peu impatient, c’est pas trop tôt, dites donc, notant au passage sans un certain dédain que tu avais une mine affreuse, ou que tu revenais de loin. Et Merlin que tu revenais de loin en effet, bien que seulement de quelques étages plus bas, mais de très LOIN DANS TON DEDANS. Peut-être un mélange de tout ça, comme si rien ne s’était passé, que vous n’aviez pas quitté son bureau, qu’il avait pas failli y laisser sa peau, et qu’t’avais pas fAILLI Y LAISSER TON ÂME. Aucun risque, mon grand, ton âme, elle est plus dans toi depuis longtemps de toute façon.
T’as mis un temps monstre avant d’oser ouvrir la porte. T’as toqué pour la forme, comme un vieux réflexe développé avec le temps. Augustus est en effet éveillé. Et c’est comme si tout ton sang remontait dans ton visage, pour redescendre aussitôt, tellement t’es rassuré que tu pourrais en mourir. Premier homme à mourir de rassurement. T’as le visage qui vrombirait presque de soulagement, genre tu vas pleurer, sauf que ça te viendrait jamais en tête de pleurer, ça fait longtemps, genre j’sais pas cINQ ANS –ça aussi, coïncidence ?- que tu t’y es pas essayé. Oui patron, j’ai une allure pitoyable tenez voilà le dossier que vous avez demandé c’est pas trop tôt j’ai eu du mal à le trouver dans le fourbi qu’est le bureau de Zaïtseva si-si j’vous jure oui j’ai une mine affreuse QUI REVIENT DE LOIN JE REVIENS DE SI LOIN PATRON PARCE QUE JE VOUS AI PAS TROUVE DANS LES DECOMBRES C’EST PAS MOI QUI AI PU VOUS SAUVER JE LE REGRETTE TELLEMENT PATRON A QUOI JE SERS SI JE SERS PAS A CA QU’EST-CE QUE VOUS AVEZ DU PENSER DE MOI QUAND VOUS AVEZ VU QUE J’ETAIS PAS LA PATRON JE VOUS « j’ai perdu ma baguette » Bras tendu, tenez voilà votre dossier patron c’est pas trop tôt MAIS JE SUIS ARRIVE TROP TARD. De tout ce que tu aurais voulu lui dire à ce moment-là, et qui fait comme une grosse tambouille dans ta tête, que lui-même se serait perdu en allant y faire un tour, c’est tout ce que tu trouves finalement à dire. Comme si y’avait une chance pour que Rookwood la fasse réapparaître, comme par magie, genre comme si c’était lui qui l’avait cachée dans sa manche comme la première fois. Y’a tant de choses qui disparaissent – tu caresses machinalement la compresse sous laquelle ton oreille se répare lentement mais sûrement, se répare un peu trop que ça va sans doute cacher ton ancienne cicatrice que t’avais fait exprès de pas réparer. Comme si, à l’époque, tu pensais que c’était ainsi qu’il te reconnaîtrait, toi parmi tous les autres. Parce qu’il t’avait choisi, pour quelque chose que les autres n’ont pas. Ou plutôt pour quelque chose que t’étais le seul à pas avoir ; une conscience.
Patron. Je vous. Je vous ai- eu si peur pour vous. Si fort.
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| Cela devait fait deux jours qu'Augustus était retourné au bureau. Les couloirs du ministère étaient étrangement vides, une partie des employés sous les décombres, dans une chambre d'hôpital ou en train de reconstituer leur esprit brisé dans les bras de leur amant. Augustus, lui, faisait des aller-retour dans les couloirs comme si c'était des jours parfaitement normaux. La majorité des recherches du N9 étaient en pause, ou s'auto-géraient sans le besoin de son regard intransigeant ;en tant que membre du Cercle, il avait cependant bien plus de responsabilités que la gestion de ses chercheurs capricieux. Notamment aider à trouver comment se venger de ce terrible affront, comment tourner l'opinion publique définitivement en leur faveur, et répondre aux lubies du Lord de plus en plus terribles. Entre deux dossiers, entre deux interrogatoires, entre deux réunions flagrantes d'incompétence, il vérifiait la liste de plus en plus longue des victimes et des rescapés de l'hôpital. Il avait vite trouvé celui du Murdock, ce qui l'avait étrangement calmé, mais n'avait pas pris la peine de lui rendre visite, de lui envoyer un courrier, ou de faire acte de communication d'une façon ou d'une autre. Il savait que la brute s'inquiétait sûrement, Augustus en avait certainement conscience dans une part de son cerveau débordé, mais il n'avait pas la compassion nécessaire pour détourner son chemin bien délimité pour le rassurer sur une question auquel la brute aurait très simplement la réponse... notamment en faisant comme lui, en lisant les journaux.
Les conséquences du désastre avaient été, au final, principalement professionnelles pour Augustus. Il pestait contre les heures supplémentaires, les congés maladies de ses collègues, la mort de certains de ses contacts importants, ou leur disparition. Il était exaspéré par le comportement des insurgés, sur la sensiblerie rampante, sur l'Elite qui ne semblait pas vouloir se remettre que quelqu'un ai pu oser leur faire du mal. Et bien sûr, il souffrait de son bras gauche immobilisé, principalement parce qu'il avait du mal à allumer ses cigarettes, ou qu'il devait bien plus utiliser la magie lorsqu'il souhaitait cuisiner, et regarder les fruits et légumes s'éplucher et se découper seuls dans les airs. Il déplorait aussi la prestance que cela lui faisait perdre. Sans oublier les quelques éraflures sur son visage et les migraines qu'il avait parfois, bien qu'il les oublie souvent. C'était à cause de ces migraines qu'il du revenir à St-Mangouste deux jours après en être enfin sorti. Il avait déjà du passer une nuit là-bas afin qu'ils vérifient l'absence de dommage cérébral, et avaient insisté pour qu'il repasse deux jours plus tard afin de faire un check-up. Augustus était le genre d'homme à obéir aux médecins, alors il avait accepté, ne réalisant pas à quel point cela lui poserait des désagréments, plus tard.
Augustus était un homme occupé. Il avait du travail, beaucoup de choses à faire, une nièce à nourrir, et il n'y avait plus Bacchus pour faire ses mille et unes courses futiles. Alors devoir aller jusqu'à St-Mangouste pour qu'on vérifie qu'il aille bien alors qu'il savait qu'il allait bien, cela l'horripilait. Ce fut donc le sac rempli de dossiers et autres paperasses qu'il fit le chemin jusque là. Ce fut avec un sourire poli mais sec qu'il se laissa guider jusqu'à une chambre. Ce fut avec une voix charmante mais intransigeante qu'il refusa de se changer pour leur ridicule pyjama hospitalier. Et ce fut avec beaucoup de patience qu'il accepta d'attendre le temps qu'il faudrait pour qu'un médecin se libère, il comprenait qu'ils devaient être débordés et qu'il était moins urgent que d'autres et qu'il n'y avait pas à s'inquiéter, il avait de quoi s'occuper. Deux heures plus tard, il avait commencé à s'impatienter et avait du faire appeler quelques documents complémentaires du Ministère pour ne pas avoir à perdre son temps ici, tranquillement installé sur son lit d'hôpital, stabilo en main, raturant toutes les imbécilités qu'on pouvait se permettre à cause de l'urgence et de la gravité de la situation. Il commençait à s'impatienter de ne pas voir le stagiaire responsable de ses caprices en l'absence de Ladah lorsque Bacchus fit irruption dans la pièce.
A vrai dire, il l'avait quasiment oublié, ces deux derniers jours. Une fois rassuré qu'il était bien en vie, il avait juste attendu son retour sans même le réaliser, il avait juste manqué de sa présence sans jamais véritablement le formuler, la frustration le guettant cependant doucement à chaque fois qu'il levait le nez de son bureau pour invoquer son chien fidèle afin d'aller faire telle ou telle tâche ingrate. Bacchus avait été dans ses pensées, comme à son habitude, lorsqu'il était là sans qu'il ai à y réfléchir. Il avait été absent sans qu'il ai à y réfléchir. Et il réalisait à quel point cela l'avait gêné dans son travail à ce moment précis où il le voyait devant lui, déplorable, sale, blessé, paniqué, visiblement détruit. Il était possible que l'animal lui ai manqué. Doucement, il le fit s'approcher, un sourire aux lèvres, attendri de sa nervosité d'imbécile, de la façon bien maladroite qu'il avait de lui tendre son dossier, de se toucher l'oreille, de baragouiner quelque chose sur une baguette perdue. Augustus avait oublié que Bacchus avait une baguette en vérité, il s'en servait si peu. D'un mouvement lent, Augustus referma son dossier, récupéra celui tendu par son âme damnée, et posa le tout sur la pile méticuleuse de sa table de chevet. Il put ainsi se concentrer sur son interlocuteur.
« Vous avez une mine terrible, Bacchus. Vous devriez vraiment apprendre à davantage prendre soin de vous. » C'était typiquement ce qu'il lui disait dès que le raffleur se blessait, se salissait ou n'arrivait pas à rester sur ses deux pieds en la présence de son patron. Tout allait bien, tout était normal, si Augustus continuait de dire les mêmes choses à Bacchus, tous les jours, toutes les semaines, depuis cinq ans. Certaines choses ne changeait pas. Parfois, cependant, les choses changeaient. Les choses changeaient lorsqu'il l'appelait par son prénom et lorsqu'il l'invitait, d'un mouvement de sa main valide, à venir s'asseoir à côté de lui, sur le lit d'hôpital. Là, les yeux plongés dans les siens, comme à son habitude, sans que l'autre ne s'en rendre compte, il récupéra tous les derniers souvenirs de sa petite créature, sans qu'il ait à dire un mot, comme on rattrape son retard d'une série télévisée. « Qu'est-ce qu'il vous est arrivé, pour vous mettre dans un état pareil ? J'ai cru entendre que Miss Rowle s'en était bien tiré, je suppose que c'est grâce à vous. » Et il ne disait cela que pour se simplifier la tâche, histoire que les souvenirs du Murdock remonte plus facilement à la surface, et qu'il n'ai qu'à les sonder pour avoir tous les détails nécessaires. Et partout, dans chaque souvenir, dans chaque pensée glanée, il y avait son nom, répété, martelé, et cela faisait sourire Augustus. Il s'était vraiment inquiété, son imbécile de petit chien.
Une main (il n'en avait plus qu'une après tout), se leva et caressa doucement le dessus du crâne de l'animal, à la fois tendre et mesquine. « Vous avez fait du bon travail. » Il n'alla pas plus loin, pas plus fort, déjà parce que cela suffisait, mais aussi parce qu'il n'avait pas envie de se salir avec tout ce qui semblait recouvrir la brute de sang, de sueur, de saleté. « Quant à votre baguette, nous irons vous en chercher une autre. » Et sa voix était douce et tendre, et son sourire tranquillement content de le voir. Et il était assez complexe pour lui comme pour les autres de définir à quel point il jouait la comédie. |
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| Rookwood a ménagé un silence, avant de faire effectivement une remarque sur ton allure pitoyable. Bien, te voilà rassuré, tout est comme d’habitude, comme toujours. Toujours depuis cinq ans. Pourtant, tu ne te souviendrais plus de comment tu avais pu être et vivre avant lui, du fait qu’aujourd’hui, tu semblais revenir d’entre les morts, quand t’avais passé seulement trois jours sans rester dans ses pattes. A ceci près que si t’avais l’air de revenir de l’au-delà, ça aurait été sûrement parce que t’y serais allé jeter un coup d’œil, voir s’il n’y était pas. Rookwood fait donc comme si de rien était : te voilà rASSURE, il est assez en forme pour bosser, il est bien habillé, il est comme tu l’as toujours connu, tel qu’il a toujours voulu que tu le vois. A un lit d’hôpital près, on aurait pu croire que vous étiez dans son bureau à discuter de ton dernier rapport de mission.
Vous auriez pu continuer longtemps comme ça ; cinq années de plus, cinq vies de plus. Parce que les rôles vous collaient à la peau, que vous saviez pas s’il fallait aller plus loin, si on pouvait aller plus loin, si l’autre voulait aller plus loin. Si seulement il y avait un plus loin. Comme quand on tombe dans un trou et qu’on n’en voit pas la fin. Parce que y’a p’t’être pas de fin. Pas de fin à cette mascarade. Parce que pour l’instant, t’es dans ta grotte, sans comprendre que les jolies ombres projetées au mur, c’est que des ombres, et qu’il te suffirait de prendre tes balls et ton courage à deux mains pour te retourner, sortir de ta grotte, et constater qu’il y a autre chose que les ombres. Le soleil qui les projette. Vous auriez pu jouer très longtemps à ce jeu que tout le monde se serait lassé sauf vous. Alors, de temps à autre, pour pimenter la lutte, il t’appelait par ton prénom. A tes yeux, il le faisait de manière tout à fait aléatoire – peut-être même que ça lui échappait ? ‘faut pas rêver, mon vieux. Si bien qu’à chaque fois, t’étais pris de court et même qu’en fait c’était le meilleur moyen pour que tu obéisses.
T’hésites un moment avant de t’asseoir, parce qu’il est aussi sur le lit, que y’a personne d’autre dans la chambre, que les draps sont trop blancs et que t’as les ongles trop sales d’avoir gratté le sol et ta tête. Mais tu devrais avoir l’habitude, à force, de saloper tout ce qu’il te proposait. Après tout, ça ne faisait que le rendre plus éclatant encore. Et c’est sans aucun doute cet éclat qui fait que t’as toujours un peu mal à la tête quand il te regarde dans les yeux, comme une foreuse dans ton crâne, toute petite, sinueuse et discrète, qui vrombit comme une mouche, et volète de souvenir en souvenir. Souvenir d’Imogene sur fond a capella d’Augustus Rookwood aboyé aux abois. Ça résonnait comme des cloches dans une cathédrale, comme le tocsin dans la tête du condamné à mort à midi, toi l’impie. Cacophonie un peu folle que c’est lui qui risque d’avoir mal à la tête au final, ta déraison résonnant un peu trop fort. « Oui, je pense qu’elle va s’en sortir » T’iras pas plus loin. Parce que c’est pas de miss Rowle que tu veux parler. D’un autre côté, tu veux lui parler de quoi d’autre ? « Ils ont ouvert l’enquête d’ailleurs » Voilà, c’est ça, l’enquête, parle donc de l’enquête « y’a p’t’être déjà la brigade de la PM qu’est v’nue vous poser des questions ? » ton bourru pour signifier que tu les portes pas dans ton cœur. C’est ça, fais semblant que t’as pas eu peur pour lui, que t’as pas manqué de te chier dessus, que t’as pas failli pleurer. Fais semblant d’être dans son bureau, à énumérer tes comptes-rendus de mission, à une distance convenable de lui, distance qu’il se fera une joie de franchir d’un pas élégant pour venir susurrer à ton oreille que tu as fait du bON TRAVAIL.
C’est bon, il te grondera pas, tu as fait du bon travail. Même si c’est pas pour lui ce travail. T’as fait ça pour le travail, parce que miss Rowle est une stagiaire et que t’as promis de ne plus abimer les stagiaires depuis Nott. C’est absolument pas parce que tu t’es attaché à la jeune fille comme on adopterait une sœur que tu lui es venue en aide, qu’allez vous croire là ? Tu vis pour ton travail, après tout. Marié à ton travail qu’ils disaient, tes collègues fraichement mariés. Coïncidence je ne pense pas que Rookwood travaille au même endroit que toi. Pris au dépourvu, même s’il avait déjà établi plusieurs fois le contact entre vous, tu te laisserais presque aller à son geste attentionné, à voir comment tu fermes les yeux, fébrile, le nez en l’air comme si ton visage cherchait à se nicher dans le creux de sa main. Et s’il fait ça, c’est uniquement parce que tu as fait du bon travail, n’OUBLIE PAS. Tu rouvres les yeux, te défiles, prétextant te relever, droit comme un piquet auquel on attache les mauvais chiens. « Si y’a quoiqu’ce soit qu’j’puisse faire pour vous, patron » Même s’il a tout l’air de se débrouiller très bien sans toi, regarde tous ses dossiers.
C’est à peine s’il a l’air d’avoir souffert de ton absence. C’est peut-être pour ça qu’au fond, tout au fond de toi, t’aurais bien voulu lui manquer un peu plus. Quitte à ce que son masque se brise. T’aurais bien voulu que ça vibre sur son visage quand il t’avait vu débouler dans sa chambre. Que ça vibre dans sa voix, dans ses gestes et dans cette main qu’il dépose sur ta tête, comme on expierait les fautes du pécheur. Je te pardonne Bacchus d’avoir eu de telles pensées égoïstes.
Le fil de tes pensées est interrompu lorsque tu remarques son bras « Patron… votre bras » Finement observé, autre chose ? Et de nouveau, ça s’emballe dans ta caboche quand t’essayes d’estimer les dégâts, combien ça doit lui faire mal et combien il doit faire semblant que ça lui fait pas mal, que c’est même pas là, tiens, oui en effet, j’avais oublié. T’es naïf, mon gros, il a dû en voir des pires que toi, Rookwood. Après tout, ça faisait que cinq ans. Et c’est comme si ça te faisait chier de savoir qu’il avait pu avoir une vie avant toi. Chut Bacchus, il peut tout lire de là où il est.
Et si tes yeux s’écarquillent d’effroi, c’est que tu réalises, en voyant ce bras enrubanné, que Rookwood n’est pas invulnérable. Qu’il peut être blessé, qu’il aurait pU Y RESTER. Les Mangemorts, aussi puissants soient-ils, ne sont pas éternels. Le Magister lui-même n’était pas épargné. A la limite, le Magister, tu t’en fous. Mais Rookwood. Tiens, ça aussi, il aurait pu le lire. Pour l’instant, il s’agirait de ne pas perdre le peu d’allure qu’il te reste. C’est pas le moment de craquer, juste parce que tu l’as vu avec un bras dans le plâtre. « Vous en avez pour combien de temps ? » pendant combien de temps devrais-je vous supporter ainsi, vulnérable, blessé, mortel et homme ? Pendant combien de temps ne respecterez-vous pas l’image surhumaine que j’ai pu avoir de vous et que je chéris ? Tu es mauvais, Bacchus, égoïste et aveugle. Contradictoire, puisque tu étais là pour le servir et le protéger, tout en l’imaginant immortel. T’as beau savoir qui tu veux, tu sais toujours pas ce que tu veux de lui. Comme un gamin qui s’arracherait les cheveux sur quels bonbons choisir, alors qu’il n’a même pas encore l’audace de franchir la porte du magasin de sucreries.
Laissez-moi vous servir de bras gauche, moi qui jusque là n’étais que votre ombre. Ça changera rien, patron, je me doute que vous voulez pas que ça change. Moi non plus je veux pas, parce que je sais pas si je suis digne que ça change. Ou si je suis assez courageux pour affronter le changement en face. Alors laissez-moi rester derrière vous, pas loin, juste là, dans un coin. Et je jure que je ne partirai plus sauver qui que ce soit d’autre que vous. Si vous avez encore besoin de mon aide. Parce que si j’prends trop d’importance, j’risquerai d’aimer ça.
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| Le flux des souvenirs de Bacchus vint tranquillement s'allier et compléter ceux d'Augustus. Faisant fi de la douleur, du désespoir, du flou de ces pensées, il tria ce qui lui était utile, retirant notamment méthodiquement toute cette sentimentalité qui semblait faire la marque de fabrique de cette grande bonne grosse brute. Il portait une attention folle à des choses si triviales. Il se stressait pour des choses qu'il aurait pu régler en posant quelques questions aux bonnes personnes. Il paniquait, ce qui le rendait particulièrement fragile, ce qui le faisait d'autant plus paniquer, et diminuait ses chances de survie tout comme son efficacité, pourtant déjà affligeante. Souvent, Augustus ne comprenait pas la moitié de ce qu'il lisait dans le cerveau de Bacchus. Il l'acceptait, le concevait, sans le comprendre. Sa principale réaction était de le considérer tout simplement fou, et de passer à autre chose. Augustus s'était habitué à traiter avec des dérangés mentaux, il ne s'en formalisait plus guère.
Il eu un petit rire amusé à ses remarques sur l'enquête. C'était plutôt lui qui était allé interroger la BPM que l'inverse, d'ailleurs. En tant que membre du Cercle il était capable de s'investir dans bien des soucis du Ministère, et dernièrement il préférait bien plus se soucier des Insurgés que des caprices incompréhensibles du Lord. Il était toujours incroyablement complexe de lui plaire lorsque l'on ne savait pas ce qu'il recherchait véritablement. « Oui, j'ai eu le plaisir de parler de l'enquête avec eux. Avez-vous déjà été requisitionné pour quelque mission ? » On pouvait toujours espérer un peu d'action de leur part, après tout.
Il avait presque fini de calmer l'individu. Bacchus était retourné à ses habitudes de gêne et d'obsession rookwoodienne, ce qui était son état le plus sain et le plus contrôlable. Augustus commençait à se dire qu'il allait pouvoir se remettre au travail avec lui et le lancer récupérer quelque chose pour lui, lorsque le visage du raffleur se remplit d'horreur. « Patron... votre bras... » Ah oui, son bras. Bacchus n'était pas le premier à avoir l'air choqué de le voir blessé – même s'il fallait avouer que sa tête valait définitivement plus le détour que celle de Ladah. Comme s'il était particulièrement surprenant que quelqu'un sortant d'une attaque terroriste s'en sorte avec un bras en écharpe... Il n'arrivait pas à comprendre la logique de ces personnes. Ils le pensaient visiblement invincible, immortel, toujours propre et soigné. Il faudrait un jour qu'ils apprennent que tout cela n'était pas inné, et qu'avoir la classe demandait des efforts, beaucoup d'efforts. « Vous en avez pour combien de temps ? » Il le laissa un instant paniquer tout seul, un peu lassé de devoir expliquer aux gens que tout allait bien. Au moins Adelaïde, elle, ne l'avait pas accablé d'autant de sentimentalisme... « Ce n'est rien, encore quelques jours avec cela et je serai opérationnel. Ma visite ici est pratiquement de courtoisie, ils ont juste vérifié que je n'avais pas eu de quelconque séquelle. » Et on pouvait sentir, dans ses mots, qu'il avait répété ce discours, rabâché ces mots, et qu'il avait vraiment autre chose à faire que rassurer ses employés sur son état de santé. Surtout lorsqu'ils semblaient revenir des Enfers après un détour tranquille dans un no man's land de la première guerre mondiale.
Il préférait bien plus jouer avec son chien que se préoccuper de toutes ces niaiseries. Le voir rougir, bafouiller, se précipiter puis freiner des quatre fers était une distraction particulièrement distrayante pour le mangemort. Une distraction dont il n'avait pas bénéficié depuis un certain temps, et qui commençait doucement à lui manquer, peut-être. Il montra donc du menton le paquet de cigarette et le briquet posé sur sa table de chevet d'un air désinvolte. « En parlant de cela, auriez-vous l'amabilité de bien vouloir m'allumer une cigarette s'il vous plait ? Cela est terriblement fastidieux avec une seule main libre. » La vérité c'est qu'il le faisait très facilement avec une baguette en main, mais regarder Bacchus se charger de ce genre de demande lui plaisait, voire le détendait. Cela faisait combien de jours, déjà, qu'il ne s'était pas amusé à ses dépends ? Il avait oublié. |
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| Lui parler des enquêtes est sans doute l’idée la plus lumineuse que tu aies eue ces dix dernières années. A ceci près que tu te rendais compte seulement maintenant que oui sûrement, on avait dû t’envoyer en mission, sauf que tu ne t’y étais pas rendu, vu que t’étais resté au chevet d’Imogene. En théorie, ils avaient commencé à faire le tour des témoins, les rafleurs accompagnaient occasionnellement, assistaient –pour les plus modérés d’entre eux (autant dire, pas toi)- aux interrogatoires. Et sinon on avait principalement dû les envoyer quadriller la zone du drame et les alentours, pour quand ça deviendra musclé, parce que ça fait toujours un peu peur une bande de rafleurs, rien que le nom il fait un peu mal dans la gorge quand on le dit, à croire que c’est fait exprès. T’avais donc manqué à tes devoirs en t’isolant de la sorte, quand d’habitude, vous fonctionniez comme une meute. Tu te mords la bouche comme un gamin qu’on aurait surpris la main dans le sac. « J’crois oui ; mais j’ai pas pu y aller, y’avait… miss Rowle qu’était hospitalisée » la belle affaire, quand on savait que les infirmières passaient leur temps à te chasser de sa chambre. Au final, t’avais troqué une blessée contre une autre, puisque t’avais tenu compagnie à m’dame Lufkin par la suite. A chercher à t’occuper des autres quand tu savais pas prendre soin de toi-même. Quel beau garde du corps tu faisais. Garde du corps accessoire de quelqu’un qui n’avait jamais besoin qu’on l’aide.
De fait, tu te sens un peu con, un peu comme tous les autres qui lui ont demandé avant toi, qui se sont affolés avant toi, qui auraient signé son bras en écharpe si ça avait été au goût du jour. Tu te sens con d’avoir cru que ça lui faisait très mal. Il a le double de ton âge, Rookwood, il en avait vu d’autres. Et d’autres que toi aussi. C’eût été naïf de ta part de penser que c’était son premier bras cassé. Ces dernières décennies, les Mangemorts avaient suivi le Magister dans toutes ces frasques ; de fait, ils n’étaient pas à l’abri du danger. D’un autre côté, Rookwood avait tendance à minimiser les faits, histoire de n’inquiéter personne –parce que c’était compliqué de rassurer les gens-, afin de pouvoir passer à autre chose. Ainsi, en mission, vous faisiez bien la paire, puisque ni l’un ni l’autre n’étiez disposés à vous arrêter en chemin à cause d’un gravier dans la chaussure. Refroidissant tes fièvres, tu hoches la tête, compréhensif, ah bah oui, ça m’étonne pas de vous patron, le secondant ainsi à balayer cette affaire réglée depuis un moment et sans ton aide. Il s’en était sorti tout seul.
Pour autant, il en aurait fallu plus pour que le Mangemort se prive de tes adorables et maladroits services. Au début, t’as l’air tout enjoué à l’idée d’avoir un ordre à recevoir, parce que ça faisait trop longtemps, et qu’il ne fallait pas perdre les bonnes habitudes. On aurait dit un chien qui se préparait à recevoir un os à moelle dans sa gamelle. Toutefois, ce qu’il te demande dépasse de loin toutes tes espérances et tes rêves les plus fous. Passés les premiers émois –c’est limite si tu lui as pas demandé de répéter-, tu te penches par-dessus le lit pour récupérer le paquet de cigarettes et le briquet dans un crissement de cuir abimé. Ok, on arrête de faire sa pucelle effarouchée, ‘faut juste lui allumer une clope. Dans un effort surhumain pour garder ton visage fermé, tu la lui glisses du bout noirci des doigts entre les lèvres bon ok ça va être difficile de gARDER SON CALME A CETTE DISTANCE SI PEU RECOMMANDABLE. T’étais déjà pas très habile de tes mains au naturel. Et en plus, à cause de l’attentat, t’avais plusieurs doigts cassés et immobilisés entre eux dans d’épais pansements. Ajouté à cela une pincée de tremblement et une moiteur désagréable à l’intérieur de ta paume, cela te plongeait dans l’incapacité d’allumer ce putain de briquet qui te glissait entre les doigts. T’as pourtant fait tourner la roulette plusieurs fois, arrachant au bougre une étincelle qui fait luire son regard malin braqué sur toi, mais rien de plus. T’as même eu le culot de tâtonner dans les poches de ta veste, pour voir si tu n’avais pas le tien, genre, il marcherait mieux, y’a un sortilège d’adhésion pour doigts moites dessus. Sauf que tu ne l’avais pas, parce que le jour de la représentation du Magister à Ste-Mangouste, Imogene avait vidé tes poches avant d’y aller parce que tu faisais un bruit de sheriff quand tu marchais à cause de tout le fourbi qu’il y avait dedans, et qu’il était hors de question qu’on vous entende débarquer après le début de la cérémonie, si jamais vous arriviez en retard –malheureusement pour vous, vous étiez là juste à l’heure, sans pouvoir espérer louper un morceau de son interminable discours. Et en plus, elle disait que tu puais du bec à cause de la cigarette. Ce à quoi tu te faisais une joie de répliquer qu’elle serait plus apte à en juger le jour où elle n’aurait plus besoin de s’étirer sur la pointe des pieds pour te regarder droit dans les yeux.
Toutefois, s’il y en avait un que tu ne réussirais sans doute jamais à affronter yeux dans les yeux, c’était bien Rookwood. Parce qu’il a son regard qui te passe au travers et qui revient, comme une aiguille qui recoud une plaie parce qu’il a un regard très doux sauf que c’est cette même aiguille qui est aussi responsable de la plaie béante impossible à recoudre en une seule fois. Tu finis donc par accomplir l’inenvisageable. Tout en te confondant en excuses d’un ton bourru, tu récupères la cigarette, l’intimant à patienter quelques instants d’un regard entendu et d’un mouvement du menton, te la fous dans le bec –‘faut pas que tu t’arrêtes, sinon, tu risquerais de ne pas revenir du fait qu’il l’avait eu préalablement entre les lèvres-, pour l’allumer comme tu le faisais habituellement, le nez baissé, et pas ses yeux juste là sur toi trop près –même si après un tel manège, il devait tout de même les avoir juste là sur toi, sidéré par ta bêtise. Encore quelques tentatives, si bien que tu manquerais de serrer les dents autour de la cigarette d’agacement, et finalement, une flammèche vient en lécher le bout. Ton regard s’éclaire ; le réflexe voudrait que tu en inspires une bouffée, mais au dernier moment tu te ravises et la lui remets entre ses lèvres pas possibles. Ses lèvres elles sont encore pires que ses yeux. « Désolé patron, y’a qu’comme ça qu’j’y arrive ; c’comme les nœuds d’cravate » et t’as l’air un peu étrange, à le dévisager par en-dessous, « ‘fin, j’en mets pas beaucoup d’cravate d’toute façon » comme si en cet instant, tu aurais tout donné pour être à la place de cette cigarette que tu venais de lui allumer. « Alors, on fait quoi maintenant ? » et tu parlais du travail, bien entendu.
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| Well I’m fine, I’m fine, I’m lying I’m falling, I’m drowning, drowning Well I should, I should I should plot against you You blissful, kissful, pitiful, coward You ain’t, you ain’t nothing good You ain’t, you ain’t, no you ain’t
Tant de simagrées pour une simple clope, c'était un délice pour M. Rookwood. Il souriait, calme, tranquille, absolument silencieux pendant que le Murdock s'emmêlait dans les pinceaux de ses doigts, se heurtait à ses yeux, s'échouait sur ses lèvres avec cette expression délicieuse de jeune vierge effarouchée. Augustus aimait lorsque ses vierges effarouchées sentaient la sueur, le muscle et ce quelque chose de bestial et d'enfermé qui était la chose qu'il préférait le plus dans ce charmant jeune homme. Il lui laissait tant de portes ouvertes, à ce magnifique imbécile, il lui permettait tant de fois de l'approcher, de le toucher, il envoyait tant de perches qu'un autre que lui l'aurait déjà plaqué contre un mur quelconque pour le prendre sauvagement. Mais non, pas le Murdock, et là se tenait tout le charme de l'animal. Augustus pouvait faire tout ce qu'il voulait, ou presque, le provoquer et le taquiner avec un air taquin difficilement dissimulé, et pourtant rien ne se passerait jamais. Il était là, le Murdock, à fantasmer comme un porc, et pourtant il finissait toujours par reculer de façon désespérée dès qu'il se trouvait à moins de cinquante centimètres de son objectif. Augustus le regardait donc, tranquillement, jusqu'à ce qu'il finisse par poser une cigarette allumée dans sa bouche, utilisant sa main valide pour en tirer une première respiration. Il se souvenait distraitement qu'un infirmier lui avait dit d'éviter de fumer dans la chambre. Tant pis. Il le regarda trébucher dans ses excuses, ses explications tremblantes, ses prétextes ridicules et adorables de ridicule. « Ne vous inquiétez pas, Bacchus. Je ne suis pas pressé, et je peux voir que vous y avez mis beaucoup d'efforts. » Le sarcasme était tellement sous-jacent qu'il en devenait terriblement évident, et pourtant il savait que jamais Bacchus n'oserait véritablement l'accuser de mesquinerie. « Je saurai me débrouiller par la suite. » Et il sourit, presque charmeur, de cette pique qu'il sait particulièrement blessante pour son petit chien. Il profite de la décomposition de sa victime pour répondre à sa question avec un étrange sérieux. « Maintenant, il est temps d'apporter le courroux du Magister au cœur de la résistance. » Il ne répondait absolument pas à la question de Bacchus, mais cela lui importait assez peu, en vérité. Augustus était le genre d'homme qui aimait s'écouter parler, et il le faisait souvent lorsqu'on lui posait ce genre de question, se prêtant au jeu de tenter des formulations dans ces occasions, afin de les placer ensuite en écrit, avant de les envoyer au centre de la propagande. Il aimait beaucoup proposer des textes pour les divers discours et articles qui polluaient le monde depuis les bureaux du Ministère. « Le cœur de la résistance qui, aujourd'hui, doit sûrement voler en éclats. Avec cet attentat brutal de civils, de femmes, d'enfants, d'un lieu qui n'aspirait qu'à sauver, aider le peuple, nous assistons certainement à une importante scission dans le monde des insurgés. » Il fit une petite pause, le temps de fumer un peu, de rassembler ses idées avant de poursuivre, les yeux plongés dans ceux de Bacchus, terriblement sérieux, professionnel, honnête. « Il est temps pour nous d'agir, de montrer au peuple de quel côté réside la stabilité, la paix et l'ordre. Encore une fois, nous nous retrouvons dans une guerre de l'image et du mot, et tous les impardonnables du monde ne pourront nous aider autant qu'un bon contrôle de l'information. » Il bavardait, littéralement, et il y avait très peu d'occasions de voir l'homme autant parler que lorsqu'il travaillait à voix haute. Dans son emphase, il avait attrapé le bras de son employé, pour l'impliquer dans la force de sa conviction, même s'il devait se douter que cela ne ferait que le déconcentrer.« Ce que l'on doit faire maintenant, Bacchus, c'est reprendre les rênes, donner une image de sécurité et de protection. En tout cela, en ce qui vous concerne, ainsi que retrouver toutes les informations nécessaires à la compréhension complète de l'attentat, afin de pouvoir une revanche efficace et spectaculaire. » Il s'arrêta de nouveau, ayant visiblement terminé son discours, un peu pensif tout en fumant, scrutant toujours le Murdock comme si cela pouvait lui apporter une quelconque solution à son problème. « Mais si vous entendiez quelque chose de plus pragmatique, vous pouvez toujours attendre avec moi que l'on daigne me faire mon check-up, voire même aller me chercher un café quelque part, cela serait charmant. » Il n'avait cependant pas lâché son bras, qu'il tenait toujours fermement, et son sourire reptilien revenait doucement se glisser entre ses lèvres, alors qu'il demanda tranquillement : « Ou vous pourriez me détailler à quel point je vous ai manqué. » |
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| Augustus no fucking Rookwood
Whatever I feel for you You only seem to care about you Is there any chance you could see me too? 'Cause I l- you
Augustus était le genre d'homme qui aimait s'écouter parler et ça n’était pas plus mal, parce que toi, t’aimais pas particulièrement ça. T’aimes pas quand il parle tout seul comme ça, on dirait qu’il se masturbe intellectuellement –j’peux vous donner un coup de main patron si vous voulez. T’aimes pas parce qu’il te parle pas, il parle à tout le monde comme ça, quand il dicte aux secrétaires et même qu’après ça finit sur les affiches ou à la radio. Des fois, c’était Zaïtseva qui faisait la dactylo tandis que toi, dans ton coin, tu n’écoutais même plus, parce que t’en étais encore à chercher à comprendre la première phrase. Tu finissais par laisser tomber, à l’observer parler, avec sa bouche qu’on a l’impression qu’il va embrasser tout le monde sauf qu’en fait, c’est lui-même qu’il embrasse. Et il a bien raison. T’avais de fait remarqué que la bouche de Rookwood était soulignée par l’ombre au-dessous de sa lèvre inférieure et encadrée comme les rideaux au théâtre par les rides sur les côtés. Sa bouche se donnait en spectacle avec ses mots de grands que tu comprends pas tout même si tu comprends le sens global, à force. Ça rentrait avec force dans ta tête. Pourtant, c’était pas ça qui restait le plus longtemps. Ce qui s’imprimait, comme une cicatrice sur une peau tendre, c’était les silences, le temps d’une respiration, ou quand il tirait sur sa cigarette et laissait la fumée s’échapper sans la souffler. Quand il arborait cet air satisfait comme s’il caressait de la pensée ce qu’il venait de déblatérer que tu finirais pas être jaloux des mots. T’aimes pas quand il parle comme ça parce que c’est comme s’il se foutait de toi –pour changer- et de ton incapacité à formuler des phrases de plus de trois mots de plus de trois syllabes. Y’a pas besoin de toutes ces fioritures, il aurait pu aller droit au but, t’avais besoin de ça, d’ordres clairs et concis, aboyés même, s’il le voulait, parce que la langue des chiens était la seule que tu connaissais. ‘Fallait pas s’étonner qu’en cinq ans, t’avais pas été foutu de saisir au vol toutes ces perches tendues, de peur qu’elles se pètent sous ton poids, ou pire encore, qu’il te les ôte lui-même du bec. Alors en attendant, il te faisait tourner en rond, ça le faisait rire, de regarder son chien tenter d’attraper sa propre queue alors que c’était pas celle-là qu’il voulait avoir dans la bouche… passons. Tu pigeais tout juste qu’il se passait un truc chez les insurgés qui allait sans doute pouvoir vous servir quand il interrompt le fil de ta laborieuse réflexion en t’emprisonnant le bras. L’effet escompté est inéluctable ; tu décroches tes yeux cloués à son visage, te demandes par quelle pirouette t’allais pouvoir te dégager et ce que ça te coûtera comme miettes de dignité. L’excuse du café est presque trop belle pour être vraie mais il n’en faut pas plus pour que tu saisisses l’occasion à bras le corps - à défaut de le saisir lui. Tu amorces un mouvement, te lèves pour aller lui trouver un café, avec ce temps d’arrêt pour qu’il desserre un peu sa prise. Ainsi en attente, entre deux positions, t’es si près que s’il soufflait sa fumée, t’aurais pu l’avaler aussitôt. « J’crains de pas parler aussi bien qu’vous pour détailler quoi qu’ce soit » tu savais pas mettre de mots là-dessus, c’était pas faute d’avoir essayé pourtant. Mais ça persistait à ne ressembler à rien de ce que tu avais pu expérimenter ou entendre de l’expérience des autres. Croyant le laisser ainsi sur sa faim, tu t’éclipses. Malheureusement pour ta petite escapade, il est facile de dénicher un café dans cet hôpital. Quand il s’agissait de faire du fric, il fallait avouer que les moldus ne rivalisaient pas d’imagination ; le principe était donc le même, il fallait payer, à ceci près que c’était certainement de minuscules fées cachées dans la machine qui moulaient le grain. A ton retour, tu te rassois sagement là où t’avais froissé les draps à force de gesticuler. À quoi ça sert que tu lui en dises plus ? tu le vois dans ses yeux qu’il sait très bien à quel point il t’a manqué. Si sa bouche à lui a l’air de faire des baisemains à tout le monde, toi, t’as les yeux qui implorent des choses pas avouables. Qu’est-ce que tu aurais pu lui dire de plus ? Qu’est-ce que tu aurais eu le droit de lui dire de plus ? Que sa bouche pas possible t’avait manqué ? Ses yeux luisants, ses élans imprévisibles, ses bonnes manières, son manteau brun, sa démarche de prédateur, ses caprices, son sourire de requin, sa mèche quand des fois elle se défaisait, la façon que ses doigts avaient de triturer la boucle de ses dossiers comme la ceinture d’un amant, son pragmatisme, l’avant-bras tatoué qu’on devinait sous le tissu de bonne facture de sa chemise, l’ombre de son regard comme s’il surveillait le reste du monde, l’ombre dans laquelle tu t’appliquais à marcher comme les enfants qui essayent de pas toucher les lignes ? T’aurais pu continuer longtemps comme ça, mais il ne se serait pas satisfait de ton pénultième défilement. « Disons qu’vous avez manqué comme si j’savais pas si vous étiez encore vivant » y’a peut-être un soupir de reproche, à ton égard bien sûr, mais aussi au sien ; parce qu’il savait mieux que quiconque que t’étais encore plus con que con quand tu t’affolais ; et que pour rien au monde t’aurais ouvert un journal pour prendre le risque de ne pas y lire son nom. Il savait mieux que quiconque que t’aurais eu besoin qu’il se montre à toi en pleine forme. Mais voilà, Augustus Rookwood savait mieux que quiconque pas mal de choses à ton sujet. Pourtant, cela ne l’empêchait pas de te malmener quand l’envie lui prenait. Au contraire, il savait mieux que quiconque là où il fallait appuyer pour que ça fasse mal. Comme s’il testait jusqu’où il pouvait tirer la corde avant que tu ne craques. Allez savoir si en craquant, tu te casserais de là ou au contraire, tu lui sauterais à la gorge. « Et puis, j’ai pris l’habitude de r’cevoir les ordres de vous, en premier » oui c’est ça, fais pas trop ta drama queen, ça ne te ressemble pas. C’est si fatigant de tirer soi-même sur la laisse. « Vous voulez que j’aille chercher quelqu’un ? » que tu renchéris l’air de rien, parce qu’il manque définitivement une troisième personne dans cette pièce –il fallait croire qu’au bout de cinq ans, il t’était de plus en plus compliqué de rester seul avec lui, l’envie grandissante toujours tapie dans un coin –si fatigant ; c’était bien là la seule chose pour laquelle tu reconnaissais l’utilité de Zaïtseva. |
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| Well I’m fine, I’m fine, I’m lying I’m falling, I’m drowning, drowning Well I should, I should I should plot against you You blissful, kissful, pitiful, coward You ain’t, you ain’t nothing good You ain’t, you ain’t, no you ain’t
En avisant de la carrure du Murdock, on pourrait le supposer stoïque. Gros tas de muscles et de poils, il lui suffisait d’être immobile et sérieux pour être terrifiant. Tout cela pouvait complètement faire oublier qu’il dépassait à peine le mètre soixante-dix et que, à côté d’Augustus, il faisait donc toujours un peu court sur pattes. Mais cela, au fond, ne faisait qu’accentuer cette impression de puissance, de taureau prêt à charger, de bulldog aux lèvres retroussées. En le voyant ainsi, on pourrait donc l’imaginer comme étant peu bavard (ce qu’il était, en tout cas devant son patron), économe de mouvements, stable, un véritable rocher à travers les flots déchaînés. Cela n’était, pourtant, absolument pas le cas. Augustus connaissait peu de personnes aussi turbulentes et mobiles que Bacchus. Bien sûr, lorsque la bête avait sa cible en vue, il devenait très efficace, mais au jour le jour, il était un véritable acrobate. Cela ne voulait, bien entendu, pas dire que l’animal était agile. Loin de nous cette idée. Bacchus semblait incapable de rester immobile, toujours nerveux, toujours bancal, trébuchant, sautant, gesticulant furieusement comme pour exprimer un trop plein d’émotions que tout le reste de sa personne ne savait transmettre. Augustus se fit ces remarques en l’observant lui échapper, ce petit homme. Il lui filait souvent entre les doigts, l’animal, dès qu’il s’approchait de trop près, sans jamais véritablement pouvoir s’éloigner. Il le regardait ainsi jouer avec la corde, la laisse de leur relation, avec un amusement certain. Il riait de cette tendance à tourner autour de lui comme si un champ de force l’empêchait de faire le moindre mouvement trop proche du centre magnétique, au risque de s’y agripper. Ainsi, Augustus s’amusait à jouer avec cette frontière invisible comme on s’occupe avec un yo-yo. Bacchus s’échappait ? Qu’il fasse donc. En toute tranquillité, Augustus attendit son retour, se levant doucement, faisant son chemin vers la fenêtre, cigarette à la bouche, attendant tranquillement le retour de son café. Il se demanda, distraitement, s’ils arriveraient un jour à trouver le chemin jusqu’à sa chambre pour lui faire ce maudit check-up. Il espérait, simultanément, pouvoir embêter encore un peu son employé. Un employé qui trébucha bien vite de nouveau dans la pièce, véritable spectacle en lui-même, si bruyant et volumineux face à la délicate lenteur de Rookwood. Il l’observa se réinstaller à la place qu’il lui avait indiqué (il pouvait être terriblement obéissant sur les plus petits détails) et commencer à se torturer la tête avec des questions existentielles de petit Bacchus perdu. C’était ridicule, d’essayer de lire ses pensées à cet instant ; tout était tellement évident rien qu’à lire la tension et la passion de ses yeux. Le connaissant par cœur, Augustus pouvait presque composer à l’aveugle les terribles pensées qui pouvaient envahir son subalterne, son obsession sur de divers détails de son corps, de ses expressions, de son comportement. Il attendit, patiemment, qu’il finisse par sortir quelque chose de cette torture mentale. Il expulsa donc ces quelques phrases. La première puait, elle empestait l’honnêteté brutale, le genre de phrase qui voulait dire terriblement beaucoup car avec elle venait un morceau de ton âme. Il avait la soudaine impression d’avoir pris des pinces et d’avoir arraché cet aveu avec la violence d’un chirurgien pressé. La deuxième phrase essaya, vainement, d’effacer la première. La troisième et dernière, définitivement lâche, cherchait déjà à faire déguerpir l’indiscipliné. Cela fit sourire Augustus. Le mangemort n’était, bien entendu, pas le genre d’homme à se faire avoir par ce genre de petite diversion. Il écrasa soigneusement sa cigarette sur une feuille, jeta le tout à la poubelle, puis vint se placer devant sa victime. Bien entendu, il se tenait bien plus près que la limite habituelle de Bacchus le demandait, ce qui avait tendance, soit à le faire fuir, soit à l’immobiliser. Le dominant parfaitement, il se pencha légèrement et il attrapa délicatement le café que le Murdock tenait toujours entre ses doigts. Se penchant encore, lui caressant la mâchoire, effleurant l’oreille blessée, il lui murmura : « Vous m’avez manqué aussi, Bacchus. » Et, dans un sourire, délicatement, si rapidement et si furtivement que cela aurait pu n’être qu’un rêve, il l’embrassa. Se redressant ensuite, verre à la main, parfaitement calme mais visiblement très fier de son mensonge, il poursuivit sur le même ton tendre : « Si vous insistez, vous pouvez toujours aller demander à une infirmière si mon tour approche. » Il resta un instant debout juste en face de lui, presque menaçant de suavité, avant de se remettre non loin de la fenêtre, comme si rien ne s’était passé. Il attendait avec malice de voir sa proie s’enfuir ou se liquéfier sous ses yeux. |
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| Augustus no fucking Rookwood
Whatever I feel for you You only seem to care about you Is there any chance you could see me too? 'Cause I l- you
Y’a les Danaïdes qui s’évertuent –par manque de vertu, cela dit- à remplir un tonneau percé, comme les gens riches qui se répandent en soirées mondaines pour avoir le sentiment de remplir leur vie vide et plaquée or. Et y’avait toi, écrabouillé dans le même enfer que les légendaires demoiselles, à tenter de vider le tonneau de toi qui voulait pas se vider, que Rookwood remplissait éperdument d’une déroutante illusion. Il y aurait mis de la pisse que ça aurait été pareil. Il te donnait l’illusion de te faire des offrandes, quand c’était toi le taureau –qui, il fut un temps, aurait été prêt à charger- mais qui était désormais ligoté sur l’autel, à se débattre pour attirer l’attention, pour montrer qu’il était encore en vie, et qu’il attendait qu’une chose, qu’on l’égorge. Aux côtés de Rookwood, effectivement, ton agitation était palpable, comme une veine palpitante sur une tempe ou un poing, comme le muscle de ta mâchoire qui se gonfle quand tu serres les dents parce qu’il sourit, putain, il sourit alors que tu viens de lui avouer que t’avais eu peur de jamais le revoir, que ça transpire sur tout ton toi que t’avais eu la peur de ta vie, que cet homme était la peur de ta vie, qu’est-ce qu’il pouvait te demander de plus. Si la moitié de ton département grimaçait lorsqu’ils te voyaient lorgner Rookwood, l’autre moitié redoutait qu’un jour, avec ce qu’ils savaient que le Mangemort te faisait subir, tu finisses par le tuer. On savait plus si c’était la colère ou la passion qui te rendait tout rouge comme un gamin violent. Pour l’instant, t’es tout rouge parce qu’il est debout devant toi qui es assis, et que ton regard dans le vague trébuche sur sa ceinture que t’aurais besoin que des dents et d’un ordre pour la lui défaire. Mais à défaut d’ordre, c’est un baiser qu’il te donne, si léger que tu gardes les yeux ouverts comme un débutant, un rêveur éveillé ou un illusionné. Parce que oui, ça ressemblait à l’évanescence et à la fourberie d’un rêve. Aussi impitoyable que les rêves amorcés en fin de nuit, quand le sommeil n’est plus suffisamment profond et qu’on peut en commander la tournure. Sauf que dans tes rêves, il t’embrasse pas du bout des lèvres, et que tu restes pas assis comme un con. C’est pour ça que le temps furtif de ce baiser, t’as la tête qui s’est levée, les babines qui se sont retroussées, manquant de happer le peu qu’il daignait t’offrir. Cependant, Rookwood s’évapore, histoire que t’y prennes pas trop goût, ce serait fâcheux pour son postérieur. Parce qu’on pouvait finir par remarquer que, lorsque le Mangemort bafouait la distance de sécurité, pire encore, lorsqu’il établissait un contact infime et intime, et même s'il était désormais certain que tu ne riposterais pas - en cinq ans, t’avais jamais eu les couilles ou le cœur de le faire -, il ne mettait jamais longtemps à rétablir ladite distance, comme on recoiffait le mec qu’on vient de tuer d’une balle dans la tête. Comme s’il faisait confiance à ta couardise, mais pas totalement en fait. Parce qu’en aucun cas il ne s’éloignait par pitié ou par bonté d’âme. Comme s’il craignait que tu cèdes, et que toute sa petite mascarade si bien agencée et menée d’une main de maître prenne fin. Comme s’il craignait que tu cèdes, et que tu le dévores et qu’il aime ça et que. Le sourire que t’as alors qu’il te laisse là avec la fausse promesse que tu lui as manqué est terrible parce qu’il est le sourire de celui qui goberait tout ce que tu lui dirais, Rookwood. Le sourire, rare, de l’homme comblé par ton mensonge. L’accomplissement du jour du traquenard dans lequel tu ne te lassais pas de le voir patauger. Et ce con en redemande qu’on se demanderait s’il veut seulement en sortir. Tu te lèves à ton tour, visiblement enclin à aller dégoter sa putain d’infirmière comme un énième bâton qu’il lancerait à son chien-chien de garde, seul moment où il lui ôte sa muselière. Mais tu te diriges pas vers la porte. Tu piétines à ton tour cette perpétuelle distance entre vous, te plantant comme un piquet en face de lui et ça brûle dans tes yeux, dans ta bouche et dans ta poitrine qui se lève en soubresauts et t’as les poings et le regard serrés sur sa bouche sa nuque et son cœur et tu ouvres la bouche mais pas pour parler à moins que tu te dégonfles au dernier moment et que tu combles le vide de dégonflé en parlant mais rien ne vient que toi juste en face de lui, ton regard qui le cloue au mur et il est un peu trop grand, alors tu devrais l’attraper par le col froissé tu vas le faire, enfin et enfin tu pourras le « Monsieur Rookwood ? pour un check-up, c’est bien ça ? désolée de vous avoir fait attendre ! »PAR LA M*RDE DE CE M*RDEUX DE MERLIN P*TAIN JE VAIS LA B*TER CETTE SANG-DE-BOURBE SOUS VOS YEUX PATRON COMME CA VOUS VOUS SOUVIENDREZ PAS DE CE QUI VIENT DE PAS SE PASSER J’VOUS JURE JE VAIS LA FINIR AVEC LES BARREAUX DU LIT ET LA FAIRE PASSER PAR LA FENÊTRE ELLE ET TOUTE SA FAMILLE PATRON EMBRASSEZ MOI ENCORE MAIS PAS COMME DANS UN RÊVE JE VAIS LUI FAIRE SA FÊTe « c’est pas trop tôt » que tu grommelles, faisant quelques pas en arrière, laissant la place à l’infirmière qui ne semble pas faire ombrage de vous avoir surpris dans cette drôle de situation que ça sent la tension sexuelle dans toute la chambre, poussant devant elle un petit chariot. Elle fait la grimace, cependant. « A l’avenir, évitez de fumer dans l’établissement » et avec stupeur, tu constates que c’est toi qu’elle réprimande « si ce n’est pour vous et vos proches » ce mouvement de menton vers Rookwood te fait voir rouge « pensez au moins aux prochains patients »Tu hurles dans ta montée de sang dans ta tête que tu manquerais de lui balancer le plumard à la figure. « Je. vais attendre dehors, patron, si vous m’le permettez » que t’attends même pas la permission et pars te liquéfier à l’abri de son doux regard, dos à la porte, encombrant le couloir de ta honte. |
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| Le ressort qui reliait le Rookwood et le Murdock avaient des convulsions de plus critiques au fur et à mesure des mois, dernièrement. Rien que l'année dernière, la différence entre détente et tension était minime, et Augustus modulait tout cela d'un simple sourire, d'une petite insinuation roucoulante. A l'époque, c'était Bacchus qui trébuchait en arrière, effrayé de se brûler à son contact, terrorisé à l'idée qu'il puisse vraiment voir ce qu'il se passait sous sa caboche. A partir de quand Augustus avait-il commencé à craindre, sans aucun fondement, que l'animal ne le morde un jour en retour ? A quel moment, exactement, s'était-il mis à trouver Bacchus plus vraiment utile, mais plutôt distrayant, voire d'agréable compagnie. Tout cela s'embrouillait dans son esprit et dans ses souvenirs vieux de cinq ans qui, d'autant plus, avaient toujours été envoyés dans une sphère bien périphérique de sa mémoire. Il n'avait jamais vraiment eu à se soucier de Bacchus. Il le manipulait sans même avoir à y réfléchir, il le torturait sans avoir à faire d'effort et il le gardait attaché à ses basques sans lever le petit orteil pour essayer de mériter sa dévotion.
Et surtout, il lui offrait des joies étranges dans des mensonges à peine conscients tant ils étaient naturels. Il était là, son petit chien, à le regarder comme un bienheureux d'avoir été manqué. Il lui sourit, le petit Bacchus, il lui sourit si joyeusement, si tendrement, si complètement, avec les joues rouges et les yeux brillants. Augustus se demandait parfois, incrédule, comment il pouvait apporter des émotions si simples et pures chez ce petit monstre de violence. Comment lui, monstre lui-même, pouvait arriver à provoquer un quelque chose d'un tant soit peu heureux dans la vie de la brute épaisse. Est-ce que l'autre, l'animal, arrivait à comprendre un tant soit peu où il était ? Parce qu'il était dans la fange, dans la lie, il était aux ordres d'un homme qui ne le respectait pas et ne lui rendrait jamais cet amour absolu. Et pourtant, il souriait. Les sourires de Bacchus, les véritable sourires, étaient rares. Ils étaient arrachés par Nannie et ses bêtises, principalement, ou par les victoires de Quidditch qu'il vérifiait parfois en fronçant les sourcils au dessus de sa Gazette. Augustus était rarement la source de ses sourires. Il lui provoquait de la frustration, de la confusion, beaucoup de galipettes innocentes et surtout, il lui provoquait des éclats de rage, parfois, dans les bureaux des Shacklebolt et autres Gates. Augustus était source d'obsession et de torture, pas de satisfaction. C'était peut être à partir de là, à partir de ce genre de sourire, qu'il avait commencé à s'inquiéter de la solidité de la laisse.
Et comme pour rajouter à cette petite pointe d'inquiétude qui commençait à faire son chemin dans le cerveau du haut fonctionnaire, Bacchus quitta sa place. Sans qu'Augustus ne lui dise rien, sans qu'il ne l'y invite, et alors qu'il lui avait bien dit de s'asseoir là. L'animal se targuait d'une obéissance absolue, mais oubliait bien trop souvent les ordres qu'on lui donnait au goût de son maître. Il n'y avait cependant pas de quoi se formaliser, et il le regarda tranquillement venir se planter face à lui. Il n'y avait pas subtilité chez le Murdock. Il n'essayait pas de justifier son geste. Il le faisait juste, et fixait Augustus avec le genre de regard qu'il lui servait souvent certains soirs, après avoir une énième fois occupé son canapé, avant de demander en bégayant s'il pouvait utiliser la salle de bain pour prendre une douche. Augustus donnait toujours des envies de propreté à Bacchus. Et cette logique le sidérait. Il restèrent silencieux ainsi quelques secondes, Bacchus qui rêvait sa vie en couleur de mangemort, Augustus qui se demandait s'il allait devoir mettre un terme à cette audace. Mais en même temps il s'amusait de l'audace de l'individu, et savourait que la laisse continue de faire son effet et le garde si soigneusement et méticuleusement en retrait. Il pourrait même pousser le vice juste un peu plus loin. Une simple petite caresse sur cette joue tendue à l'excès et, sans aucun doute, il-
« Monsieur Rookwood ? pour un check-up, c’est bien ça ? désolée de vous avoir fait attendre ! »
Le Monsieur Rookwood se retint d'éclater de rire devant l'ironie du sort qui semblait décidée à piétiner les maigres sursauts de courage de son fidèle molosse. Il se retint aussi parce qu'il lisait comme s'il l'avait pensé les hurlements mentaux de Bacchus. Il les entendait un peu trop clairement, d'ailleurs, pour quelqu'un qui n'essayait même pas, et il était un peu étonné de s'être laissé aller à ce genre de légèreté. Et en même temps, il était hypnotisé, sidéré, par l'explosion se déroulant dans les yeux de sa victime. Il y avait quelque chose de profondément viscéral, et donc incompréhensible pour le mangemort, dans la sublime rage sous ses yeux. Il resta donc silencieux, juste le temps que l'animal ne retourne se réfugier au cœur de l'humain ; et il fut presque surpris que ce soit des mots qui sortent de sa bouche, et non pas un grognement agressif. « A l’avenir, évitez de fumer dans l’établissement si ce n’est pour vous et vos proches pensez au moins aux prochains patients » Encore une fois, un rire de Rookwood se perdit au bord de ses lèvres alors que l'infirmière réprimandait le visiteur. Il ne prit même pas la peine de la corriger, bien trop intéressé par la réaction, en comparaison minime de la victime, qui se réfugia vite dans le couloir.
« Bonjour Mlle, ne vous inquiétez pas pour l'attente, je sais que vous êtes débordés. » Il lui souriait poliment mais ses yeux suivaient le dos de son employé. Il devait être en train de se liquéfier de honte et de frustration quelque part. Augustus était sûr de le trouver quelque part, non loin de la porte, incapable de la fixer mais incapable de s'en détacher, comme d'habitude. A la limite, l'animal se serait réfugié dans quelque toilettes pour se passer un coup d'eau sur le visage, mais serait vite revenu, craignant de le rater. Sur ces pensées volages, la porte se referma et il se reconcentra sur son interlocutrice, qui le regardait bizarrement. Ce fut là qu'il s’immisça dans son cerveau, en un regard, et qu'il s’enfonça un instant dans son esprit qui essayait actuellement de se souvenir où est qu'elle avait déjà pu voir ce M. Rookwood. Une légère angoisse ressemblant à de la panique fit sa route le long de la colonne vertébrale. Il n'arrivait pas à sortir, en tout cas pas magiquement, du cerveau de cette pauvre infirmière qui était sûrement en train de lui parler parce qu'il y avait un fort écho là-dedans. Ce ne fut qu'en détournant son regard du sien qu'il réussit à se déloger de l'esprit fort inconvenant et inutile de celle qui avait importuné une scène bien croustillante avec sa victime préféré. Il resta un instant déconnecté, rassemblant ses propres esprits, vérifiant qu'il avait encore tout sa tête. Enfin, vérifiant plutôt que ce qu'il lui restait de sa santé mentale était toujours là. S'il en perdait encore, il risquait de finir comme le Murdock, voire pire.
Le check-up se déroula vite, d'autant plus vite qu'Augustus resta assez économe en mots et qu'il refusa de dévoiler à ce médecin de troisième zone la complexité de son mal. D'après elle, tout était bon au niveau de sa tête, il n'allait donc pas la laisser continuer ses suppositions fausses et puantes d'incompétences en lui dévoilant ce genre de secret. Si ébruité, cela pourrait bien lui coûter sa carrière. Non non, personne ne devait savoir qu'il perdait le contrôle de sa legilimencie. Il serra un instant la mâchoire, une petite contraction qui lui fit s'entrechoquer ses dents. Il ne devait pas paniquer. Et il ne devait pas croiser le regard de qui que ce soit, avant d'avoir consulter un véritable médecin. Il devait voir Adèle. Elle seule saurait l'ausculter sans qu'il ne craigne la divulgation de secrets ou les dangers d'une erreur de soin. Elle devait bien être en état de le soigner, n'est-ce pas ?
Rassemblant ses affaires puis faisant route vers la porte après un signe distrait à l'infirmière, Augustus sortit à la recherche d'Adèle lorsqu'il... buta sur un... oh, ce n'était que lui. « Ah, Murdock, parfait. » Il regarda l'animal s'agiter devant lui mais lui déposa assez vite l'ensemble de ses dossiers entre les bras, ce qui constituait une assez jolie pile. « Merci d'être venu, pourriez-vous remettre tout cela dans mon bureau ? Je dois trouver Mlle Bones. Vous pourrez dire à ma secrétaire de me contacter dans son bureau, ou chez elle, en cas d'urgence. » Il ne le regardait pas dans les yeux, préférant reporter son regard en direction de sa destination. « Je vous remercie de votre diligence, bonne journée à vous. » Sans même chercher à déchiffrer l'expression sur son visage, il le laissa planté là, traversant les couloirs d'une allure juste légèrement pressée. Exactement comme si, contrairement à son mensonge, Bacchus ne lui avait jamais véritablement manqué. |
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| | | | | i'll worship like a dog at the shrine of your lies - bastus | |
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