Elle est en train de devenir folle.
Kenna est un peu comme un lion en cage. Elle a toujours été celle qui courait partout, quand elle était gamine, et même en grandissant. Celle qu’on arrivait jamais à tenir en place. Ce n’est pas pour rien qu’elle était de sortie tous les soirs, et qu’elle est devenue gouvernante. Ce métier lui permettait de ne jamais s’ennuyer, d’enchaîner les tâches et activités jusqu’à l’épuisement. Pendant quelques années, après Poudlard, elle a même cumulé deux jobs, parce qu’on lui avait donné ses demi-journées et que ce n’était pas gérable pour une pile comme elle.
Alors, forcément, dans cette chambre de Sainte-Mangouste, elle a l’impression qu’elle va exploser. Bien sûr, on lui donne le droit d’aller dans un salon commun, parfois. Elle a fait la connaissance de quelques autres patients avec lesquels elle s’entend relativement bien - si on peut dire ça comme ça… Mais ça ne suffit pas à Kenna. Ça ne lui suffira jamais. Elle a envie de détruire ces quatre murs à coups de poings. La seule chose qui l’empêche de péter un câble et de le faire, c’est le fait qu’on ait accepté de lui installer un punching-ball dans un coin de la pièce. Mais elle ne sait pas encore combien de temps elle va pouvoir tenir. Et puis il y a les médecins, et leurs regards méfiants, emprunts presque de haine parfois. Ils ne comprennent pas, ils doutent. Tout comme elle-même doute. Elle ne supporte plus leurs visages, le ton qu’ils emploient quand ils lui parlent, la façon qu’ils ont de la manipuler comme si elle était une créature dangereuse, repoussante même pour un ou deux. Bon, elle exagère peut-être un peu. Mais c’est comme ça qu’elle le ressent.
Et ce n’est rien comparé au fait que tout se mélange dans sa tête.
C’est comme si elle avait eu deux vies, qu’on avait tenté de superposer habilement. Deux vies complètement opposées. Au début, elle ne doutait presque jamais. Elle crachait au visage des médicomages sans la moindre hésitation, elle ne laissait personne pénétrer sa chambre à part Murtagh, pour qu’il lui donne les potions destinées à soigner ses migraines. Elle n’avait confiance qu’en lui. Puis au fur et à mesure, tout à commencé à devenir un peu plus compliqué. Ses rêves se sont peuplés d’images qui semblaient si réelles que Kenna avait du mal à les voir autrement que comme des souvenirs. Mais c’était impossible. Parce que ça allait complètement à l’encontre de ce qu’elle était - ou de ce qu’elle pensait être.
Finalement, tout s’est très vite mélangé. Au bout de six jours, elle était déjà perdue, incapable de séparer le vrai du faux. Depuis, elle a eu envie de s’arracher les cheveux et de se frapper la tête contre un mur un bon millier de fois. Mais elle a commencé à accepter qu’on entre dans sa chambre, de discuter avec un psychomage qui a essayé de lui expliquer ce qui lui arrivait. Au début, elle n’a pas voulu entendre un mot de ces explications - d’abord parce que c’était absurde, mais aussi parce qu’elle refusait l’idée que Newt ait accepté de lui faire quelque chose d’aussi horrible, même si c’était pour la protéger, d’après ce qu’elle avait compris.
Ça a été compliqué, de lui faire comprendre, de lui faire simplement entendre, et c’est la visite de Tina, organisée lors d’un de ses bons jours qui a été le premier vrai déclic. Doucement, une main dans la sienne, elle lui a expliqué ce qui était arrivé. Comment ils avaient toujours su qu’elle aidait la résistance. Comment le gouvernement avait remonté sa trace et avait voulu l’arrêter. Comment Newt avait refusé qu’on lui fasse du mal, s’était enfermé dans son bureau pendant deux heures avec un responsable du ministère pour trouver un arrangement. Comment ils s’étaient mis d’accord sur cette solution, parce que c’était la seule qui lui permettait de rester en vie, et auprès d’eux, en sécurité. Comment ils avaient amèrement regretté tout en étant certains que c’était le seul moyen. Pendant plusieurs heures, Tina a tout raconté, donné des détails qui ont paru à la fois étrangers et familiers à Kenna, qui est restée silencieuse tout du long.
Au début, Kenna a été consumée par la colère, et s’il n’y avait pas eu ces larmes dans les yeux de Tina, elle l’aurait sûrement renvoyée sur-le-champ. Mais à mesure que les explications se faisaient plus précises, la colère a laissé place à la surprise, à la compréhension, aussi. Les pièces du puzzle se sont doucement assemblées dans l’esprit de la jeune femme, comme si on lui offrait la lumière qu’elle cherchait depuis des mois sur un plateau d’argent. Alors bien sûr, ça n’a pas tout réglé. Mais c’est ce qui a mis Kenna sur le chemin de la vérité. Qui l’a fait se calmer un peu, être plus patiente avec les membres du corps médical. Elle a questionné Murtagh, aussi, beaucoup, cherchant ici et là des pans de vérité pour combler les flous, les vides.
Ce n’est pas tous les jours facile. Il y a les bons jours durant lesquelles elle est relativement calme et essaie de reconstituer son passé à l’air de post-its moldus. Ce sont les jours pendant lesquels elle peut recevoir des visites, de temps en temps, aller discuter avec les autres. Ce sont aussi des jours emplis de douleur, de culpabilité, qui l’assomment complètement. Et puis il y a les mauvais jours. Ceux où elle est une boule de rage qu’il ne vaut mieux pas déranger. Ceux où elle retourne se lover dans l’idéologie qu’on lui inculquée de force, parce que c’est plus facile, moins douloureux.

Aujourd’hui est un bon jour.
Kenna est assise à la table de sa chambre quand on frappe à sa porte, et elle autorise le visiteur à entrer sans même tourner la tête, trop concentrée par les post-its étalés devant elle, qu’elle annote à l’aide de marqueurs et surligneurs moldus de différentes couleurs. Elle ne se rend même pas compte que la personne approche, et quand la présence de celle-ci se fait trop proche dans son dos, elle sursaute, et se retourne. Bien sûr, que c’est lui. Elle bondit de son siège et va se réfugier dans un des quatre coins de la pièce, les bras tendus devant elle, comme pour se protéger. « N’approche pas. » Ce n’est pas une menace. Plus un conseil, qu’elle a balancé d’un ton dans lequel pointe un peu de culpabilité. Ce n’est pas la première fois que Seth vient la voir. Il s’occupe de ceux qui, comme elle, ont eu un souci de… Elle ne saurait même pas le qualifier. Les mots qu’ils utilisent tous lui semblent si absurdes. Pour l’instant, il est de loin la personne qui rend les visites les plus difficiles. Il est le seul véritable lien de son passé à être entré dans sa vie depuis la guerre, en dehors de Tina et Murtagh. Elle sait bien que les souvenirs qu’on lui implantés sont montés de toute pièce, à ce stade, et parce que c’est un bon jour. Mais la silhouette du brun lui glace toujours le sang quand même, un peu. Ça s’atténue à mesure que les jours passent, et à mesure que ses souvenirs de sa vie d’avant se font plus clairs, mais… ça prend du temps. Plus que tout le reste.  « Bonjour. » dit-elle un peu cordialement. « Qu’est-ce que vous- » Elle toussote, inspire un grand coup, et se reprend : « Qu’est-ce que tu veux ? » Elle évite encore son regard.

Seth marchait dans les couloirs. Il ne savait pas quoi faire. Il avait un peu de temps entre son projet pour sauver les enfants et celui des gens à qui on avait retourné le cerveau alors il avait décidé d'aller voir Kenna. Encore. Il essayait de la voir au moins une fois par semaine, histoire de lui rappeler. Il voulait qu'elle se souvienne. Il voulait l'aider à ce qu'elle soit à nouveau elle-même. Il savait que se souvenir la faisait souffrir. Mais c'était pour son bien. Il faisait la bonne chose en allant la voir, en essayant de la faire parler. N'est-ce pas ? Il ne savait plus trop ce qu'il devait faire en vrai. Il était un peu perdu, en fait. Il était plus ou moins piégé entre ceux que les autres attendaient de lui en tant que héros de guerre et ce que lui avait envie de faire. Il ne voulait pas abandonner ses projets. Pas question de laisser tomber Kenna ou même ces pauvres enfants... Mais, parfois, il avait juste envie de se cacher dans le monde moldu et être un homme normal. Il n'avait pas ce "luxe". Il ne pouvait pas se permettre d'abandonner les gens qui comptaient sur lui. Il n'était pas comme ça. Il ne l'avait jamais été.

Il poussa un profond soupir et passa sa main sur sa nuque, essayant de détendre ses muscles tendus par le stresse et le manque de sommeil. Il devait se concentrer sur Kenna pour l'instant. Devant sa porte, il poussa un profond soupir avant de passer la main sur son visage. Il plaqua un sourire doux sur son visage afin de la rassurer et frappa à la porte. Un "entrez" résonna et il n'hésita pas un seul instant avant de s’exécuter. Une fois à l'intérieur, il l'observa alors qu'elle était concentrée sur la table où de nombreux post-its s'y trouvaient. Elle en surlignait certains, changeant de couleurs quand c'était nécessaire. Il eut un sourire tendre de la voir si concentrée. Il eut presque l'impression de revoir la jeune femme lors de l'époque de Poudlard. Elle était si studieuse et parfois timide en sa présence. Il l'avait toujours trouvée attendrissante quand elle se concentrait ainsi. Il s'approcha d'elle, afin de savoir ce qu'elle s'était souvenu depuis la dernière fois où ils s'étaient vu. Peut-être avait-elle des souvenirs de lui ? Ce serait sûrement trop beau... Et même si c'était le cas, elle rejetterait tout en bloc comme les autres fois. Alors qu'il se trouve juste derrière elle, Kenna sursauta et se retourna d'un coup. Il recula d'un pas afin de ne pas l'effrayer mais trop tard : le mal est fait. Elle bondit de son siège et se met dans un coin de la pièce, les bras tendus devant elle, comme pour se protéger. Le cœur de Seth se serra à cette vision et il recula à nouveau avec les bras légèrement levés devant lui dans des gestes lents et apaisants. « N’approche pas. » Il s'exécuta et, comme s'il était devant une créature sauvage, traqué, -ce qui était un peu le cas-, il s'abaissa et s'assit par terre à bonne distance de la jeune femme. Au moins, se dit-il, c'est un bon jour... Elle ne m'attaque pas dès que j'entre dans la pièce.

Il croisa les jambes et s'installa. Il ne voulait pas lui faire peur. Il avait la chance de pouvoir la voir et surtout qu'elle accepte sa présence donc il ne voulait pas la pousser trop loin. Il savait que sa présence était difficile pour elle. Elle réagissait encore plus quand c'était lui qui venait lui rendre visite. Il en était blessé mais également heureux car ça voulait dire qu'il faisait bouger les choses, qu'il provoquait quelque chose en elle. Mais quelque chose qu'elle combattait également.

« Bonjour. » Il lui sourit doucement. « Bonjour Kenna. » Il se retint difficilement de lui donner les petits surnoms qu'il lui donnait avant. Ma belle. Ken'. Birdie. Son petit oiseau qui le suivait partout. Cette personne lui manquait. Il voulait à nouveau la prendre dans ses bras. Il voulait la revoir, dansant dans les bars, buvant plus que de raisons mais toujours joyeuse. Il voulait la ramener chez elle et la mettre dans son lit avant de l'embrasser sur le front. Il voulait entendre sa voix de petite fille qui le remerciait de prendre soin d'elle, dans un demi-sommeil. Il voulait tout ça. Mais ce n'était pas pour aujourd'hui. « Qu’est-ce que vous- » Elle toussota, inspirant un grand coup, et se reprit. « Qu’est-ce que tu veux ? » Elle évitait à nouveau son regard. Il essaya d'ignorer le fait que ça lui faisait du mal. Il ne devait pas penser à lui. Il devait penser à elle avant tout. « Je... » Il avala difficilement sa salive et posa son regard sur ses mains qui étaient posées sur ses jambes en tailleur. « Je voulais voir comment tu allais. » Il lui offrit un sourire doux mais gêné avant de continuer. « Je sais que ce n'est pas simple pour toi. J'ai entendu parler des derniers jours. » Il garda un instant le silence avant de lui jeter un regard, jugeant sa réaction, mais ne voyant aucune hostilité, il continua. « Ça a été dur pour toi. De te souvenir, je veux dire. » Il voulait aller la voir et, son côté médecin reprenant le dessus, l'examiner afin de savoir si elle s'en sortait, au moins physiquement. Mais il savait que c'était une très mauvaise idée. Se rapprocher plus de ce qui était maintenant serait provoquer Kenna. Elle n'avait pas besoin qu'il la pousse dans ses retranchements en plus de ce qu'elle vivait. Alors il resta assis tandis qu'un silence s'installait. Il avala difficilement sa salive. « Je dois être la dernière personne que tu as envie de voir ou à qui tu voudrais parler, mais sache que je suis là. N'importe quand, à n'importe quel moment, Bird... » Il s'interrompit et regarda à nouveau ses moments. Foutus réflexes... Il se racla la gorge. « Enfin, je veux dire que si tu as besoin d'aide pour te souvenir ou découvrir le vrai du faux, je suis là. Juste parler peut t'aider dans ce genre de processus, surtout avec quelqu'un qui a aussi vécu ces moments. » Il savait très bien qu'elle avait un psychomage mais ce n'était pas la même chose que de parler avec quelqu'un qui l'avait vraiment connu à l'époque. Il poussa un soupir et passa ses mains sur son visage, fatigué. Il devait rester fort. Il releva ses yeux et les plongea dans ceux de la jeune femme, lui offrant un sourire doux. Il ne pouvait faire que ça : attendre et être là pour elle.

Elle a besoin de temps. De se reconditionner complètement. Kenna essaie, vraiment, de se mettre dans la peau de celle qu’elle était avant. On lui a beaucoup parlé d’elle, de cette fille qui lui paraît presque étrangère, finalement. Pas tellement au niveau du caractère, non. Elles se ressemblent beaucoup, au final. Mais c’est tout le reste qui cloche. On lui a parlé de ce qu’elle avait fait pour la résistance, du fait que tous ses amis étaient des traîtres au gouvernement, et très franchement, elle a l’impression que ce sont les souvenirs de quelqu’un d’autre.
Bien sûr, il y a eu des moments pendant lesquels elle s’est dit qu’on lui mentait. Qu’on essayait de la manipuler en lui faisant croire qu’un jour, il y avait eu une autre Kenna. Quelque part, ça aurait été plus agréable à croire. Plus facile.
« Je... » La jeune femme n’ose pas trop relever les yeux. Ses prunelles quittent cependant le sol, et s’arrête à hauteur des mains de Seth. Elle observe, silencieusement, en attendant qu’il réponde. Elle préfère y aller doucement. C’est ce qu’on lui a conseillé de faire, de toute manière. « Je voulais voir comment tu allais. » Elle ne réagit pas, et continue d’observer ses mains. « Je sais que ce n'est pas simple pour toi. J'ai entendu parler des derniers jours. » Kenna se mord l’intérieur de la joue, et baisse de nouveau les yeux vers le sol carrelé, froid, de sa chambre de Sainte-Mangouste.
« Ça a été dur pour toi. De te souvenir, je veux dire. » Elle fixe son regard sur l’un des carreaux qui composent le sol, comme si elle était soudain particulièrement intéressée par ses aspérités. Qu’est-ce qu’elle est censée répondre au juste ? Bien sûr que ça a été dur, il s’attend à ce qu’elle dise quoi ? C’est toujours dur. Peut-être même que ça le sera pour toujours, et ça la tue rien que d’y penser. L’idée que plus jamais, elle ne se sentira entière, elle-même. L’idée qu’elle sera toujours dans ce flou, cette incertitude, tiraillée entre deux vies, comme une troisième personne créée involontairement par la bêtise humaine.
Un silence s’installe entre les deux anciens amis. Kenna ne sait pas quoi dire, elle ne sait pas comment s’adresser à cet homme pour qui elle ressent cette affection étrange, et ce dégoût profond en même temps. « Je dois être la dernière personne que tu as envie de voir ou à qui tu voudrais parler, mais sache que je suis là. N'importe quand, à n'importe quel moment, Bird... » Il s’interrompt mais elle sait ce qu’il s’apprêtait à dire. Le surnom qu’il s’apprêtait à lui donner. Tout lui revient, un peu trop brusquement, elle a besoin de fermer les yeux. Maintenant que le contrôle qu’on exerçait sur elle s’étiole, les souvenirs ont tendance à revenir très vite, comme ça, subitement. C’est complètement déroutant. Kenna a toujours l’impression qu’elle va exploser sous le poids de ces images chargées d’émotions qui lui attaquent l’esprit. Il lui faudrait toujours quelques heures, le temps de tout assimiler, de prendre du recul, de noter sur les post-its. Le temps de comprendre, de réapprendre.
« Enfin, je veux dire que si tu as besoin d'aide pour te souvenir ou découvrir le vrai du faux, je suis là. Juste parler peut t'aider dans ce genre de processus, surtout avec quelqu'un qui a aussi vécu ces moments. » Elle pince les lèvres, respire un bon coup. Finalement, elle relève les yeux au moment même où lui le fait.
Bien sûr, son premier réflexe est de fuir le regard du médicomage. Mais elle ne peut pas continuer comme ça, elle en est consciente. Sinon, elle n’avancera jamais. Sinon, elle ne sortira jamais d’ici. Alors elle prend son courage à deux mains et affronte les yeux doux de Seth. Ce n’est pas si terrible - c’est la première chose qu’elle se dit. Elle a le visage un peu crispé, bien sûr, c’est normal. Elle va se détendre à mesure que les minutes vont passer - du moins elle l’espère.
Un nouveau silence s’installe, mais il a l’intelligence de le laisser passer, d’attendre qu’elle soit prête. Elle lui en est reconnaissante, même si elle n’en dit rien. Elle est déjà fière de réussir à soutenir son regard, c’est déjà pas mal. Kenna finit par se passer une main dans les cheveux, et après une éternité, ouvre la bouche. « Désolée. » fait-elle tout simplement. « Ce n’est pas que je ne suis pas reconnaissante, c’est juste que-- » Elle ne finit pas sa phrase. Bien sûr qu’elle apprécie tout ce que les médicomages font, elle apprécie ce que Seth essaie de faire. Mais il sait très bien ce qu’il en est. On lui a expliqué comment les souvenirs de Kenna avait été modifiés pour le faire apparaître comme un traître, un monstre. Comme le reste de leurs amis. La seule différence, c’est que Kenna avait une affection toute particulière pour Seth, et donc que c’est plus compliqué avec lui qu’avec les autres. Il faut qu’elle essaie, même si ça prend du temps, et beaucoup d’énergie. « Je vais bien… Je suppose. Mieux. » Elle grimace, cependant, en prononçant ces mots. Peut-on vraiment dire qu’elle va bien ? « Et… toi ? » La familiarité est encore étrange sur ses lèvres. Mais elle essaie. « Tu as passé une bonne journée ? » C’est la première fois qu’elle fait un pas aussi grand vers lui, aussi petit peut-il sembler au reste du monde. « Raconte-moi comment c’est, dehors. » Elle espère, de tout son coeur, qu’il verra qu’elle essaie, quand bien même ses dents se serrent et ses poings sont figés.

Quand leur regard se croisèrent, il sentit une décharge électrique le parcourir. Ça ne dura qu’une seconde mais ça suffit. Ça faisait si longtemps qu’il n’avait pas croisé son regard… , pensa-t-il tristement. Il avait presque oublié de quelle couleur ils étaient - c’était un mensonge, bien sûr, car jamais il ne pourrait oublier le regard de la jeune femme et surtout pas avec l’intensité qu’ils dégageaient. Elle n’attendit pas un seul instant avant de détourner son regard. Il poussa un soupir en voyant ses lèvres pincées. Il avait tellement envie de l’aider mais était-ce ce qu’il faisait alors qu’il pouvait voir que sa présence la faisait souffrir ? Il n’était pas idiot et se rendait bien compte qu’elle était mal à l’aise, prêt à fuir à n’importe quel moment, à n’importe quelle occasion qu’il lui laisserait. Il se sentait abattu face à tout ça. Il essayait d’être fort, il essayait vraiment, mais était-il assez fort pour continuer ainsi ?
Un petit rire lui échappa alors qu’il passait sa main sur son crâne avant d’arriver sur sa nuque. Il se trouvait ridicule. Il se plaignait comme un gamin alors que la situation était bien plus dur pour la jeune femme. C’était elle qui était perdue entre deux vies, sans savoir où était le vrai, où était le faux. Comment aurait-il réagi, lui, face à cette situation ? Aurait-il été aussi docile ? Sûrement pas. Il se serait battu. Il aurait pensé que c’était eux - les médicomages, les résistants… lui
Quand il releva les yeux vers elle, il put croiser ses yeux et il se figea. Il l’observa, incertain de savoir quoi faire, alors il garda le silence et lui rendit son regard. Il lui sourit, doucement afin de ne pas l’effrayer, et attendit qu’elle fasse le premier pas. Le visage de Kenna était figé mais elle continue de l’affronter. Elle ne baissa pas les yeux et il eut presque l’impression de revoir l’ancienne Kenna pendant un instant. La forte et incroyable Kenna… Mais le silence s’installa et, avec lui, la sensation de ne pas être avec la jeune femme qu’il avait connu. Mais il ne dit rien et attends, sagement. Elle le méritait. Elle méritait tout ce qu’il pouvait lui offrir afin de l’aider. Seth se sentit presque gêné face à ce regard. Il avait presque l’impression que ça durait une éternité mais à peine quelques secondes étaient passées. Il n’avait jamais eu cette impression de malaise face à la jeune femme. C’était la première fois. Il fallait aussi dire que Kenna ne l’avait jamais regardé aussi intensément. Mais, elle finit par se passer la main dans les cheveux et ouvrir la bouche au grand soulagement du médicomage. « Désolée. »  Seth haussa un sourcil, sceptique. De quoi s’excusait-elle ?  « Ce n’est pas que je ne suis pas reconnaissante, c’est juste que-- » … Juste que, pour elle, il n’était qu’un monstre manipulateur qui avait profité d’elle et l’avait presque séquestré. Oui. Il savait. Ses collègues lui avaient expliqués de long en large ce qu’on avait fait croire à la jeune femme. Ils l’avaient même avertis. Pour eux, ce n’était pas une bonne idée de passer autant de temps avec elle. Mais il ne pouvait pas s’en empêcher. C’était sa faute si elle se retrouvait dans cet état. Comment pourrait-il se tenir loin d’elle après tout ça ?

« Je vais bien… Je suppose. Mieux. » Elle grimaça et les sourcils de Seth se froncèrent. Comment pourrait-elle aller bien ? Elle s’en sortait, ça, il en était sûr mais de là à aller bien, il y avait un grand pas. Il savait à chaque fois qu’il la voyait mais, surtout, à chaque fois qu’il croisait son regard. Il ne la blâmait pas pour ça. Il ne pourrait sans doute jamais le faire : Kenna était comme une petite soeur pour lui. Il se sentait responsable d’elle. Il s’était toujours senti responsable d’elle, en fait. Il eut un sourire tendre face à ce souvenir.   « Et… toi ? » Le tutoiement le surprit mais il ne dit rien; ne voulant pas gâcher le moment. « Tu as passé une bonne journée ? » Il releva son regard d’un coup, surpris de l’entendre lui demander quelque chose. Habituellement, leurs conversations étaient limités : Kenna étant trop fragile pour rester calme en sa présence et, lui ne voulant pas trop la pousser dans ses retranchements. « Raconte-moi comment c’est, dehors. » Il lui offrit un sourire et un regard tendre face à ses efforts, la remerciant silencieusement malgré ses poings et son visage figés. Elle avait tout sauf envie d’être là, de lui faire la conversation mais elle essayait et c’était bien plus qu’il n’en avait espéré en venant la voir aujourd’hui. Il se racla la gorge, mal à l’aise, avant d’observer ses mains de manière concentrée. Il fronça les sourcils, comme toujours quand il réfléchissait. Kenna avait d’ailleurs l’habitude de se moquer de lui quand il faisait ça. De son index, elle frottait sa peau entre ses sourcils et rigolait en disant qu’il allait avoir des rides avant l’âge. Il eut un sourire et prit une inspiration. « Rien n’a vraiment changé à l’extérieur, tu sais. » Il lui lança un petit sourire en coin, bien plus détendu qu’à son arrivée. Elle faisait des progrès , des efforts, et ça le touchait particulièrement car, au fond, il espérait qu’elle faisait ça pour lui - une pensée sûrement narcissique mais qui le réchauffait un peu à l’intérieur et lui donnait de l’espoir. « Les résistants ont pris le pouvoir mais... » Il se frotta les mains l’une contre l’autre, mal à l’aise. « On s’est battu pour ça, pour la liberté, mais face aux choix qui sont fait… Je ne suis plus sûr que ce soit pour ça qu’on se soit sacrifié. » Il se sentait perdu dans ce nouveau gouvernement. Voldemort était tombé, bien, mais ensuite ?

Il releva les yeux et observa le visage de la jeune femme avant d’avoir un sourire contrit. « Désolé, je ne voulais pas mettre une mauvaise ambiance. » Il se racla la gorge et reprit. « Mes journées sont assez simples, en fait. Je fais mon job et j’essaye de sauver des enfants. » Il eut un sourire tendre au souvenir du petit Matthews qui avait vomi sur son collègue qui avait râlé toute la journée. « J’ai été engagé dans une nouvelle équipe, en parallèle de mon travail, je veux dire. Je dois m’occuper de cette maladie qui touche les nourrissons de sang-pur, je ne sais pas si tu en as entendu parler ? » Il haussa un sourcil en sa direction. « Enfin, bref… C’est disons… Compliqué. On ne sait pas comment endiguer tout ça mais on avance chaque jour un peu plus afin de trouver le remède. On y arrivera. Je sais qu’on peut y arriver. » Il ne savait pas qui il essayait de se convaincre - sûrement lui - alors il préféra changer de sujet. Il releva son regard vers elle et observa son visage.  « Et toi ? Comment se passe tes journées ? Je sais que ça ne doit pas être simple tous les jours. Peut-être que... » Il avala difficilement sa salive, nerveux. « Si tes médicomages l’autorisent bien sûr, je pourrais t’emmener dehors un peu, histoire que tu prennes l’air. Je ne sais pas si tu en aurais envie… Enfin, je ne veux te forcer à rien. » Pourquoi se sentait-il aussi mal à l’aise ? Aussi nerveux ? Bordel… Il avait l’impression d’être un adolescent qui demandait pour la première fois à une fille si elle voulait sortir avec lui. Ridicule ! Il se tapa mentalement pour penser à Kenna dans cette situation. Il lui offrit un sourire contrit tout en se passant la main sur la nuque. « Je suis désolé… Je ne veux pas te mettre mal à l’aise, bien au contraire, j’aimerais qu’on ait une conversation normale et que tu te sentes bien avec moi mais j’ai juste l’impression d’échouer lamentablement. » Il eut un petit rire et garda le silence, nerveux.

« Rien n’a vraiment changé à l’extérieur, tu sais. » La première chose qui vient à l’esprit de Kenna, c’est que c’est un mensonge. Tout ne peut décemment pas être resté le même. Elle sait que le Magister a été renversé, elle sait qu’un nouveau pouvoir a été mis en place. Les médicomages lui ont dit qu’ils n’étaient pas pour, mais elle a insisté pour se faire livrer le journal, histoire de ne pas être complètement à côté de la plaque, et histoire aussi de comprendre le point de vue de ceux qui ont repris les rênes du gouvernement. Comment les choses peuvent-elles rester les mêmes ? Il y a tout à reconstruire, encore aujourd’hui. Et pas que matériellement. « Les résistants ont pris le pouvoir mais... » Elle lève un peu les yeux au changement de Seth. Va-t-il émettre des réserves ? Ça lui semble absurde. « On s’est battu pour ça, pour la liberté, mais face aux choix qui sont fait… Je ne suis plus sûr que ce soit pour ça qu’on se soit sacrifié. » Kenna fronce les sourcils, et ses yeux presque noirs s’attardent sur les joints du carrelage que lequel elle est assise. Alors comme ça, le pouvoir en place ne satisfait pas tout le monde ? Alors qu’ils se sont battus pour que les choses changent ? C’est bien idiot - pense-t-elle. Il y a une voix sourde au fond d’elle qui se met à penser des choses (c’était mieux sous le magister. ils vont bientôt s’en rendre compte. ils ont tous été idiots, aveugles, et vont bien vite déchanter), mais elle la fait taire, parce qu’elle sait que cette voix n’est pas vraiment la sienne, et qu’elle ne veut pas la laisser gagner.
« Désolé, je ne voulais pas mettre une mauvaise ambiance. » Kenna fait non de la tête. Ce n’est pas grave. L’ambiance est pourrie ici de toute manière - qu’elle pense pour elle-même. Au moins, les paroles de Seth lui donnent un nouvel os à ronger pour les prochaines heures, peut-être même les prochains jours. « Mes journées sont assez simples, en fait. Je fais mon job et j’essaye de sauver des enfants. » Elle se souvient très bien de ça, que Seth s’occupait des enfants. C’est l’un des premiers trucs dont elle s’est souvenue, sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce que ça le définit bien. Elle s’est aussi souvenue rapidement qu’elle trouvait ça très cliché, et qu’elle se moquait de lui à cause de ça. Elle lui disait souvent qu’il n’avait choisi cette voie que pour être adulé par les femmes, en sachant très bien au fond d’elle que ce n’était pas le cas. Elle aimait beaucoup le taquiner, de ça elle se souvient très bien. Mais ça lui semble être une autre vie. « J’ai été engagé dans une nouvelle équipe, en parallèle de mon travail, je veux dire. Je dois m’occuper de cette maladie qui touche les nourrissons de sang-pur, je ne sais pas si tu en as entendu parler ? » Elle a un moment de réflexion, très rapide, mais elle se souvient en effet d’en avoir entendu parler dans les journaux. « Le syndrome Rosier. » dit-elle du bout des lèvres, pour lui faire comprendre qu’elle sait. Elle ne s’est pas particulièrement penché sur cette information, mais elle n’est pas complètement passée à côté, et c’est déjà pas mal. Ça veut dire qu’elle arrive tout de même à se souvenir de choses, contrairement aux premiers jours où tout s’évaporait en un claquement de doigt. « Enfin, bref… C’est disons… Compliqué. On ne sait pas comment endiguer tout ça mais on avance chaque jour un peu plus afin de trouver le remède. On y arrivera. Je sais qu’on peut y arriver. » Elle esquisse un minuscule sourire au milieu de son visage crispé, qui se voit à peine.
Seth finit par la regarder de nouveau, et elle essaie vraiment de soutenir son regard plus de quelques secondes, même si c’est difficile. Ça fait partie de la thérapie qu’elle s’impose à elle-même, disons. Elle a décidé ça quelques minutes auparavant et décide de s’y tenir. « Et toi ? Comment se passe tes journées ? Je sais que ça ne doit pas être simple tous les jours. Peut-être que... » Elle hausse les sourcils. « Si tes médicomages l’autorisent bien sûr, je pourrais t’emmener dehors un peu, histoire que tu prennes l’air. Je ne sais pas si tu en aurais envie… Enfin, je ne veux te forcer à rien. » Elle ne sait pas trop quoi faire de cette proposition. Elle ferait n’importe quoi pour sortir, plus de quinze minutes, une heure, peut-être même plus. Mais est-ce que c’est très raisonnable de laisser Seth être celui avec qui elle fait ça ? Elle n’est pas sûre, et elle n’est pas sûre non plus que ce soit du goût des autres médicomages.
« Je suis désolé… Je ne veux pas te mettre mal à l’aise, bien au contraire, j’aimerais qu’on ait une conversation normale et que tu te sentes bien avec moi mais j’ai juste l’impression d’échouer lamentablement. » Elle rapproche ses genoux de sa poitrine et pose son menton sur l’un d’entre eux. Elle est mal à l’aise quoi qu’il arrive. « C’est pas ta faute. » dit-elle, parce que c’est la vérité. Ce n’est pas sa faute à elle non plus, au final. C’est la faute à pas de chance, c’est la faute au monde complètement fou dans lequel ils vivent. « Mes journées sont… » Elle triture la fermeture éclair de son sweat et hausse les épaules. « Calmes ? » Elle lâche un petit rire un peu jaune, mais un rire quand même. « Au moins, ils nous laissent lire, dessiner, peindre… J’ai l’impression d’avoir trois ans, mais bon. Je ne vais pas me plaindre, ça pourrait être pire. » Elle n’a pas parlé aussi longtemps depuis qu’ils se sont revus. Elle le sait bien. Elle essaie de ne pas trop analyser tout ça, ça risquerait de briser tout dans son envol. « J’aimerais beaucoup aller faire un tour. » dit-elle en relevant les yeux vers la fenêtre. « Mais je ne suis pas sûre que tes collègues soient d’accord. » dit-elle en pinçant légèrement les lèvres. « Et d’après ce que j’ai entendu, c’est moi qui brisait les règles, à l’époque. Je suppose que c’est pas ton genre. » Pourquoi a-t-elle cette pointe de défi dans la voix ? Elle a l’impression que l’atmosphère a changé, en l’espace de quelques minutes. Ce n’est pas la première fois que ça arrive, et c’est toujours plutôt agréable, bien que déconcertant. Elle se raccroche au moment, en espérant qu’elle ne va pas resombrer dans des illusions, questions, ou angoisses d’une minute à l’autre comme ça arrive parfois. « Sur une autre note… Je vais avoir besoin de toi pour les post-its. » dit-elle en désignant du menton les innombrables morceaux de papier moldu qui s’étalent sur son bureau. « Avant que ma jumelle maléfique ne reprenne ma place… » Quoi, elle est en train de plaisanter, maintenant ? Elle a du mal à expliquer son changement de comportement. Mais elle se sent particulièrement bien, peut-être parce qu’elle a l’impression de toucher du doigt l’ancienne Kenna, celle qu’elle cherche à retrouver en vain depuis des semaines. Et peut-être que Seth y est pour quelque chose.