J
e revoyais ses yeux, ses cheveux, le grain de sa peau sans arrêt dans mes rêves. Des rêves qui tournaient en cauchemar dès que les chaines refaisaient leurs apparition, dès que la voix du maître aux enchères recommençait à résonner dans l'immense salle réservé à cet effet. Puis son prénom. Cole. Un prénom qui résonne en tout lieu en commençant par les étroits réseaux de mon coeur. Je suffoque, je m'étouffe, je meurs. Je meurs de honte, de douleur, de tristesse. J'aimerais ensevelir mon corps sous une myriade de terre et de roches pour que plus personne ne puisse poser les yeux sur une telle infamie. Ô comme j'aimerais pouvoir remonter des années en arrière, ne jamais croiser son regard, ne jamais essayer de le revoir, ni connaître son nom, ni ses passions, ni la flamme qui le transperçait dès que nous n'étions que deux. La brûlure en moi révèle autant mes sentiments qu'elle les blâme. Rongée par l'amour, rongée par la haine. C'est à chaque fois remplie d'une colère profonde et viscérale que je me réveillais de ces heures cauchemardesques durant lesquels mon esprit livré à lui-même me refaisait vivre mes erreurs et le jour de la vente de Cole. Un homme que j'aimais avec une telle passion que le souffle me fut coupé pendant des heures. Comment une telle trahison pouvait-elle être possible ? Je n'osais imaginer les mensonges par centaines que sa bouche pourtant si bien dessinée avait bien pu me susurrer au creux de l'oreille. Tout n'avait été que fausseté et manipulation. Je m'étais faite avoir par un homme plus âgé, plus malin. Il m'avait fait miroiter mes propres envies en les faisant passer pour les siennes. Et je m'étais faite avoir, comme une pauvre idiote. J'étais idiote. A cause de moi, combien de mes confrères partisans de notre bon Magister avaient perdu la vie ? Combien d'informations avait-il pu réussir à collecter de moi et ma naïveté ? Je m'en voulais, ô comme je m'en voulais. Je regrettais à chaque seconde qui s'écoulait.
Je n'aimerais plus jamais, je m'en faisais le serment.
Je clignais des yeux alors qu'une collègue me faisait signe depuis une bonne minute.
"Et bien alors Akëla, tu somnoles ?" me demande-t-elle sur un ton amusé qui m'offusque pendant quelques secondes. Nous n'étions pas plus proches que d'autres collègues, pourquoi se permettait-elle de me charrier sur mes divagations personnelles et intimes ? Je ne lui permettais pas une telle proximité avec ma personne. Elle remarqua rapidement la mésentente naissante et jugea préférable de s'éclipser, sage idée. Avant de disparaître, elle m'annonça que le roulement des infirmières allait s'opérer et que d'ici dix minutes je pourrais rentrer chez moi. Un souffle de soulagement m'échappa. Cette matinée avait été des plus éprouvante. Le service avait été pris d'assaut par les blessés et malades en tout genre et je n'avais pas eu une seconde de répit pendant plus de quatre heures. Je me levais et me dirigeais vers le bureau de réunion pour participer au roulement des infirmières. Une fois cela fait, je me dirigeais vers les vestiaires où je troquais ma blouse contre une jupe tailleurs d'un bleu foncé, une paire d'escarpins d'un noir mat et un collier minimaliste où trônait une pierre précieuse d'une belle couleur verte, emblème de couleur de la maison serpentard, maison que j'avais quitté depuis déjà de longues années mais dont les enseignements m'étaient toujours aussi indispensables.
Cependant, je ne comptais pas rentrer directement au manoir Joo Hee. Non, je devais faire un détour dont j'ignorais la durée, mais il m'était indispensable. Je devais savoir, je devais éclaircir les jours et mois à venir. J'avais besoin d'être rassurée après les évènements chamboulant des mois précédant.
Une bonne demi-heure s'était écoulée depuis que j'avais raccroché ma blouse d'infirmière à Sainte-Mangouste. Je me tenais désormais devant une porte dès plus banale mais qui renfermait tout mes espoirs les plus désespérés. Derrière, se trouvait une dénommé Juliet, une voyante. Oui, une voyante. Akëla Joo Hee, fille de Ju-hun Joo Hee et héritière femelle de toutes les richesses orientales allait consulter une voyante parce qu'elle avait la trouille de l'avenir après avoir découvert que son amant l'avait manipulé pour pouvoir transmettre des informations aux insurgés. Oui, j'étais au bord du gouffre et je ne cherchais ici qu'un peu de réconfort, une touche de lumière, une voix qui me dirait que tout allait s'arranger, que tout irait mieux et pour le mieux. J'en avais besoin et je venais le chercher dans des endroits que je ne pensais jamais côtoyer. J'avais appris l'existence de cette voyante par le bouche à oreille et l'anonymat était de mise. Je ne craignais donc pas de dévoiler mon identité, au cas contraire, j'aurais misé sur du polynectar ou un simple sort de confusion, ou que sais-je encore, je me serais débrouillée.
Je poussais la porte et me retrouvais dans une pièce sommairement décoré, non pas dès plus accueillante mais le lieux se prêtait à son utilisation. J'étais anxieuse, je ne me sentais pas à ma place ici, mais je devais le faire. Parce que j'étais désespérée, parce que j'avais peur. J'avais besoin de réconfort, que l'on me rassure, que l'on me dise que tout allait s'éclaircir, que je ne souffrirais plus, que mes sentiments allaient se calmer et que je finirais par oublier Cole. Je me retrouvais aussi démunie qu'une pauvre adolescente au lendemain d'un premier chagrin d'amour.