| Les bois. Les bois partout. Le vert sombre. Le vent qui se glisse dans ses cheveux blonds. Le vent dans la bouche. Le vent dans les poumons. L'adrénaline. La poupée qui vole, qui vole, qui se découvre des ailes blanches, trop blanches pour l'être de l'ombre qu'elle est devenue. Les ténèbres. Elle a l'impression qu'ils l'étouffent. Trop longtemps qu'elle est suivie. Elle ne sait pas par qui. Elle est toujours coincée quelque part, à attendre. Des pas et la course poursuite. Il la perd, elle désespère. Elle marche un peu encore, les poumons en feu. Puis elle n'en peut plus et elle se pose contre un tronc d'arbre. Pour retrouver un semblant de respiration. Les mains sur les cuisses, pliée en deux, elle respire trop fort. Hachée, découpée, sa respiration, la poupée. Seule. Elle est seule. Alors elle observe les lieux en se demandant où aller. Et pas paniquée pour un sou, elle ne sait quand même pas. Elle ne panique plus, Khloé, tant qu’elle a sa dose. Elle se dit qu’elle est oubliée. Oubliée, la gamine Warwick, pliée, l’affaire aux milles rumeurs. Elle ne panique pas et marche tranquillement, la marionnette, persaudée de ne courir aucun danger. Le monde tourne, elle pense qu’il tourne sans elle. Invincible. Elle se sent pourchassée mais elle n’est pas paniquée. Elle observe les branches et le ciel caché. Elle imagine des étoiles, elle imagine la nuit. Elle peut presque sentir la lumière surnaturelle glisser sur ses lèvres entrouvertes, couler dans ses yeux écarquillés, l’illuminer de l’intérieur. Elle observe les alentours, perdue. Incertaine. Ou aller quand on n’a nulle part ou se rendre ? Ses parents ne l'attendent plus depuis longtemps. Ses parents ne l’ont jamais attendu. Même morte, ils se ficheraient bien comme d'une guigne de sa position. Ses parents ne l’ont jamais vraiment aimé. Elle ne leur en veut pas, Khloé. Elle non plus, elle ne se serait pas aimé. On n’aime pas une gamine imparfaite. On n’aime pas une gamine incapable de faire comme les autres. Et puis il y a Naïs, Naïs qui la déteste plus encore qu'elle ne se hait. On en revient toujours au même schéma. Traîtresse. Lâche. Pathétique. Elle se sent faible. Et Naïs, Naïs qui n’a été qu’un pion dans l’échiquier de sa mère. Sa propre mère. Khloé la déteste aussi. Peut-être autant qu’elle ne l’aime. Parce qu’une enfant ne se détache jamais vraiment de sa maman. Aussi ambitieuse, folle, insensible soit-elle. Et Khloé, elle la hait, beaucoup. Parce que Naïs a été achetée comme du bétail. Naïs n’est plus la même. Un an a suffi, un an ou elle a vécu l’enfer, ou Naïs est devenue moins que rien. Ça n’a pas été assez. Elle a changé comme un métamorphomage se transforme. Elle a trouvé le plus bénéfique pour elle, l’a modelé. La voilà. Trop différente. Khloé ne connaît pas, ne la connaît plus. Khloé ne connait plus grand monde. Pas même elle-même. Les mains de Flint l’ont modelé, cabossé la poupée. Elle n’est que l’ombre de l’esquisse qu’elle a été et des fois, elle se demande comment elle fait pour marcher : elle n’est même pas terminée. Elle est le chef d’œuvre d’un autre. Flint. Parlons-en, de celui-là. De ce nom qu’elle susurre dans les pires moments, prête à combattre, tuer, se sauver. Prête à fuir encore, ailleurs. Il est son moteur, son essence, son tout. Sa haine envers-lui lui rend ses pas moins douloureux. Un jour, elle le tuera. Flint et ses mains qui n’ont fait que la briser. Qu’est-ce qu’elle aurait donné, Khloé, pour une caresse, un baiser ! Mais elle n’a eu que le pire. Elle n’a été bonne qu’à être le souffre-douleur. Amoureuse et en colère, elle n’a jamais démêlé les sentiments qui l’animaient. Trop forts, peut-être. Nocifs, sans aucun doute. Flint. Le démon. Elle le voit dans ses nuits les plus noires. Elle se souvient. Pauvre créature fragile, elle n’a jamais compris. Il n’a jamais aimé la soumission. Cela flattait son ego mais elle n’est jamais montée dans son estime. Peut-être aurait-elle plus de chance maintenant, pense-t-elle amèrement en se regardant dans le petit miroir qu’elle trimballe avec elle. Le menton haut et les traits tirés, une vraie guerrière, elle s’entend penser. Elle aurait préféré rester une enfant. Une gamine battue, au pire, une fiancée presque morte, au mieux. Mais il l’a jeté. Et depuis, elle doit survivre contre vent et marée, contre ses pas qui se rapprochent et qui l’obligent à décamper. Elle se met à courir, ses cheveux blonds volent dans son dos et son prête à se teinter quand elle sent le sable sous ses pieds. Courir, courir pour sa vie. Mais il se rapproche et elle n’a pas d’autre choix que d’accélérer. Trop rapide. La forêt a disparu. Le sel sur les lèvres et les vagues dans le cœur, elle aurait aimé sourire. Ne serait-ce parce que le panorama est magnifique. Mais elle ne peut pas. Elle est fatiguée, éreintée, ses jambes refusent presque de l’aider à s’envoler. L’hirondelle. Quelque chose d’autre l’aide à planer. Elle survole. N’avance plus. Marionnette heureuse, marionnette joyeuse, elle peut enfin apercevoir les fils qui se glissent sur sa peau et la maintiennent en l’air. Petit sourire dément sur les lèvres, signe distinct de sa folie, elle regarde devant elle. Son sourire, on pourrait presque lui donner le nom d’acte courageux. Mais il n’en est rien. Ce n’est qu’un étirement de lippes fou. Puis elle retombe mais Sourire ne disparaît pas. Parce qu’il est là. Elle le sait. Flint. Elle cherche sa baguette mais ne la trouve pas. Jure presque mais ne dit rien. Qu’importe. Il semble les aimer, ses baguettes. Il les garde toutes. Les lui vole. « Bonjour Khloé. » Son sourire lui donne envie de vomir. Le fameux sourire de son épouvantard. Mais elle ne bouge pas pour autant. Ne se débat pas. Parce qu’il hait ça et dans sa propre colère, elle sait qu’il la rattrapera. Autant l’énerver. Qu’il la haïsse autant qu’elle a pu l’aimer. Qu’il la détruise autant qu’elle le hait. Un léger sourire, cinglé, trop petit pour être innocent, elle attend. Elle essaie de canaliser la peur qui lui retourne l’estomac. Elle aura peur demain. Parce que demain est un bon jour. « Marcus, c’est toujours un plaisir. », murmura-t-elle, tremblante. Elle ne lui doit plus rien. Elle a tout perdu. Il est hors de question qu’elle le supplie une seconde fois. Elle est peut-être lâche, fragile et naïve, elle est assez fière pour savoir qu’on ne courbe pas l’échine devant lui. Jamais. « Selwyn va être ravi de te revoir. » Et son sourire tremble un instant, manque de se faner comme le bonheur a pu se noyer dans son malheur. Puis il revient. Il reste. Parce qu’elle sait que ce sourire, ce putain de sourire est la dernière barrière avant la folie pure. Colère, Khloé. Jalousie, Khloé. Destruction, Flint. Ambition, maman. Changement, Naïs. Et elle associe les prénoms aux émotions pour ne pas se perdre. Dans son cœur, c’est le naufrage. Les vagues sont loin. Le sel meurt sur sa poitrine et laisse un goût amer sur ses lèvres, ce goût de nostalgie. Trois coups et c’est fini. Echec et mat, Warwick. « Il t'a envoyé comme larbin. Cela témoigne de toute son attachement à moi, hein? » Allez Khloé. Tu peux. Tu peux lui dire tout ce que tu n’as jamais su dire. Tu n’as plus besoin de lui. Que de toi. Courage, courage. Et si ses mots tremblent, si ses mots meurent dans sa gorge, il résonne suffisamment pour que Marcus les entende. Les assimile. Et trouve une raison de s’en débarrasser. |
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