Il n'y a rien de mieux au monde que le travail bien fait.
C'était du moins l'avis d'Hécate et si elle appréciait infiniment plus les opérations de terrain que les tâches administratives, elle mettait un grand soin à garder son bureau en état, ses armoires bien rangées et ses dossiers dans une organisation méticuleuse.
Il ne fallait pas voir dans ce comportement un excès de maniaquerie mais plutôt le prolongement du caractère terre à terre et pragmatique d'Hécate: un dossier bien tenu permettait d'y retrouver les informations plus rapidement, d'agir plus efficacement et de traiter les enquêtes et le arrestations avec une efficacité maximale. L'administration était un outil au service d'actions concrètes et pour cette raison, elle s'appliquait autant à rédiger ses annexes qu'à courir après un suspect quand Rabastan l'autorisait à mettre le nez hors du ministère.

Ceci n'arrivait d'ailleurs plus guère souvent. Depuis la bataille des rebuts et son passage par la case "coma", Lestrange gardait la jeune femme confinée au niveau 2 et il semblait bien décidé à continuer sur cette voie, répétant qu'elle n'était "pas prête". Elle avait pourtant tout tenté avec lui: les dossiers finis trois jours à l'avance de manière à ce qu'elle n'ait "rien" d'autre à faire que d'être envoyée en renfort, la mauvaise humeur, la mauvaise volonté,la bonne volonté, absolument tout. Mais Rabastan se montrait intraitable. Non, c'était non.
Hécate lui aurait volontiers envoyé son presse papier à la figure à chaque fois qu'il la renvoyait dans son bureau avec cet air dur qu'il prenait quand aucune discussion n'était possible. Elle aurait même ruiné son tapis Axminster de frustration.
Elle avait besoin de sortir.
Besoin de penser à autre chose qu'à la ruine à moitié engloutie qu'était en train de devenir sa vie (tout comme son rythme de vie).
Mais visiblement, son mentor en avait décidé autrement.

Alors Hécate s'appliquait à rendre ses dossiers aussi beaux et efficients que possible, tout en broyant du noir du matin au soir. L'administratif avait au moins pour vertu de lui vider temporairement la tête à défaut de faire disparaître son mal être ou de lui permettre de passer ses nerfs.
C'est d'une démarche raide qu'elle se dirigeait vers le bureau que partageaient Aramis, Félix et Bullstrode. Elle avait un dossier pour chacun d'eux et ils avaient transités depuis le bureau des interrogatoire vers les services d'archives avant de faire un tour entre ses mains expertes pour une révision et un apport d'informations, puisque tout savoir sur les traqués et autre criminels en fuite était après tout sa spécialités. C'était annotés de son écriture sèche que les dossiers allaient rejoindre leurs légitimes propriétaires afin que ces derniers continuent d'exceller dans ce qu'ils faisaient.

Mais alors qu'elle ouvrait la porte du bureau des rafleurs, elle sentit les cheveux de sa nuque se hérisser.
Oh non.
Son alarme à Romero venait de s'activer.
Et en effet, l'insupportable créature venue d'un autre monde était consciencieusement occupée à fouiner dans le bureau de Lestrange Junior, un dossier volumineux dans la main gauche, sa baguette dans la droite. Elle tournait en rond comme un oiseau de proie et Hécate se prit à se sentir désolée pour Aramis. Le pauvre avait véritablement écopé d'un poisson-pilote à l'obsession inquiétante, et c'était peu de le dire.

Problème: Hécate appréciait Aramis.
Et face à Anita Romero, elle faisait parfois office de mur de Berlin, dont l'unique préoccupation et mission était de séparer deux parties du monde destinées à ne pas se toucher.
En l'occurence, les parties génitales des deux intéressés.

« C’est terrible cette odeur de lard… par Merlin ! »

Hécate soupira, posa ses propres dossiers sans un bruit et s'approcha doucement avant de se placer à la hauteur du bureau dans le tiroir duquel Anita avait plongé le nez....puis frappa de toutes ses forces sur le bois du plat de la main.

BLAM BLAM BLAM!

-Romero! quelle surprise! laisse moi deviner: tu t'es encore égarée loin de ton bien aimé niveau 3? Une crise de somnambulisme t'as menée jusqu'ici?

Elle vrilla Anita du regard pour la mettre au défi de commencer à inventer des salamaleks puis désigna la porte du bureau.

-Dehors. Ou je te mets un pied au cul.

Tout ça allait se finir dans son bureau mais qu'importe. Son humeur était déjà engoncée dans la mélasse et peut-être Romero lui donnerait-elle une raison suffisante de se secouer un peu dans cette journée longue et triste comme un jour sans pain.

L'insupportable petite peste.
Le problème de Romero était qu'il était absolument impossible d'avoir le dernier mot avec elle quand bien même aurait elle tenté de démontrer que la terre était plate.
Anita Romero avec un code de loi et une centrale à fantasmes à la place du cerveau, un cocktail qui avait tendance à faire sortir Hécate de ses gonds et ce même lorsque son humeur était égale.

Ce qui n'était pas le cas ce jour là.
Elle écouta Romero lui débiter un verbiage juridique sans intérêt et la jeune femme fit l'erreur de l'appeler deux fois "agent Shacklebolt". Hécate avait de plus en plus de mal avec ce patronyme dans lequel elle se reconnaissait de moins en moins et se rendit compte que jamais elle n'avait autant eu envie de faire avaler ses dents à l'agent du niveau trois. Mais avant que l'idée n'ait le temps de faire entièrement son chemin dans l'esprit de la jeune femme Romero se décida -fort heureusement pour sa dentition- à débarrasser le plancher et eut même l'extrême amabilité de l'inviter....dans son propre bureau.

Merlin.
Nom de Merlin.
Ou comme dirait Rabastan: putain de merlin.

Hécate avait-elle raté une fête en vigueur au Royaume Uni, comme la Saint-Emmerdeur, la fête nationale de l'Abruti ou Sainte-Casse-burnes-de-la-miséricorde? Impossible à dire mais elle eut besoin d'un petit moment pour reprendre ses esprits et surtout le contrôle de ses nerfs. Du contrôle. Du contrôle. Rien de ce qui la contrariait n'était après tout la faute de Romero et un passage de nerfs sur sa personne aurait certes été hautement cathartique mais probablement injuste et Hécate n'aimait pas être injuste.

Alors avec un soupir assez long pour servir de tapis rouge à la Chapelle Sixtine, elle se mit en mouvement et rejoignit sa collègue devant son bureau avant de déverouiller la porte d'un coup sec de baguette et de lui passer devant pour bien lui signifier que c'était là son territoire. Legba leva son long cou et fixa ses yeux verts sur Anita avant de pousser un feulement et de cracher en sa direction puis de frotter sa tête contre les ongles acérés de sa maîtresse. Il dardait sur la plus jeune des deux agents un regard venimeux et il y avait fort à parier qu'il était en train de réfléchir à la meilleure manière de l'énucléer par surprise.

S'asseyant à son bureau, Hécate lança à Romero un regard qui n'avait rien à envier à celui de son animal de compagnie et prit le dossier que la jeune femme lui tendait d'un geste sec avant de l'ouvrir...et de se faire ravager les tympans par une cacophonie de voix, toutes émanant de posts-its colorés visiblement décidés à lui faire perdre l'ouïe et la vue, leur teinte fluorescente étant suffisante pour désintégrer la majorité des cônes de son oeil. Elle referma le dossier avec force et resta un moment interdite avant de lâcher:

-Si c'est une tentative de meurtre par cri de mandragore c'est un peu gros. Si c'est un réel effort pour "optimiser mon travail", c'est carrément atterrant! Réfléchis Romero, juste une toute petite seconde: écrire un dossier, l'écrire vraiment, faire une synthèse de ce que l'on doit retenir d'une affaire, a pour but de donner au lecteur ce qu'il a besoin de savoir de manière concise, claire et surtout, surtout paisible.Paisible, Romero. TU PENSES VERITABLEMENT QU'ENTENDRE DES BOUTS DE PAPIER ME HURLER DANS LES FEUILLES DES INFORMATIONS QUI SONT DE TOUTE MANIERE ECRITES SUR LES MEMES PAGES AUXQUELS ILS SONT ACCROCHES ME SERA D'UNE QUELCONQUE AIDE OU EST CE QUE TU CHERCHES SEULEMENT A FINIR CRUCIFIEE A MA PORTE D'ENTREE?! PUTAIN DE MERLIN IL Y A VRAIMENT DES JOURS OU TU MERITERAIS DES BAFFES!

Elle poussa le dossier et se prit une seconde la tête dans les mains. Pourquoi avait-elle hurlé de la sorte? peut-être parce qu'elle n'avait plus le moindre contrôle sur ses nerfs. Sans doute. Surement. Honteuse, elle inspira et lâcha plus doucement:

-...Excuses moi. Je ne sais pas ce qui m'a pris.

Soupirant, elle reprit le dossier et l'examina, tournant les pages une à une et faisant tourner sa plume entre ses doigts, écoutant même un post-it ou deux à l'occasion. Puis,elle le referma d'un geste lent et fit d'une voix très légèrement rauque:

-Les post-it ne sont pas une si mauvaise idée après tout...mais ils auraient peut-être plus d'utilité s'ils apportaient des informations complémentaires à celle du dossier au lieu de répéter ce qui y est écrit. On pourrait ainsi lire tout en entendant au fil des lignes des compléments d'information. Il y a peut être moyen de lier certains nom, mots ou...concepts des textes à ces pense-bête  par la magie. Ils pourraient alors fournir de brèves annexes sur les sujets auxquels ils sont reliés si on pose sa baguette dessus. Une sorte de...base de donnée page à page.

Cette fois,formidablement piteuse, elle laissa sa voix s'éteindre et s'excusa de nouveau:

-Je n'aurais pas du te crier dessus. Tu es un agent très estimé du niveau trois et tes dossiers sont toujours parfaits, mes propos étaient déplacés et je te demande de m'en excuser.

Les excuses n'étaient pas son fort et ne l'avaient jamais été. Mais il vaut souvent mieux cesser de s'enfoncer quand l'opportunité s'en présente. Et perdre la face une minute au lieu de la perdre toute une vie. Romero n'avait rien de malfaisant et la rabaisser plus bas que terre ne ramènerait à Hécate ni sa joie de vivre, ni son énergie.