Catelyn s'est mise à crier et Theodore n'a pas su faire. Normalement, c'est Perceval qui s'en occupe; sauf que cette fois-ci, son père n'est pas dans la maison, sans doute mérite-t-il de changer d'air pour ce qui semble être la première fois depuis qu'ils sont arrivés dans la maison-planque. Penny, quant à elle, doit être dans la serre; si elle semble fascinée par sa fille, Theodore voit parfois une angoisse tordre son visage, étrange et déplacée, comme si elle ne savait pas trop quoi penser de Catelyn et de son évident amour pour elle. C'est vrai qu'elle est mignonne, Theodore imagine (avec une certaine mauvaise foi, parce qu'il est complètement obsédé par le nouveau-né, qu'il ose à peine regarder quand Perceval est dans les parages, terrifié à l'idée de la toucher).
Toujours est-il qu'elle s'est mise à crier donc Theodore l'a prise dans ses bras, vu que Perceval ne semblait pas arriver.
Elle est toute petite et fragile et elle a une odeur bizarre, pas horrible, mais étrange. Celle d'un nouveau-né, d'une nouvelle âme. Il est un peu maladroit et il sait pas trop quoi faire donc il décide de la garder contre lui en marmonnant, retournant à la tâche qui l'occupait jusque là: retracer les runes qu'il a gravé aux quatre coins des pièces le lendemain de leur arrivée, pour renforcer les protections déjà mises en place. Il a un zèle effarant pour tout ce qui est de la protection, une paranoïa presque terrifiante, flagrante quand il s'est mis à briser les miroirs avant de les sortir et d'en enterrer les morceaux dans le jardin comme un évadé d'hôpital psychomagique. Ses journées se résument à marcher, marcher autant qu'il peut, tant qu'il le peut, à lire, s'occuper des plantes et à s'inquiéter, sans doute la chose que Theodore fait de mieux.

“ Cinq Algiz pour la protection, entrelacés en spirale, au dessus d'un Uruz pour le pouvoir et la force de la structure des murs qui nous protégeront, au cas où... ensuite... une chaîne de quatre Naudhiz contre les agressions, et pour qu'on reste aux aguets, et enfin, bien évidemment, Wunjo pour l'harmonie de la composition, tu vois, pour pas que les runes se mettent à se battre entre elles, un peu comme le ciment entre les briques, elles deviennent caractérielles quand elles sont trop nombreuses vois-tu... ” Parler à haute voix lui permet de réfléchir, surtout qu'il n'a rien d'un maître des runes et qu'il a à moitié peur que sa composition runique lui explose à la figure, sa baguette traçant les formes apprises par coeur en cour sur le mur, imprimant la trace noire sur dans la pierre, la baguette de chêne rouge repassant encore et encore jusqu'à ce que Theodore soit satisfait. Cat n'en mène pas large, vu qu'elle ne répond pas — pas très surprenant, elle n'a qu'à peine un mois après tout —, apaisée par la petite danse qu'il fait en parlant, transférant son poids et son équilibre sur un pied, puis l'autre, ses lèvres articulant des formules et des réflexions alors qu'il compose, littéralement, un entrelacs différents de runes par rapport à la dernière fois. Il les a toujours aimé, les runes; elles ne mentent pas, elles s'apprennent, s'arrangent, un peu à la manière de notes de musique. Il aurait bien aimé s'y consacrer, si il avait un véritable futur...

Il n'a pas la puissance magique et runique pour faire de sa composition une force immuable et parfaite, mais on n'est jamais trop prudent, et les diverses protections établies par Perceval et les gens qui ont préparé l'endroit parviendront à tabler ce que les runes ne peuvent arrêter. Il est en train de penser à ça, se balançant anxieusement avec Catelyn nichée contre son épaule, calme et retournée à son sommeil relativement paisible, continuant de parler à mi-voix pour s'assurer qu'il n'a rien oublié, avant de se détourner pour aller vers un autre mur pour tracer le même symbole... sauf qu'il est arrêté net par le regard trop bleu de Perceval qui le cloue au sol.
Il y a quelque chose qui lui fait peur chez Perceval Weasley. C'est peut-être le fait que Theodore sait qu'il a tant sacrifié pour Penelope, pour leurs enfants. Peut-être le fait qu'il est allé contre tous et contre tout pour ça, peut-être le fait qu'il a la trempe d'un guerrier, peut-être le fait qu'il sent le mépris qu'il lui inspire. Theodore le craint autant qu'il le dédaigne, ceci dit, mais c'est sans doute parce qu'il porte la Marque et qu'il sait que Perceval doit la voir, qui dépasse des manches mal retroussées de sa chemise, alors qu'il tient sa fille dans ses bras. Il a l'impression d'avoir été pris la main dans le bocal à cookies, pourtant. Il a une tête sévère, Perceval. Il était préfet à Poudlard, Theodore s'en souvient. Il n'a jamais été arrêté par un préfet mais il imagine que c'est la même sensation que celle qui s'empare désormais de lui, alors qu'il s'empresse de se justifier: “ elle a commencé à pleurer, je ne savais pas quoi faire. ” C'est sans doute le plus de mots qu'il a prononcé en sa présence depuis un mois. Il serre les dents, pour ne pas rougir d'embarras. “ Je suis désolé, je-- ” Il ne finit pas sa phrase, ne bouge pas non plus pour lui rendre Catelyn, volant peut-être quelques instants avec sa filleule. Il ne doute pas une seule seconde que Perceval aurait préféré quiconque d'autre que lui mais bon. Le Serment a été proclamé et il ne peut rien y faire.

« Arrête de flipper, je vais pas te tuer. » La nervosité — une expression faciale presque naturelle pour Theodore — cède la place à... à un mélange de mépris et de curiosité. Il ne sait pas trop pourquoi, une part de lui a envie de lui dire: je sais bien que t'en serais incapable alors qu'une autre ne peut pas s'empêcher de penser: serait-ce de l'affection dans sa voix? Si il y avait une chose de laquelle Theodore a peur, c'est les hommes plus âgés que lui, même si c'est de quelques années. Ce n'est pas seulement ça: Perceval a été préfet, Perceval est si impressionnant à sa manière. Il n'a pas beaucoup d'amour pour lui mais même Theodore doit admettre qu'il a une trempe et une force de caractère tout à fait phénoménales, à côté d'un pauvre Theodore qui ne se fait pas d'illusions sur ses propres motivations, bien trop égoïstes pour seulement atteindre l'ampleur de celles de l'ancien Gryffondor.
Mais si il y avait une chose que Theodore chasse, c'est l'affection de ces hommes justement. Leur respect et leur affection et leur temps et leur attention; un désir de plaire, de satisfaire au moins, intrinsèque à sa personne. Il ne se souvient que trop précisément de son père. « Tu peux pas aller à l'encontre du Serment. Je vais pas te dire que c'est ce qui m'enthousiasme le plus mais tu sais te rendre utile alors... » Alors dans ce cas. Theodore hoche lentement la tête, faisant un mouvement vers lui avant de se retenir, tenant toujours fermement Cat contre lui, sa main crispée — il ne se souvient pas de l'avoir crispée ou d'avoir raffermit sa prise sur le nouveau-né — se détendant légèrement, quand Perceval ne fait pas mine de lui voler (le mot s'impose à lui, brutal et faux à la fois) sa filleule.

C'était stupide, rien qu'à cette idée, Theodore sentit se entrailles se nouer, et ça n'avait rien à voir avec le Serment. C'était autre chose, le sentiment qui venait sans doute quand on observant un être humain évoluer depuis ses premières heures jusqu'à maintenant, s'émerveiller de chaque expression, chaque mouvement, chaque respiration. Theodore avait toujours su qu'il aimait les enfants, qui se comportaient étrangement et de manière complètement imprévisibles, certes... mais il y avait aussi une tendresse dans l'innocence de leurs gestes, et dans leurs paroles des vérités crues et honnêtes qu'il était impossible d'imiter. Il avait toujours su qu'il aimait les enfants, mais pas qu'il avait cette fibre paternelle, protectrice, pour une si petite chose comme Cat. « Besoin d'aide pour les runes? A moins que t'ais déjà fini. » Un pli contrarié barre le front de Theodore, alors qu'il jette un regard un peu critique à Perceval. Il sait bien qu'il n'est pas le dernier des abrutis, il sait aussi que c'était un élève brillant — après tout, il n'en faut pas peu pour impressionner Penelope Clearwater —, qu'il était préfet... mais Theodore n'aime pas trop travailler en groupe, encore moins en duo, parce qu'il a tendance à sous-estimer les compétences des autres, quelles qu'elles soient. Il préférerait faire tout ça tout seul, mais... il reste Perceval, l'amant de Penny, et le père de Cat. Et il est loin d'être un idiot. “ Je veux bien, ” finit par dire Nott lentement, détournant machinalement les yeux pour regarder sa composition runique, hésitant, avant de se reculer pour la laisser à la vision de Perceval. “ C'est quelque chose de très basique, un complément aux autres protections... il faut la mettre à chaque coin de la pièce. ”

Perceval l'intrigue. Theodore ne comprend pas exactement ce qui le lie à Penny. Depuis sa conversation avec elle, il pense comprendre, ou tout du moins appréhender, ce qu'elle peut ressentir pour lui. Mais lui? Theodore ne comprend pas ce qui motive ses actes, ne comprend pas comment l'amour ou autres sentiments aient pu mener un homme apparemment logique et droit comme Perceval Weasley à faire... tout ça, à tirer un trait sur son avenir, à fuir en laissant du crédit à deux Mangemorts, dont une traîtresse responsable de la mort de dizaines d'Insurgés. Non pas qu'il se plaigne: Theodore est bien content d'être dehors. Mais les motivations de Perceval sont pour lui un mystère. Ceci dit, il n'est pas aussi à l'aise avec lui qu'avec Penny, donc il ne lui pose pas la question. Il lui fait confiance... mais c'est une confiance superficielle, de circonstances. Il a appris à faire confiance à Penny non pas parce que c'était vital, mais parce qu'il le pouvait. C'est l'inverse avec Perceval.
Au moment où il s'apprête à se diriger vers un autre coin de la pièce pour retracer ses runes, Cat se réveille contre son épaule, plutôt brutalement à vrai dire, et se met à hurler jusque dans son oreille, continuant même quand Theodore se met à chuchoter furieusement, se mettant à se balancer d'avant en arrière en espérant la calmer: “ mais non, Cat, mais non, tout va bien, shh, shh, tout va bien, t'es en sécurité, t'as faim, qu'est-ce qu'il y a, mais non, ” jusqu'à abandonner, s'approchant timidement de Perceval avant de lui donner sa fille. Il ne lui ferait jamais aucun mal, pas consciemment en tout cas. Mais il lui semble parfois qu'il serait incapable de lui faire aucun bien aussi. Ils sont tordus et sombres, Penelope et lui, quoiqu'il arrive. Ils ont encore la Marque sur le bras, des réminiscences de magie noire. Il ne devrait même pas l'avoir pris dans ses bras; à ce constat, Theodore recule brutalement, livide, observant le nouveau-né s'agiter dans les bras de son père, à peine apaisée. “ Je suis désolé, ” s'excuse-t-il encore, mémoire musculaire à l'idée de le décevoir, évitant son regard. “ Est-ce qu'il y a quelque chose que je puisse faire? ” Juste partir, juste le laisser, les laisser, parce qu'il n'est qu'une tâche sombre dans le paysage (presque) parfait de ce cottage aux allures de paradis. Mais ces apparences sont bien trompeuses, et il le sait. “ Peut-être qu'elle a faim, je sais pas, je- pardon, c'est de ma faute, je vais juste-- ” Il faut un vague signe de baguette en direction du coin de la pièce vers laquelle il se dirigeait, maladroit et mal à l'aise mais les yeux rivés sur Cat, sur son petit visage froissé, son coeur se brisant à chaque fois qu'elle crie un peu plus fort, pour une raison mystérieuse.