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Back in the U.S.S.R.
Kirill & Sergueï

La civilisation a rendu l'homme sinon plus sanguinaire, en tout cas plus ignoblement sanguinaire que jadis. ▬ Dostoïevsky



Il pleuvait à Londres.

La ville ne lui était pas fondamentalement inconnue. Comme tout membre de l’élite sorcière –et ce qu’elle qu’en soit le pays- Sergueï Ivanovitch Moltchaline avait voyagé. Un peu. Moins que certains de ses anciens camarades de Koldovstoretz. L’Est lui plaisait plus. Son oncle avait épousé en un mariage prestigieux une fille issu d'une des rares familles de sang-pur chinoise –Raspoutine seul savait combien il était difficile de lier une telle alliance avec des sorciers purs d’Asie tant ils vivaient reclus sur eux-mêmes – et cela avait permis à Sergueï de visiter Pékin.

Il pleuvait toujours à Londres.

Un frisson parcourut le long corps élancé du russe qui leva un regard vers le ciel gris. Si les températures descendaient encore un peu, il neigerait.

La Russie lui manquait déjà. Un sentimentalisme propre aux slaves qu’il balaya d’un soupir inaudible. Il avait toujours été sensible au rayonnement de sa nation. Une fierté que les légendes attisaient. N’étaient-ils pas le pays le plus grand ? Pierre n’avait-il pas élevé des marais la cité impériale de Saint-Pétersbourg? Koldovsteretz n’était-elle pas renommé mondialement ?

Le russe stoppa ses pas, le parapluie noir au-dessus de son visage devant les dalles grises. La Bran Tower s’étendait de tout son long devant lui. Haute, vertigineuse même, elle semblait se noyer dans le ciel morne d’Angleterre. Que son frère y ait élu domicile lui sembla incongru. Kirill, tout comme Sergueï, était attaché à une certaine luminosité naturelle. Leur datcha familiale en pleine toundra en était le parfait exemple, de même que leur demeure à Saint-Pétersbourg où une élégance noble faite de marbre et de tissu aux velours vermillon primait.

Sergueï referma son parapluie, une excitation sourde au creux du ventre. Malgré ses allures sépulcrales, le cadet des Moltchaline avait toujours été d’un tempérament fiévreux. Il ne s’interdisait jamais ses émotions, il avait juste appris à les canaliser au mieux, refusant des diktats d’une société qui cherchait toujours à exploiter ce que l’on ressentait d’une manière ou d’une autre. Le danger n’était pas de sentir, le danger n’était jamais intérieur mais bien extérieur.

Le gobelin à l’accueil lui indiqua l’appartement à atteindre. Ce n’était pas stupide –loin de là- d’avoir posté un gobelin ici. Ces créatures étaient rusés, nobles et percevaient avec aisance les mensonges. Mentez à un gobelin et votre vie risque de s’achever plus tôt que prévu. Du reste, Sergueï n’avait jamais mal considéré les hybrides et autres créatures. Il comprenait d’où venait la terreur qu’elles inspiraient mais le mépris lui faisait arquer le sourcil toujours. L’apologie de la magie passait aussi par les hybrides quand bien même leurs natures les rendaient parfois dangereuses.

Souvent les gens employaient l’expression « le monde dans lequel on vit » mais Sergueï n’en aimait pas la teinte fataliste. La vraie phrase –celle qu’il estimait être correct- était plutôt « le monde dans lequel vous acceptez de vivre ». Si les sorciers désiraient -au même titre que les impurs- repousser la magie qu’offraient des créatures comme les elfes de maison, ce n’était pas son cas. Sergueï fixait ses propres règles, ses propres dogmes. Ce n’était pas du mépris pour une construction de la société déjà préétablis nécessairement. Loin s’en fallait. Mais l’exceptionnel lui plaisait trop pour ne pas faire autrement.

Kirill n’était pas uniquement un frère, il était un ami. Tout le monde écrivait toujours des livres sur l’amour, peu en écrivaient sur l’amitié. C’était pourtant la même chose à peu de choses près. Des moments privilégiés qui permettaient d’anticiper le meilleur de l’autre au point d’en être touché. L’amitié, comme l’amour finalement, naissait de l’appréhension de l’exceptionnel chez l’autre.

Et exceptionnel, Kirill l’était aux yeux de son frère cadet.

Lorsque la porte s’ouvrit, Sergueï Ivanovitch Moltchaline, qui restait stoïque en la majeure partie des circonstances de la vie, eut un large même si timide sourire. Un de ceux qui indiquait cette chaleur propre à l’affection sincère.

Le russe roula, limpide, sur sa langue.

« Bonjour Kirill. Cela faisait longtemps. »




© Gasmask


Dernière édition par Sergueï Moltchaline le Ven 25 Sep 2015 - 22:57, édité 3 fois
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Pourquoi a-t-il accepté ce logement de fonction à la Braun Tower?
Pourquoi diable a-t-il accepté de rentrer dans cette luxueuse cage à lapins depuis laquelle il voit avec une clarté désarmante et atroce à quel point la ville de Londres est grise?
Pourquoi a-t-il accepté de vivre dans un lieu où frémissent tant de personnes et où résonnent tant de voix?

Il en dort mal, il ne trouve pas la quiétude qui est nécessaire à son intellect dans cette fourmilière et le faste de l'appartement n'y change rien du tout. Kirill a besoin d'espace, un espace métaphorique certes, mais bien réel à ses yeux. Dans cette tour, il étouffe. Dans cette ville, il étouffe, et cette froide constatation lui fait froncer les sourcils alors qu'il observa la capitale de l'Angleterre sous ses pieds. Il est logé presque au sommet de la tour et y reste comme un dragon sur son promontoire. La vie est assez ironique: au ministère, il est sous terre, dans les profondeurs de ce que certains appellent l'enfer, et ici, "chez lui", il est au sommet. C'est comme une élégante image de sa vie depuis sa naissance: toujours tout en bas, ou toujours tout en haut, voire même les deux à la fois. Aucun juste milieu, juste les profondeurs les plus noires ou les hauteurs les plus claires.

Kirill est ainsi.
Haï ou vénéré.
Méprisé ou adulé.
Monstre ou créature presque surnaturelle d'intelligence et de sagesse.
Fou ou génie.

Aucun entre deux.

Il a allumé une cigarette et la fume presque nerveusement, ce qui est en soi un fait hautement inhabituel. Cela fait désormais deux ans qu'il est à Londres. Deux longues années. Tel le caméléon qu'il est, il s'est plié aux coutumes locales, abandonnant le russe pour un anglais presque parfait quoique matîné d'un accent slave, se rendant même aux réceptions de l'élite sorcière. Exilé ou pas, banni ou pas par sa mère patrie, Kirill demeure l'aîné des Moltchaline, le prince héritier de sa dynastie et il se doit de la préserver, autant que ses envies et ses  projets le lui permettent. Cela passe par être correct, cela passe par être poli, par se montrer, par évoluer dans les hautes strates du monde sorcier avec autant d'aisance que la murène tatouée sur son corps évolue le long de sa peau. Sa famille ne l'a jamais renié, même lorsque l'ordre des médicomages l'a fait. Toujours ils sont restés des alliés. Alors il leur rend la pareille à sa manière, en associant à leur nom argent, pouvoir, dangerosité et élégance.
C'est bien le moins qu'il puisse faire, car Kirill sait, tout comme ses parents le savent, que ce n'est pas de lui que viendra l'héritier tant attendu...la nature a ses lois que la société ne peut changer. Et Kirill n'essaie pas.

C'est à Sergueï, frère aimé, frère estimé, que reviendra la tâche qui incombait à Kirill jusqu'à ce qu'il se révèle pour ce qu'il est. Sergueï ne s'en est pas plain. Sergueï ne se plaint jamais. En pensant à ce frère presque jumeau, si proche, Kirill a une bouffée de mélancolie et il tire sur sa cigarette. De toutes les émotions humaines, la tristesse teintée de mal être est celle qu'il redoute, plus encore que la colère ou le désespoir brûlant. Parce que cette douleur là est insidieuse et qu'il ne parvient ni à la rationaliser, ni à l'étouffer. Ce qu'il ressent, c'est du manque. Sergueï lui manque. Leur demeure lui manque, leurs parents -si ouverts et si intelligents, si encourageants vis à vis de ses talents et ce face au monde entier- lui manquent. L'Angleterre a un charme qui jamais n'égalera celui de la Sainte Russie.
C'est peut être ça, le "mal du pays".

Quand il entend frapper à sa porte, Kirill ne fait que bouger les yeux. Ses orbes polaires se déplacent vers l'entrée et il effleure sa baguette du bout des doigts, pour s'assurer qu'elle est toujours à sa ceinture avant d'ouvrir la porte, le visage fermé, prêt à envoyer sur les roses (et notamment sur leurs épines) l'impudent ayant le culot de venir le déranger chez lui.

Son coeur loupe un battement, ses traits se détendent et ses yeux s'écarquillent.

Le visage fin,les pommettes hautes, la cicatrice longue et effilée, les yeux en amande, aussi bleus que l'Adriatique, les cheveux souples et blonds, la silhouette élancée...

-Serioja?

Le surnom vient automatiquement, Kirill l'utilise depuis la naissance de son cadet, depuis la seconde ou petit garçon de trois ans, il a eu l'autorisation de toucher ce petit être, ce petit humain issu de la même chair que lui et destiné à devenir son éternel complice, éternel compagnon d'âneries, d'actes grandioses et de coups d'éclats.
Serioja. Sergueï.

« Bonjour Kirill. Cela faisait longtemps. »

Kirill ne dit rien. Puis il fait un pas en avant, et un instant plus tard, serre son frère dans ses bras, une étreinte puissante et sincère. Sa main est collée à sa nuque, ses yeux sont fermés. Ainsi sont les Moltchaline: silencieux mais démonstratifs. Kirill n'a peur d'aucun contact, d'aucun qu'en dira-t-on. Tout ce qu'il sait est que son frère est là, dans ses bras, après deux ans d'une séparation interminable et que c'est comme si toute la Russie, depuis les balalaïkas jusqu'au sifflement du blizzard était venue avec lui.

Kirill laisse durer l'étreinte puis lui saisit le côté du visage de la main, dans un geste fraternel, celui de l'aîné pressé de constater la croissance de son cadet, bien que celle ci se soit arrêtée depuis bien longtemps déjà. Un sourire étire les lèvres de Kirill, et c'est un fait si rare que lui même le ressent de manière étrange. Ses dents se découvrent, ses yeux se plissent et il guide son frère à l'intérieur avant de refermer la porte. puis il le regarde encore. Par Raspoutine, il n'a pas été si heureux depuis des lustres. Quand il prend la parole, le russe coule sur sa langue avec fluidité et enthousiasme. Il n'y a que là, dans l'intimité de son logement, face à la seule personne -ormis ses géniteurs- qui connaisse le fond de son âme, que Kirill se permette de se montrer en tant qu'homme. La murène se déride, le vernis craque, le sociopathe s'évanouit comme le masque fantoche et fantasmé qu'il est vraiment. Apparaît l'homme.

-Sergueï...qu'est ce que tu fais ici? Je ne savais pas que tu étais de passage! pourquoi ne m'as tu rien dit? Je ne comptais pas sur le vieux Selwyn pour me tenir au courant mais...pourquoi n'as-tu pas écrit? pour combien de temps es tu sur Londres?

Secrètement, Kirill espère que Sergueï est là pour un séjour long, ou que du moins, il le prolongera. Pour qu'ils rattrapent le temps perdu, eux qui sont vissés l'un à l'autre depuis qu'ils savent jouer, eux qui discutent ensembles depuis qu'ils savent parler. Leurs premières esclandres ils les ont provoquées ensembles, leurs premières erreurs ont été réparées ensembles et leurs premières terreurs ont été combattues ensembles. Kirill n'oubliera jamais: Baba Yaga, l'enlèvement de son frère alors si petit, la longue traque dans la nuit noire que lui a du effectuer dans le froid de l'hiver, la baguette paternelle à la main, une lanterne dans l'autre. Puis l'arrivée à la cabane aux pieds de poule, le face à face, la fuite la peur au ventre et le retour chez eux, gelés, blottis sous les couvertures, Sergueï dans ses bras, encore grelottant de froid.
Kirill donnerait sa vie pour Sergueï.
Et maintenant qu'il lui est revenu, ce faux jumeau, il veut le conserver près de lui.
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Kirill & Sergueï

La civilisation a rendu l'homme sinon plus sanguinaire, en tout cas plus ignoblement sanguinaire que jadis. ▬ Dostoïevsky



Son père -leur père- prenait régulièrement des nouvelles de Kirill. L’ensemble n’était jamais loin de leurs visions même à Saint-Pétersbourg ou Moscou. Ivan Petrovitch Moltchaline n’était pas homme à s’inquiéter inutilement et s’il le faisait c’était uniquement pour les siens. Son épouse, ses frères et sœurs, ses enfants enfin. Kirill et Sergueï avaient toujours été d’un tempérament indépendants, encouragé par une mère qui manipulait une discipline de fer, fruit sucré-salé de ses années de danse.

Il lui arrivait de s’inquiéter, oui. Pour Kirill d’abord, qui était l’héritier mais dont l’esprit fourmillait trop vite, trop puissamment pour les frileux académiciens en médicomagie slave.
Pour Sergueï ensuite, dont les silences intimaient un monde si vaste qu’il sentait avec précision que son fils ne daignait parfois pas partager ce qu’il était avec autrui. Son cadet lui avait posément expliqué qu’ils ne changeraient rien à ce qu’il se passait si cela devait se passer. Le pessimisme plein d’abnégation russe coulait tranquillement dans les veines glacées de Sergueï et il semblait en avoir fait une philosophie unique de vie. Il ne fallait surtout pas s’adapter à ce qui existait mais créer ce qui convenait. Juste « tenir » sur ses désirs. Certaines choses ne pouvaient être abandonnés : la patrie, la magie, la famille. Apprendre à formuler ce qu’autrui voulait entendre lui étant ennuyeux, le silence faisait alors l’affaire tout autant.

Ivan Petrovitch Moltchaline s’inquiétait parfois, oui, mais il avait toute confiance également en ses deux garçons.

« Serioja? »

Sergueï eut un sourire, un de ceux qui lui appartenait, rare et fugace. Éclair vivifiant et chaleureux qui – si l’on clignait des yeux trop vite- disparaissait comme neige au soleil.  L’étreinte était pleine de grâce et Sergueï, dans son mysticisme slave, laissa les crépitements glisser dans la chaleur de la pression fraternelle.

« Sergueï...qu'est-ce que tu fais ici? Je ne savais pas que tu étais de passage! pourquoi ne m'as-tu rien dit? Je ne comptais pas sur le vieux Selwyn pour me tenir au courant mais...pourquoi n'as-tu pas écrit? pour combien de temps es-tu sur Londres? »

Le sourire continua de danser dans le regard et les coins légèrement remontés des lèvres.

« Cela s’est fait très rapidement et je voulais t’en faire la surprise. Notre oncle a su tenir le secret, preuve qu’il mène son monde à la baguette. »
Sergueï se recula enfin sans pour autant se détacher de la présence familiale. Son frère allait bien. Physiquement rien n’avait changé, la même lueur concentrée au fond des iris délavés qui avait permis à Kirill de gravir rapidement –trop peut-être selon certain- les échelons de l’hôpital de Saint-Pétersbourg. « Tu viens d’accueillir très officiellement le sous-directeur du département VII, attelé au quidditch et aux sports magiques. »

Officiellement. Officieusement à la propagande en quelque sorte. Celle qui enfumait de jeux tonitruants et de scandales liés à leurs athlètes favoris la communauté sorcière. Niveau relativement tranquille, extrêmement glamour et mené d’une main divinement suave par Ekkehardt Selwyn.

« Ils utilisent des balais. »

Cela lui semblait tellement… peu glorieux qu’il en fit la remarque (uniquement parce qu’il s’agissait là de son frère).

Un regard circulaire qui revint se poser sur Kirill et Sergueï cilla. « Cela faisait trop longtemps. Père et mère t’envoient également leurs vœux…. Et ils m’ont fait prendre une caisse entière de vodka et de caviar. Ils ont peur que tu ne saches plus le gout de la Russie. »  

Le russe pencha légèrement son visage, comme si, c'était tout simplement impossible.

(Ça l'était)





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