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« La semaine dernière, j’ai tricoté un pull, il était pratiquement terminé mais quelqu’un me l’a volé, Abby. Quelqu’un a volé mon pull ! C'est un désastre ! » « Sacrebleu, qui oserait commettre un tel crime ? » « Je l’ignore, pour être franc. Le pull reposait sagement dans mon bureau, quand je suis revenu après la pause déjeuner, il avait disparu. Plouf. Plus aucune trace. » « J’espère que ce n’est pas le retour du fantôme voleur de pulls, comme on en a eu en 78. Que Merlin nous en préserve. » Le soupir d’Elias accompagne celui d’Abby à l’unisson pendant qu’ils crochètent, fil de laine sur fil de laine, les cliquetis des aiguilles en fond sonore. Elias est en pause ce matin-là et profite pour passer un peu de temps avec la jolie Abby – une octogénaire aux cheveux gris avec des mèches roses. Sa petite-fille qui lui fait sa coiffure tous les matins, d’après ce qu’elle lui a conté lors de lors première rencontre ; c’est Abby qui a lancé Elias dans le tricot. « Dis donc, tu commences à être bon. » Son sourire taquin, Elias le lui renvoie en ajoutant même un clin d’œil qui la fait glousser. Elle a perdu son mari durant la première guerre des sorciers et a été placée à Ste-Mangouste dès lors par son fils à cause de sa santé fragile. Abby lui a cependant révélé que c’est le chagrin qui l’a fragilisée car elle se laissait dépérir, incapable de se trouver une place dans ce monde à la mort de son âme-sœur. C’est le tricot qui l’a sauvée, en partie, le tricot et quelques autres activités comme la flûte et la littérature qui lui permettent de décrocher son cerveau pour quelques heures. « L’élève dépasse le maître, chère Abby. » En quelques mois, maintenant, Abby est devenue une constance dans la vie d’Elias, il la rencontre plusieurs fois par semaine dans les couloirs de l’hôpital pour tricoter et partager quelques billevesées. « J’espère bien. Oh, j’y pense, sais-tu que David et Eugenia ont rompu ? » Elle aime le tricot, la flûte et la littérature mais surtout, les ragots sur les autres octogénaires de l’hôpital. « Nooon, c’est vrai ? Quand ? Je suis sûr que David va se mettre à te courtiser maintenant, fais attention à ce goujat, Abby. » Pas qu’il soit vraiment intéressé lui-même mais ça fait passer le temps quand ils tricotent, sous les regards des infirmiers et autres membres du personnel qui passent devant eux – chacun son occupation, comme le dit souvent Abby.

Il est pourtant obligé de la quitter aux alentours de quatorze heures, pour reprendre le travail avec quelques rdv spécifiques. En général, son service ne s’occupe pas directement des patients, ils sont surtout envoyés chez eux lorsqu’il y a des cas rares ; il arrive, cependant, qu’Elias reçoive des patients quand d’autres confrères jugent nécessaire d’avoir un expérimage pour cette même spécialité : les anomalies inexplicables. Son premier patient se nomme Jonas Jenkins et sa caractéristique la plus importante est qu’il est toujours en retard. Ou qu’il ne se pointe pas du tout à ses consultations – c’est tout pareil, pour Elias. Il se frotte les tempes en se faisant de nouveau la remarque qu’il ne lui donnera plus de rdv (c’est quand même la troisième fois que Jenkins le lâche). Les heures défilent, comme les quelques dossiers sur son bureau, ainsi que les patients ou leurs guérisseurs ; s’il avait déjà reçu en avance les dossiers, c’est plus éreintant de les revoir de nouveau en consultations, détectant de nouvelles informations. Bref, c’est fatiguant d’avoir les patients sous ses yeux. C’est plus facile de les traiter de loin depuis la guerre. Dix-huit heures et il regarde la liste de rdv : Alicia Spinnet. S’il a déjà entendu son nom ou même croisé Alicia sur le champ de bataille, il est plutôt sceptique quant à la recommandation de son psychomage. Au vu son dossier, elle souffre surtout de troubles de comportement mais il ne mettra pas l’avis de son confrère en doute. Il se lève et contourne le bureau, traversant la salle de conférence dont son équipe se sert pour du brainstorming et ouvre la porte. « Alicia Spinnet ? » Une tête brune sort du lot parmi les patients assis par rangée dans la salle d’attente. Spinnet acquiesce et le rejoint, il referme la porte après qu’elle soit entrée à son tour. Elias la fait passer jusqu’à son bureau : « mets-toi à l’aise. » Il se dirige ensuite vers la petite cuisine aménagée, fait sortir les petits gâteaux qu’il place sur un plateau. « Tu es plutôt café ou thé ? » Demande-t-il en jetant un coup d’œil par-dessus son épaule. « Ou soda ? Je n’ai que des marques moldues. » Il ne sort pas toujours les gâteaux et les boissons lors des rdv mais quelque chose lui dit que débuter dans une atmosphère froide et sur fond médicomagique ne lui donnera pas beaucoup de résultats avec une patiente décrite comme étant une brute.

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Ça l’arrange que Spinnet soit aussi directe parce qu’il ne sera pas non plus obligé de la prendre avec des pincettes – pas que ça soit son point fort, Elias étant connu pour sa franchise et son manque de tact mais au moins il va pouvoir se délester de son ton professionnel. « J'suis plutôt "droit au but", mais je prendrais bien un coca si vous en avez. » Sa réponse le fait légèrement sourire et il saisit une canette de coca qu’il dépose sur le petit plateau accompagné de quelques biscuits. Il dépose le tout sur son bureau, face à Alicia et à son tour se saisit d’une autre chaise pour s’asseoir à côté de sa patiente et non derrière son bureau. « Ecoutez, j'ai eu droit au topo. Trouble méconnu, pas de traitement établi, on y va à tâtons, ok. Donc allez-y franco : vous pensez me cuisiner à quelle sauce ? Gavage à base d'anti-douleurs, d'anti-dépresseurs et de somnifères ou vous comptez me drainer de mon sang et enchaîner les prélèvements en tous genres pour faire une montagne d'examens ? Honnêtement je m'en fous, j'ai juste une condition : j'arrête pas le boulot donc je dois être capable de repartir en un morceau. » Les bras croisés, Elias l’observe en même temps qu’elle lui balance son opinion au visage ; s’il l’écoute avec attention, c’est principalement pour repérer tous les petits détails sur sa façon de parler, de se tenir. « Merci de partager ton avis mais c’est pas ça qui te fera sortir d’ici plus tôt. Je te fais pas boire et manger pour mon plaisir, ça fait partie de mon diagnostic. » Il pousse le plateau de nouveau vers Alicia, pour qu’elle se saisisse au moins de la cannette.

« Tu veux ma franchise ? J’vais pas te gaver de médocs – en fait, je vais surtout te demander de cesser de prendre les somnifères et les antidépresseurs. Je ne vais pas non plus te faire passer de nouveaux examens puisque tu en as déjà subi un paquet. » Il va falloir qu’il potasse plusieurs grimoires médicomagiques pour s’arrêter sur un diagnostic ou même trouver le traitement adéquat mais il ne souhaite pas l’ouvrir en deux pour déceler ses troubles ; c’est un cas véritablement complexe puisque les symptômes sont beaucoup trop divers et variés. « Je vais être franc, y’a bien un truc qui cloche avec toi. Mais j’pense pas que ça soit irréversible. Le seul problème, c’est que je manque d’infos pour le moment afin d’établir un diagnostic correct et trouver le traitement adéquat. En attendant de mettre le doigt dessus, je peux traiter les troubles physiques. D’où le soda et les biscuits. » En prenant une paire de gants sur son bureau, il les enfile et touche les mâchoires d’Alicia. « Tu souffres de bruxisme. C’est quand tu grinces des dents dans la journée mais surtout pendant ton sommeil. C’est principalement causé par le stress et je pense que c’est une façon que tu as adoptée pour ne pas craquer. Ouvre la bouche – ouais, tu as entendu le craquement de tes mâchoires ? » Elle hoche la tête et il reprend : « ta langue est également mal placée, elle pousse fort sur tes dents de devant et provoque des problèmes. Ça cause, entre autres, des problèmes respiratoires, des maux de tête et des troubles du sommeil, d’où ma requête de te faire arrêter de prendre les somnifères. » Il enlève ses mains de son visage et se repasse en tête la liste de médicomages qui pourraient lui convenir pour sa rééducation maxillo-faciale, en attendant qu’il puisse trouver le véritable diagnostic de sa maladie.

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Elle est drôlement coopérative pour une patiente décrite comme ayant des crises de colère assez intenses ; soit le dossier qu’il a reçu est plein d’exagérations sur son comportement, soit elle se retient devant lui. Et vu son comportement, les expressions crispées de son visage, en passant par les mains qu’elle se torture sur ses genoux, c’est Spinnet qui se freine de toutes ses forces. Le seul problème c’est qu’elle aggrave ses troubles physiques, c’est un véritable cercle vicieux dont elle est plongée. Et Elias, non seulement il voit du challenge mais aussi une véritable envie de la voir guérir, pour qu’elle ne soit plus effrayée par ce dont elle est capable. « Pas qu'ça m'dérange de bouffer, mais- c'est assez atypique », il se retient de rire, tout en glissant ses doigts derrière les oreilles, sous son menton ; il sent un peu tout sous ses doigts, sa façon de contracter ses mâchoires, son irritabilité, son envie de serrer les dents coûte que coûte. Lui-même est passé par ce stade, surtout lorsqu’il était fugitif et avait le stress qui lui gangrenait le cerveau. Sauf que la différence entre eux, c’est qu’Elias a le background médicomagique et Alicia celui d’une guerrière ; les troubles dont elle souffre se sont encore plus aggravés.

« C'est vraiment nécessaire, de tout stopper ? » Ça le surprend qu’elle soit aussi dépendante de ses traitements même si Elias est certain qu’ils ne sont pas adaptés et qu’ils empirent encore plus son état. Mais là encore, il peut comprendre, elle sort tout juste de la guerre, on la traite de brute et elle a probablement peur de redevenir ce qu’elle était avant. Alicia, c’est une véritable bombe à retardement. Et ce constat le fait intérieurement douter de ses propres capacités : est-ce qu’il arrivera à l’aider ou est-ce qu’elle va rejoindre sa morgue personnelle de personnes qu’il n’a pas pu aider ? Mais c’est aussi quelque chose qui le motive encore plus, le fait de savoir qu’elle va craquer bientôt, qu’elle fera de nouveau une crise ; il a envie de se presser, de bosser même la nuit pour prévenir d’une nouvelle crise. « J'sais pas si vous vous rendez vraiment compte de comment je suis sans tout ça. » Et la voilà qui torture ses doigts, probablement pour se retenir de serrer les dents. « Sans tous les produits qui me calment et qui forcent mon corps à assimiler un semblant de repos je suis- J'pense pas pouvoir arrêter. Si vous ne prescrivez rien pour compenser je- j'peux pas faire ça. » Il acquiesce, toujours les bras croisés sur son torse, l’œil attentif à tous ses faits et gestes. « Si tu ne te sens pas à l’aise pour les arrêter, je ne vais pas t’obliger à le faire, Alicia. » Première fois qu’il l’appelle par son prénom mais c’est surtout parce qu’ils vont se voir souvent, autant briser la glace maintenant plutôt que la voir venir en consultation toute crispée. « En fait, je pense plutôt te proposer des substituts naturels. Si tu es d’accord, bien sûr. » Il prend un ton plus calme et parle lentement pour tenter de diminuer la panique qui gronde en elle – les signes physiques lui sautent aux yeux. Elle semble se calmer après avoir attrapé la cannette, probablement parce que c’est une façon de s’occuper les mains et l’esprit. « Comment c'est sensé marcher ? Je me goinfre et vous me regardez faire ? » « Yep. Fais comme si j’étais pas là. » Suspicieuse, elle prend une seconde puis une troisième gorgée mais c’est assez pour Elias. « Trouble de déglutition. Et je n’ai même pas besoin de te faire manger pour cocher aussi la case de problèmes de mastication. C’est bénin et il n’y a pas non plus de potions à prendre, il faut juste faire une rééducation maxillo-faciale, okay ? » Il se relève et passe de l’autre côté de son bureau pour chercher dans ses parchemins la liste des médicomages spécialisés en rééducation. « Je vais te diriger vers un confrère médicomage qui se chargera de la rééducation. Il te fera faire des exercices assez simples qui t’aideront notamment à mieux articuler, etc. Tu en auras d’autres à faire chez toi, tous les jours. Il te donnera également des techniques de relaxation qui t’aideront à te calmer ; tu retrouveras même un sommeil stable dans quelques mois. » Il sort un parchemin sous les nombreux dossiers éparpillés sur le bureau et écrit rapidement une lettre à l’attention du Médicomage Jung qu’il tend ensuite à Alicia. « Prends au sérieux ce qu’il te fera faire, okay ? N’aie pas l’impression que je te dirige vers quelqu’un d’autre pour me débarrasser de toi. Il faut qu’on règle les troubles un par un pour avoir de meilleurs résultats. Okay ? » La dernière chose qu’il voudrait, c’est qu’elle tourne le dos à la médicomagie et se retrouve contrainte de gérer ses crises toute seule.

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« J'crois pas aux promesses concernant le sommeil cela dit, just saying », il roule des yeux, pas surpris par une telle réponse. Tant qu’elle veuille faire un effort sur sa rééducation, c’est tout ce qu’il lui demande et puis elle sera surprise de se rendre compte que non seulement son sommeil s’améliorera grandement mais que tous ses autres petits problèmes se règleront aussi. Il a déjà eu un patient atteint de paralysie faciale et la rééducation vers laquelle l’avait dirigé Elias avait grandement aidé sur son élocution ; Alicia souffre de stress intense et se met la pression pour si peu que son mécanisme facial s’en est retrouvé détérioré. Mais c’est pas étonnant qu’elle se montre sceptique – beaucoup de sorciers dévisagent Elias pour les méthodes peu conventionnelles qu’il propose. Rien de dégradant – ça sort juste de l’ordinaire. « Je dois prendre un nouveau rendez-vous une fois la rééducation achevée ou les consultations doivent être régulières ? » « Reviens me voir dans deux semaines, après avoir fait tes premières séances de rééducation. Et ensuite, si tout se passe bien, on se reverra une fois par mois. » « Et les séances de psy — elles sont maintenues, si ? » « Yep, c’est même fortement recommandé. Bien sûr, tu peux discuter de tout ce que tu veux avec le médicomage Jung et moi-même si le cœur t’en dit mais autant garder les séances de psy, surtout si tu es à l’aise avec lui ? » Il sort un nouveau parchemin vierge, sur lequel il griffonne plusieurs ingrédients qu’elle pourra prendre avec des tisanes. Il attrape également quelques brochures sur la phytothérapie et lui remet le tout dans les mains. « La liste de produits que je te recommande. C’est moins fort que ceux que tu prends actuellement mais – well, c’est toi qui vois. Nous avons terminé pour aujourd’hui, n’hésite pas à prendre un autre rendez-vous en sortant. » Il la raccompagne dans le couloir et indique à la sorcière d’accueil de fixer un rendez-vous pour dans deux semaines et retourne dans son bureau, pour se noyer dans ses vieux grimoires.

Les deux semaines écoulées, il retrouve Alicia dans la salle d’attente. Avec un coup de tête, il lui dit de venir et la guide de nouveau sur son siège qu’elle avait occupé lors de leur première consultation. Pas de boisson cette fois-ci, après tout elle en a déjà sa dose avec le médicomage qui la teste sur sa déglutition. « Alors, la rééduc ? Ça se passe bien ? » Il n’a pas eu le temps de se rendre au bureau de Jung mais il a tout de même reçu l’avancée des deux premières séances d’Alicia : respiration buccale, serrage dentaire et bruxisme centré, trouble des praxies, langue basse en position de repos avec pulsation linguale, trouble de la phonation des palatales, des dentales et sifflantes, déglutition et mastication dysfonctionnelles, trouble postural tête et cou. Jung a également précisé que le sommeil est toujours problématique puisqu’Alicia a un comportement nocturne perturbé : endormissement difficile, cauchemars, apnée du sommeil. Et qui perturbe la vie quotidienne : somnolence, défaut de concentration, irritabilité, céphalées. « Il t’a donné combien d’exercices à faire quotidiennement ? »