| « Je vous en donne 20 gallions. » « 100. » Répliquait le vieillard, sans presque se mouver de cette chaise qu'il ne pouvait quitter. Et s'il n'était pas vif, dans son regard l'on pouvait apercevoir la ferveur, et presque le contentement d'ainsi converser, négocier. « 40. Nous n'irons pas plus haut. » « 60 gallions et il est à vous. » Elle ne soupirait pas, la blonde, restait impassible, occultait l'exaspération qu'il lui faisait ressentir. Trente bonnes minutes s'étaient déjà écoulées depuis qu'elle avait passé le seuil de cette demeure qui regorgeait d'objets en tout genre, et qui n'avait définitivement rien d'ordonnée. Trente bonnes minutes, qu'elle l'écoutait parler, lui, celui qui avait jugé bon de l'informer méticuleusement sur l'objet dont il était question, sans un seul instant se douter de ce qu'il avait entre les mains, que ce qu'il disait n'était que le fruit de son imagination, qu'il était définitivement bien loin de la vérité. « Je vous propose d'arrêter ici les négociations, monsieur. Nous ne semblons pouvoir nous mettre d'accord et l'intérêt que nous portons à votre objet est des plus secondaires. » Trente longues, interminables minutes, que la froideur de l'héritière embaumait les lieux, celle-là même qui d'un pas ferme faisait mine de s'en aller, attendant en fait des paroles qui ne tardaient pas à arriver. « Allez, va pour 40 gallions, mais c'est bien parce que votre père est un vieil ami ! » Et comme à l'habitude, elle bouclait l'affaire, laissant quelques pièces derrière elle contre un objet qui en valait le quadruple. Mais comme d'habitude, la prodigue semblait excédée, avait presque l'impression de gâcher ce talent auprès d'âmes si facile à troubler.
Il n'avait pas été simple de récupérer l'objet. Cet objet, ce simple parapluie qui pourtant renfermait tant de mystères, secrets. Il appartenait à ce vieil homme depuis bien des années, celui-là même qui avait contacté le père de la blonde des jours auparavant, celui qui ne pouvait se déplacer, qu'elle avait dû elle-même aller rencontrer. Parce qu'il n'était pas son ami, au contraire de ce que l'homme avait laissé entendre. Non, ce n'était qu'un vieux fou, dont l'esprit s'échappait chaque jour davantage, mais qui regorgeait de trésors ramenés de maintes voyages, qui chaque fois terminaient sur les étagères de la bien connue boutique de l'Allée des Embrumes pour être revendus si cher, que l'ancien possesseur en ferait certainement un arrêt cardiaque. Toutefois, il faisait partie de ces clients ressorts, non pas par sa manière de marchander, simplement en raison de ce débit de parole qu'il fallait savoir tolérer. Et étrangement, ce n'était pas la première fois qu'elle le rencontrait, l'indomptable impulsive. Celle que la tâche avait épuisée, et qui présentement semblait troublé dans sa marche par une vision qui s'amoindrissait. Était-ce ses pupilles si pâles, dérangée par les rares rayons que le soleil laissait filtrer sur la capitale ? Ou simplement son corps, qui ne savait la supporter. L'un ou l'autre, peu importait puisqu'elle n'avait le temps d'y songer, happée par la noirceur d'un monde parallèle au réel, celui qui lui arrachait un frisson, la faisait presque s'effondrer, avant que des bras comme sortis de nulle part ne soutiennent sa chute.
Une voix l'appelait, pourtant elle ne comprenait, l'esprit brouillé par ces filaments blancs qui devant ses paupières toujours défilaient, ne lui rendant la vue que par bribes. Lentement, si lentement, qui lui fallait quelques minutes pour finalement détailler les contours du faciès de celle qui la soutenait. « Ce n'est rien. » Et l'inconnue se levait, alors que le regard de la blonde semblait finalement revenir au réel. « Ne touchez pas à ça. » Elle se voulait autoritaire, pourtant sa voix ne l'était pas, comme contrôlée par la vision de ce faciès intrigué qui lui faisait face. Contrôlée, par la curiosité qu'inspirait cette femme, celle qui la regardait toujours, qu'elle n'avait pas daigné remercier et qui n'inspirait rien d'autre à la blonde qu'un silence troublé. |
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