NOVEMBER 2017 † “ Are you sure you got everything? — Yes! — Sure? Because I’m not Apparating back and forth for three hours like last year, Azhar - look at me. I’m serious. I’m not. — I have everything I neeeeeed. — Toothbrush? — Yes. — Toothpaste too? — Yes! — Okay. Good. Let’s go then, get your backpack. ” Azhar glisse sa main dans celle de son père avec un grand sourire, il a hâte de partir, il a l’impression qu’ils préparent leurs affaires depuis des heures. Il a un peu changé, Papa, depuis qu’il est revenu; Azhar n’arrive pas très bien à mettre le doigt sur quoi mais ça lui fait toujours la même impression quand Papa et Maman "ne se parlent pas." Sauf que là il a l’air particulièrement fatigué, Papa, constamment, et Azhar sait qu’il ne dort pas beaucoup la nuit parce qu’hier, quand il s’est levé pour se servir un verre d’eau au milieu de la nuit, il était dans le salon en train de fumer quelque chose qui sentait fort en gardant son pow coincé entre son épaule et son oreille; il ne l’a même pas entendu se faufiler jusqu’à la cuisine et retourner dans sa chambre. Mais il l’aime son père, même quand il est fatigué, même quand il ne dit pas grand-chose, et puis il est content parce qu’ils vont à la Maison (il y a toujours un énorme M quand Papa le prononce avec son petit sourire en coin) pour ce week-end, c’est son anniversaire, et Papa a dit qu’il allait y avoir plein de monde, ses cousins mais aussi ses cousins et cousines qui sont pas vraiment ses cousins et cousines. La Maison, c’est un peu son endroit préféré sur terre. Déjà, il a sa propre salle de bains et il a le droit de mettre des stickers animés sur les miroirs s’il a envie, et d’en changer quand ça lui chante. Ensuite, bien entendu, il y a la salle de jeux avec littéralement tous les jeux auxquels on peut penser. Ils y vont souvent et à chaque fois il y en a des nouveaux, Papa dit que c’est Maman qui les achète et Maman dit que c’est Papa qui les achète. Azhar aime bien les jeux vidéos (même si Papa dit que c’est pas bien pour lui) et même que tous les records sur les machines sont soit à son nom (AZH) soit à celui de Maman (KID) mais jamais Papa (HRM) (sauf une fois et même qu’il a fait le tour de la Maison en hurlant et que Maman a passé la nuit dans la salle de jeux pour effacer son record avant de faire croire à un bug).

La Maison c’est le meilleur endroit de tous les temps et Azhar est un peu triste d’y rester que deux jours, juste pour son anniversaire, mais en même temps il doit retourner au CEPAS lundi et aussi réviser un peu de son Histoire de la Magie… Papa a promis qu’il le ferait pendant toute la semaine qu’ils ont passé ensemble mais il ne l’a pas fait mais Azhar s’en fiche, ça sert à rien l’Histoire de la Magie en plus. Ça fait seulement une semaine qu’il est avec Papa, et seulement un mois que lui est de retour de son Voyage™, mais Maman lui manque déjà, il aimerait qu’elle voyage avec eux, peut-être qu’elle va partir avec un Portoloin elle ou une autre voiture ou alors peut-être qu’elle est déjà là-bas… “ You sure you got everything? — Yeeeees let’s gooooo, dad, we’re going to be late! — Right, okay. Yeah, let’s go, ” marmonne Papa en pianotant quelque chose sur son pow d’une main avant de prendre son énorme sac et de le tirer à sa suite en dehors de l’appartement. Il y a des gens qui les attendent devant l’immeuble mais Azhar ne les regarde pas, il est habitué, il rentre dans la voiture à la suite de son père avec un petit sourire, il a tellement hâte! Bon c’est nul parce qu’ils ont presque une heure de vol, les Portoloins le rendent malades (genre vraiment malades, Papa et Maman l’ont apparemment découvert à leurs dépens) et qu’ils sont toujours obligés de prendre la voiture volante et Maman déteste attendre à l’intérieur et Papa déteste voler mais au moins ils ne sont pas tous les deux là parce que sinon ce serait… tendu, même Azhar le sait. Il a fini par s’y habituer, ça ne l’empêche pas de les aimer l’un autant que l’autre, il aimerait juste que ce soit… plus simple, meilleur, comme les rares fois où ils se parlent et qu’ils vivent ensemble et que Papa dort beaucoup et Maman rit plus souvent. Ça lui manque parce que ses plus bons souvenirs, c’est ça, c’est la Maison et Papa qui le prend sur son épaule en hurlant qu’il a battu le record de Maman et Maman qui essaie très fort de ne pas rire mais qui n’y arrive pas.

Papa s’endort dès que la voiture décolle, Azhar l’a vu mettre un petit médicament dans sa gorge. Lui est incapable de dormir, à la place il se presse contre la fenêtre pour regarder la terre défiler en dessous, faisant des signes aux autres voitures volantes qui volent à leurs côtés mais personne ne peut le voir puisque les vitres sont teintées. Il finit par sortir son propre pow pour répondre aux trois quickies de Maman et lui dire qu’ils sont en route, prenant même une photo de Papa qui dort sur sa propre épaule. Il se demande si ils se sont parlés pendant cette semaine après que Papa soit allé le récupérer chez Maman, ils ne vivent pas loin l’un de l’autre (surtout depuis que les deux mondes se sont entièrement mélangés; Papa a un immense appartement dans le Londres moldu) mais il ne s’est pas attardé. Il a changé Papa et Azhar sait que Maman l’a remarqué, déjà il a les cheveux un peu plus longs et Azhar aime bien parce qu’ils recommencent à faire des dreads; il a bronzé, il a maigri aussi et il a des traits autour des yeux mais ça accentue un peu les ridules de son sourire et ça lui donne un air gentil. Il a passé une soirée entière à lui montrer les photos et les vidéos qu’il a pris en Éthiopie et c’était un peu ennuyeux mais c’est vrai que ça devait être bien là-bas, en tout cas, il avait l’air heureux d’y être allé.

Azhar aurait juste aimé qu’ils les prennent, lui et Maman, avec lui.

Il réveille Papa d’une main sur son genou quand ils atterrissent et roulent sur les derniers mètres; il a du mal à retenir son excitation jusqu’à ce que le chauffeur contourne la voiture pour ouvrir la portière arrière. Il saute presque dehors sans attendre son père et se met à courir très vite en entendant un aboiement, rentrant presque en collision avec le chien quand ils arrivent au même niveau. “ Wushaaaaaaa. ” Il lui a trop manqué, généralement il reste avec Maman et d’accord, ça fait qu’une seule semaine, cinq jours, mais c’est cinq jours de trop! Maman n’est pas loin, elle éteint une cigarette en s’approchant et il va en courant vers elle pour lui embrasser la joue et la prendre brièvement dans ses bras avant de retourner vers leur chien. Il est un peu déçu d’apprendre que Crescentia n’arrivera que le lendemain pour le jour-même de son anniversaire, ainsi que le reste de ses invités, mais il ne peut pas s’empêcher d’être heureux quand Papa sort de la voiture et qu’il peut voir ses parents dans la même pièce sans qu’ils soient en train de se parler froidement ou de juste décider de quand et comment se revoir pour qu’il aille chez l’un ou l’autre. “ Muuuuum, is John hereeeee? — Yes he’s in the kitchen I think. Maybe you could take Frank inside for some tea? ” Le chauffeur hoche la tête d’un air reconnaissant et Azhar l’aide à porter l’énorme sac de Papa à l’intérieur avant d’exploser de rire en faisant la course avec quand le chauffeur l’ensorcelle pour mener le chemin; son parrain semble les avoir entendus arriver et il sort sur la véranda pour l’accueillir dans ses bras, grognant seulement quand Wusha se mêle à la mêlée. Azhar a dix ans demain et il a jamais été autant heureux, il a l’impression qu’ils sont de retour à la Maison comme avant et même si tout n’est pas pareil… c’est déjà pas mal.

Hiram suit son fils des yeux, adresse un signe de main à John avant qu’ils ne retournent à l’intérieur, ne pouvant réprimer un léger sourire en les voyant faire les pitres de l’autre côté de la porte vitrée. Il a vraiment besoin d’une cigarette mais il a promis qu’il allait arrêter depuis des années et puis en fait il n’a pas besoin d’une cigarette mais d’autre chose mais le regard de Kida le cloue sur place et il ne sait pas quoi dire. Il ne lui a pas donné de nouvelle pendant presque deux mois entiers, c’est à peine si elle voulait le laisser voir Azhar quand il est revenu et il comprend, bien entendu, qu’elle soit en colère et qu’elle le regarde comme ça mais Hiram n’a qu’une envie, tomber à genoux et la prendre dans ses bras et ne pas la lâcher. Il est tellement fatigué, il ne dort plus, il a passé le meilleur voyage de sa vie et s’éloigner du star system et de Londres lui a été bénéfique mais il aurait juste aimé voir Kida et Azhar avec lui. Il n’a pas osé demander; même avant qu’il ne parte en Éthiopie, ils étaient en froid, même si il est bien en peine de se rappeler de pourquoi… C’est toujours comme ça, leurs périodes off s’étirent pour des raisons stupides et aucun n’ose aller vers l’autre jusqu’à ce que ça explose, ou qu’un évènement arrive dans la vie d’Azhar et qu’ils soient obligés de se voir — problèmes à l’école comme il en a eu les premières années, sa jambe cassée après son entraînement junior de Quidditch où Kida avait fait promettre à Hiram de ne pas l’emmener, anniversaire et le reste. Le pire, c’est les soirées, WizMusic Awards, Grammys et le reste où ils y vont ensemble, ou alors l’un doit annuler pour des raisons obscures.

Hiram est fatigué. Il a l’impression de faire la course avec le temps et il a l’impression de perdre. Il a une mèche de cheveux gris sur la tempe qu’il teint. Il a une mèche de cheveux gris sur la tempe. C’est horrible, ça le fait se sentir mal, il aimerait avoir vingt-six ans de nouveau et rencontrer Kida pour la première fois et l’aimer pour la première fois et être jeune et con et amoureux, beaucoup amoureux, trop amoureux. Ça n’a pas changé, ça, ceci dit. C’est juste que rien ne semble plus jamais suffire entre eux, entre leurs emplois du temps, Azhar qui est arrivé un peu par accident et qui les a rapprochés autant qu’il les a déchirés, leurs obligations et leurs caractères et le temps. “ You’re wearing red, ” indique-t-il un peu inutilement, sortant de la poche intérieure de sa veste (noire) (bien entendu) un paquet de cigarettes. Il en retire une avant de le lui tendre après un regard en direction de l’imposante maison qu’ils ont acheté peu de temps après la naissance d’Azhar, après leurs disputes post-natum, quand ils étaient heureux et que c’était parfait et qu’Hiram avait l’impression que ça allait durer pour l’éternité. “ Missed me, Kidagakash? ”

NOVEMBER 2017 † “  Is my god son here? —  Not yet, he’s on his way though.” Kida laisse John entrer avec un petit sourire fatigué et referme la porte de la maison derrière lui. Il n’est pas qui elle voudrait voir exactement, même si ça fait longtemps qu’il fait partie de la famille et qu’elle ne lui cache rien, mais elle est contente de ne plus être seule dans l’énorme pavillon qu’Hiram et elle ont acheté dans un bon jour il y a des années. Parfois, maintenant, elle se dit qu’il faudrait le vendre, mais elle a du mal à se résoudre à aborder le sujet même par quicky. Azhar adore l’endroit elle le sait, mais il n’y a pas que ça, il y a tous les souvenirs qu’ils ont créé ici, qui s’ils sont douloureux quand elle y traîne seule, lui tiennent trop à cœur pour qu’elle veuille véritablement les effacer. Elle aime cette maison elle aussi, elle aime la salle de jeux vidéos et la chambre d’Azhar qui a autant changé que lui depuis qu’elle l’a pour la première fois déposé dans son berceau, elle aime la suite qu’Hiram et elle ont partagé mille fois. Mais elle a passé les trois derniers jours seule ici et voir quelqu’un, n’importe qui, ne plus être seule ça la réconforte un peu. Elle n’était pas obligée de venir tant de temps en avance, mais aussi difficile que ça puisse être pour elle d’être seule dans cette grande maison, ça l’était plus de l’être dans son appartement, sans Azhar. Kida n’a jamais aimé être seule, pas vraiment et elle a cru naïvement un jour qu’elle n’aurait plus besoin de l’être, quand elle a emménagé avec Hiram pour la première fois. C’est à ça qu’elle repense à chaque fois qu’elle est là, à tout cet espoir et cette certitude presque que ce bonheur presque tangible allait durer, à l’amertume maintenant qu’elle sait à quel point elle s’était trompée. John ne demande même pas si Hiram vient, il faut lui accorder ça au moins, qu’il vente ou neige, qu’ils soient tous deux en bons termes ou pas, il n’a jamais manqué un anniversaire de son fils. Leur fils. “ How was his trip? ” C’est d’Hiram qu’il parle cette fois et Kida hausse une épaule en se détournant pour lui verser un peu de thé à l’iranienne. Elle aimerait pouvoir dire qu’elle sait, elle aimerait lui en faire le détail, sauf qu’elle ne sait rien du tout. Elle sait que John ne va pas insister, parce qu’il comprend qu’ils sont dans une mauvaise période. Ça fait treize ans qu’Hiram et elle se connaissent, treize ans qu’ils oscillent entre être ensemble et ne pas l’être à tel point qu’elle se demande dans les bons jours s’ils ne sont pas toujours ensemble avec simplement des périodes creuses de disputes et dans les mauvais jours s’ils ne l’ont peut-être jamais vraiment été. Ils se sont aimés pourtant, mais parfois ce n'est peut-être pas suffisant. Elle a failli lui dire ça a Azhar une fois, quand il lui a posé la question. Why don't you love dad? — I do love him. — Then why are you not together like Aunt Scylla and Lexie, or Trishna and Kenna or John and- Il avait six ans et elle n'avait pas su quoi répondre à l'époque. Elle ne saurait pas aujourd'hui non plus.

Mais c'est différent cette fois malgré tout, parce qu’une période off n’a jamais été aussi longue et parce qu’à ça s’ajoutent deux mois pendant lesquels il l’a laissée sans nouvelle. Elle suppose que ça doit bien vouloir dire quelque chose, Kida. Elle suppose qu’elle ne lui a pas manqué. Elle aurait pu lui envoyer un quicky elle-même sûrement, mais à quoi bon, quand elle sait qu’il va bien et qu’il envoie des messages à leur fils, juste pas à elle ; il n’a pas envie de lui parler. Il s’en fiche, sûrement. Fut un temps ça lui aurait semblé impossible d’en arriver si rapidement à une conclusion pareille, au bout de treize ans pourtant, elle doit bien se dire que tout finit par disparaître, même l’amour, le sien à lui en tous cas.

Il a changé Hiram, elle l’a bien vu quand il est venu récupérer Azhar à son retour de son voyage Merlin-sait-où (elle sait que c’est en Éthiopie et elle aurait aimé avoir été invitée) et ça lui va bien à vrai dire, mais ça fait surtout penser à Kida que le temps passe et qu’il a pris de l’âge et elle aussi, elle surtout. Elle est plus jeune que lui, mais pour elle ça compte plus, elle approche de la date de péremption qu’elle a toujours tant redouté, jusqu’à lui en fait, jusqu’à ces moments où il lui faisait penser que peut-être elle n’en avait pas, que peut-être elle aurait de la valeur même après ses premières rides. Elle a tant redouté ce jour où les castings et les appels se feraient moins nombreux, elle a tant redouté cette retraite forcée, et elle n’a jamais trop osé rêvé du futur parce qu’elle avait peur qu’il soit trop sombre ou au contraire que ses rêves soient trop beaux, mais elle n’aurait jamais pensé que ça finirait par ressembler à ça. Plus exactement elle n’aurait jamais pensé qu’ils finiraient par ressembler à ça. Elle a Azhar et lui aussi elle ne l’imaginait pas et pourtant il est un miracle sur pattes et elle ne se plaint pas trop, c’est déjà tellement plus que ce qu’elle a jamais mérité, mais ce n’est pas tout ce qu’elle veut. Ce qu’elle veut toutefois, elle a fini par comprendre qu’elle ne l’aurait jamais. Ça ne l'empêche pas d'être toujours plus déçue et plus amère et triste.

C'est difficile quand elle est seule dans cette grande maison, face à son miroir et le temps qui file trop vite de ne pas retomber dans ce à quoi elle s'est si difficilement arraché. Comme c'était difficile de pincer des lèvres et d'enfoncer ses ongles dans ses cuisses pour attendre qu'Azhar soit au lit avant de se mettre à pleurer dans son appartement quand Hiram était en Éthiopie. Elle a tenu bon pourtant, mangeant un peu moins que d'habitude, mais ne jeûnant pas non plus, ça ne sert à rien, elle le sait, ce n'est pas taille le problème c'est son âge. Et elle s'en fiche un peu de ce métier au fond, elle ne l'a jamais véritablement voulu, il lui est tombé dans les mains, elle n'est plus fière de rien professionnellement que les WizMusic Awards qu'elle a reçu et la double certification de platine de son tout premier album solo, mais ça compte quand même cette impression de faner. Ça compte parce que quand bien même elle a cru s'être détachée de ses idées toxiques, elle a encore l'impression que c'est ça qui intéressera toujours le plus chez elle et qui justement commence à disparaître. Bientôt elle ne sera plus personne. Elle croyait stupidement que pour certains ça ne comptait pas trop et que ça pouvait somehow lui suffire, mais elle s'était trompée. Azhar trouve toujours que sa mère est la plus géniale et la plus belle, mais quand elle a les larmes aux yeux à la fête des mères quand il lui tend un dessin d'elle, ce n'est pas que parce qu'elle est émue de son amour pour elle. Le temps passe et ça fait des années qu'elle n'a pas parlé à sa mère, elle. Depuis la naissance d'Azhar en fait et parfois elle se demande si Roksaneh n'avait pas raison, si elle n'aurait pas dû, quitte à garder Azhar, — et ça elle ne le regrettera jamais — abandonner le père au moins. Peut-être que si elle avait su que près d'une décennie plus tard, ils en seraient là, qu'elle serait là dans cette cuisine beaucoup trop grande dans un coin paumé du Somerset à attendre un Hiram à qui elle n'a rien dit d'important depuis des mois pour qu'ils puissent, froidement, elle imagine, fêter l'anniversaire de leur fils, elle aurait fait les choses autrement.

“ You'll have to ask him. ” Et justement des crissements de pneu se font entendre au loin et elle s'échappe, cigarette à moitié consumée à la main pour aller accueillir les nouveaux arrivants. Elle a le temps de terminer la cigarette avant qu'Azhar ne court vers elle (après avoir salué Wusha leur (son) husky d'abord) pour l'embrasser. Cinq jours loin de lui c'est définitivement trop long pour elle, mais elle n'a pas le droit de le priver de son père, quand bien même elle en aurait envie parfois pour punir ce dernier. Il est là lui aussi bien entendu, mais Kida le regarde à peine.  “ Muuuuum, is John hereeeee? — Yes he’s in the kitchen I think. Maybe you could take Frank inside for some tea? ” Azhar a l'air satisfait de l'idée, et s'exécute avant que Kida n'ait le temps de la regretter. Elle n'a pas particulièrement envie d'être seule avec Hiram, de lui parler, de vraiment lui parler, chose qu'ils n'ont pas fait depuis trop longtemps même si elle semble la seule à en être vraiment affectée. Elle n'a pas envie parce qu'elle ne veut pas s'énerver pas alors qu'ils sont là pour Azhar — elle suppose que c'est à ça que ça va se résumer entre désormais et pour toujours: Azhar. Pourtant, la colère c'est le seul sentiment qu'elle s'autorise à éprouver, parce que c'est encore le plus facile à gérer de tout ce qui l'agite depuis de trop longues semaines. Elle lui en veut tellement. “ You’re wearing red, ” Like it matters. Elle ne réagit même pas. Il y avait un temps où ça importait, qu’il aime le rouge, qu’il l’aime en rouge, mais ce n’est plus le cas. Elle secoue la tête devant le paquet de cigarette qu’il lui tend, elle avait arrêté de fumer pendant sa grossesse, si difficile que ça a pu être, mais elle a repris dès que les premières disputes post-naissance ont commencé. Elle aimerait bien arrêter ceci dit, ça fait des mois qu’elle le pense, de toute façon elle n’a pas l’intention de rester dehors et seule avec lui bien longtemps. “ Missed me, Kidagakash? ” Terriblement. Elle ne s'autorise que la colère, mais c'est ça la plus forte de toutes ses émotions. C'est la douleur. C'est le fait qu'il lui a manqué, pendant son voyage et avant et après aussi, le fait qu'elle aurait aimé qu'il soit avec Azhar et elle, le fait qu'elle aurait voulu qu'il soit là quand pour la première fois depuis six ans on ne lui a pas proposé de défiler pour Dior pour la Fashion Week moldue de septembre, c'est le fait qu'elle en a marre de ces on et off qu'elle en a toujours eu assez de ces montagnes russes, même quand elle savait qu'il l'aimait et se doutait que les bas n'étaient que temporaires, c'est le fait qu'elle ne sait plus maintenant, qu'elle se dit que ce bas-là est peut-être définitif. Il a été absent trop longtemps, il ne lui a pas parlé pendant trop longtemps et elle, elle ne sait même plus pourquoi ils étaient en froid pour commencer. Il lui a manqué et il lui manque encore et il lui manquera toujours. “ Well I know you didn't. ” Non, lui il est parti sans prévenir, revenu sans prévenir aussi, sauf pour venir chercher un fils qu'elle aurait presque gardé pour elle. Ça l'aurai tué une photo au moins de son voyage? Un pauvre snapky? Ça l'aurait tué un powcall ? Ça l'aurait tué de lui montrer qu'il ne l'a pas oublié outre simplement les questions de garde d'Azhar? Elle ne sait pas trop d'où ça lui vient, mais sa main s'écrase violemment contre la joue d'Hiram et elle ne le regrette pas. “ If it was just me, I'd get it, I could take it, but it's not just me, do you realize how dumb it makes me feel and look not to know where the father of my child is? How he's doing? One quicky Hiram, one. ” Elle détourne le regard, parce que c'est complètement stupide ce qu'elle raconte, parce qu'elle savait où il était et comment il allait parce qu'elle a lu les messages sur le pow de son fils. Mais quand même, ç'aurait été la moindre des politesses. Il lui doit bien ça, au moins en tant que mère d'Azhar à défaut d'autre chose. “ But we're not doing this here. We're here for Azhar. You can go back to pretending I don't exist later. ” Et elle peut bien faire semblant de ne pas être blessée, de ne pas avoir passé les trois derniers jours à pleurer dans ses draps trop frais et vides dans cette maison trop grande remplie pour elle de rien d'autre que des rêves brisés. Son emploi du temps reste chargé, elle produit encore beaucoup de musique pour le label d'Adidja et elle est encore (pour l'instant) égérie de PS et d'une marque de maquillage sorcière, mais elle ne fait qu'attendre l'appel qui lui fera savoir que tout est terminé, qu'elle a fait son temps, qu'elle peut tirer sa révérence. Elle ne se sent pas vieille pourtant, juste fatiguée.

“ Well I know you didn't. ” Hiram aurait tant aimé avoir le cran de l’inviter, le courage de lui proposer de venir, parce qu’il voulait que Kida soit là, il voulait qu’elle soit avec lui, qu’ils ajoutent ce voyage au film de leurs souvenirs et de leurs moments passés ensemble. Ils ont fait tant de choses, depuis leur rencontre. Déjà, ils ont créé de la bonne musique, ensemble et séparément, mais toujours inspirés l’un par l’autre; mais leur plus belle création, c’est un gamin de dix ans qui a été la source de leurs plus grandes disputes et de leurs plus grands rires. Ils ont fait tant de choses, ils ont voyagé, ils se sont mariés, ils se sont soutenus, ils ont brisé tous les records, ont écrit leurs noms dans l’histoire et la culture, elle a défilé pour les plus grands noms et lui a rencontré ses idoles, ils ont fait tant de choses, Hiram aurait juste aimé qu’ils se soient disputés un peu moins. La main de Kida fuse de nulle part et il n’a même pas l’idée de l’esquiver, la claque venant s’écraser sur sa joue comme une vague. C’est toujours les pires, ces disputes-là, quand elle le claque et qu’il se met à hurler — ça ne finit jamais bien et Hiram sent son humeur s’assombrir. Il espérait… quoi, déjà? À quoi bon espérer, ça fait treize ans que ça dure. Il ne sait même plus pourquoi ils essayent toujours de revenir l’un vers l’autre quand c’est évident que ça ne marche jamais, ou juste pendant un temps alors. Il accuse le coup en grognant, titubant en arrière d’un pas alors que sa main vole pour éprouver sa pommette, celle qu’elle aimait tant embrasser où une fossette s’y enfonce sous l’oeil.

“ If it was just me, I'd get it, I could take it, but it's not just me, do you realize how dumb it makes me feel and look not to know where the father of my child is? How he's doing? One quicky Hiram, one. ” Il aurait dû, oui; il a failli, aussi. Avant de partir et pendant et en revenant; mais il ne savait jamais comment commencer le message. C’est toujours crucial, le quicky envoyé après une période off, pour que cette période off finisse justement; il faut toujours qu’il soit parfait, sinon il ne sert à rien. I’m going to Ethiopia. I have two spare tickets. Please, azizam, come with me. With Azhar. We can figure everything out. / I am going away and I’ll be back in two months. Fingers crossed for Dior. Can we talk when I’m back in London? / I love you. I’m going to Ethiopia over the summer. Leave Azhar with John and come with me. / I feel so old and tired and lonely. I need to talk to you. I need you. Mais aucun message ne l’était. À la place, il était parti en brûlant les deux billets en trop, prévenant juste son fils et lui promettant de lui ramener une montagne de cadeaux pour son anniversaire (et d’excuse aussi, un peu) et d’être là pour sa rentrée au CEPAS. “ But we're not doing this here. We're here for Azhar. You can go back to pretending I don't exist later. ” Il la sent déjà s’éloigner, s’en aller en fumée, s’échapper; à son tour d’avoir la main qui se lève et se referme autour de son poignet. Hiram serre un peu le poignet de Kida et puis le lâche, presque timidement, parce qu’il a l’impression qu’il n’a pas le droit; à la place, ses doigts fébriles viennent finir de glisser la cigarette entre ses lèvres et l’allumer d’un claquement. “ I’ve missed you, ” dit-il après avoir soufflé un nuage de fumée en direction de la maison et loin d’elle.

C’est comme une douleur physique, quand elle lui manque et qu’il aimerait qu’elle soit là sauf qu’elle est à l’autre bout du monde et il n’a même pas le droit de lui envoyer un message pour le lui dire. Why God why God do I gotta suffer? Pain in my heart carry burdens full of struggle. Il aurait aimé que ce soit des paroles écrites comme trois millions, il aurait aimé que ce ne soit que ça, des paroles, une chanson, rien du tout, mais non. Ce n’est jamais que ça, tout comme avec Kida ce n’est jamais que de l’amour et de la douleur, c’est tout, tout et il ne sait pas trop ce qu’il est sans elle, et il n’a plus envie d’être sur le point de le découvrir. “ So much. So much. And not just the past couple of months. Before that. You’re right here and I miss you all the same. ” La personne qu’il était avec elle aussi lui manque. Le Hiram fou amoureux, le Hiram qui a pris un Portoloin au milieu de la nuit pour la surprendre à son hôtel après qu’elle ait gagné pour la première fois Model of the Year, le Hiram qui dort et qui chante et qui pourrait rester des heures au lit tant qu’elle est dans ses bras. Il ne dort plus depuis mai, depuis leur dernière dispute. Il sait pourtant que ce n’est pas la dernière. Ce n’est jamais la dernière. “ I’m tired of fighting, Kida. ” Il retire la cigarette à peine fumée d’entre ses lèvres pour l’écraser entre ses doigts, la brève douleur de la brûlure habituelle, avant d’en enfoncer le mégot dans sa poche. “ He asked me if we’d… “talk” again one day. ” Il regarde la maison, essaie d’imaginer Azhar et Frank et John et Wusha dans la cuisine, en train de parler de tout et de rien, ou de les observer; il ne parvient plus à voir leurs silhouettes, peut-être qu’Azhar est monté à l’étage essayer de trouver de nouveaux jeux vidéos dans la salle de jeux. Hiram pince des lèvres, incapable de regarder Kida. Will we? a-t-il envie de lui demander. “ I’m sorry I didn’t call or text. I didn’t- I didn’t know what to say. Or rather how to word it. I don’t know. ” Il se passe une main sur le visage. We’re here for Azhar. Elle a raison. Si ça se trouve, il parle dans le vide et elle ne veut plus de lui — il pourrait la comprendre, après tout ce temps. “ Shall we go inside? ”