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sujet; we don't talk anymore ⊹ ARSEMIS
MessageSujet: we don't talk anymore ⊹ ARSEMIS   we don't talk anymore ⊹ ARSEMIS EmptyJeu 19 Mai 2016 - 3:08

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La  cigarette tremble, anxieuse, allumeuse. Elle s'amourache de tes lèvres à chaque fois que la fumée s'est dissipée, affamée de tes poumons. Un pincement de lèvres, tu hésites, avançant & reculant devant le grand immeuble qui s'élance sur l'allée des embrumes. Ici les riches côtoient la misère, la guerre. Ici, la puanteur des uns n'a d'égale que la rancœur des autres. Un marmonnement ; « Conneries. ». Oui, c'est de la connerie, de la folie.

Il ne t'a après tout, jamais aimé.
Et il va sûrement te tuer.

De ses cheveux parfaitement coiffés à ses yeux bleus clairs, il va sûrement te tuer avec un de ses abrutis de lapin, puis il ira tuer Papa ou Gwen. Au choix. Après tout, vous l'avez tués dans un soubresaut d'horreur, de douleur. Vous l'avez juste laissés là, sur le plancher, les yeux vides, la bouche tordue. Et vous avez tout bruler. Il ne reste rien de rien de cette maison, de votre maison. Juste une poignée de regrets & une certitude ; T'as merdé. Complètement merdé.

Arsenius avait raison. Il a toujours eu un peu raison à sa façon. Papa vous a juste abandonné. Maman a juste voulu vous protéger. Alors tu écrases la clope d'un geste souple & tu en tires une autre du paquet. Nyssandra, aussi, a raison. Les pères, ce ne sont pas des hommes biens. Les père, ça piétine tous vos univers, ça vous déchire en guerre. Les pères ne sont que des synonyme d'abandon, de prison, de poison. Et tu ne peux pas en parler. Tu ne peux pas vraiment avouer. Toi, tu as tout donné. Tu lui as tout dévoué à ce père imparfait, dessiné dans des années de manque, d'absence. Toi, tu as continué à te sacrifier, à saigner sans bouger, sans tiquer. Tu as continué à l'aimer, à l'adorer.

Et les secrets te rongent depuis tellement longtemps, évidemment. Et les secrets te dégueulassent, t'enlacent.  Tu ne veux plus les emporter dans la tombe. Tu ne veux plus te taire. Tu veux ton frère, ton grand frère. L'enfance n'est pas si loin, si ? Elle n'est qu'à deux pas. Là où vous vous endormiez dans le même lit parce que le noir est partout, parce que déjà les visions te terrorisaient. Parce qu'il était le seul à rester, à t'écouter. Elle n'est plus vraiment à porté de main mais tu peux encore la toucher, la presser. Les rires sonnent, résonnent encore à tes oreilles. Depuis quand vous vous êtes éloignés ? Depuis quand vous êtes vous abandonnés ? Il doit bien rester un peu d'amour sous les cendres. Tu veux juste tout souffler pour voir tout brûler, tout raviver.

La lâcheté s'échappe pourtant de tous les pores de ta peau, en overdose de mots avortés, dépassés.  Et tu réalises un peu péniblement, un peu futilement qu'il t'a manqué, que tu ne l'as jamais vraiment détesté. Et dans le nœud des embrouilles, des douilles qui jonchent le parquet émietté de votre relation, tu veux juste le faire rester. Tu ne veux juste pas être oublié, délaissé. Un peu comme un enfant, tu t'avances dans le hall de l'immeuble branché. Les yeux clairs, tu poses les yeux sur l'hotesse. « Je veux aller chez mon frère. », les mots sont lâchés, l'estomac noué. Tu veux retourner à la maison.

« Arsenius Lestrange. ». La blonde réalise, s'immobilise, un pauvre sourire au bout des lèvres. Elle pianote agile, en battant des cils sur le formulaire, et tu sais qu'elle va trop lentement, qu'elle prend trop de temps. Les secondes s'étirent en heures. Les jours en années & tu veux juste reculer, t'échapper. « Il faudrait signer ce reg- Je n'ai pas le temps. Je veux voir mon frère. ». Le  regard est dédaigneux, bordé de mépris. « Mais je dois vous enre- Non. ». Les yeux bleus se font plus durs. Tu ne céderas pas. « Voilà le  numéro. ». Une pointe de reconnaissance apaise tes traits & tu files avant de te défiler, de t'effrayer. Tu évolues, souple & agile dans les couloirs, dans le noir. C'est sa porte. Peut-être qu'il n'est pas encore chez lui. Peut-être qu'il est sorti. Une grimace, les coups partent autant contre le bois que dans ton ventre. « Ah Arsenius. », le visage paraît, un peu surpris, trahis dans ses occupations. Le silence s'étale en malaise, en caresses douloureuses, peureuses. « J'ai apporté des carottes. ». Et il y a quelque chose qui hurle dans ta poitrine, qui se devine ; Ne me laisse pas dehors. Ne me laisse plus jamais seul.

Un pas, tu entres dans le grand appartement. Par où commencer ? « Tu avais raison. », un regard froid, métallisé, angoissé. Tu t'humectes les lèvres. Entend-t-il le cri ? Entend-t-il ta détresse, le poids de ses promesses ? « Pa- Non, ça n'a peut-être jamais été un père. Rabastan. Tu as raison. Maman avait raison. ». De sa folie, maman n'était pas le monstre. Tu flanches, tangues. « Je suis désolé. »,  la voix brisée, le cœur s'est cassé.
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(music) + La chope à moitié vide, l’espace d’une fraction de seconde il pense avoir trouvé un coupable. Quelqu’un à blâmer. Le regard circulaire, ses prunelles roulent sur les tableaux, glissent sur les portraits endormis et reviennent sur sa bière ; il est seul. Mère n’est pas là. Il racle la bière d’une nouvelle gorgée et s’adosse plus confortablement sur son divan pourprin, les cliquetis de la pendule ricochant dans ses oreilles, remplaçant l’algarade qui se joue dans sa tête. Il aurait dû rejoindre sa troupe de mains dans les poches pour échapper aux miasmes de la solitude. Mais il a préféré se cloîtrer dans son appartement, fuyant le polymère humain trop folâtre. Arsenius n’a pas assez d’énergie pour croiser le regard des quidams éméchés mais suffisamment pour vouloir épancher son deuil dans de la bière. L’idée d’inviter une accointance lui traverse l’esprit mais Arsenius la noie aussitôt dans une nouvelle gorgée de sa bière bon marché. Ses eaux-de-vie de bon âge sont délaissées, tout comme ses verres de cristal, au profit d’une simplicité qu’il ne pensait pas posséder jusqu’à présent. Même sa faconde, il l’a égarée au bout de quelques gorgées, loin de ressembler au mirliflore qu’était Arsenius Lestrange avant qu’on ne vienne lui arracher sa mère.

Le hourvari contre sa porte d’entrée le secoue hors de sa léthargie nébuleuse. La tentation de faire le mort est forte mais sa curiosité est piquée à vif alors Arsenius se lève. En quelques foulées il atteint sa porte. Il n’est pas assez imbibé pour perdre le contrôle de ses jambes ou de son état d’esprit mais il l’est assez pour oublier son réflexe habituel qu’est de regarder à travers le judas : il ouvre la porte et tombe sur Aramis. Il n’a pas le temps de gommer la surprise de la graphie rigide de son visage mais il la remplace aussitôt par son habituel froncement de sourcils, les prunelles accusatrices fixées sur celles d’azur de son frère. « Ah Arsenius. » Aucune salutation ne franchit sa bouche. Mais il le juge. Il juge le gamin qui l’avait aidé à construire une rame pour son lapin, il juge l’homme qui a tourné le dos à leur mère. Il le juge, il le juge, il le juge de toutes ses tripes, de toute sa haine mais se heurte à ses propres principes – assez. « J'ai apporté des carottes. » Ses dents se serrent encore plus. Mais il comprend quelque chose qu’il avait, jusque-là, refusé d’admettre : Aramis aussi a perdu sa mère.

Ses pieds nus reculent, il le laisse entrer dans son appartement, déposant le sac de carottes sur une commode. « Tu avais raison. » La porte claque, ses poings se crispent le long de son corps. Il y a quelque chose dans la voix d’Aramis qui trouve écho en lui. Quelque chose qui lui rappelle affreusement ce petit-frère aux lazurites expressives dont il prenait la main et emmenait partout avec lui. Ils ont mal-tourné. Ils ont complètement échoué. Égarée leur complicité, perdue leur innocence – les frères Lestrange se sont écartés de la toile albescente de leur enfance. « Pa- » L’aîné lui jette un regard brusque, plus hostile qu’il ne l’a jamais été. « Rabastan. Tu as raison. Maman avait raison. » Ses vibrisses s’animent, les mots sont difficiles à assimiler ; ça a toujours été difficile, de communiquer. Entre eux. Entre Lestrange. Les mots sont vils, dans leurs bouches, jetés en pâture avec aisance, usant du mensonge et du faux-semblant comme des hallebardes dangereuses. Mais jamais n’ont-ils usé des mots honnêtes, des mots porteurs de vérité, des mots qui admettent des torts et rejettent le vice. Arsenius le regarde flancher légèrement. Son réflexe premier serait de le retenir, l’aider à porter son fardeau – mais Arsenius ne l’aide pas. « Je suis désolé. » Non, Arsenius le punit. Il dépêche son pas, creuse la faible distance qui les sépare et il lui fait face : son coup de poing percute le visage de son frère. Le premier coup est toujours plus faible et tremblant : ce n’est pas n’importe qui, en face, mais son propre frère. La seconde fois, en revanche, il a du sang sur ses phalanges – celui d’Aramis ou le sien ? Il desserre ses poings mais ses doigts s’enroulent autour des poignets d’Aramis qu’il tire en avant, le traînant dans son salon, le poussant à s’asseoir sur le divan pourprin. Sans mots, dans le silence qui se nécrose au fil des secondes. Dans sa cuisine, il attrape une serviette et lance un sort qui fait apparaître de la glace, qu’il enroule à l’intérieur. Il prend également un autre bock avant de retourner dans le salon.

« Tiens. » Dit-il, en s’asseyant, mais il ne fait pas de geste pour lui remettre la glace car ce sont ses propres mains qui la placent sur le visage d’Aramis. Assis, côte à côte, l’hostilité des minutes précédentes semble s’être dissipée. C’est un peu ça, être un Lestrange : ils se blessent entre eux et s’aident à se relever, quitte à laisser quelques dents sur le parquet. « Qu’est-ce qui est arrivé à mon frère belliciste et imperturbable ? » Et où est passé mon petit-frère ? Tu sais, avant qu’il ne tombe dans la déliquescence et n’égare sa rame ? Et d’une main, il tient la serviette remplie de glaçons et de l’autre, il la place sur la nuque d’Aramis, le seul geste qui oscille entre pardon et assez. Assez des disputes, assez des bagarres, assez des silences radio durant des mois, je ne veux pas te perdre. Mais la chose incroyable avec les mots c’est que même avec toute la volonté du monde, c’est rarement les mots honnêtes qu’il arrive à sortir. Et au lieu de dire qu’il tient à lui, Arsenius lui dit : « Merci pour les carottes. » Ignorant s’il le remercie vraiment pour les carottes ou s’il le remercie pour sa présence ; car l’espace d’un instant, il se sent moins seul.

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Dernière édition par Arsenius Lestrange le Lun 19 Sep 2016 - 13:46, édité 2 fois
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L'amour a toujours été particulier, entre Lestrange, entre toi & lui. Pas vraiment sain, il vacille entre fraternité invasive & tendresse explosive. Il n'a jamais été simple ou aisé de t'aimer. Prince des glaces, tu as creusé, cultivé les distances, les méfiances. Tu as choisi les blessures, les morsures plutôt que les caresses heureuses, chasseuses de douleur & d'horreur. Oui, tu avais besoin de ses murs de neige, de ses remparts tout autour de ton cœur. Tu te devais d'être imprenable, incassable, increvable. Le contrôle, c'est le pouvoir, susurrent-ils encore contre ton oreille. Les mots formant ta prison, le poison coulant dans vos veines, semant le trouble, semant la peur.

Et pourtant, tu ne l'as jamais aimé autant (même mal, même cassé, même brisé). Tu n'as jamais autant perdu sans lui. Tu n'as jamais été aussi vaincu, abattu. L'amertume des reproches a trop tourné, vous a si souvent ravagé, condamné. Et tu en as assez de te tromper, assez de culpabiliser, assez de tout raté. (Il t'a pourtant si souvent prévenu.) Tu sais, tu n'as rien écouté. Et tu mérites tous les coups. Tu mérites qu'il te déteste, qu'il te délaisse. Tu mérites tellement, tellement, tellement sa haine.

Mais tu l'aimes. Et tu veux juste être un peu aimé.
Tu veux être un peu désiré.

« Je suis désolé », franchit tes lèvres dans un croassement d'oiseau blessé. Désolé d'avoir tué sa mère, votre mère. Désolé d'avoir cru en lui. Tellement, tellement, tellement désolé. Et les yeux clairs grands ouverts, tu l'observes avaler la distance. Tu sais ce qui va arriver, ce que tu as provoqué. Tu sais que sous ses phalanges tremblantes, il y a la peur, les horreurs, trop de douleur. Et le premier coup te fait grogner, à peine vaciller. Et tu le vois trembler, grelotter, tu le vois à peine hésiter. Le deuxième coup tombe, faisant craquer ton nez. Tu te courbes, dans un grognement de douleur, d’orgueil, le sang s'écoule déjà. Tu tousses. Et la peau te lance, tuméfiée, blessée et pourtant galvanisée. Il a toujours été le seul à pouvoir t’abîmer de ses coups. Il a toujours été le seul autoriser à te blesser parce que toi aussi, tu peux le blesser. Toi aussi, tu lui pardonnes ainsi dans les accès de violence, dans la colère apaisée, délaissée. Et Arsenius a toujours frappé le plus fort. Il a toujours fait mal pour mieux t'aimer, pour mieux te protéger. La main recouvre déjà le nez blessé, et tu l'observes entre tes cils, il a la main bousillé, le cœur égratigné. Vous vous jaugez, vous vous observez et enfin, vous vous comprenez.  

Les yeux dans les yeux, le silence s'installe, vous rend coupable. Tu veux le briser, tu veux qu'il comprenne comme tu le mérites, comme tu es fautif, comme tu as besoin de lui. Mais les doigts s'enroulent déjà à ton poignet et il te tire, t'attire vers le salon, vers le canapé sur lequel tu t'effondres sans mesure, ni demi-usure. Tu le vois s'échapper, détaler dans une autre pièce. Le cou se tend comme quand tu n'étais qu'un gosse qui voulait gagner les jeux de cache-cache. Tu l'observes faire sans vraiment le voir, sans vraiment comprendre, le comprendre. Tu détournes les yeux, penaud, gêné, le sang goutte contre ta main, glisse sur ta peau, creuse des taches sur ton pantalon. Il se pose à tes côtés & avant que tu ne puisses grogner, les  glaçons te brûlent la peau. « Froid », marmonnes-tu, à peine, ne relevant pas la tendresse de son geste, la caresse de ses doigts rugueux contre la peau touché, blessé. Froid comme une glace à la vanille prise sur une terrasse en été. Froid comme le peu qu'il reste de votre enfance, de votre innocence. Tu renifles doucement, ravalant tes larmes, essuyant le drame.  « Qu’est-ce qui est arrivé à mon frère belliciste et imperturbable ? » . Papa est un monstre, voilà ce qui est arrivé. Gwen est restée là sans bouger, sans rien dire, en la regardant mourir. Papa l'a tabassé, l'a torturé & il n'y a plus de Maman, plus de Papa.

« Il a vu Mère mourir. », c'est plus facile de parler de toi comme un être lointain. C'est plus facile de ne pas réaliser, de ne pas sentir ton cœur te lancer, se tuer. C'est plus facile de ne rien exprimer, de tout cadenasser. « Il a vu Rabastan lever sa baguette. Il a vu Mère crier. La voix se fendille, s'agitant de larmes qui ne veulent plus sortir. Et Gwen a bien regardé. ». Elle n'a pas détourné les yeux, elle n'a pas tremblé. Elle a refusé de vaciller même quand le corps s'est effondré sans vie. « Et Rabastan a dit … Une pause, tu ne veux pas pleurer. Tu ne peux pas pleurer. Que c'est Mère qui l'a dénoncé. Que c'est de sa faute à elle si Papa est mort. ». Et tu ne sais pas si c'est vraiment vrai ou si il a tout inventé. Tu ne sais pas, tu ne sais plus si c'est pour te manipuler, pour enfin gagner.

Les yeux bleus se plongent dans les siens, à la recherche d'une absolution, d'une compréhension. (Comment pourrait-il te pardonner alors que toi-même, tu n'arrives plus à te regarder dans le miroir ? Comment pourrait-il te soigner ? ). « Et puis … Il a vendu Gwen comme un animal à la foire sorcière à Caleb Selwyn. Frisson d'horreur. Il y a de la haine au fond de tes yeux clairs, il y a la haine envers toi-même de n'avoir pas pu la protéger, de l'avoir laisser te voler. Il l'a volé ». Il nous l'a volé. Et tu te sens tellement sali, trahi. Tu te sens tellement, tellement, tellement usé, manipulé. Tu es juste fatigué d'être toujours abandonné, délaissé. « Tu le connais, non ? ». Selwyn a une réputation qui n'est plus vraiment à faire, même plus à défaire. Il trompe comme il manipule. Il use & abuse de ses privilèges, prince de pacotille détestable et increvable. Et il va la rendre malheureuse. Il va juste lui faire mal et encore mal. Et tu as échoué, tu ne l'as pas protégé. Tu as tellement échoué. Tu les as laissé te manipuler. Tu les as laissé te dicter ta conduite. Et il ne te reste plus que ton frère auquel te raccrocher, auquel tout avouer.

« Ne me remercie pas. ». Pour les carottes. Tu sais que tu ne le mérites pas. Tu sais que tu l'as lui aussi abandonné. Tu sais tes erreurs. Tu sais tes tords. Et tu ne sais plus comment te rattraper, te pardonner. « J'ai juste … perdu. ». Tu as tout perdu, ton père, ta sœur, ta mère, ta rame. Il ne te reste plus rien à sauver. Il peut même se moquer, dire que c'est bien fait pour toi. Tu l'as bien mérité.

Et pourtant, pourtant, tu ne veux pas le perdre lui. Tu ne veux pas échouer. Tu veux encore essayer, tenter. Un œil vers la bière, habituellement, tu l'aurais gourmandé qu'il boit trop, qu'il va y laisser sa santé, que ce n'est pas digne de lui. Habituellement, vous vous seriez embrouillés, noués dans des centaines de reproches. « Je peux en avoir une ? ». Habituellement, tu n'aurais rien avouer, tu n'aurais même pas parler. En silence, il t'aurait manqué.
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(music) + – C’est quoi la mort ? Un nouveau travail ?
– Non, la mort c’est pas un travail. C’est un long voyage, je crois, dont personne ne revient. C’est triste.


Il aurait tout donné pour fuir cette conversation. Il aurait tout donné pour fuir la réalité dans laquelle maman est morte. Mais il a aussi envie d’en venir à bout, de crever l’abcès pour de bon, de mettre les mots justes sur la table pour aseptiser la haine qui les accable. Il a envie de faire son deuil. Promis juré. Mais il a surtout beaucoup de mal à ancrer ses pieds dans la réalité parce que le pilier de sa vie n’est plus de ce monde, parce que son monde est actuellement sens dessus dessous, parce que de famille, il ne porte que le nom sans contenu.

Et c’est comme une claque qu’Aramis lui assène.
Il a tenté de s’y préparer, c’est vrai, mais personne ne lui avait donné de mode d’emploi pour ces vérités-là.
Demain, peut-être… oui, demain…

– La mort, c’est nul.
– C’est trop compliqué pour nous, la mort. On est encore des enfants.


« Il a vu Mère mourir. » C’est l’histoire… c’est l’histoire d’un – d’une mère que ses propres enfants ont tuée. C’est l’histoire d’une mère exécutée par sa propre famille. « Il a vu Rabastan lever sa baguette. Il a vu Mère crier. » C’est l’histoire d’une maman qui avait tant d’amour mais ignorait comment l’exprimer. « Et Gwen a bien regardé. » Et ses enfants, pas un pour rattraper l’autre. Entre l’aîné qui lui a promis qu’elle serait un jour grand-mère et les deux autres qui ont vu maman mourir.  

– Les enfants vont là-bas aussi ?
– Les enfants, ça ne meurt pas très bien, je crois. Alors tu n’as pas à t’en faire. Je laisserai personne t’emmener vers la mort.


« Et Rabastan a dit … Que c'est Mère qui l'a dénoncé. Que c'est de sa faute à elle si Papa est mort. » Il se sent presque masochiste de s’infliger les images d’horreur. Il s’oblige à imaginer la scène, à remettre les morceaux du puzzle pour trouver les bouts manquants, les morceaux les plus infects de leur existence. Il s’oblige même à imaginer les cris de Maman et la scène toute entière, même imaginée, lui pique les yeux. « Et puis … Il a vendu Gwen comme un animal à la foire sorcière à Caleb Selwyn. » Il n’a même plus assez de force pour haïr Rabastan. Pour rejeter tout sur le géniteur et faire le deuil de sa mère. Ah, elle ne lui avait jamais appris comment. Elle ne lui avait jamais dit quelles émotions sont bonnes à ressentir et lesquelles sont à bannir. Elle ne lui a jamais appris parce que leur père était vivant depuis tout ce temps – il les a abandonnés, oui, mais il était vivant.

Et Maman…
Maman est morte et enterrée.
Elle n’a personne pour pleurer sur sa tombe.

– Papa m’a dit un jour que quand on meurt, ton « âme » ou ta rame, je sais plus très bien, quitte ton corps. C’est ta rame qui permet à ton corps de naviguer, c’est pour ça qu’on met les morts dans les boîtes.

« Tu le connais, non ? » Il acquiesce brièvement, incapable de remettre clairement les mots, mais le nom et le visage, qu’il associe avec pourriture lui donne envie de remettre sa haine sur cet inconnu, à qui Papa a vendu sa précieuse Gwen. Et Gwen a bien regardé. « Ne me remercie pas. » Arsenius lui jette un coup d’œil, l’impression de voir son frère pour la première fois, les émotions encore vives à l’intérieur, là, dans sa cage thoracique. Mais il y a quelque chose de fragile en lui, quelque chose qui donne envie à Arsenius de redevenir ce grand-frère qu’il était, quelque chose qui lui donne envie de renouer avec lui. De mériter le titre de frère, qu’il pensait si facilement acquis autrefois. « J'ai juste … perdu. » Dans ces quatre mots, ils se comprennent, jamais avant ils ne s’étaient aussi bien compris : parce qu’ils ont tous les deux perdu. Tout perdu.

– La mort, c’est pas très joli. Tu n’entends personne, tu ne peux pas non plus envoyer de beuglante aux personnes qui t’ont manqué de respect. Mourir, c’est perdre ta rame.

« Je peux en avoir une ? » Machinalement, il remplit les deux chopes de bière et en tend une à son frère. La sienne, pourtant, il a du mal à boire. Il n’a plus envie, la saveur de leur douleur laisse une trace amère sur sa langue. Il se racle la gorge, dans l’espoir de trouver ses mots. Ils ont pris la fuite, probablement. Comme lui, si on lui avait donné le choix. Ses yeux tombent sur le fond de sa chope, creuse un tourbillon dans le verre, dont il perd ses derniers repères. « Était-ce nécessaire d’en arriver là ? » Il a réussi à trouver sa voix mais elle est faible, à peine audible. « Elle n’était pas une bonne mère, j’en suis conscient mais… Mais elle était notre mère. Ça en valait la peine de la punir ? » La tuer. Le mot est douloureux sur sa langue, aussi douloureux que cette conversation et la confrontation avec la réalité. « Elle avait probablement tous les défauts du monde mais nous n’aurons plus jamais de mère. Est-ce que… est-ce que ça en valait le coup… ? » De nous endeuiller ? Il ne se rend même pas compte qu’il radote, qu’il pose les mêmes questions, mais c’est difficile de faire sortir ces mots qui l’ont taraudé depuis tout ce temps. Lui qui n’était pas présent, lui qui était impuissant. Et eux qui ont tout vu, tout orchestré. « Ça vaut le coup de tuer une mère qui a tout fait pour protéger ses enfants, parce qu’elle les aimait profondément même si elle n’a jamais su exprimer son amour correctement ? » La tête basse, les yeux toujours fixés dans sa bière, Arsenius perd de plus en plus le contrôle de ses émotions. Le plus désolant, c’est que son ton ne porte pas de jugement, Arsenius est juste triste.

– Et Papa ?
– Papa est une grande personne et les grandes personnes sont touchées plus que nous, les enfants. Mais papa pourra se protéger. Il protégera sa rame. Il ne nous abandonnera jamais.


« Je regrette qu’elle soit… le mot tord sa bouche, morte dans ces circonstances-là. J’aurais aimé lui dire que je l’aime avant qu’elle… qu’elle… » Les mots commencent à devenir de plus en plus décousus, il perd le fil. Il se rend compte, finalement, que le liquide placide dans sa chope est chamboulé par des gouttes. Et il se rend compte, aussi, qu’il est en train de pleurer. « Tu pleures, Arsenius ? » Il a beau se passer sa main douloureuse sur le visage pour masquer les larmes, il sait qu’elles sont là. « Oui. Non. Je sais pas. » C’est difficile de se laisser aller aux émotions, quand on est un Lestrange. Étrangement, il a l’impression que le plus Lestrange des deux, c’est Aramis, qui n’ébranle pas sa façade, qui assiste à la mort de sa mère sans flancher. Alors que lui, Arsenius, lui qui se targue d’être insensible et sans-expression, est en train de fondre en larmes parce qu’il a trop imaginé la scène. Et parce que sa mère lui manque. « J’ai du mal à faire mon deuil, je crois. »

– Et Maman ? Sa rame est fragile, j’ai peur pour Maman…
– C’est pour ça qu’on est là, pour protéger sa rame.


Il tente de se calmer, de calmer le tumulte à l’intérieur, de reprendre son armure et son masque habituels et d’affronter le monde comme si de rien n’était. Ça prend plus de temps qu’il ne le croit – il attrape sa bière et avale plusieurs gorgées, cette même bière mélangée avec ses larmes de deuil. Les minutes défilent, jusqu’à ce qu’il reprenne un semblant de contenance. « Il faut qu’on s’occupe de Selwyn. Tu as une idée pour le faire disparaître ? » Façon morbide de changer de sujet de conversation.

– Promis juré ?
– Promis juré.


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