Un silence doux mais pesant régnait dans la chambre de ce petit appartement. Seul le bruit du vent qui venait se perdre dans les pages d’un livre négligemment posé sur le lit troublait la respiration lente et lourde d’un jeune homme profondément endormi. Ses traits étaient tirés et fatigués. Il semblait avoir un peu plus d’une vingtaine d’année, en apparence seulement. Profondément ancré dans sa torpeur il n’avait pas vraiment réalisé ce qu’il s’était passé, avec qui il était et ce qu’il lui faisait … Il n’avait pas remarqué cet air inquiet sur le visage de son sauveur, ni cette lueur de surprise lorsque, dans une crise de fièvre aigu, le jeune malade lui avait attrapé la main pour lui supplier de rester près de lui, le prenant pour quelqu’un d’autre … Trop affaiblit après ce combat avec lui-même il avait finis par s’endormir profondément. Seuls les traits encore crispés de son visage et cette pâleur anormale témoignaient de son malaise. Sa tête dodelinait alors qu’un seul et unique prénom franchissait ses lèvres.

Tu n'as pas le droit de faire ça ! Ne fuis pas ! S'il te plaît … Arrête de te mentir, arrête de me mentir …

Mentir sur quoi hein ? Je me suis lassé … On ne devrait pas faire ça …

Là sans être là, il revivait encore et encore chaque seconde passée avec lui, depuis lui, sans lui. Jamais son absence ne lui avait été plus insupportable et plus difficile à ignorer. Il le sentait partout tout autour de lui, à chaque coin de rue, devant chaque vitrine. L’apercevant comme un mirage qui disparait en un battement de cils. Une absence qu’il n’avait jamais réussis à oublier, un vide qu’il n’avait jamais réussis à combler. Torturé par son démon intérieur, le seul et unique objet de son pêché, de son passé … Un bruissement d’aile tira Kuan Ti de son réveille à demi comateux en un sursaut. Son cœur manqua un battement et son regard s’ancra au chambranle de la fenêtre ouverte. Il n’aperçut que le voile de ses rideaux danser au rythme du vent en ce début de printemps. Sa poitrine lui faisait un mal de chien et son souffle rauque le brûlait. Il passa une main fébrile sur son front plein de sueur et repoussa les draps trop étouffants pour lui. Il mit un temps avant d’arriver à se mettre debout sans ciller. Sa vision était encore floue et terne. Sa tête lui tournait et il n’avançait qu’à tâtons. A peine arrivait-il dans le couloir qui menait au salon qu’il entendit frapper doucement à sa porte d’entrée. Préférant ignorer cette présence dans un premier temps il devait bien avouer que cette insistance de la part de son visiteur finit par l’agacer et piquer sa curiosité à vif. Kuan Ti n’était pas de nature colérique, au contraire il avait un côté doux et gentil qui le rendait si attractif et plaisant. Mais cette douceur avait été teintée d’amertume et de tristesse, mais surtout d’un profond mal dont il n’avait pas encore pris conscience …  

Sur la porte des coups tambourinaient encore et encore, faisait échos à son cœur qui frappait douloureusement dans sa cage thoracique. Il avait besoin de se passer de l’eau sur le visage et de souffler un peu. Il s’appuya contre le rebord de l’évier et fixa son reflet dans le miroir. Malgré le temps qui s’était passé il n’arrivait toujours pas à comprendre comment les choses avaient pu se passer ainsi, finir ainsi. J'ai essayé … je te jure … mais c'est plus fort que moi … Ca avait commencé par de simple flash, de simples souvenirs qui venaient le hanter même réveillé, puis doucement cette douce folie s’était emparée de lui. Il avait fini par le voir partout où il allait, l’entendre, sentir son odeur, sentir son regard remplie de honte et de désolation. Il lui manquait, oh oui il lui manquait tellement qu’il en devenait dingue. Il avait l’impression de l’avoir près de lui mais dès qu’il cherchait à assouvir ce désir ardent qui bouillait en lui tout s’envolait et il ne restait plus que Junsu et sa frustration. Sa peine. Ce manque de lui … Et pas  un jour depuis sa déchéance n’avait pu calmer ou tempéré sa douleur. Son frère lui manquait, plus qu’on ne pouvait imaginer, et ce n’était pas par vague, oh nan, c’était constant, tout le temps, sans répit. Une douleur atroce qui vous sert le cœur comme un étau, qui vous empêche de respirer … la culpabilité de ne pas avoir été là. D’avoir abandonné trop tôt. L’eau presque gelée qu’il venait de s’asperger sur le visage le fit frissonner. Il releva doucement son regard pour contempler son visage défait, ayant perdu son éclat  et sa force. Il sentit une goutte d’eau couler le long de son torse alors qu’il se redressait. Il finit par se détourner pour attraper une serviette et s’essuyer le visage. Je sais qu’on peut y arriver Kuan Ti, ne perds pas espoir … ça serait pire que tout. On peut être heureux, tu le sais pas vrai ? on peut venger la mort de maman …  Heureux ? Il avait oublié depuis bien longtemps ce sentiment. L’avait-il vraiment ressentit ? Parfois il avait l’impression de n’avoir vécu qu’un rêve ou de n’avoir qu’imaginer ces instants. Mais …

La porte céda brusquement et des voix se firent entendre. Il savait ce qu’il l’attendait. Et la mort aurait été une plus douce délivrance que ce qui l’attendait. Il enfila rapidement son t-shirt et se tourna vers les arrivants pour leur faire face. Il restait silencieux, redressant ses épaules pour leur montrer qu’il n’avait pas peur. Même si au fond de lui il mourait de trouilles.  Il était jeune. Oui, jeune il l’était encore à l’époque. Jeune, naïf, innocent, aveuglé par la peur. Et beaucoup trop faible pour affronter le monde, son monde, qui lui dictait sa vie, sa façon d’être, qui il était. Il chassa ses pensées d’un revers de main tout en se laissant plaquer au sol lourdement, son regard dur et téméraire comme seul armure. Sa seule arme  dans ce grand monde dont il ne comprenait pas encore tout à fait les règles.

C’est ce jour là que tout à basculé. Renié par les siens, cette cicatrice immonde lui tailladant le dos comme un coup de traite, il est a moitié nu, enchainé, face à ces gens qui l’ont vu grandir. « On a besoin d’argent pour faire vivre la communauté » qu’ils lui on dit. « On ne peut pas te garder toi et ta malédiction, ça va tous nous détruire. » les mots fusent, les raisons aussi. A n’en plus finir. Tout est bon pour se débarrasser de lui. Et son passé, son implication, ses actes pour sauver sa communauté ne suffiront pas à lui racheter une bonne conduite. Il ne se transforme pas en loup, mais cet humain qu’il était est mort à leurs yeux. Il est mort. Il a été vendu deux jours après ça à un homme, non un fou, un fanatique des loups garous qu’il l’a eut pour une bouchée de pain. Cet argent ne suffirait même pas à nourrir une partie de sa communauté … mais le maudit à quitter son pays et a débarqué en Angleterre. La terre qui l’a vu mourir une première fois. Wang Kuan Ti n’existe plus. Il n’est plus qu’un rebuts que son maitre utilise pour quelques expériences. Plusieurs mois on passé depuis son … « adoption » et il serait déjà mort s’il ne tentait pas de survivre pour la jolie blonde rebelle qui est avec lui …