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   Sorrow & Akëla
   4 avril 2001


M
es journées semblaient dénuées de sens, comme si du jour au lendemain je ne trouvais plus aucun intérêt à faire ce que j'ai toujours fait. Comment apprécier une journée où chaque acte, chaque pensée, semble ne plus avoir de fondement ? C'était ainsi chaque matin, chaque soir. Je me levais en me demandant à quoi bon et je m'endormais en rêvant du passé. Un passé qui était résolu, qui ne pouvait exister que dans mes songes et mes souvenirs. La nostalgie prenait place, elle s'insinuait dans mes veines et dans mes poumon. J'expirais les rires oubliés, j'aspirais les hérésies du passé qui empoisonnaient le présent. Il m'arrivait de me perdre en des réflexions sans fin. Comment aurais-je pu savoir que Cole n'était qu'un Insurgé ? Pourquoi ? Que se serait-il passé si je l'avais su ? Est-ce que ça aurait effacé toute trace de sentiments ? Tellement de si, tellement de pourquoi et jamais de réponses, jamais d'attention sur mes questions intérieurs. Des questions que je gardais pour moi car je ne pouvais les confier à qui que ce soit. Je vivais dans un monde où chaque parole est écoutée, où chaque pensée doit être reformulée pour convenir à l'ordre établie. Est-ce que je m'en plaignais ? Difficile à dire, j'avais toujours rêvé de cette situation, de ce gouvernement, de ce quotidien. Mais je l'avais vu différemment. Je l'avais vu plus coloré, plus joyeux. Je n'y avais jamais inclus de quelconques peines à la découvertes de trahisons les plus intimes. J'avais tout donné à Cole, tout. Il m'avait tout pris pour pouvoir le donner à ses complices. Il m'avait volé des secrets enfouis, des informations confidentielles. Comment faire confiance après cela ? Comment pourrais-je arriver à ne pas voir le mal partout ? A ne pas croire que chaque relation, chaque regard, chaque parole n'est pas calculé pour soutirer de moi des choses que je ne devrais jamais révéler ? Je devenais parano et je me perdais. J'avais peur, je crevais de trouille un peu plus chaque jour. Je me sentais tomber, je me sentais sombrer. Sombrer dans des ténèbres que je n'avais jamais exploré auparavant. Le désespoir, la dépression, j'étais triste, constamment. Je broyais du noir à longueur de journée alors que je devrais me réjouir du futur.  J'allais me marier. J'aurais dû être la femme la plus heureuse au monde.

Le manoir était oppressant. Cette grande bâtisse qui par le passé m'avait libéré de mes démons m'en avait crée de nouveaux. De plus vivaces, de plus fourbes, de plus destructeurs. Chaque silence était pesant, chaque bruit me faisait l'effet d'une claque. Je ressentais tout et trop fort. Enfermée jour et nuit dans cette maison, j'en avais découvert les moindres recoins et plus rien n'était été à voir. Les murs étaient trop lisses, les tapis trop beaux, les teintures trop parfaites et l'air trop ostentatoire de tant de richesses accumulés au fil des années. En vérité, cette richesse me griffait de son or et de ses joyaux. La parure qui me servait de présent de la part de mon futur époux m’étouffait. J'avais besoin de souffler, j'avais besoin de respirer, de vivre. Je devais sortir. Je ne pouvais pas rester ici, pas une minute de plus. Ou j'allais mourir. J'enfilais donc des chaussures, ma cape, me munie de ma baguette magique et prit la direction de la porte de sortie. Ces deux grandes portes en bois sombre, un bois effrayant, menaçant. Je passais devant l'immense salon où la silhouette de Jisök se retourna pour me regarder quitter le manoir. Je cru voir une moue de mécontentement sur son visage, mais peu m'importait ses états d'âme à ce moment-là.

Je me retrouvais bien rapidement sur le chemin de Traverse. Une multitude de sorciers se croisaient, se rencontraient, échangeaient puis se quittaient. J'aurais aimé aperçevoir un visage familier, un visage amical. Tae Oh, pourquoi pas. Abraxas également. Qu'importe, mais quelqu'un qui réussirait à me redonner un second souffle, à me sortir d'une solitude qui m'enfonçait dans un mutisme qui m'arrachait l'âme. Au bout de deux heures d'errance, je me rendis à l'évidence que je ne croiserais personne ici, que j'étais condamné à voir les gens heureux, à ne jamais l'être moi-même. Puis je passais devant une pancarte, une petite pancarte poussiéreuse et à l'allure pitoyable. L'Allée des Embrumes. Mais oui, bien sûr. Sorrow. Notre rencontre restait pour moi aussi étrange que la demoiselle en elle-même. Je n'aurais jamais dû finir dans ce bar, à commander un whisky et prévoir d'y rester la soirée entière. Peut-être espérais-je y croiser un danger, retrouver l'adrénaline qui coulait dans mes veines lorsque j'étais en compagnie de Cole. Je n'y avais trouvé que de l'alcool et une demoiselle. Une jeune femme aux cheveux sombres et au visage attirant, une belle femme dans un endroit piteux. Une pauv' fille, tout comme moi. Nous nous ressemblions tout autant que nous n'avions rien en commun. Nos origines auraient dû effacer toute chance de rencontre. Mais non, je me retrouvais à prendre le chemin qui menait jusqu'au pub misérable où elle exerçait le métier de serveuse la plupart du temps. Y aller, je ne le faisais pas par plaisir, j'en avais besoin. J'avais besoin de trouver de la compagnie, sa compagnie. En fait, j'avais besoin de Sorrow. En moins d'un mois elle m'était devenue comme essentiel. Car sa détresse était identique à la mienne, que nos yeux exprimaient les mêmes peines et que nos coeurs crevaient de trouver un peu de bonheur dans ce monde toujours plus sombre.

J'arrivais en face de l'enseigne et ne me fit pas prier vingt fois avant de pousser la porte en bois grinçante. Je franchis le seuil du commerce et déjà l'odeur rance vint se coller contre ma peau. Ce n'était pas agréable, c'était simplement l'exact opposé de ce que je côtoyais tout les jours. Et c'est ce dont j'avais besoin. Je ne mis pas longtemps avant d'apercevoir la silhouette longiligne de Sorrow. Je lui fis un signe de la main avant de me diriger vers une table dans un coin, au calme, dans ma misère.  
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Sorrow et Akëla
Un autre jour sans saveur. Sans lumière. Mais dans le monde de Sorrow désormais tout n’est que poussière. Tout est gris. Les gens. Les murs. Le reflet dans son miroir. Le monde est sans saveur et sans vie. Du moins pour Sorrow. Certains diront que c’est elle-même qui se gâche la vie. Qu’en faisant un effort elle arriverait à surmonter la tragédie qui lui était arrivé. Et ils avaient raison. Sans conteste. Sorrow sait pertinemment que certaines personnes ont vues et connues bien pire qu’elle-même. Qu’elles ont été brisées. Explosées en un million de petits morceaux. Et qu’elles se sont reconstruites. Avec effort. Un éclat après l’autre jusqu’à retrouver la surface lisse et familière de leur psyché. Sorrow le sait. Et les admire. Mais pour elle cela ne veut plus vraiment dire quelque chose. S’ils ont réussi tant mieux.

Tout ce qu’elle sait c’est qu’elle n’en ait pas capable.


Triste ? Peut-être. Pathétique ? Sans aucun doute. Mais Sorrow se moque de ce qu’on peut penser d’elle. Maintenant elle est bien loin de la jeune fille qui voulait qu’on l’aime. Qui crevait d’avoir juste un peu d’affection. Ca c’était Opale. Et tous les jours en se levant Sorrow se répète qu’Opale ne doit plus exister. Que c’est la seule façon de survivre. C’est dur. Incroyablement difficile. Peut-on réellement décider de changer de personnalité ? De devenir une autre personne en abandonnant tout ce qu’on a jamais été. Oui. Sorrow le fait tous les jours. Elle enterre Opale et le couvre de boue jusqu’à oublier qui était cette jeune fille. Jusqu’à la considérer comme une lointaine cousine. Un souvenir perdu de vue. Et c’est pour cela que le mensonge marche. Pour cela que personne ne pense qu’elle est une femme en fuite dont la disparation avait détruit la famille. C’est grâce à cela qu’on l’ignore et qu’on la considère comme faisant partie du décor.

Un soupir franchit les lèvres rouges de Sorrow. Fatiguée. Mais elle commence son service au bar dans cinq petites minutes. Alors elle ne peut pas se permettre de se reposer. Doucement elle prend un chiffon qui a connu des jours meilleurs de l’autre côté du bar. Un plateau dans l’autre main. Et aussi simplement que cela, Sorrow est prête pour commencer une journée de travail qui lui paraitra sans fin jusqu’à ce qu’elle se termine. Mais elle ne peut pas se plaindre. Une ombre ne se plaint pas. Une ombre ne parle pas. Et Sorrow à déjà eu de la chance de trouver ce travail il y a à peine quelques semaines. Avant son dernier véritable travail remontait au temps qu’elle avait passé chez Barjow et Burke. Trop longtemps donc pour sa bourse depuis longtemps vidée de ses gallions. Ici c’est sa dernière opportunité de faire les choses bien. Après elle devra quitter Londres et les derniers souvenirs de sa vie passée. Et curieusement Sorrow n’est pas encore prête à faire une chose pareille. Elle se raccroche à ce qu’elle peut. Et partir détruirait quelque chose en elle. Peut-être les derniers fragments de bon sens qui lui reste.

Il n’y a quasiment personne dans le bar. Il est trop tôt. Seuls demeurent ces alcooliques qui ne s’en vont jamais. Noyés dans leur chagrin et leur whisky. Incapables de s’en séparer. Comme des enfants avec leur peluche, eux serraient leur verre entre leurs doigts tremblants autant pour se réconforter que pour oublier. Soudain la porte s’ouvre et avec un sourire Sorrow voit entrer une silhouette familière. Akëla. Aussi différente d’elle que le jour l’est de la nuit. Pourtant il y a le même désespoir dans leurs yeux. Le même besoin viscéral qu’elles n’arrivent pas à exprimer mais qui leur ronge le ventre et détruit leurs âmes. Un peu perdues. Un peu brisées. La rage au cœur et le vide dans les prunelles. Amies donc sans se ressembler. Réunies par un besoin qu’aucune ne saurait nommer. Sorrow ramène doucement ses longs cheveux noirs contre son épaule. Comme un rideau d’ébène. Bien loin des longues mèches dorées qu’elle avait avant. Elle s’avance lentement vers Akëla, un demi-sourire sur les lèvres. Assez pour lui montrer qu’elle est contente de la voir. Mais pas suffisamment pour réellement exprimer de la joie.

Elle se penche doucement de l’autre côté du bar et remplit un verre de whisky pur-feu. Puis se dirige rapidement vers la table d’Akëla. Elle sait qu’elle pourra rester bavarder. De toute façon il n’y a quasiment personne d’autre qu’elle. « Salut. » Sa voix est rauque. Un peu trop basse pour une femme sans doute. Abimée. Comme elle. « Tiens prends ça. T’a l’air d’en avoir besoin. » Sa façon à elle de lui demander si ça va aller. Simplement Sorrow essaye de ne plus faire dans les sentiments. Et lui demande ce qu’il se passe serait sans doute un peu trop … personnel ? Après tout elle n’est pas censée s’attacher Sorrow. Pourtant elle se voit en Akëla. Alors certains jours c’est plus dur que d’autres. Comme aujourd’hui. Quand elle la voit comme ça. Elle veut essayer Sorrow. De la comprendre. De l’aider. Mais sans s’attacher. Trop dangereux. Alors elle se penche en avant. « Tu veux en parler ? » Une invitation. Une main tendue. C’est tout ce qu’elle peut donner.

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   Sorrow & Akëla
   4 avril 2001


J
'aurais aimé ne jamais avoir à connaitre ce sentiment. Cette sensation de vide total, car c'est tout ce qu'il me restait, le rien. Plus rien, je n'avais plus rien alors que je recevais tant ces derniers temps. Un travail convenable à Sainte Mangouste, une famille aisée, un frère au plus proche du Magister, un fiancé dès plus respectable et voué au Lord. J'avais tout ce que j'avais toujours voulu, tout ce qu'on m'avait dit que je finirais par avoir. Alors pourquoi, pourquoi ce vide, pourquoi cette sensation de bris de glace en permanence, à chaque pas j'avais l'impression de me détruire un peu plus. Je n'attendais plus rien de mon futur, si ce n'est une fin salvatrice. La souffrance que je vivais en permanence, elle devait prendre fin. J'ignorais jusqu'au pourquoi fondamentale de cette souffrance. Ça n'allait simplement pas. Je me fichais du statut de ma famille, je repoussais sans cesse le mariage, je me perdais dans mes sentiments. Cole restait en ma mémoire et en mon coeur, mais les battements de mon palpitant ne percutaient plus d'amour et d'affection mais de rancœur et de ce sentiment de trahison qui me faisait souffrir un peu plus chaque jour. Puis il y avait Abraxas...j'ignorais comment réagir face à mes sentiments qui devenaient chaque jour plus présent. Je ne me sentais plus l'âme d'aimer avec passion et sans retenu. J'ignorais tout de la façon dont il me percevait et...non, je ne pouvais plus me permettre un tel luxe, je n'en avais plus la force. J'allais me marier, j'allais m'enchaîner à un monstre, un homme qui ne pourrait jamais me rendre heureuse. C'était ainsi, je m'y étais résignée.
Voilà, c'était ça. Je vivais de résignations en tout genre.

La moiteur du pub me rappelait à la situation de la majorité des sorciers. Tous n'étaient pas de l'Elite ou des rangs avoisinants ce cercle. La plupart vivaient au jour le jour et de petits boulot mal payés. J'avais eu de la chance en naissant dans une famille déjà bien fournie niveau capital financier, mon travail faisait office d'occupation plus que de nécessité pour subsister. Du moins, jusqu'à ce que je le quitte, suite à la dernière lubie de mon père. Je me devais de me préparer à mon rôle d'épouse, et une femme ne travaille pas en dehors du domaine familiale. Je m’entraînais donc à une vie d'esclave bien habillée. J'étais au-dessus des ivrognes de ce lieu et pourtant aujourd'hui, ils auraient pu m'écraser d'un coup de talon sans vraiment avoir à y mettre un quelconque effort. J'étais plus bas que terre tandis qu'eux raclaient le sol avec leur misère. La silhouette obscure de Sorrow s'approcha de moi et je distingua très vite le verre qu'elle fini par me mettre sous le nez. L'effluve acre de l'alcool vint racler contre ma gorge et l'espace d'une demi-seconde j'eus envie de vomir. J'entretenais une relation d'amour/haine avec l'alcool et il m'avait toujours fallut un petit temps d'adaptation à l'odeur avant de pouvoir m'en abreuver. Mais dans l'absolu, c'est exactement ce dont j'avais besoin. « Salut. » lui dis-je d'une voix un peu éraillée qui manifestait des derniers jours sans paroles. J'enroulais mes doigts autour du verre et l'amenais près de moi. Le chemin parcouru jusqu'à mes lèvres ne fut pas long et je reposais le verre quelques secondes plus tard, vide. « Je te remercie, c'est exactement ce qu'il me fallait. » lui dis-je avec un petit sourire en coin fatigué. J'étais épuisée à vrai dire. Le sommeil semblait m'éviter et l'ennui me transperçait et m'affaiblissait un peu plus chaque jour. J'avais arrêté de m'occuper de mon jardin personnel, les ronces avaient pris le pas sur les parterres de fleur que j'avais pris tant de plaisir à montrer à Tae Oh, il y a de cela bien longtemps. Je n'y retournais plus. Il était le signe de bien trop de bons souvenirs auxquels je ne voulais plus me confronter, je n'en avais plus la force.

J'indiquais la chaise à côté de moi à Sorrow, invitation lancée. Si elle voulait m'écouter, elle ferait mieux de s'asseoir, j'avais des choses à dire. J'avais besoin de parler, j'avais besoin de me confier, de lui raconter. Lui raconter à elle. Elle qui vivait si loin de mon quotidien, qui luttait contre des démons différents et d'autres similaires. Peut-être qu'après, ça irait mieux, peut-être que je me sentirais un peu soulagée. Ou peut-être pas, peut-être que je ressortirais de ce pub encore plus alourdie et abattue qu'en y rentrant. Ça, seul le temps ne nous le dirait. « Je...j'ai l'impression que tout m'échappe. Le Ministère organise des ventes aux enchères de prisonniers, je ne t'apprend rien. Ma famille, et moi-même, y assistons régulièrement. C'est une histoire de se montrer, d'être vu. Des conneries. Autant je suis pour ces enchères, autant y assister pour repartir les mains vides, je trouve ça stupide. Bref, j'y étais. Et...et là...et là j'ai vu Cole. » ma voix trembla alors que son prénom m'écorcha la bouche, tant de rancoeur et d'amour gâché pour cet homme. J'avais déjà parlé de Cole à Sorrow, je lui avais raconté son silence et à quel point cela me blessait de ne plus avoir de nouvelles de lui. « Il était là. Il était sur cette estrade...Cole est un Insurgé. Une vermine qui m'a manipulé pour avoir des informations confidentielles, il m'a fait miroiter un amour qui n'a jamais existé. Je...j'arrive pas à croire que j'ai pu me faire manipuler par ce traître. J'ai tellement honte...J'ai voulu le tuer, là, sur cette estrade. Monter et l'étrangler pour avoir rejoint la cause des Sangs-de-Bourbe et autres traîtres ! » Je passais une main sur mon visage afin de me calmer. Je relevais ma tête vers Sorrow, mais ce que j'y aperçu ne fut en rien similaire avec ce que j'avais pu espérer y voir. 
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Sorrow et Akëla
Sorrow regarde dans les grands yeux noirs d’Akëla et la seule chose qu’elle aperçoit est un désespoir teinté d’incompréhension. Miroir de celui qui la ronge tous les jours et l’entraine un peu plus vers le fond. C’est pour cela qu’elle accepte Akëla même si elles ne se ressemblent en rien. Depuis sa fuite, depuis qu’elle avait décidé de quitter le monde qu’elle avait connu pour se cacher dans les rues miteuses de Londres, Sorrow s’était promis de ne plus jamais fréquenter des personnes mieux situées qu’elles. Parce qu’elles étaient dangereuses. Capables de l’entrainer de nouveau dans ce monde intolérant dont elle voulait se cacher. Mais avec Akëla c’était différent. Elle lui ressemble trop. Il y a cette petite hésitation dans sa manière d’être qui montre qu’elle ne comprend plus le monde qui l’entoure et que toutes ses certitudes se sont effondrées.

Qu’il ne reste dans son cœur qu’un champ de ruines, emplis de sang et de douleur.      
   
Sorrow penche la tête. Regarde autour d’elle. Le bar est toujours désert bien sûr, il n’y a rien d’étonnant à cela. Pas à cette heure. Il était trop tôt dans la journée pour entendre leurs rires gras et leurs réflexions égrillardes. Mais ils arriveraient bientôt. Et cette seule idée suffisait à fatiguer Sorrow. Devoir travailler encore et encore dans un bouge pour seulement quelques pièces, harcelée par des imbéciles qui pensaient que parce qu’elle était serveuse elle ouvrait les cuisses pour n’importe qui. Chaque journée était plus dure que la précédente. Mais Sorrow n’avait pas vraiment le choix. Il faut payer les factures. Survivre. Et il est difficile de se faire une place lorsque l’on est personne. Et Sorrow n’est plus personne. Alors ce travail miteux … c’est bien ce qu’elle peut espérer de mieux. Puisqu’après tout Sorrow n’est rien d’autre qu’un monstre. Une abomination que tous rejetteraient si seulement ils savaient.

C’est pour cela qu’elle se tait. Baisse la tête. Enfoui ses rêves au plus profond d’elle-même en essayant de se convaincre qu’ils n’ont absolument aucune importance. Elle ne pense plus à l’avenir Sorrow. Parce qu’elle sait pertinemment qu’il n’a rien à lui offrir. Que le chemin qui s’ouvre devant elle ne fait que s’engouffrer dans les ténèbres. Un peu plus profondément à chaque pas. Et que le désespoir n’a pas de fin. Du moins pas pour elle. Un soupir lui échappe. Rien ne sert de ressasser de viles pensées. Autant se concentrer sur Akëla.

Un mince sourire se dessine sur les lèvres de Sorrow durant quelques maigres secondes. Infime. Mais le visage de sorrow semble presque s’éclairer. Du moins autant qu’elle en est capable. Ce qui n’est pas beaucoup. Et puis elle ferme doucement les yeux. Alors que les paroles d’Akëla la heurtent de plein fouet. Comme si elle s’écrasait contre un mur. Si elle se concentre elle peut presque entendre un craquement. Car ce que vient de dire celle qu’elle considérait comme une amie lui donne envie de vomir. De cracher ses entrailles sur le sol. Peut-être alors que l’air ambiant deviendrait aussi nauséabond que les paroles d’Akëla. Peut-être seulement. La voix de Sorrow s’élève soudain. Froide. Coupante. Volontairement blessante car le discours de la jolie jeune femme assise en face d’elle lui révèle des choses qu’elle aurait préféré ignoré.

« Je comprends que tu soit en colère contre lui. Pour t’avoir menti. Ou plutôt pour ne pas t’avoir dit la vérité. Mais qui sait ? Peut-être t’a-t-il vraiment aimé ? Qu’en sais-tu après tout ? Peut-être ne t’a-t-il rien dit pour te protéger et non pour te manipuler ! » Sorrow aussi a menti pour les siens. Elle s’est même enfuie et transformé en quelque chose d’autre. Une créature des ténèbres. Simplement pour eux. Alors qui est-elle pour juger Cole ? Personne bien au contraire. Elle reprend la parole Sorrow. Avec peine. Parce qu’elle sait qu’en prononçant les paroles qu’elle s’apprête à formuler tout va changer entre elle et Akëla. Et que rien ne sera plus jamais pareil. Mais Sorrow est incapable de se taire. Pour la première fois les mots semblent sortir de sa gorge presque contre sa volonté.

« Donc oui. Je comprends que tu soit en colère contre lui.  Mais je suis d’accord avec ses motivations. Je n’ai peut-être ni la force, ni même le courage de faire des choses semblables. Mais il n’en reste pas moins un héros. Pour avoir la force de se battre contre ce gouvernement corrompu. Je l’admire. Sans doute parce que je s’en suis incapable » Elle est calme encore Sorrow. Mais soudain une pointe de colère se glisse dans sa voix. «  Et il n’y a pas de traitre quand le gouvernement n’est plus qu’une imposture. Une dictature. On ne peut pas trahir quelque chose qui ne repose que sur la peur et des cadavres par centaines. » Du mépris se glisse dans son ton. Finalement remuée par les sentiments de douleur et d’injustice qui se sont nichés dans son âme depuis qu’elle ne comprend plus ce monde fait de sang et d’absurdités. «  Je ne comprends même pas comment tu peux utiliser ce mot. « Sangs-de-bourbes » ou même cautionner ce qu’ils font. Ils tuent parce que ça les amusent. Torturent en riant. Dansent autour des tombes. » Et finalement elle se tait. Soudain effrayée d’avoir tant révélée d’elle-même et de ce qu’elle pense réellement. Pour la première fois depuis bien trop longtemps.
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